Ἄνεμοι

Pour l'étude des questions scientifiques et météorologiques relatives aux vents, voyez l'article GEOGRAPHIA. Nous n'examinerons ici le sujet que dans ses rapports avec la littérature, la mythologie et l'art.

  1. GRECE

    1. Les dieux des vents

      Les oeuvres d'Homère et d'Hésiode ont conservé le reflet de croyances très anciennes, antérieures aux temps homériques, où les phénomènes de l'atmosphère, vents ou tempêtes, apparaissent déjà comme des puissances divines. Leur personnalité n'est pas encore dégagée : ils forment alors un groupe de génies encore indistincts, animés d'une double nature : les uns sont favorables aux hommes, les autres ne pensent qu'à détruire leurs travaux et déchaînent sur terre et sur mer les pires catastrophes. Les premiers sont issus d'une race divine (ek theophin geneê) ; les seconds, fils de Typhon, sont perpétuellement en révolte contre les divinités du ciel. Ils habitent à l'intérieur de la terre, d'où ils jaillissent au dehors par ses gouffres.

      L'Iliade, l'Odyssée et la Théeogonie marquent une première étape dans la voie de la différenciation ; on y trouve en germe les traditions et les croyances qui se développeront dans la Grèce classique. Homère distingue déjà les anemoi des thuellai et des arpuiai ; Hésiode a connu l'existence de nombreux vents. Pour la première fois se dessinent les figures mythiques de Borée et de Zéphyr, de Notos et d'Euros. Ceux-ci ne sont encore que des forces de la nature divinisée : les dieux du vent du sud et du sud-ouest. Hésiode ne nomme pas Euros parmi les fils d'Astraios et d'Eos, ancêtres de Borée et de Zéphyr. C'est peut-être un compagnon de Typhon, l'un de ces mauvais génies qui hantent la partie orientale du monde.

      Borée et Zéphyr ont déjà une personnalité mieux définie. Dieux du vent, ils sont aussi des daimones intermédiaires entre le monde supérieur et l'Hadès. Dans l'Iliade, ils viennent, à la prière d'Iris, ranimer la flamme du bûcher de Patrocle, et ils aident ainsi l'âme du héros à prendre son vol. Tous les deux habitent une caverne dans les montagnes de la Thrace, où ils règnent sur les autres vents ; mais ce pouvoir, ils le tiennent de Zeus, comme Eole dans l'Odyssée. Les vents sont sous la domination des grandes divinités de l'Olympe : Apollon, Poseidon, Athéna, Artémis. D'autres personnages, magiciennes ou nymphes, Circé et Calypso, leur commandent également. Dans l'Iliade, nous les avons vus accourir, sur la demande d'Iris et à la prière d'Achille, auprès du bûcher de Patrocle.

      Dans certains passages des poèmes homériques, Borée et Zéphyr apparaissent déjà comme l'expression même du principe vital. Zéphyr est le père des coursiers d'Achille, Borée prend la forme du cheval pour s'unir aux cavales filles d'Erichthonios. A ces très anciennes légendes se rattache la croyance à la fécondation des juments au printemps par le souffle de Zéphyr. Cette idée est étroitement unie à celle de l'âme considérée comme un souffle, qui a la même source divine que celui qui s'exerce sur toute la nature. La tradition orphique sur le pouvoir fécondant des vents dépend, elle aussi, de ce thème très ancien. Sur lui serait venu se greffer le culte essentiellement attique des archêgetai, qui protègent le genos et en assurent la perpétuité.

      A ces conceptions se rattachent également les représentations primitives des divinités du vent, incarnées sous la forme d'oiseaux de proie. Il semblerait aussi qu'à une certaine époque le cheval ait été la personnification du vent. De même l'enlèvement de Ganymède par l'aigle, d'Orithyie par Borée, n'est pas sans offrir quelques analogies avec ces antiques survivances.

      Oiseaux de proie et déesses des tempêtes, les Arpuiai sont identiques aux Thuellai et habitent le monde inférieur. Divinités méchantes, elles poursuivent l'homme et le persécutent. Elles devinrent rapidement des déesses de la mort sous la forme d'oiseaux à tête humaine.

      Dans l'épopée homérique, avec Borée et Zéphyr, le dieu de l'air le plus important est Eole. Père de six fils et de six filles, souverain de file mythique d'Aiolia, qui vogue à travers l'Océan, roi des vents, il enferme, à sa volonté, dans des outres leur souffle puissant et fait cadeau à Ulysse de l'une d'elles, d'où l'imprudence de ses compagnons fait sortir une tempête furieuse. On avait cru trouver une représentation d'Eole prenant part au combat des Dieux contre les Géants, en se servant de ses outres, dans un morceau de la frise du Trésor de Siphnos à Delphes et sur un fragment de vase attique à figures noires, trouvé sur l'Acropole d'Athènes ; mais, depuis, on incline plutôt à croire qu'il s'agit d'Héphaistos, mettant en fuite les ennemis avec les soufflets de sa forge.

      Dans la Grèce classique, le drame, la sculpture, la peinture ont réduit à un anthropomorphisme souvent puéril ces antiques légendes naturalistes, encore visibles chez Hésiode et Homère. Dans la littérature attique, Borée et Zéphyr tiennent partout la première place parmi les divinités de l'air. Ils représentent l'un et l'autre un principe différent : Borée, c'est le vent furieux et rapide ; Zéphyr, la brise douce et légère, qui rafraîchit les plaines élyséennes, fait croître la végétation et mûrir les fruits dans les jardins d'Alkinoos. Cet antagonisme se traduit également dans la légende. On prêtait à Zéphyr beaucoup d'aventures galantes ; il était, pour quelques auteurs, le père d'Eros et des Brises ; de son mariage avec Chloris naquit Carpos. Borée est avant tout le roi des vents, car il est le souffle même de Zeus. Il enlève Orithyie, l'une des filles d'Erechthée, le père des Athéniens, et devient ainsi leur beau-frère ; de cette union, il eut deux fils, Zéthès et Calais (les Boréades), qui accompagnèrent Jason à la conquête de la Toison d'Or. Ces Boréades appartiennent de bonne heure au répertoire des mythes grecs. Ils étaient représentés poursuivant les Harpyies, sur le coffre de Cypsélos et sur le trône d'Apollon d'Amyclées ; une coupe ionienne les montre défendant le roi aveugle Phineus contre les attaques des Harpyies ; les sarcophages de Clazomène offrent parfois l'image d'un personnage volant et courant, qu'on interprète comme un Boréade.

      L'enlèvement d'Orithyie par Borée se rattache aux mythes de l'atmosphère, des vents et des orages. Orithyie, « c'est l'air humide qui remplit, le matin, les ravins de la montagne, les vallons boisés au fond desquels coulent les torrents ». Borée représente « le vent du nord qui descend sur l'Attique, va chercher dans tous les replis, dans toutes les gorges du Cithéron, du Parnès et du Pentélique, cet air bienfaisant et salubre ; il l'enlève et le précipite sur la plaine desséchée, qu'il rafraîchit et féconde ».

      Un événement historique, un épisode de la lutte contre l'invasion de Xerxès, sauva cette légende de l'oubli. En 480, après les Thermopyles, les Perses avaient envahi la Thessalie et l'Attique, l'escadre grecque était en fuite ; l'oracle de Delphes, consulté, hésite ; la population s'était réfugiée sur les vaisseaux et voulait émigrer. Apollon, interrogé de nouveau, recommanda aux Athéniens d'appeler à leur secours leur beau-frère Borée ; invoqué, le dieu des vents déchaîna une tempête qui détruisit la flotte au promontoire de Sépias. Après la victoire de Platées, la Grèce sauvée éleva un autel à Borée sur les bords de l'Ilissos ; chaque année on y célébrait une fête pour commémorer cette délivrance. Cette légende fut rapidement populaire en Attique. La poésie et l'art s'en emparèrent: Eschyle et Sophocle lui consacrèrent deux tragédies aujourd'hui perdues ; elle fut l'objet de plusieurs chansons de table ; elle était représentée sur des broderies et sur des vases peints.

      Connu antérieurement au Ve siècle, le mythe de Borée et d'Orithyie était sans doute originaire de Thrace. Borée, après avoir enlevé sa fiancée, l'aurait transportée dans les montagnes de l'Haemos, au mont Sarpédon. D'après M. Maas, Boréa,le féminin de Boréas, doit avoir été le nom de la côte de Thrace. Borée tirait donc son nom de celui de cette région (c'est à proprement parler la puissance sauvage qui souffle des hauteurs de la Thrace, à la fois le dieu de la montagne et de la tempête). Mais à partir du Ve siècle la légende avait acquis droit de cité en Attique ; nous en avons pour garant le récit des auteurs, qui tous désormais situent le lieu de l'enlèvement en un point du territoire athénien. Arcésilaos raconte qu'Erechthée aurait envoyé sa fille Orithyie offrir un sacrifice à Athéna Poliade sur l'Acropole ; c'est alors que Borée l'aurait vue et ravie. Hérodote place la scène sur l'Aréopage. Choerilos, dans un poème sur la guerre des Parthes, rapporte qu'Orithyie cueillait des fleurs aux sources du Céphise, lorsqu'elle fut aperçue par Borée ; la plupart des auteurs donnent les bords du Céphise pour théâtre à l'enlèvement d'Orithyie. Enfin, une amphore d'origine attique, trouvée à Vulci et fabriquée entre les années 475 et 460 av. J.-C., reproduit cette scène, déjà populaire à cette date.

      En de semblables circonstances, Borée vint encore au secours de ses fidèles à Thurium, en Grande-Grèce ; il dispersa la flotte sicilienne de Dionysios ; à Mégalopolis, il sauva l'armée d'Agis. Les hymnes orphiques renferment une invocation à Borée.

      Au premier siècle av. J.-C., la Tour des Vents à Athènes marque le terme de cette évolution ; les vents y sont représentés sous une forme humaine et nettement définie ; ce sont à la fois des forces de la nature divinisées et en même temps des daimones. Ils sont au nombre de huit, quatre bons et quatre mauvais : Borée, Kaikias, Apéliotès, Euros, Notos, Lips, Zéphyr et Koros. Chacun d'eux est caractérisé par un attribut déterminé : Borée est revêtu d'un manteau flottant et souffle dans une conque, Zéphyr tient une fleur, Notos un vase rempli d'eau, Kaikias un bouclier avec un grêlon ou un morceau de glace.

      En tant que daimones, les divinités du vent sont en relation avec le monde des morts : Ménélas est emmené dans l'Olympe par Zéphyr ; à l'époque hellénistique, ils participent à l'apothéose des morts divinisés.

      A côté de ces génies du vent on invoqua également, comme divinités de l'atmosphère, les grands dieux du Panthéon hellénique : Zeus Euanémos, Apollon Ekbasios, Athéna Anémotis. Hermès en particulier fut considéré comme un dieu de l'air ; Hermès Psychopompe est le conducteur des âmes vers le séjour de la lumière et des vents ; c'est aussi le dieu des pâtres et de la fécondation, le protecteur des voyageurs.

    2. Le Culte

      Divinités de l'atmosphère, ces personnages ont une influence certaine sur le climat, l'agriculture et la navigation. Ce sont des puissances redoutables, qu'il faut apaiser et se concilier. Cette action des vents sur la végétation est très nettement exprimée sur une coupe cyrénéenne trouvée à Naucratis : la nymphe Kyrènè, debout, tient à la main un rameau de silphium ; les génies du vent l'entourent ; ce sont peut-être les Boréades, représentants du vent du nord, qui, après avoir franchi la Méditerranée, verse aux plateaux de la Cyrénaïque les ondées vivifiantes. On retrouve ainsi sur ce vase, heureusement exprimée, une image de la richesse et de la fertilité de ce territoire, l'action et le jeu des forces bienfaisantes qui en fécondent le sol.

      Dès les temps les plus anciens, la magie et les offrandes à ces divinités furent mises en oeuvre pour conjurer les puissances malfaisantes et appeler les vents favorables. Médée avait le pouvoir de détourner la tempête par ses conjurations ; à Titane, près de Sicyone, des formules magiques, remontant à Médée, étaient employées contre les vents. Corinthe entretenait des anemokoitai ; Athènes possédait des Eudanemoi, grande famille religieuse qui jouait un certain rôle dans les mystères d'Eleusis. Senèque nous apprend l'existence à Cléonée, avec le même pouvoir, de chalazophulakes. Empédocle avait acquis en ce genre une grande renommée ; on l'avait surnommé kôlusamenas.

      Il faut rattacher à ces pratiques magiques certains faits d'anémoscopie, ou observation religieuse des vents, soit au moyen de feuilles volantes (phullomanteia), soit, comme à Dodone, par l'agitation d'un feuillage ou de clochettes sonores (tintinnabulum). Mais, en règle générale, la divination par les vents a été peu en usage en Grèce ; les forces de la nature personnifiées sont des divinités trop souvent farouches et peu communicatives. Eole est un gardien des vents sauvage et capricieux qu'on ne songe pas à approcher ; l'imagination des grammairiens de basse époque seule en fit un docte météorologiste, élève de sa maîtresse Hippo, fille du centaure Chiron.

      La prière et le sacrifice ont été de bonne heure employés pour apaiser les vents. Dans l'Odyssée, Calypso et Apollon exercent sur ces êtres redoutables assez d'empire pour assurer à Ulysse une heureuse traversée. Avant de prendre la mer, on offre un sacrifice à Poseidon ou aux dieux en général, en leur demandant la même intervention favorable. Dans l'Iliade, Achille promet à Borée et à Zéphyr de belles offrandes, s'ils consentent à venir près du bûcher de Patrocle. On a reconnu dans ce passage les premiers éléments du culte des morts. Sur la prière d'Achille, les vents accourent et s'emparent de l'âme du héros pour la conduire dans le monde inférieur, pendant que le corps disparaîtra dans les flammes. Cette dissolution complète des corps et la séquestration éternelle de l'âme dans l'Hadès sont nécessaires pour empêcher le retour du mort et assurer la tranquillité des vivants. Quant aux libations de miel et d'huile, faites par Achille en l'honneur de Borée et de Zéphyr, elles n'ont pas seulement pour but d'alimenter et d'activer la flamme, elles doivent également attirer les vents dans le voisinage du bûcher.

      Pour apaiser la puissance ennemie des vents qui dispersent navires et matelots, on a recours à des sacrifices humains : Ménélas, avant de quitter l'Egypte, leur offre deux jeunes enfants ; Eschyle appelle Iphigénie « la victime qui apaise les vents » (thusia pausamenos). Virgile fait allusion à toutes les victimes de la tempête. A l'époque historique, en certaines circonstances, on immole encore des victimes humaines : Thémistocle, après le combat naval, sacrifie des prisonniers perses ; Eustathe parie d'hommes précipités dans la mer en l'honneur de Poseidon ; à Leuctres, avant la bataille, Epaminondas promet à Typhon le sacrifice d'une vierge.

      A l'origine, le culte des vents présente donc un caractère extraordinaire et nettement expiatoire. D'origine très probablement étrangère, perse ou phénicienne, il répond à des besoins accidentels, et n'apparaît que dans des moments de crise, en vue de conjurer des puissances ennemies. Souvent célébré sur la terre étrangère (immolation d'Iphigénie à Aulis, sacrifice de Ménélas en Egypte), il semblerait même que ce culte soit en dehors de la cité et qu'il doive disparaître avec les événements qui l'ont provoqué.

      Antérieurement au sanctuaire consacré à Borée par les Athéniens aux bords de l'llissos, les Delphiens avaient déjà élevé un autel à Thyia. Sur le marché de Chéronée se dressait un bômos tôn anemôn. On connaît l'existence d'un temenos aux vents à Mégalopolis, d'un autel de Zéphyr à Athènes. Borée était l'objet d'un culte à Thuria. Sur le Taygète on immolait un cheval en l'honneur des Vents, à Tarente un âne. On offrait à Typhon un bélier noir. Les Arcadiens sacrifiaient astrapais kai thuellais te kai brontais. On les invoquait aussi avant de prendrela mer, on les remerciait au retour d'un voyage heureux ; des fêtes étaient organisées en leur honneur, un leur offrait des gâteaux.

      A Méthana, près de Corinthe, pour préserver les vignes d'un certain vent, se célébrait une curieuse cérémonie ; un jeune coq était coupé en deux, et deux hommes faisaient en courant le tour de la vigne, chacun par un chemin opposé et portant une moitié de l'animal ; au point où ils se rencontraient, ils enterraient l'oiseau. De même à Tanagra, chaque année, un jeune homme devait traîner un bélier autour de la ville, afin de la préserver des épidémies qu'amènent les souffles de l'atmosphère. A Titane, près de Sicyone, une fois l'an, on offrait un sacrifice aux quatre grands vents adorés dans quatre bothroi différents, et on chantait un hymne en leur honneur. On peut également rapprocher de ces cérémonies le sacrifice de l'agneau à Cléonée, en Argolide, contre la grêle.

      Il y eut donc, dans la Grèce classique, un culte réel des vents, universellement répandu et qui parfois rappelle celui des divinités olympiques. Mais en général les sacrifices qui leur sont offerts ont plutôt un caractère expiatoire : holocaustes dans lesquels la victime est entièrement consumée, comme chez les Perses et les Phéniciens. Quelquefois, à Méthana par exemple, la victime est enterrée ; jamais on ne mangeait la chair des animaux ainsi immolés ; nous savons que les Grecs se sont toujours abstenus de la viande de cheval ou de mulet.

      Souvent aussi ces cérémonies ont un caractère chthonien : le coq et le mouton étaient les animaux offerts aux chthonioi, les animaux étaient souvent de couleur sombre, les sacrifices avaient lieu pendantla nuit. Ces offrandes ont pour but de protéger les récoltes contre l'influence nuisible des vents et d'implorer le secours des divinités de la terre. Un exemple typique de ce culte est fourni par le sacrifice annuel, célébré pendant la nuit à l'autel des Vents de Titane ; le sacrifice proprement dit à l'autel, la visite mystérieuse aux bothroi, le chant ou la récitation des formules de consécration concourent à rappeler les grands mystères chthoniens. Il y a là une signification très précise : ce sont des sacrifices offerts aux divinités infernales. L'effusion du sang est le rite le plus important : il doit être bu par la terre. De même, les bothroi ne se rencontrent que dans le culte des héros ou des morts ; par là nous remontons jusqu'aux origines de ce culte. Le monde souterrain est peuplé de fantômes effrayants qu'il rejette parfois sur la terre ; ces offrandes ont pour but d'empêcher leur retour, de les apaiser et aussi de les rendre favorables.

  2. LE CULTE DES VENTS DANS LE MONDE ROMAIN

    A Rome, où les divinités de l'agriculture étaient très populaires, le culte des Vents se rattache à celui de Jupiter et de Junon, invoqués comme divinités du ciel, et à celui de Neptune, dieu de la mer. En 259 avant J.-C. L. Cornélius Scipion, après sa victoire sur la flotte carthaginoise et l'occupation de la Corse, éleva un temple aux Tempêtes près de la porte Capène. César, en Gaule, consacra un temple au dieu du vent Circius. D'après la Chronographie de Malalas, Vespasien, à Antioche, aurait également dédié un temple aux Vents.

    A côté de ces monuments on rencontre de nombreux autels qui leur sont consacrés. A Antium, au bord de la mer, on a retrouvé trois autels portant les inscriptions suivantes : Ara Ventorum, Ara Neptuni, Ara Tranquillitatis. A Lambèse, en 128 ou 129 ap. J.-C., le légat Q. Fabius Catullinus éleva deux stèles, l'une en l'honneur de Jupiter Optimus Maximus Tempestatium divinarum potens, l'autre aux Venti bonarum Tempestatium potentes. Un forgeron de Nîmes consacre un ex-voto à Volionus et aux Venti, sans doute les courants d'air qui attisent le feu de la forge. Chez les Ausci, en Aquitaine, Ingenua leur offre un petit autel de marbre, peut-être en accomplissement d'un voeu fait en voyage.

    L'inscription de Lambèse : Venti bonarum tempestatium potentes précise la conception mithriaque du rapport des vents avec les saisons. Chacun des vents est, en effet, censé dominer à une certaine saison et détermine ainsi les conditions climatériques auxquelles elle est soumise. Zéphyr (Favonius) souffle au printemps et amène les pluies fécondantes ; Notus (Auster), brûlant et orageux, est le vent du midi, de l'été ; Eurus, le vent impétueux de l'automne ; Aquilo apporte la brise cinglante de l'hiver. Dans le culte de Mithra, les vents ne sont autre chose que l'air en mouvement ; ce n'est plus aux vents que l'on sacrifie, mais au souffle des vents, comme à un quatrième élément, à côté de l'eau, de la terre et du feu.

    Un curieux monument de l'époque d'Auguste permet de saisir le rapport qui existe entre les éléments et le culte des morts. Sur un cippe funéraire, au-dessus de la niche contenant les portraits des défunts, on voit les bustes affrontés des quatre vents ; sur l'architrave, deux tritons et deux dauphins ; au sommet de la pierre deux lions se font face. On retrouve ainsi figurés les quatre éléments : l'air agité par les vents, les eaux célestes, les feux supérieurs que l'âme rencontre dans son ascension vers le ciel étoilé ; ils sont étagés par couples et ils se rapportent à chacun des personnages représentés. Cette croyance, introduite dans la littérature latine par Posidonios d'Apamée, est d'origine syrienne ; elle se répandit à Rome vers la fin de la République ; la pierre de Walbersdorf, contemporaine de Virgile, en est le plus ancien témoignage. On retrouve encore les dieux du vent dans l'apothéose impériale. Sur la colonne Antonine, Faustine et Antonin sont emmenés au ciel par Zéphyr ; sur un diptyque consulaire, l'âme de l'empereur est conduite vers les cieux par deux divinités du vent.

  3. LES DIEUX DU VENT DANS L'ART

    Jusqu'à l'époque chrétienne on suit les destinées du dieu des vents, bientôt transformé en saint protecteur. La Chronique de Malalas nous fait connaître qu'aux environs de Byzance on rendait hommage à un saint Michel, qui avait remplacé un démon païen du nom de Sosthènes, et que les pèlerins y avaient encore recours aux pratiques anciennes de l'incubation. M. Maass a montré que le génie Sosthènes ou mieux Sôsisthenês, placé à l'entrée du Pont-Euxin, n'était autre que Borée, dont le souffle impétueux règle la marche des vaisseaux à cet endroit.

    La représentation des vents est très ancienne dans l'art grec. Sur le coffre de Cypsélos, qui est probablement du VIIe siècle, on voyait Borée enlevant Orithyie ; ses jambes se terminaient en queues de serpents. Nous avons déjà cité deux vases dits cyrénéens, du VIe siècle, où l'on pense reconnaître des représentations des vents sous forme d'une troupe de petits génies ailés, vêtus de tuniques courtes, voltigeant autour d'un personnage principal (coupe de la Nymphe Kyréné), ou bien de quatre hommes barbus, avec des talonnières ailées, formant une sorte de chaîne circulaire (coupe de Sparte).

    Dans la céramique attique du Ve siècle la légende de Borée et d'Orithyie est souvent reproduite. Le dieu et la nymphe sont tantôt seuls, tantôt mêlés à d'autres personnages, qui luttent contre le ravisseur ou courent chercher du secours. Dans une curieuse peinture, Borée a double visage comme un Janus ; peut-être a-t-on voulu exprimer le double mouvement qui se manifeste dans certains courants de l'atmosphère, ou les deux faces de son caractère, tantôt doux, tantôt violent. Il a toujours ses ailes placées aux épaules, larges ou déployées ; on y joint souvent des talonnières ailées.

    Son costume ordinaire est une tunique courte et dégagée, avec les brodequins (endromides) montant sur la jambe ; plus rarement il porte un long vêtement traînant, qui flotte en arrière. L'expression farouche du visage, avec les cheveux droits et hérissés, montre que dès le Ve siècle on cherchait à conserver à ce personnage un aspect sauvage et méchant. Le même caractère lui est donné sur un vase de Kaliria et sur une oenochoé de Canosa. Lucien, comparant à Borée un philosophe dont il se moque, le décrit ainsi : « Il étale sa barbe et la fait voler au vent ; il relève le sourcil et se rengorge en se parlant à lui-même ; il prend des airs de Titan et secoue la chevelure épaisse qui couronne son front » (Tim. 54).

    Les représentations des divinités des vents sont rares en sculpture. En Grèce la légende de Borée et d'Orithyie, qui était populaire, ornait l'acrotère du temple d'Apollon à Délos. A l'époque alexandrine, les Vents apparaissent généralement sous la forme de vigoureux jeunes gens se distinguant par des attributs particuliers ; le caractère bestial a disparu de leur physionomie.

    La Tour des Vents à Athènes (Ier siècle ap.JC.) est le plus ancien monument de ce genre ; on y voit figurés les huit Vents que distinguaient les anciens : Boréas, Septentrio, souffle du nord ; Kaikias, Aquilo, du nord-est ; Apéliotès, Subsolanus, de l'est ; Euros, Volturnus, du sud-est ; Notos, Auster, du sud ; Lips, Africus, du sud-ouest ; Zéphyros, Favonius, de l'ouest ; Skiron, Corus, du nord-ouest.

    Dans la statuaire, ils empruntent la forme humaine ; une tête du musée de Goettingue, de travail romain, qu'on a prise à tort pour une tête d'Ilypnos, semble plutôt avoir appartenu à un dieu du vent.

    De même sur l'autel des vents de Carnuntum : quatre personnages nus, portant dans leur chevelure des ailes, emblèmes de la rapidité, soufflent dans une trompe allongée ; ce sont les quatre vents principaux ; deux jeunes gens, Zéphyr et Notus, à demi agenouillés sur des blocs de rochers, dressent vers le ciel le pavillon de leur instrument ; deux hommes vigoureux, Eurus et Borée, au visage farouche, debout dos à dos, un poing sur les hanches, abaissent vers la terre la trompe qu'ils embouchent.

    Comme l'a montré M. H. Steinmetz, lesreprésentations des divinités des vents sont subordonnées à la conception qu'ils incarnent. Dieux ou daimones, ils se montrent sous la forme humaine entière et ne se distinguent que par les ailes : forces de la nature, la partie inférieure de leur corps est supprimée, et on ne représente plus que le buste ou la tête avec les ailes. Cependant cette distinction n'est pas absolue et on trouve aussi le mélange des deux types. Quelquefois, sur le sarcophage de Prométhée à Naples par exemple, le dieu du vent emprunte les traits d'un petit enfant aux joues gonflées soufflant dans une trompe.

    Dans l'art mithriaque et sur les mosaïques, les représentations sont assez sommaires. L'autel des Vents de Carnuntum est une exception ; ailleurs ils se montrent presque toujours sous la seconde forme : bustes ou têtes ailés, placés de préférence dans les angles extrêmes des monuments, car les vents sont censés arriver des quatre coins du monde ; deux des figures portent la barbe, les deux autres sont glabres. Souvent une spirale floconneuse sort de leur bouche, figurant leur haleine puissante. Sur la statue léontocéphale d'Ostie, les bustes des vents étaient placés à dessein sur les quatre ailes du dieu. A Angleur, les quatre signes des équinoxes et des solstices sont réunis aux têtes des Vents. La même alliance se rencontre sur des mosaïques romaines de Palerme et de l'Aventin et sur celle de Kabr-Hiram (musée du Louvre).

    Dans la peinture, les dieux du vent se montrent sous la formede jeunes gens ailés, soufflant dans des trompes et volant au-dessus de la mer (voyage d'Ulysse, au musée du Vatican). Sur une fresque pompéienne, Zéphyr est représenté avec une tête énorme.


Article de R. Lantier