Une ferveur singulière

Les contemporains ont retenu du défunt l'image d'un homme sévère et pieux. Le poids du contexte familial (Maria Serra, sa mère, était membre du tiers ordre de Saint-Dominique, ordre auquel Rigaud restera attaché toute sa vie) et culturel fut sans doute loin d'être négligeable dans les rapports qu'entretint Rigaud avec la religion. On a relevé ici ou là quelques indices de la ferveur du peintre et de sa nature presque anachronique, à contre-courant de son siècle comme le dirait l'historien Pierre Chaunu :

  • vocabulaire choisi et doloriste de ses invocations testamentaires (Rigaud passa dix testaments et quatre codicilles !), nombreuses demandes ou fondations de messes, nombreux legs pieux aux pauvres et aux incurables ;
  • importance de la littérature religieuse (près de la moitié des titres dont huit auxquels il attache un prix particulier puisqu'il les lègue à Collin de Vermont) dans sa bibliothèque à travers les auteurs les plus exigeants (plusieurs indices permettent même de penser que Rigaud avait des sympathies jansénistes, ce qui ne l'empêche pas de peindre indifféremment appelants ou non à la bulle Unigenitus) ;
  • rares incursions dans le Grand genre (la peinture d'histoire) si ce n'est à travers la peinture religieuse. Si ces oeuvres furent souvent dictées par les exigences de l'Académie royale, elles furent d'abord le fruit d'une conviction profonde et conservèrent une finalité essentiellement privée : l'adoption de formats réduits, à l'exception de son morceau de réception de 1742, un saint André à mi-corps, est à cet égard significatif.

 

Hyacinthe Rigaud, Le Christ en croix
(vers 1695)
Perpignan, musée Hyacinthe Rigaud

Hyacinthe Rigaud, saint Pierre (1702)
Perpignan, musée Hyacinthe Rigaud

Hyacinthe Rigaud, saint André (avant 1742)
Paris, ENSBA

Saisi non plus dans sa vie professionnelle, mais dans l'intimité de son hôtel de la rue Louis-le-Grand, Rigaud nous a laissé la trace de ses dévotions quotidiennes : dans sa chambre à coucher était aménagé un coin dévolu à la prière, autour d'« un petit tableau ceintré, dans sa bordure dorée, représentant la vierge et l'enfant Jésus » et de deux crucifix, l'un « sur velours noir, aussy ceintré, dans sa bordure dorée », l'autre « de cuivre doré posé à nud sur une croix de bois de violette de raport sans pied ny cadre ». Une relique de la Vraie Croix pendait en permanence à son cou et l'on sait qu'il ne dédaignait pas secourir les plus humbles. Le père Jacques de Saint-Gabriel, augustin déchaussé du couvent des Petits Pères de la place des Victoires, lui tenait lieu de confesseur : il exécuta gratuitement son portrait en 1705.


© Ariane James-Sarazin pour tous les textes et les images de ce module.