Livre X - Lettres 48 et 49


PLINE A L'EMPEREUR TRAJAN

On a commencé à Nicée, seigneur, un théâtre très grand. Quoique bâti en partie, il est encore imparfait, et coûte déjà plus de dix millions de sesterces, ainsi que je l'ai entendu dire ; car je n'ai pas approfondi le fait. Je crains que cette dépense ne soit inutile. Il s'affaisse et s'entr'ouvre déjà, soit par la faute du terrain mou et humide, soit par la faute de la pierre fragile et tendre. Il y a lieu de délibérer si on l'achèvera, si on l'abandonnera, ou s'il le faut même détruire ; car les ouvrages faits pour l'appuyer et pour le soutenir me paraissent peu solides, et engagent à une grande dépense. Pour les accompagnements de ce théâtre, plusieurs particuliers sont entrés en différents engagements. Les uns ont promis de bâtir autour de magnifiques maisons ; les autres, des galeries qui le domineraient ; mais tout cela demeure imparfait avec le théâtre, qui doit être auparavant achevé. Les mêmes habitants de Nicée ont commencé, avant mon arrivée, à rétablir un lieu d'exercice que le feu a détruit ; mais ils le font beaucoup plus ample et plus grand qu'il n'était. Cela leur coûte encore, et il est à craindre que ce ne soit inutilement; car il est vaste, et le dessein en est mal entendu. Outre cela, un architecte (à la vérité, c'est le rival de l'entrepreneur) assure que les murs, quoiqu'ils aient vingt-deux pieds de large, ne peuvent soutenir la charge qu'on leur destine, parce qu'ils ne sont point liés avec du ciment et par des chaînes de brique. Les habitants de Claudiopolis creusent aussi, plutôt qu'ils ne bâtissent, un fort grand bain, dans un lieu très bas, et commandé par une montagne. Ils y emploient l'argent que les sénateurs surnuméraires qui, par votre bonté, sont agrégés à leur sénat, ou ont déjà offert pour leur entrée, ou payeront dès que je leur en ferai la demande. Comme je crains que dans l'une de ces entreprises les deniers publics, et que dans l'autre (ce qui est plus précieux que tout l'argent du monde) vos bienfaits ne soient mal placés, je me vois obligé de vous supplier d'envoyer ici un architecte, pour résoudre quel parti on doit prendre, soit pour ce théâtre, soit pour les bains. Il examinera s'il est plus avantageux, après la dépense qui a été faite, d'achever ces ouvrages d'après le plan sur lequel ils ont été commencés, ou bien de les réformer, et d'y changer ce qui doit y être changé ; de peur qu'en voulant conserver ce que nous avons déjà dépensé, nous ne perdions ce que nous dépenserons encore.

TRAJAN A PLINE

Vous examinerez et réglerez mieux que personne, vous qui êtes sur les lieux, quel parti on doit prendre sur le théâtre de Nicée ; il me suffira de savoir quel sera votre avis. Quand l'ouvrage sera fini, vous ne manquerez pas d'exiger ceux qui ont été promis pour son accompagnement, par les particuliers qui s'y sont engagés. Les Grecs ont de la passion pour les lieux d'exercice, et cela pourrait bien leur avoir fait entreprendre indiscrètement celui-ci ; mais il faut qu'ils se contentent d'en avoir un suffisant. Quant aux habitants de Claudiopolis, vous leur ordonnerez ce que vous jugerez le plus à propos sur le bain qu'ils placent si mal. Vous ne pouvez manquer d'architectes. Il n'est point de pays où l'on ne trouve des gens entendus et habiles ; si ce n'est que vous pensiez qu'il soit plus court de vous en envoyer d'ici, où nous avons coutume de les faire venir de Grèce.

© Agnès Vinas

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