Vitruve - L'Architecture (IX, 8)

DE LA MANIERE DE FAIRE LES CADRANS AU SOLEIL ET DES OMBRES DES GNOMONS
AU TEMPS DES EQUINOXES A ROME ET EN D'AUTRES LIEUX

Nous nous contenterons d'expliquer la manière de décrire les Cadrans et comment les jours augmentent ou diminuent selon les mois de l'année, et quelle est la proportion de l'ombre équinoxiale (1) à son Gnomon, au point du midi. Pendant le temps de l'équinoxe, lorsque le soleil se trouve dans le signe du Bélier ou dans celui de la Balance, que l'on divise la longueur du gnomon en neuf parties, l'ombre en aura huit à l'élévation du pôle de Rome, comme à Athènes, si le gnomon a quatre parties, l'ombre en a trois ; à Rhodes, s'il est long de sept, l'ombre est de cinq ; à Tarente, s'il l'est de douze, l'ombre l'est de neuf ; à Alexandrie, s'il a cinq parties, l'ombre en a quatre. C'est ainsi qu'en différents lieux les ombres équinoxiales des gnomons se trouvent naturellement différentes : c'est pourquoi, lorsque l'on voudra faire des Cadrans quelque part, il faut premièrement savoir quelle est, dans cet endroit, la longueur de l'ombre équinoxiale.

Si l'ombre est, comme à Rome, de huit parties, le gnomon en ayant neuf, il faudra (fig. 4) tirer une ligne B, T sur un plan, au milieu de laquelle on en élèvera une autre à angles droits et à l'équerre. Cette ligne, qui est appelée Gnomon, sera divisée avec le compas en neuf parties, à commencer depuis cette première ligne qui a été tirée sur le plan ; puis, au point où est la marque de la neuvième partie, on mettra le centre marqué A, et, ayant ouvert le compas de la grandeur qu'il y a depuis ce centre jusqu'à la ligne du plan, où l'on mettra la lettre B, on fera avec le compas un cercle appelé le Méridien. Après cela, dans les neuf parties qui sont depuis la ligne du plan jusqu'au centre, qui est l'extrémité du gnomon (2), on prendra la grandeur de huit parties, que l'on marquera de la lettre C sur la ligne du plan B, T ; ce sera l'ombre équinoxiale du gnomon. De ce point C, par le centre où est la lettre A, on tirera une ligne, qui est le rayon du soleil lorsqu'il est à l'équinoxe. Cela étant fait, on ouvrira le compas pour prendre l'espace qu'il y a depuis la ligne du plan jusqu'au centre, et l'on fera deux marques égales sur les extrémités du cercle, l'une à gauche, vers E, et l'autre à droite, vers 1. Puis on tirera par le centre une ligne qui séparera le cercle en deux, et qui est appelée Horizon par les mathématiciens. Ensuite on ouvrira le compas de la quinzième partie (3) de tout le cercle, et on en mettra une branche sur l'intersection qui est faite par le cercle et par la ligne du rayon équinoxial, où sont les lettres F et I3. Après cela, on tirera deux lignes par ces points et par le centre jusque sur la ligne du plan, oû l'on mettra les lettres T et R ; ce qui représentera le rayon que le soleil fait en hiver et celui qu'il fait en été.

Or il faut que la lettre I soit à l'opposite de la lettre E, au point où la ligne passant par le centre coupe le cercle en deux, et que les lettres K et L soient à l'opposite de G et de IH, et qu'ainsi la lettre N soit à l'opposite de C, de F et de A. Cela étant, on tirera deux lignes diamétrales, l'une depuis G jusqu'à L, et l'autre depuis Il jusqu'à K : celle de dessus sera pour l'hiver, et celle de dessous pour l'été. Ces lignes diamétrales seront divisées par le milieu aux points M et 0, par lesquels, et par le centre A, on tirera une ligne qui ira d'une extrémité du cercle à l'autre, où l'on mettra les lettres P et Q. Cette ligne, qui est appelée Axon par les mathématiciens, sera perpendiculaire à l'équinoxiale. Ensuite, mettant une pointe du compas sur:chaque centre et étendant l'autre à l'extrémité des lignes diamétrales, on décrira deux demi-cercles, dont l'un sera pour l'été et l'autre pour l'hiver ; puis, aux points où les parallèles coupent la ligne d'horizons on mettra la lettre S à droite, et la lettre V à gauche ; ensuite on tirera une ligne parallèle à celle qui est appelée axon, depuis l'extrémité du demi-cercle, où est la lettre G, jusqu'à l'autre demi-cercle, où est la lettre H. Cette ligne parallèle est appelée Lacotomus (4). Enfin on mettra encore une branche du compas sur la section que cette ligne fait avec l'équinoxial marquée X, et l'autre à l'endroit où le rayon d'été coupe le cercle au droit de la lettre H ; et, sur ce centre qui est en ligne équinoxiale, commentant à cet intervalle du rayon d'été, on tracera un cercle pour les mois, qui est appelé Manacus (5). Cela étant fait, on aura la figure de l'Analemme.

Par ce moyen, on pourra décrire toutes sortes de Cadrans au soleil, en quelques plans que ce soit, sur les divisions des lignes des deux solstices et de l'équateur, ou même des autres signes, par le moyen de l'Analemme, pourvu qu'en les traçant on divise les jours de l'équinoxe et ceux des deux solstices en douze parties égales.

Si je n'ai pas expliqué tout cela bien en détail, ce n'est pas tant pour n'en avoir pas voulu prendre la peine que par la crainte de devenir trop long et peut-être ennuyeux, et par l'envie que j'ai de faire connaître quels sont les inventeurs de chaque espèce de Cadrans. Je ne suis point capable d'en inventer de nouveaux, et il ne serait pas raisonnable que je m'attribuasse les inventions d'autrui : c'est pourquoi je vais exposer quels sont les inventeurs des Cadrans.


NOTES

(1) Je traduis ainsi dierum depalationeo, supposant que depalatio vient de palus, un pieu, qui signifie le gnomon qui, étant fiché droit comme un pieu, fait des ombres à midi, qui sont différentes chaque jour. Depalatio est différemment expliqué par Turnèbe et par Baldus, qui confessent l'un et l'autre ne savoir pas bien précisément ce que Vitruve a voulu exprimer par ce mot que l'on ne trouve point dans les autres auteurs latins. Turnèbe croit que Vitruve entend par depalatio qui est quasi pali remotio, cette manière d'allonger et d'accourcir les jours, dont il sera parlé ci-après, et qui se faisait dans les clepsydres par le moyen d'un coin de bois qui, étant tiré ou poussé, faisait lever ou baisser un cône qui, fermant plus ou moins en entonnoir, en laissait tomber plus ou moins d'eau, ce qui servait à allonger ou à accourcir les heures. Baldus, qui ne trouve pas à propos de transférer aux cadrans au soleil ce qui appartient aux clepsydres, croit que depalatio, qu'il fait venir du verbe palor, qui signifie errer et courir çà et là, dénote l'inégalité des ombres qui, augmentant et diminuant, semblent courir tantôt d'un côté tantôt d'un autre. Mais ces deux interprètes sont d'accord en ce qu'ils entendent que depalatio est pour les changements qui arrivent à la grandeur des jours, et ils ne sont différents qu'en étymologie : je crois en avoir exprimé le sens dans ma traduction.

(2) Il y a manifestement faute au texte, car il faut ou gnomonis extremum ou circuli centrum, parce que gnomonis centrum n'a point de sens.

(3) Vitruve suppose que la plus grande déclinaisondu soleil est de vingt-quatre degrés, ce qui n'est pas précisément vrai, parce qu'elle n'est que de vingt-trois degrés et demi, mais cette précision n'est point nécessaire dans la confection des Cadrans au soleil.

4) Les grammairiens ne sont point assurés de la signification de ce mot, qui paraît grec, et qui ne se trouve point dans le traité que Ptolomée a fait de l'Analemme. L'opinion la plus commune est qu'il vient du mot grec lakis, qui signifie une rognure de drap, et du verbe temnô, qui signifie couper, car cette ligne appelée lacotomus coupe une pièce du méridien.

(5) La plupart des exemplaires ont monacus sans raison. Jocundus lit manacus, qui signifie appartenant aux mois. L'étymologie se prend du grec man qui, selon la prononciation commune, signifie le mois. Scaliger croit que le mot almanach vient de ce mot manacus. Ce cercle représente la ligne écliptique, qui est divisée en douze par les douze signes, qui sont les douze mois, et il sert pour marquer sur la ligne du plan B, T les huit signes qui restent, outre les quatre qui sont désignés dans la figure de l'analemme de Vitruve, savoir aux solstices P et B et ceux des équinoxes G, ce qui se fait en divisant le cercle manacus H, S ,G, C, en douze parties, et en tirant de l'intersection que font ces lignes avec la ligne H, G, qui est appelée lacotomus, la ligne A, I pour les Gémeaux et pour le Lion, la ligne A,O ; pour le Taureau et pour la Vierge, la ligne A, L pour les Poissons et pour le Scorpion, et la ligne A, N pour le Verseau et pour le Sagittaire. (Voir la figure 5)


Références bibliographiques

Les dix livres d'Architecture de Vitruve
avec les notes de Perrault (nouvelle édition revue et corrigée, et augmentée d'un grand nombre de planches et de notes importantes)
par E. Tardieu et A. Coussin fils, architectes
Paris, A. Morel et Cie éditeurs (1859)