La main est le symbole naturel de la force, de la puissance. Le mot manus a désigné primitivement l'autorité du chef de famille, maître de la maison, du pater familias sur toutes les personnes qui sont in patria potestate et sur tous les autres éléments qui constituent la maison. Elle a compris ainsi : le droit du maître sur les enfants, comme le prouve le mot emancipatio, sur sa femme, sur ses esclaves, comme le prouve le mot manumissio, sur ses biens. Le droit actif du maître avait pour expression, en certains cas, la manus injectio, en général la vindicatio et la lutte simulée qu'elle amène (manum conserere). La vindicatio s'étendait probablement à l'origine aussi loin que la manus. Ulpien regarde comme ayant été applicable aux enfants la vindicatio, tombée en désuétude à son époque. Le droit passif du maître avait pour expression la Noxa ; il y avait contre lui l'actio noxalis pour les délits causés par les personnes en sa puissance, et l'actio de pauperie pour les dommages causés par les bêtes qui lui appartenaient. De bonne heure il y eut des noms particuliers pour désigner les différents droits du maître. Le mot manus fut réservé pour l'autorité du mari ou du père du mari sur la femme. Elle était établie soit d'une manière durable et sérieuse par le mariage, soit d'une manière passagère et fictive par suite d'un contrat de fiducie, fiduciae causa.

  1. Voyons le premier cas. A l'époque classique, il y a mariage avec ou sans manus ; mais, au début, le mariage et la manus devaient probablement se confondre [Matrimonium]. On a remarqué avec raison que la belle définition du mariage que donne le jurisconsulte Modestinus comporte la manus comme une conséquence indispensable de cette union. A l'époque de Cicéron, l'usage réservait encore le nom de mater familias à la femme in manu ; les anciennes lois dites royales supposent toujours la manus dans le mariage, qui entraîne non seulement la communauté de culte, mais aussi celle de biens, et la juridiction domestique du mari, et qui ne permet le divorce qu'au mari pour certains crimes de la femme. Si on admet, d'autre part, qu'il n'y avait originairement qu'une forme de mariage légal, farreo, on admet implicitement que la manus ne naissait alors aussi que par ce procédé. Mais plus tard il y eut mariage sans manus. A quelle époque s'est produit ce changement ? Est-ce d'après la législation des Douze Tables qui, en établissant l'acquisition de la manus par l'usucapion (usu) au bout d'un an, supposait qu'avant ce délai d'un an il pouvait ne pas y avoir manus ? C'est ce qu'on admet généralement. Ce n'est cependant pas certain ; car on peut soutenir que la loi donnait ainsi simplement le moyen de transformer en mariage régulier pourvu de la manus une union jusque-là irrégulière. En outre, il est difficile d'admettre qu'il y ait eu dès cette époque, même si on donne aux Douze Tables une origine plus récente, un vrai mariage sans formalités juridiques. En tout cas le mariage sans manus existe à l'époque de Caton et d'Ennius ; le discours de Caton sur la loi Voconia de 169 av. JC. prouve que la femme a des biens propres ; et une pièce d'Ennius, qu'elle est restée sous la puissance du père qui peut rompre son mariage. Dès lors le mariage sans manus gagne du terrain, surtout pour les femmes qui étaient sui juris et sur lesbiens desquelles veillait leur tuteur.

    Dans l'ancien droit, la manus s'acquérait et le mariage se formait de trois manières : usu, farreo, coemptione. Par l'usus qui est toujours cité en première ligne, la femme était acquise, à la façon des choses mobilières, par une sorte de prescription d'un an ; mais elle pouvait se soustraire à la manus en interrompant l'usucapion, en s'absentant trois nuits chaque année (trinoctium) du domicile conjugal. La confarréation (farreo) était l'ancien mariage religieux à l'usage des seuls patriciens [Matrimonium]. La coemptio, qui avait lieu au moyen d'une mancipation, en présence de cinq témoins, citoyens romains et pubères, et d'un libripens, soit par la femme elle-même, si elle était sui juris, soit par son père, simulait une vente de la femme. Se rattachait-elle aux coutumes primitives dans lesquelles le père vend sa fille au fiancé, ou n'avait-elle été instituée que plus tard, et à l'usage des plébéiens ? La première hypothèse est la plus vraisemblable ; la coemptio devait sans doute accompagner la confarréation dans les mariages patriciens [Mancipatio].

    Pour tomber in manum, la femme avait besoin du consentement du père, si elle était filia familias, de l'auctoritas de son tuteur, si elle était sui juris ; mais, dans le cas de l'usus, nous ne savons pas exactement si le tuteur devait interrompre l'usucapion selon la règle des Douze Tables. La manus était dissoute soit par la mort ou l'exil perpétuel du mari, soit, dans le divorce, par des moyens analogues à ceux qui l'avaient établie : en cas de confarréation, par la diffareatio ; en cas de coemptio, par une remancipation suivie d'affranchissement ; en cas d'usucapion, peut-être de la même manière. A l'époque primitive, la femme ne pouvait sortir de la manus malgré le mari ; si plus tard elle put demander sa libération par le divorce, ce fut sous l'influence de la facilité de rupture qu'offrait le mariage sine manu. La femme in manu n'a plus de liens civils avec son pater familias, ses agnats, sa gens ; cependant elle garde le nom gentilice de sa famille, que primitivement elle échangeait peut-être contre le nom gentilice du mari, comme paraît le prouver la formule Ubi tu Gaius, ego Gaia. Elle subit donc, qu'elle soit sui ou alieni juris, une minima capitis deminutio. Par rapport à son mari, elle est comme une fille, filiae loco ; il peut la réclamer par revendication, la donner in mancipio (sauf s'il y a eu confarréation), probablement en faire abandon noxal mais il ne peut ni la donner en adoption ni l'émanciper. Le mari seul (ou le chef de la famille) peut la répudier : il a sur elle le droit de vie et de mort. Mais ce droit fut tempéré de bonne heure. D'anciennes lois lui interdisaient de la condamner à mort sans l'avis du conseil où figuraient les membres de son ancienne famille devenus ses cognats [Judicium domesticum], et de la vendre autrement que par une vente simulée pour anéantir la manus. En outre, la lex Julia de adulteriis retira au mari le droit de tuer la femme in manu pour le conférer en certains cas au père de cette dernière.

    Ses biens, son patrimoine, si elle est sui juris, ce que son père lui a donné, si elle est alieni juris, passent à titre de dot dans le patrimoine du mari, et forment une masse dont les deux époux sont copropriétaires, mais dont le mari seul a l'administration et la disposition. Elle entre dans la famille de son mari. Elle est donc son héritière naturelle, heres sua, seule s'il n'y a pas d'enfants, en concours avec eux, s'il y en a ; de sorte que le testament qu'il a pu faire avant l'acquisition de la manus est rompu. Les gentiles et les agnats de son mari deviennent les siens ; elle a ses propres enfants comme agnats, comme frères il y a entre eux et elle des droits de succession réciproques ; veuve, elle est sous la tutelle légitime des plus proches agnats du mari et sans doute de ses enfants. Elle ne peut s'obliger envers personne. Elle peut prendre part à une mancipation, mais pas à une in jure cessio. Elle n'acquiert que pour le mari. On se demandait si, ne la possédant pas elle-même juridiquement, il pouvait acquérir la possession par son intermédiaire. Elle ne l'oblige pas malgré lui ; cependant, au refus du mari d'accepter, en tant que coemptionator, ses obligations antérieures, ses dettes héréditaires, le droit prétorien accorda aux créanciers une actio utilis contre la femme et ils purent se payer sur le produit de la vente des biens qui lui auraient appartenu en propre sans l'intervention de la manus. Avec ou sans manus, la femme est associée au culte du mari ; elle lui doit obéissance et fidélité. La femme mariée sans manus reste soumise à la puissance de son père qui est responsable de ses torts, qui, jusqu'à Antonin, peut la revendiquer malgré son mari ; si elle est sui juris, elle reste sous l'autorité de son tuteur ; son père ou son tuteur peut dissoudre le mariage ; ses enfants sont à son égard des étrangers.

    L'usage de la manus disparut peu à peu sous l'Empire. Cependant il en est encore question dans un texte qui est sans doute de Paul. A l'époque de Tibère, le mariage par confarréation était déjà devenu très rare, par suite de la répugnance qu'avaient les femmes sui juris à l'égard de la manus ; un sénatus-consulte décida que la femme du flamen Dialis, astreinte à cette forme de mariage, ne serait plus in manu que pour son rôle sacré (sacrorum causa), puis cette tolérance fut étendue à tout mariage par confarréation, de sorte qu'à l'époque de Gaius ce n'était plus un mode d'acquisition de la manus. Nous ne savons pas exactement à quelle époque a disparu la coemptio véritable. A l'époque de Gaius, l'usucapion avait disparu soit par désuétude, soit par l'effet de lois ; d'ailleurs, la manus devenait inutile devant les améliorations que le droit civil et le droit prétorien apportaient à la condition de la femme mariée sine manu, d'une part par les sénatus-consultes Tertullien et Orphitien, de l'autre par la création des bonorum possessiones unde vir et uxor et unde cognati. Il n'est plus question de la manus au Bas-Empire.

  2. Nous arrivons au second cas, à la conventio in manu, fiduciae causa. Elle avait lieu aussi par coemptio. L'acheteur de la femme (coemptionator), soit le mari, soit un tiers, s'engageait à la manciper de suite à une personne qui devait l'affranchir vindicta, par un contrat de fiducie, et lui rendre la libre disposition de ses biens. Ce n'était donc là qu'un expédient dont on connaît trois applications :

    1° au début aucune femme, sauf les Vestales, ne pouvait tester sans avoir changé de famille et ne pouvait ainsi enlever sa succession à ses agnats ; pour pouvoir tester, elle faisait la coemptio fiduciaire avec un tiers ; puis avait lieu une mancipation et un affranchissement ; mais sous Hadrien un sénatusconsulte dispensa les femmes de ce détour.

    2° La femme qui n'était pas sous la tutelle légitime de ses agnats ou d'un patron se mancipait, avec l'autorisation de son tuteur, à un tiers et se faisait remanciper par lui à un homme de son choix qui l'affranchissait et devenait ainsi son tutor fiduciarius, complaisant.

    3° Une femme qui voulait se débarrasser de l'entretien des sacra, partie intégrante d'un héritage, faisait la coemptio avec un vieillard sans enfants pour le compte duquel elle recueillait l'héritage ; l'acheteur l'affranchissait ensuite, lui restituait l'héritage, mais, étant héritier, restait astreint à l'entretien des sacra qui s'éteignaient avec lui. C'était la coemptio interimendorum sacrorum causa. Ces expédients furent peu à peu rendus inutiles par la disparition des sacra, de la tutelle des femmes pubères, et par les innovations juridiques qu'on a vues.

Article de CH. LECRIVAIN