Joseph Sunyer (XVIIe-XVIIIe s.)

Joseph Sunyer, que les uns font naître à Manresa (Espagne), d'autres à Prades, certains même à Perpignan, se trouvait, en 1608, au nombre des six sculpteurs qui composaient la confrérie de Saint-Luc dans cette dernière ville. Sunyer est surtout connu en Roussillon pour les grands travaux de sculpture qu'il a exécutés dans les églises de Notre-Dame de la Réal, de Prades, de Collioure, de Thuir, de Vinça, de Ro et de Font-Romeu.

Le 1er janvier 1697, cet artiste commença le retable de l'autel majeur de l'église de Prades et le termina le 21 septembre 1699. Joseph Sunyer exécuta cette oeuvre pour la somme de 475 doubles d'or. Le monument est divisé en forme de triptyque. Dans le compartiment central, le sculpteur a placé la statue de saint Pierre. Le prince des apôtres, revêtu de ses ornements pontificaux, est assis sur un trône. Il bénit de la main droite et tient de la grain gauche la croix papale. La tête est surmonté de la tiare, et les traits du visage sont ceux conservés par la tradition, que tous les artistes connaissent et reproduisent fidèlement. Sunyer a donné à cette image des proportions grandioses. Debout, la statue de saint Pierre mesurerait quatre mètres de hauteur. Autour de leur chef, le collège apostolique forme comme une escorte d'honneur. Sur le fronton de la niche principale, on distingue les armes de l'Eglise romaine : la tiare sur montée de la croix et les clefs du paradis en sautoir, entourées de rameaux de chêne. Le cartouche est supporté par les mains de deux anges. A droite et à gauche des armes, s'élançant des corniches où ils touchent à peine, quatre anges, aux ailes déployées et aux vêtements flottants, sonnent de la trompette et proclament le triomphe de Pierre. Quatre tableaux de haut relief, placés dans les compartiments latéraux, rappellent les scènes les plus mémorables de la vie du saint : Jésus donnant à Pierre les clefs du ciel, l'ange qui le délivre de la prison, la résurrection de Thibide, sa mort sur la croix, la tête en bas. à côté de ces statues et de ces tableaux, s'élèvent des colonnes torses qu'enlace fortement la vigne aux feuilles et aux fruits bien nourris.

Pendant qu'il exécutait le retable de l'église de Prades, Joseph Suuyer commença à construire celui de l'église de Collioure. Le 6 octobre 1698, cet artiste passa un traité avec les membres du conseil de fabrique de cette localité. Sunyer s'engagea à élever ce monument religieux en l'espace de quatre années. L'ensemble du retable de l'église de Collioure forme un portique à trois étages que séparent des frises à corniches accentuées, et qui sont supportées par des colonnes torses sur lesquelles s'entrelacent des guirlandes. Au milieu, on aperçoit la statue de la Vierge Marie. Sur la partie supérieure de l'édifice, on distingue l'image de saint Pierre. Les statues des apôtres sont placées sur les côtés, aux divers étages du monument. Dans les intervalles qui séparent, les statues, se trouvent des tableaux polychromés représentant les mystères de la Nativité, de l'Epiphanie, de la Visitation et de l'Annonciation. Deux médaillons manquent à l'ensemble. On leur a substitué une toile sur laquelle est peint un sujet religieux. Le piédestal du maître-autel de Collioure fut placé le 15 avril 1699. Le 18 avril de l'année suivante, on procéda à l'installation et à la bénédiction des statues de la Vierge, des apôtres situés sur la première rangée du monument et des doux tableaux qui retracent les scènes de la vie de Marie. La cérémonie fut présidée par l'abbé Riera, curé d'Argelès, délégué par l'évêque d'Elne, Jean de Flamenville. Les autres statues des apôtres avaient été placées dans le courant de l'année 1701. Le 17 décembre de cette même année, le prieur du convent des dominicains de Collioure bénit ces diverses images qui occupaient chacune leur place respective. Lorsque le retable de l'église de Collioure fut élevé, un peintre nommé Joseph Babores se chargea de la décoration. Cet artiste exécuta son travail pour la somme de cinq cents livres.







Retable de Prades (détails)
© Agnès Vinas

En 1704, Joseph Sunyer avait été appelé à construire le retable de l'autel-majeur de Font-Romeu. Le 29 septembre de cette année-là, il perdit un fils appelé Pierre qui fut inhumé dans la chapelle de cet ermitage, ainsi que l'indique une table de marbre encastrée dans le mur de l'église, sur la façade intérieure, du côté de l'évangile. Joseph Sunyer avait achevé ce monument au mois de juin 1707. M. L'abbé E. Bous le décrit en ces termes dans son Histoire de Notre-Dame de Font-Romeu : «L'artiste a donné à cette oeuvre la forme des triptyques. Les volets latéraux, quoique fixes, affectent une légère inflexion qui leur fait produire, avec le compartiment central, un angle obtus. Le retable entier se compose d'un soubassement dissimulé en partie par l'autel, de deux ordres superposés et surmontés l'un et l'autre d'un assemblage de moulures en corniche, ou si l'on veut, d'un entablement très riche et d'un couronnement presque triangulaire, dont les lignes sont cachées ou brisées par des statues ou autres ornements de sculpture qui les dominent. Au-dessus du soubassement qui a, dans sa partie haute, les trois panneaux de la légende (de Font-Romeu), s'ouvre, au centre, la niche de la Madone, sur laquelle ressort un baldaquin où l'artiste a mis à profusion ses décorations. Dans le même ordre, chaque compartiment latéral présente un tableau en relief qui a pour sujet, du côté de l'Evangile, la Nativité de Notre-Seigneur et l'Adoration des bergers, et, du côté de l'Epître, l'Adoration des Mages. Dans l'intervalle des colonnes doubles et vitinéennes qui s'élèvent de chaque côté de ces tableaux, se dressent, à gauche, la statue de la Foi, à droite, la statue de l'Espérance, et au centre, deux anges vêtus à la manière des guerriers antiques et tournés vers l'Image de Marie. La même disposition a été observée dans le second ordre. Au-dessus du baldaquin de la Vierge se trouve la statue de saint Martin, titulaire et patron de la paroisse d'Odeillo. Les tableaux en relief reproduisent, à gauche, l'Annonciation, et à droite, la Visitation de la Sainte Vierge. Dans l'intervalle des colonnes, sont les statues des quatre grands docteurs de l'église latine. Le sommet du couronnement est occupé par l'image du Père éternel ou Dieu créateur qui se penche vers la terre, et chacun de ses angles par une statue de vierge. Ce retable, où le moindre espace a sa moulure ou sa décoration, est richement et totalement doré. Les statues et les tableaux en relief sont polychromés.

En 1712, Joseph Sunyer entreprit la construction du camaril de Font-Romeu. On appelle de ce nom une loge ou petite chambre carrée mesurant quatre mètres de côté, qui est contiguë à l'autel-majeur de l'église de cet ermitage. «Elle a pour plafond, continue M. l'abbé E. Rous, une demi-sphère surmontée, au centre, d'une lanterne octogone et aveugle. Deux escaliers y donnent accès par deux portes parallèles. Sur l'un des deux autres côtés, se trouve pratiquée une niche de forme absidale, dans laquelle se dresse un autel dédié au Christ en croix, ayant au pied et debout la Vierge-Mère et saint Jean l'évangéliste. Il fait face à la niche centrale du retable, ouverte intérieurement aussi sur le camaril. Aux angles, sur des socles fixés au parquet, sont campés quatre anges de grandeur naturelle, qui jouent de divers instruments. A la hauteur de leurs têtes, sont appliquées au mur de grandes conques dorées qui tiennent lieu du nimbe et du pinacle affectés aux statues des saints. Au-dessus des deux portes d'entrée sont, à l'intérieur, deux riches médaillons, soutenus chacun par deux anges qui, sans appui apparent, semblent se jouer et se balancer dans l'espace. Ces médaillons reproduisent en relief : l'un, la Présentation de Marie au Temple : l'autre, un épisode de la Fuite en Egypte, et non, comme on l'a dit, la Naissance de Jésus-Christ. Ce dernier nous montre dans le ciel un soleil brillant ; le boeuf et l'âne placés, par un gracieux anachronisme, entre des arbres verdoyants ; un ange occupé à cueillir des fruits ; sur le premier plan, à gauche, Marie assise qui reçoit les caresses de Jésus, et à droite, saint Joseph puisant de l'eau à une fontaine qui jaillit d'un rocher, et se retournant ravi vers l'Enfant et sa Mère pour jouir de leurs jeux attendrissants. Cette scène est pleine de charme, autant par ses détails que par la manière dont elle est traitée. Au-dessus de l'autel du Christ, deux anges soutiennent de leurs mains un cartouche qui porte les très saints Coeurs de Jésus et de Marie. En face et sur la porte à deux battants qui permettait de pénétrer dans la niche centrale du retable pour placer ou retirer la Madone de l'Invention, d'un médaillon également soutenu par deux anges se détache en plein relief une petite et très belle statue qui représente plutôt l'Immaculée-Conception que l'Assomption de Marie. Tous ces sujets ont été richement et délicatement peints sur fond d'or, selon les procédés de l'ancienne polychromie... Ce dernier travail ne fut commencé qu'en 1712, cinq années après l'achèvement du retable. Il fut continué les années suivantes et, dès que la maçonnerie brute fut terminée, Joseph Sunyer vint de Manresa, où il avait séjourné pour quelque entreprise de son art, et il s'engagea, par un acte passé à Odeillo, le 22 juillet 1718, à faire les travaux intérieurs et les sculptures du camaril pour la somme de 85 doubles (environ 750 francs), à la condition que tout le bois nécessaire lui serait gratuitement fourni par l'Administration de Font-Romeu.

Le retable de la chapelle de Ro, qui est de petites dimensions et sur lequel est gravé le millésime 1704, est aussi l'oeuvre de Sunyer. Il y aurait lieu de s'étonner que le ciseau de cet artiste ait pu suffire à la production d'ouvrages si multiples, si l'on ne savait qu'un grand nombre d'ouvriers travaillaient habituellement sous sa direction.

L'oeuvre de Sunyer a été très sévèrement jugée par Boher, dans le Discours sur l'architecture roussillonnaise que publia cet artiste en 1821 : «La richesse, le feu, l'imagination, y est-il dit, tout fut épuisé dans les autels sortis du brûlant ciseau de Sonier (sic). Sonier fut à la fois, dans le Roussillon, l'âme, la merveille et le fléau de l'art... Quel malheur que trop d'imagination ait emporté cet artiste si loin du goût de l'antiquité, et que son génie se soit trompé en prenant pour beau ce qui n'était que richesse et confusion. Vit-on jamais des ouvrages frappés avec plus de force, d'âme et de mouvement que ceux qui parurent alors dans cette contrée ? Mais aussi vit-on, dans aucune époque, moins de sagesse, d'harmonie, de simplicité et de cette élévation dont l'architecture reçoit le plus grand prix ? Tels sont les traits qui manquent et ceux qui se font remarquer sur tous les autels du siècle de Louis-le-Grand, existans encore aujourd'hui dans les églises de Collioure, de Vinça, de Prades et de Font-Romeu». - «Dans l'ensemble, reprend M. l'abbé E. Rous, ce jugement, qui veut être sévère et qui tend à diminuer le mérite de Sunyer, est loin de lui ravir toute gloire. L'on peut convenir que Sunyer a été moins académique et moins épris de l'antique païen que Boher ; mais il a été plus original et plus fécond que son émule. Le plan architectural des autels de Sunyer serait plus parfait s'il était plus simple et moins chargé d'ornements ; mais chacun des détails pris à part révèle une grande habileté. L'imagination de Sunyer est chaude et luxuriante : son ciseau a de la fougue et se laisse emporter quelquefois dans un mouvement exagéré ; mais il garde toujours la correction du dessin et l'harmonie des proportions».

Abbé E. Rous, Histoire de Notre-Dame de Font-Romeu, Lille, Desclée, 1890. - Firmin Vicens, Les beaux-arts à Prades, Prades, Cocharaux, 1898. - J. Falguère, Collioure, notice historique, Perpignan, Payret, 1808.