François Boher (1781-1825)

Il naquit à Villefranche-du-Conflent, en 1781. Il était fils d'un marbrier, tailleur de pierre. Il annonça dès son jeune âge de grandes dispositions pour le dessin, travaillant sans maître d'après les gravures qu'il pouvait se procurer. L'intendant de la province, Raymond de Saint-Sauveur, ayant vu quelques-uns de ses essais, l'encouragea beaucoup, et dans un second voyage qu'il fit en Conflent, il fut si enchanté de la délicatesse avec laquelle le jeune Boher avait sculpté ses armoiries, qu'il décida ses parents à le placer chez un sculpteur à Perpignan. Après son apprentissage, Boher partit pour Montpellier où il se distingua et trouva de nouveaux protecteurs. Un chevalier de Malte et un grand-sicaire de cette ville devaient l'envoyer à Rome à leurs frais, lorsque la Révolution éclata. Il dut s'arrêter à Toulon où ses travaux de dessinateur suffirent à sa subsistance quotidienne. Ses parents l'ayant instamment rappelé auprès d'eux, il retourna au pays natal. Un seigneur espagnol, le comte de Descatllar, allant se marier à Puigcerda, le jeune Boher dut s'y rendre au préalable pour orner son hôtel et le rendre digne des fêtes nuptiales. De Puigcerda, Boher passa à Barcelone où le célèbre Gorry lui donna des leçons de sculpture. Il réussit à faire dans l'atelier de ce maître des tableaux et des portraits qui lui rapportèrent chacun un quadruple, c'est-à-dire environ quatre-vingt francs. Des circonstances fâcheuses l'ayant contraint de quitter ce pays, il reprenait par mer le chemin de la France lorsqu'un coup de vent le jeta sur les côtes de Gênes. Il alla de Gênes à Rome, jusqu'alors le vain objet de ses désirs ; mais il ne put y séjourner longtemps.

Il retourna à Perpignan, néanmoins rêvant toujours voyage. Un mariage d'inclination avec Mademoiselle Arnaud, la fille d'un organiste de la Réal, petite-fille d'un collecteur de dîmes, qu'il aima passionnément et dont il devait reproduire les traits dans la figure de la Vierge de la Réal, l'y fixa pendant quelques années.

Le 5 mai 1796, il obtint au concours la chaire de dessin à l'Ecole centrale de Perpignan : il y professa, rendant de grands services au pays et à la classe industrielle, jusqu'au 21 avril 1804, date de la fermeture des cours par décret de l'Empereur. En 1807, il fit le retable du maître-autel de l'église paroissiale de Céret. Boher se refusait à végéter dans sa médiocrité ; pour en sortir, il affirmait qu'un voyage à Paris lui était indispensable. Deux fois il essaya ses forces et parvint jusqu'à Carcassonne et Toulouse avec son épouse ; mais il dut retourner sur ses pas.

Boher - La Soledat de la Real, Perpignan
© Laurent Fonquernie

En 1811, il prit la détermination invincible de réaliser son projet. Il se munit de provisions pour vivre modiquement sans le secours de personne, puis emporta dans ses bagages, outre ses compositions, des échantillons de stuc imitant divers marbres et dont il avait le secret. Arrivé à Narbonne, il réunit des ouvriers plâtriers, et après une souscription collective, leur communiqua, en diverses leçons, cette utile découverte. A Carcassonne, à Béziers, à Pézenas, à Montpellier et à Nîmes, il recommença cette opération, poursuivant sa navrante odyssée au sein des soucis, de la maladie et des privations. Il reprit courage à Lyon, où les ouvriers, d'après son dire, «furent moins méfiants et plus intelligents de leurs véritables intérêts». Après cinq jours de voyage en diligence, Boher arriva à la capitale. Il courut en toute hâte au Louvre. Il demeura saisi d'admiration devant la Transfiguration de Raphaël : instinctivement, il saisit la chaise du gardien, monta dessus, et baisa le buste du grand maître qui se trouvait à côté. Le concierge, le prenant pour un fou, courut à lui et se mit en demeure de l'arrêter : Boher s'expliqua et présenta l'élan de son enthousiasme comme mobile de son acte. En rendant visite à David, Guérin, Gros, Gérard, Girodet-Trioson, dont le talent artistique brillait alors à Paris, il eut occasion de recueillir une ample moisson de compliments chaleureux. Boher prétend, dans un de ses ouvrages, que David, en voyant ses esquisses, s'écria : «Quel malheur que ces talents et cette étude végètent, soient ignorés et perdus dans un coin du monde !» Flatté par ces élogieuses paroles, Bolier conçut l'idée de se fixer à Paris pour acquérir la gloire et la renommée. Mais, revenu bientôt de son éblouissement, il comprit les inconvénients et les difficultés de la vie à Paris, surtout pour un artiste. Il quitta brusquement la capitale et s'en revint à Perpignan.

Un rival, le peintre Maurin, originaire de Narbonne, était établi dans le département des Pyrénées-Orientales, pourvu du diplôme de professeur de dessin. D'un caractère affable, il vivait entouré d'un cercle d'amis et d'admirateurs. Boher, au contraire, dont la tournure d'esprit était originale et dont l'humeur ne pouvait jamais souffrir la contradiction, n'était lié qu'avec un nombre restreint de personnes graves.

Boher - La Cène - Eglise de la Real, Perpignan
© Laurent Fonquernie

Un de ses amis l'ayant un jour critiqué, Boher ne crut pas mieux faire que de caricaturer l'esprit et le maintien de son contradicteur : il représenta sous ses traits le plus atroce des Judas, sur la toile de la Cène qu'on remarque dans la chapelle du Saint-Sacrement, à l'église de la Réal. Malgré ses travers, Boher finit par se créer une situation aisée à Perpignan. Les autorités départementales et municipales de la Restauration le protégeaient, et en 1816, les édiles de la ville établirent une école gratuite de dessin et d'architecture à la tête de laquelle Boher fut placé. L'idée lui vint de réunir en un ouvrage les cours qu'il professait ; il fit paraître les Leçons de l'école gratuite de Dessin et d'Architecture de la ville de Perpignan, 1er volume, Perpignan, 1819 et 1820 ; il fit suivre cette publication de Leçons, etc. ; Ouvrages sur le beau idéal, sur le beau sublime, dans l'art du peintre et du statuaire ; Réponse au Mémoire de M. Emeric-David, tome second, Narbonne, 1822. Après avoir achevé le magnifique retable des saints Abdon et Sennen, à Arles-sur-Tech, il avait édité, en 1816, la Description de quatre tableaux représentant quatre époques de la vie des saints Abdon et Sennen, patrons d'Arles en Roussillon, Perpignan, in-8°.

Boher - Vierge monumentale
Retable majeur de la Real, Perpignan
© Laurent Fonquernie

Boher eut des commandes dans diverses églises, maisons particulières ou établissements : il les exécuta avec une ardeur et un soin extraordinaires. Son oeuvre durable, ses sculptures, méritent peu de reproches. La tête, la pose, les extrémités de son saint Mathieu rappellent d'un peu loin, il est vrai, le Moïse de Michel-Ange. Le Christ de Saint-Laurent-de-Cerdans, le Ressuscité d'Arles-sur-Tech sont des oeuvres qui se recommandent par leurs qualités plastiques, des études académiques admirables. La Vierge de l'Assomption de la Réal est de beaucoup supérieure à toutes les madones qu'il a peintes. Boher eut le tort de négliger, dans la plus grande partie de sa vie, la sculpture pour la peinture ; il s'exalta pour des compositions médiocres en ce genre. On cite cependant de lui la toile de l'allégorie qu'il peignit pour célébrer la Paix d'Amiens. Ce tableau, dont l'acquisition fut refusée par plusieurs villes et des particuliers, resta entre les mains de la veuve de l'artiste qui le légua, en 1859, à Napoléon III, par un testament olographe. Un tableau esquissé de Boher, qui ne manque pas de mérite, est un grand dessin à l'encre de Chine représentant les horreurs de la guerre ; malheureusement, il était inachevé. Il avait ébauché un superbe tableau de l'Assomption qui aurait été à tous égards, disait-il, fort au-dessus de tout ce qui était sorti de sa palette. Dans sa correspondance, il prétend en avoir soumis le projet au jugement du sculpteur Thinard, de David et de Girodet qui l'avaient unanimement engagé à en faire un tableau. Des critiques furent formulées par des perpignanais sur cette composition. L'irascible Boher s'en formalisa, laissa l'oeuvre inachevée et inscrivit, sur le verso de la toile ces mots empreints de découragement : «Artiste qui vois mon ouvrage, tremble de t'élever au sublime ; l'ingratitude, l'injustice et la mort t'attendent. Après avoir vu la Transfiguration de Raphaël, j'ai voulu faire mon chef-d'oeuvre de peinture. Mais l'envie fit tomber le pinceau de mes mains, à la fin de l'ébauche et (il veut marquer l'époque) de l'année 1819».

Boher tenait à son titre d'architecte qu'il mérita par ses travaux à la porte d'Espagne, par divers projets de construction et surtout par les classes qu'il ouvrit en faveur des ouvriers de la ville de Perpignan. Il laissa en mourant un très riche portefeuille de dessins de sa main. Le musée de Paris en a acquis quelques-uns ; ils peuvent être comparés aux meilleures productions de ce genre qui s'y trouvent. Celui de Perpignan ne possède de Boher qu'une tête d'homme âgé, vue de profil, tournée à gauche, dessin au crayon noir. M. le docteur Sabarthez a acquis quelques dessins signés Boher qu'on peut admirer dans son cabinet de travail. Il a la bonne fortune de posséder un portefeuille de dessins au crayon qui révèlent une riche imagination et une activité sans égale chez l'artiste. Boher eut la prétention de faire aussi oeuvre littéraire. Quoiqu'il n'eut appris que les rudiments de la langue française dans son enfance, il s'était formé de lui-même à l'art d'écrire. Il composa des pièces de vers qu'il convient de ne citer que pour mémoire : Dialogue entre la Peinture et la Sculpture, Perpignan, 1820 ; Poésies de François Boher, satires, 1ere livraison, Perpignan ; Satires, Epitre à Michel-Ange, Toulouse, 1822 ; Poésies, etc. Impromptu, Epitre, Discours ; Essais sur l'Ode, Odes, Perpignan et Toulouse, 1823 ; Poésies, etc. Odes, 3eme livraison, Narbonne, 1825. On pourrait citer de lui des articles de revues et de journaux, où il sut quitter son ton généralement déclamatoire, et qui dénotent un jugement sain, un dévouement au progrès des arts et une imagination féconde.

Il mourut le 12 avril 1825. Son décès fut un deuil pour tous ceux qui aimaient les arts et le Roussillon. Ses élèves élevèrent un petit monument sur sa tombe creusée au cimetière Saint-Martin de Perpignan. Ce mausolée porte la brève inscription suivante : A Boher, ses élèves reconnaissants.

Fabre de Llaro, Biographie de Boher dans le XXIIIe bulletin de la Société Agricole, Scientifique et Littéraire des Pyrénées-Orientales. - Abbé Torreilles, L'Ecole centrale de Perpignan. - Annuaire de 1834. - Crouchandeu, Catalogue raisonné des objets d'art du musée de Perpignan. - Archives de l'église de Céret. - Archives personnelles de M. le docteur Sabarthez.