L'esclave athénien pouvait arriver à la liberté soit en vertu d'une concession de l'Etat, soit en rachetant son indépendance, soit par l'affranchissement que son maître lui accordait.

I. Quand un esclave avait rendu un grand service à la république, par exemple, en dénonçant un crime capital ou en combattant vaillamment dans les armées athéniennes, l'Etat, comme récompense, lui accordait la liberté. Ainsi les esclaves qui prirent part à la bataille des Arginuses furent déclarés libres pour leur brillante conduite. Après Chéronée, la liberté fut promise aux esclaves qui s'associeraient à la défense du territoire. A certaines époques de crise, la république conféra même la liberté à des masses d'esclaves : Clisthène les admit dans les tribus après l'expulsion des Pisistratides, et, s'il faut en croire Pausanias, dont le témoignage, il est vrai, n'est pas confirmé par les historiens, avant la bataille de Marathon, tons les esclaves d'Athènes auraient été déclarés libres et incorporés dans l'armée. Dans tous ces cas, l'Etat devait naturellement indemniser le maître de l'esclave, et celui-ci devenait complètement libre.

II. L'esclave pouvait encore arriver à une entière indépendance en achetant sa liberté, soit avec ses économies, soit avec l'argent d'autrui. C'est toutefois une question controversée que celle de savoir si le maître pouvait être forcé d'accepter le prix de l'esclave et de lui donner la liberté, ou s'il devait consentir librement. Un texte de Plaute paraît bien favorable à la première opinion.

III. L'affranchissement proprement dit des esclaves résultait le plus habituellement du testament du maître, qui en mourant, léguait la liberté à ceux qui l'avaient fidèlement servi. Mais il pouvait aussi avoir lieu par acte entre-vifs. C'est ainsi que l'on trouve des affranchissements proclamés, soit devant les tribunaux, soit devant le peuple assemblé dans le théâtre et pris à témoin par les intéressés.

IV. L'esclave une fois affranchi ne devenait pas par cela même citoyen. Il était seulement, quant à sa condition juridique, assimilé aux métèques [Metoikoi], à tel point qu'on lui donnait quelquefois le nom de xenos. La langue athénienne avait toutefois un terme spécial et plus exact pour le désigner, celui d'apeleutheros. De vives discussions se sont engagées entre les rhéteurs sur le point de savoir quelles différences existaient entre ce mot et le mot exeleutheros, différences attestées par Athénée. Peut-être le dernier désigna-t-il plus particulièrement à l'origine les personnes délivrées de l'esclavage de la dette. Mais comme, avec le temps, on finit par employer indifféremment les deux expressions, nous ne nous arrêterons pas à exposer les opinions diverses des grammairiens.

Comme le métèque, l'affranchi était obligé de payer le metoikion. Quant au triobole, s'il y a controverse en ce qui concerne le métèque, il ne peut y avoir aucun doute relativement à l'affranchi. Celui-ci était incontestablement tenu de l'acquitter en sus du metoikion.

L'affranchi devait aussi, comme le métèque, avoir un patron ou prostatês, qui était tout naturellement son ancien maître, dans le cas au moins où celui-ci avait droit de cité. En échange de la protection qu'il donnait à l'affranchi, le patron jouissait de certaines prérogatives. C'était lui qui recueillait la succession de l'apeleutheros mort sans postérité. Il pouvait de plus réclamer l'accomplissement de certains devoirs que les textes positifs ne précisent point : a keleuousin oi nomoi. Nous avons seulement le témoignage de Platon. D'après ce philosophe, les égards que l'affranchi doit à son patron consistent en ceci, que l'affranchi doit aller trois fois par mois chez son patron pour lui offrir ses services en tout ce qui est juste et raisonnable, qu'il ne doit point se marier sans le consulter, ni conclure une union qu'il désapprouverait ; qu'il ne peut pas devenir plus riche que son ancien maître, etc.

Ces devoirs de respect et de services, quels qu'ils fussent d'après le droit positif, étaient-ils obligatoires seulement envers l'affranchissant ? Les enfants ou les héritiers du maître auraient-ils pu en réclamer l'exécution ? La réponse est douteuse, et l'on pourrait en faveur des héritiers argumenter de ce qui avait eu lieu dans l'affaire d'Eumathe. Cependant la thèse contraire est plus sûre. Il ne semble pas en effet que Phormion, l'affranchi de Pasion, ait été juridiquement tenu d'aucune obligation pareille envers Apollodore, le fils de son ancien maître.

Quelle était la sanction de ces prescriptions législatives sur les devoirs de l'affranchi ? On paraît admettre assez généralement que le maître, dont les droits avaient été méconnus, pouvait se faire directement justice en s'emparant de l'ingrat et en le détenant prisonnier jusqu'à ce qu'il eût racheté sa liberté. Nous conservons bien quelques doutes sur la légitimité d'un pareil procédé.

Mais il y avait, dans tous les cas, un moyen juridique, mis à la disposition du patron et offrant de plus sérieuses garanties. C'était l'apostasiou dikê.

Cette action, qui appartenait à l'hégémonie de l'archonte polémarque, avait ceci de particulier que les étrangers n'étaient point admis à figurer dans la diamarturia. Peut-être aussi le jugement était-il remis à un tribunal spécial composé de juges appartenant à la tribu du plaignant. Le témoignage un peu indécis des rhéteurs sur ce point peut être éclairé par le Traité des lois de Platon. Mais la question reste encore obscure.

Si la dikê apostasiou était reconnue bien fondée, l'affranchi retombait en esclavage. Etait-il replacé sous la puissance de son ancien maître, ou bien vendu aux enchères par les Polètes, avec attribution du prix au plaignant ? Il est probable que le choix entre ces deux partis appartenait à celui-ci.

Si au contraire l'action du maître était rejetée, il perdait ses droits de patronage, et l'affranchi était alors complètement assimilé, non pas aux citoyens, mais aux métèques.

Article de E. Caillemer.


V. En dehors d'Athènes, l'affranchissement des esclaves se produisit avec des formes variées, que les inscriptions font connaître.

Il était purement civil à Mantinée et dans un grand nombre de villes thessaliennes. Dans ces dernières, l'esclave qui recouvrait sa liberté, en se rachetant ou par une libéralité du maître, payait à la ville un droit de quinze statères àl'époque grecque, de vingt-deux deniers et demi, à l'époque romaine. Les magistrats inscrivaient alors son nom et celui du maître sur une stèle. La condition de l'affranchi était celle de l'étranger domicilié.

Beaucoup plus souvent, l'affranchissentent avait une forme religieuse ou était mis sous la protection d'une divinité. A Messène, l'acte était gravé sur une stèle exposée dans un temple.

La forme religieuse est plus visible dans plusieurs villes de Béotie et de Phocide. A Orchomène, le maître consacrait l'esclave qu'il voulait affranchir à Sérapis et à Isis ; désormais, il était défendu de mettre la main sur lui pour le réduire en servitude ; le prêtre et les magistrats devaient protéger sa liberté contre toute tentative de ce genre et punissaient l'auteur d'une amende. On trouve le mode d'affranchissement dans les temples de Sérapis à Chéronée et à Coronée, d'Athéné Poliade à Daulis, d'Asclépios à Stiris. Cette consécration était un véritable affranchissement, connue le disent expressément plusieurs des inscriptions ; le maître avait naturellement le droit de stipuler à son profit certaines restrictions.

Ces affranchissements à titre gratuit sont jusqu'ici beaucoup moins nombreux que ceux qui avaient lieu par forme de vente à une divinité. On a trouvé quelques exemples de ces derniers dans les temples de Dionysos à Naupacte, d'Asclépios à Elatée, de Sérapis à Tithorée, d'Aphrodite Syrienne à Physcis en Etolie. Mais ce fut surtout à Apollon Pythien, à Delphes, qu'il fut d'usage de vendre ainsi les esclaves. On a retrouvé gravés sur les murs du sanctuaire environ cinq cents actes de cette nature. Les Delphiens n'étaient pas les seuls à employer cette forme d'affranchissement ; on voit, d'après les inscriptions, que des esclaves furent ainsi amenés et vendus au dieu de Delphes par les habitants de la ville voisine d'Amphissa, des cités de la Locride, de la Doride, de la Phocide, de la Béotie, de l'Etolie ; quelques-uns même venaient de plus loin, d'Athènes, d'Achaïe, de Thessalie, et même de Syracuse ou de Pergame.

Cette forme d'affranchissement, très compliquée, est née de l'usage ancien de consacrer au service de la divinité des esclaves qui devenaient des hiérodules et restaient attachés au temple. La servitude y étant plus douce, les esclaves recherchèrent les moyens de changer de maîtres, et pour cela, ils donnèrent au dieu la somme destinée à payer au maître leur rançon. C'était un véritable rachat de l'esclave par lui-même, mais il employait l'intermédiaire du dieu.

Voici la formule dans sa forme la plus simple, telle qu'elle était usitée au IIe siècle avant notre ère. En tête de l'acte est la date, fixée par le nom de l'archonte éponyme de Delphes et le mois, puis l'acte de vente : «Cléon, fils de Cléoxénos, a vendu à Apollon Pythien un corps mâle qui a nom Istiaeos, pour le prix de quatre milles, à condition qu'Istiaeos soit libre, que nul ne puisse mettre la main sur lui, pendant toute sa vie, et qu'il fasse ce qu'il veut». Enfin le nom des témoins qui avaient assisté à la vente.

La vente était accompagnée d'une cérémonie religieuse qui rappelait l'origine de cet usage. Le maître, accompagné de l'esclave, se présentait devant le temple d'Apollon, passait près du grand autel, et s'avançait jusqu'au seuil de la grande porte. Là, les prêtres venaient à sa rencontre recevoir l'esclave qu'on amenait au dieu, et, en présence des trois sénateurs semestriels et d'un certain nombre de témoins, remettaient au maître le prix convenu. Dès que la somme stipulée avait été remise, l'esclave appartenait au dieu, sauf les restrictions que le maître pouvait apporter à la vente. Mais il ne restait plus attaché au temple comme dans l'origine, il ne devenait pas un hiérodule. Comme c'était lui qui avait confié au dieu l'argent nécessaire pour l'acheter, la condition de la vente était qu'il serait libre, qu'il pourrait aller où il voudrait, habiter où il voudrait ; nul n'avait le droit de mettre la main sur lui pour l'asservir.

Sa liberté était garantie par une série de précautions. D'abord, on joignait d'ordinaire à la cession du maître l'approbation de ses héritiers qui, plus tard, auraient pu menacer la liberté de l'esclave vendu au dieu. Ensuite on lui reconnaissait le droit de se défendre par la force contre celui qui voudrait le réduire en servitude ; de même, le premier venu avait le droit d'intervenir au nom du dieu pour protéger son affranchi menacé, sans risquer d'encourir un procès ou une amende. De plus, le vendeur était obligé, comme dans les contrats de vente ordinaire, de fournir un ou plusieurs garants, appelés bebaiôtêres, qui s'engageaient avec lui à faire respecter la vente faite au dieu, et, par conséquent, à protéger l'affranchi contre tous ceux qui voudraient le remettre en servitude. Si le vendeur et le garant ne remplissaient pas leurs obligations, une action pouvait leur être intentée au nom du dieu par l'esclave ou tout autre qui voudrait se charger de ses intérêts ; ils étaient condamnés à une amende qui, d'ordinaire, équivalait à une fois et demie le prix de la vente, Quand le vendeur n'était pas un Delphien, il avait le plus souvent à fournir comme garants un citoyen de Delphes et un habitant de la ville où l'esclave devait retourner. Tout ce qui regardait ces affaires était réglé à Delphes par la loi de la ville, et à l'étranger, les Delphiens avaient conclu des conventions à cet égard avec les Etats voisins : Béotie, Achaïe, Locride, Amphissa, Etolie, Doride, Phocide et Thessalie. La vente était accomplie publiquement et en présence de témoins : les deux prêtres d'Apollon et souvent le néocore, les trois sénateurs semestriels de Delphes et des particuliers, habitants de Delphes ou étrangers. Enfin, pour assurer la publicité et la conservation de l'acte, il était remis à un citoyen désigné dans l'acte, et il était gravé sur les murs du sanctuaire.

L'effet de la vente n'était pas toujours immédiat ; l'esclave étant considéré comme une propriété ordinaire, le maître qui le vendait au dieu avait le droit de faire ses conditions et de stipuler des restrictions qui portaient sur les biens ou la personne de l'esclave. De là des stipulations très nombreuses et très variées au profit du maître. Il se réservait, par exemple, le droit d'hériter de l'esclave ; quelquefois, il y a une réserve au profit des enfants de l'esclave, s'ils sont nés après l'acte de vente ; ou bien, ce droit du maître est étendu jusqu'à la seconde génération, et il doit hériter si les enfants de l'affranchi meurent sans laisser d'enfants. Par conséquent, défense à celui-ci d'aliéner ce qu'il possède ; s'il donne quelque partie de ses biens, la donation est nulle et, s'il le fait de son vivant, la vente elle-même est annulée, c'est-à-dire qu'il retombe dans la servitude.

D'après les idées des anciens sur l'esclavage, les enfants de la femme esclave appartenaient au maître, comme le produit de ses troupeaux. Lors donc qu'une esclave est vendue avec ses enfants, elle doit payer pour eux aussi bien que pour elle-même. Si elle doit rester encore auprès du maitre après la vente, une clause spéciale décide si les enfants nés pendant cette période seront libres ou demeureront esclaves.

Le maître pouvait aussi imposer à l'esclave qui se rachetait par l'intermédiaire du dieu, l'obligation de pourvoir à la nourriture et à l'entretien d'une personne qu'il lui désignait, ou se réserver pour lui-même ces avantages, ou se décharger sur lui de certaines dettes, et notamment de celles qu'on appelait Eranoi. Le vendeur était souvent préoccupé de sa sépulture et des honneurs à rendre à son tombeau ; toutes ces exigences étaient insérées dans le contrat avec des détails minutieux : accomplir toutes les cérémonies d'usage après la mort, apporter sur son tombeau les fleurs de la saison, couronner son image d'une couronne de laurier tressé, deux fois par mois, à la nouvelle lune et au septième jour. Afin d'assurer l'exécution de ces cérémonies, l'affranchi n'avait pas le droit d'habiter hors de Delphes.

Outre ces stipulations, qui se présentent le plus fréquemment, voici quelques exemples des restrictions que le maître, selon ses caprices ou ses besoins, avait le droit d'apporter à la liberté de l'affranchi. Pour celui-ci, défense de rentrer dans le pays où il avait servi ; pour celui-là au contraire, défense de le quitter sans l'aveu du vendeur ; l'un doit accompagner son maître dans un voyage d'Egypte en Macédoine, un autre élever deux enfants, un troisième enseigner son métier à de jeunes compagnons d'esclavage ; un jeune enfant doit aller, pendant un temps fixé, apprendre le métier de foulon et faire gratuitement tous les ouvrages de cette sorte pour la famille de son ancien maître ; enfin un médecin stipule que son esclave, après la vente, restera encore cinq années près de lui pour l'aider dans l'exercice de son métier.

Le plus souvent, le maître en vendant à Apollon la nue propriété de l'esclave, s'en réserve l'usufruit pendant un certain nombre d'années ou même pendant toute sa vie ; il peut même, après sa mort, assurer cet usufruit à une autre personne. Pendant le temps de ce séjour auprès du maître (paramonê, d'où est venu le nom de Parmenôn et d'autres semblables), l'esclave, quoique ayant payé par l'intermédiaire du dieu le prix de sa rançon, doit rester dans la maison du maître, travailler pour lui, exécuter tous ses ordres, sans mériter de reproches. S'il n'obéit pas, le maître peut le battre ou le faire battre par qui il voudra. Mais il n'a plus le droit de le vendre, et, s'il le frappe, il ne doit pas le blesser.

Si la faute de l'esclave était plus grave, c'est-à-dire si l'une des clauses du contrat n'était pas exécutée, la vente faite au dieu était annulée. Dans le cas où l'esclave ne voulait pas rester auprès du maître le temps fixé, il devait payer une nouvelle somme d'argent ou donner à sa place un autre esclave du même âge que lui. La vente n'était valable, c'est-à-dire l'esclave n'était complètement libre, qu'après l'accomplissement de toutes ces obligations ; un exemple montrera combien elles étaient lourdes. Un esclave voulant se racheter, mais n'ayant pas l'argent nécessaire, avait emprunté les cinq mines de sa rançon à un citoyen nominé Apollodoros. En échange l'esclave Phaineas doit rester auprès de lui, tant qu'il vivra, et le nourrir dans sa vieillesse, faire tout ce qu'il lui commandera et le jour et la nuit, sans mériter de reproches ; ne le quitter sous aucun prétexte ; sinon on pourra le saisir et l'emmener de toute ville et de tout sanctuaire ; Phainéas peut le châtier ou le faire châtier, comme il voudra, mais sans le vendre. Et le texte ajoute : «Après que Phainéas aura nourri Apollodoros dans sa vieillesse sans mériter de reproches, qu'il l'aura enseveli et qu'il lui aura rendu tous les honneurs que l'on rend aux morts, qu il soit libre».

On voit donc que la liberté obtenue par la vente au dieu était souvent bien incomplète et ajournée. Pourtant l'esclave y gagnait, même dans ce cas, car des bornes étaient fixées au pouvoir du maître. S'il y avait contestation sur la manière dont l'esclave avait accompli ses engagements, la question était décidée par un tribunal de trois arbitres qui décidaient souverainement, après avoir prêté serment ; les arbitres étaient désignés d'avance et choisis par les deux parties. Enfin, le maître et l'esclave prononçaient, en présence des prêtres et des témoins, un serment réciproque au nom d'Apollon ; le premier s'engageait à ne nuire à l'esclave ni directement ni indirectement, le second jurait de ne pas faire tort au maître pendant tout le temps qu'il devait encore rester à son service.

Cette forme d'affranchissement, très avantageuse pour le maître qui pouvait à la fois recevoir le prix de l'esclave et conserver ses services, était également recherchée par celui-ci, parce qu'elle lui donnait quelques droits et l'espérance de la liberté ; elle lui assurait en outre un certain nombre de garanties, depuis qu'il était censé être devenu la propriété du dieu. Mais elle ne pouvait pas conduire à l'extinction de l'esclavage, parce que, les besoins restant les mêmes, le maître remplaçait le serviteur vendu par un autre qu'il pouvait payer avec l'argent même qu'il avait reçu du dieu.


Article de P. Foucart