XIII - Trajan (an de Rome 851)

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Ce fut Ulpius Trajan, natif d'Italica, ville d'Espagne, d'une famille sénatoriale et consulaire, que Nerva adopta par arrogation, et donna pour empereur aux Romains. A peine trouvera-t-on un prince qui se soit rendu plus illustre pendant la paix et à la guerre. Il est le premier, ou même le seul, qui ait reculé les limites de la puissance romaine jusqu'au delà de l'Ister (1), en subjuguant les Daces et les Saces, et leur roi Décibale, ainsi que les Sardoniens (2), peuples dont il réduisit le pays en province romaine. A l'Orient, il dompta toutes les nations qui habitaient entre les fleuves fameux de l'Indus et de l'Euphrate, et obligea Cosroïs, roi des Perses (3), à lui donner des otages. Dans le même temps, il fit construire un grand chemin par lequel on peut aisément passer du Pont Euxin dans la Gaule (4) ; il bâtit des forteresses dans les endroits les plus exposés et dont la situation était avantageuse ; il éleva un pont sur le Danube (5), et forma enfin un grand nombre de colonies. Il acheva de plus les forum commencés par Domitien, et plusieurs autres ouvrages, et les embellit des plus magnifiques ornements. De peur que les subsistances ne manquassent au peuple romain, il rétablit et consolida le collège des boulangers ; et, pour que les renseignements sur ce qui se passait dans toute l'étendue de la république lui arrivassent plus promptement, il établit une course publique (6). Mais un établissement si utile tourna au préjudice de l'empire, par l'avarice et la tyrannie de quelques uns de ses successeurs.

Trajan
Musée du Vatican

Ce fléau néanmoins épargna les nations illyriennes, auxquelles la bonne administration du préfet Anatole a procuré, dans le temps où nous sommes (7), beaucoup de soulagement : ce qui prouve que dans un état le bien et le mal peuvent changer de nature par le caractère de ceux qui le gouvernent. Les qualités de Trajan étaient la justice, la clémence, une patience à toute épreuve, et surtout une grande fidélité à l'égard de ses amis, comme il le prouva bien en dédiant à Sura, qu'il aimait, l'édifice qui porte ce nom (8). Il comptait tellement sur sa propre vertu, que, lorsqu'il remit, selon l'usage, un poignard à Saburanus, préfet du prétoire (9), comme la marque distinctive de son autorité, il lui tint plusieurs fois ce discours : «Je vous confie cette arme pour me défendre, si je me comporte bien ; et, pour la tourner contre moi, si je fais le mal, car il n'est pas permis même de se tromper à celui qui gouverne les autres hommes». Tourmenté comme Nerva par la passion du vin, il l'affaiblit par une vigilance continuelle sur lui-même, et par la défense qu'il fit d'exécuter les ordres qu'il aurait donnés à la suite d'un long repas. Ce fut avec de si belles vertus qu'il gouverna l'empire près de vingt années. Quoique dans un âge très avancé, il était parti, d'après la demande du sénat, pour recommencer la guerre en Orient, lorsqu'un grand tremblement de terre (10) se fit sentir à Antioche, et jusqu'aux extrémités de la Syrie. Il en fut si vivement affecté, qu'il fut atteint d'une maladie (11) à laquelle il succomba, après avoir appelé à l'empire Adrien, son compatriote et son parent (12). Quelques historiens pensent néanmoins que celui-ci ne dut son élévation qu'au crédit de Plotine, femme de Trajan, laquelle supposa que ce prince l'avait désigné dans son testament pour son successeur. Depuis ce temps-là les titres de César et d'Auguste restèrent séparés l'un de l'autre, et il fut établi que deux ou plusieurs princes gouverneraient souverainement la république, sans porter le même titre et sans avoir la même autorité (13).


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(1)  Ancien nom du Danube depuis la deuxième moitié de son cours jusqu'à son embouchure.

(2)  Les critiques ne savent quels sont ces peuples. Schott lit Dardanios. Madame Dacier pense qu'il est ici question d'un prince, nommé Sardonius ; ainsi, il faudrait lire Sardonio. Toute cette fameuse expédition de Trajan est représentée sur une colonne en spirale qui porte son nom, et l'un des principaux ornements de la ville de Rome. La colonne de la place Vendôme, à Paris, a été élevée sur son modèle.

(3)  Dans le siècle de Trajan, et longtemps auparavant on disait les Parthes ; et, au temps d'Aur. Victor, les Perses.

(4)  Ce prince fit paver une chaussée, au milieu des marais du Pont-Euxin, vulgairement Palus Méotides, et construisit, dans ces contrées, des ponts d'une solidité et d'une grandeur extraordinaires.

(5)  Ce pont qui est encore aujoud'hui un objet important de recherches pour les savants, a exercé la sagacité et l'érudition de M. Mannert, Allemand, dont le Mémoire sur ce sujet, couronné par l'université de Goettingue, a été traduit du latin en français par M. Achaintre. On le trouve dans les deux derniers numéros de 1813, des Annales des Voyages, par M. Malte-Brun.

(6)  Il semble qu'Aurelius Victor se trompe ; car cette course avait déjà été établie par Auguste. Peut-être Trajan ne fit-il que la perfectionner.

(7)  Notre auteur parle du temps qui précéda la dixième année du règne de Constance, et le troisième consulat de Julien. Voyez Ammien Marcellin, I, 19.

(8)  Il est peut-être ici question des Thermes, situés sur le mont Aventin , et vis-à-vis le mont Palatin.

(9)  Les critiques pensent que ce Saburanus est le même que Sura ou Suranus.

(10)  Dion et Xiphilin font mention de ce tremblement de terre. Il arriva l'an de Rome 567 et 115 de Jésus Christ. Trajan mourut deux ans après.

(11)  Cette maladie, qui était un flux de ventre, le surprit dans la ville de Séleucie.

(12)  C'est-à-dire, son cousin, et de plus son neveu par alliance, car il avait épousé Sabina, fille de sa soeur.

(13)  Cette séparation de titres ne date que de l'empire d'Adrien qui, en adoptant Lucius Aelius Verus, quitta le premier le titre de César pour le lui donner. L'empereur prit alors le seul titre d'Auguste.