A MELISSE, THEBAIN, VAINQUEUR A LA COURSE DES CHEVAUX

Rien dans cette ode ne nous apprend si ce Mélissus Thébain, avait remporté le prix à la course des chevaux de main, ou à celle des chars, dans laquelle s'étaient distingués ses aïeux. Pindare se borne à nous représenter son concitoyen, comme réunissant dans sa personne les biens et les honneurs à une modestie rare. Il assure en même temps que des vertus aussi éminentes que l'étaient celles de ce vainqueur sont des présens du ciel ; que Jupiter favorise les hommes pieux, mais que la fortune n'est jamais constamment fidèle aux hommes pervers et irréligieux. Notre poète veut qu'on regarde l'ode qu'il consacre à la louange de son concitoyen comme la plus douce récompense de ses vertus ; il rappelle sa victoire aux champs de Némée, et celle qu'il vient de remporter dans l'Isthme d'où rejaillit un grand éclat sur Thèbes sa patrie.

Ainsi, ajoute-t-il, Mélisse n'a point dégénéré des vertus de ses ancêtres, parmi lesquels figurent son aïeul Cléonyme, qui employa ses richesses à cultiver l'art pratique de nourrir et de dresser des coursiers pour les chars, et les Labdacides ses aïeux du côté de sa mère, ancienne famille royale. Il termine par une réflexion sur les vicissitudes humaines, faisant allusion aux désastres antérieurs survenus à la famille de Mélisse, et dont il sera question dans l'ode suivante, adressée au même vainqueur.


Si jamais un mortel mérita l'hommage de ses concitoyens, ce fut celui qui, comblé par le sort de la puissance des richesses et de la gloire acquise en nos illustres combats, sut préserver son âme de l'insolent orgueil, né de la satiété.

Mais, ô Jupiter, ces grandes vertus, chez les humains, sont tes présents. Ainsi la prospérité de tes pieux adorateurs (1), ne peut que durer et s'accroître ; moins fidèle aux hommes corrompus, elle n'a pour eux que l'éclat d'une fleur passagère.

Nos hymnes sont la plus digne récompense des belles actions. C'est un devoir d'honorer le courage : c'en est un d'embellir par les grâces de nos chants, le nouveau triomphe du vainqueur.

Par deux victoires, la fortune a voulu mettre le comble à la joie de Mélisse : il avait remporté la première (2), dans les champs voisins de la forêt qu'habitait le lion jadis si redouté ; il vient de conquérir une seconde couronne, près des gorges de l'Isthme, où la supériorité de ses coursiers a fait proclamer le nom de Thèbes, sa patrie (3).

Non, la bravoure de Mélisse ne pouvait démentir celle de ses ancêtres. Vous savez tous (4) quelle gloire distingua son aïeul, Cléonyme, à la course des chars, et quelles richesses prodiguèrent les Labdacides (5), aïeux de sa mère, pour former de superbes quadriges (6) ?

Mais le temps amène, par la révolution des jours, d'étranges vicissitudes (7) ; les enfants des dieux demeurent seuls à l'abri de toute offense.


(1)  La prospérité de tes pieux adorateurs. Nous traduisons ainsi le mot opizomenôn ( sous-entendant se), reverentium te. Nous ne pouvons deviner pourquoi le scoliaste et ses interprètes donnent à ce mot, opizomenôn, la signification de prudent, prévoyant l'avenir, qui ne présente aucun sens raisonnable ; opizesthai est révérer, suivre, servir, etc. ; c'est l'acception naturelle que nous lui donnons ici.

(2)  Il avait remporté la première. Avec de Paw, je rapporte ta de, à la victoire Isthmique que Pindare a placée la première, et non à la victoire de Némée, dont il parle ensuite ; alors il faut placer le comma après ta de ; car, si cet adverbe, qui signifie nunc, hoc tempore, se rapportait à la victoire de Némée, alors la présente ode troisième, serait mieux placée parmi les Néméennes, au lieu qu'elle figure aujourd'hui parmi les Isthmiques.

(3)  Le nom de Thèbes, sa patrie. On proclamait à l'issue des jeux le nom et la patrie des vainqueurs. Je traduis, dans la même phrase, l'expression ippodromia krateôn, par la supériorité de ses coursiers, ne pouvant spécifier s'il s'agissait de chevaux de main, ou de chevaux attelés à des chars.

(4)  Vous savez tous, etc. Il nous paraît évident que notre poète adresse ici la parole aux Thébains, ses concitoyens, comme ceux de Mélisse, lequel était également de Thèbes.

(5)  Les Labdacides, aïeux de sa mère. La mère de Cléonyme descendait de Labdacus, roi de Thèbes, et père de Laïus ; et Cléonyme avait eu pour fils un certain Télésiades, père de Mélissus.

(6)  Pour former de superbes quadriges. Je lis ici, avec de Paw : Ploutô diestichon tetruorian ponous, divitiis suis percurrerunt quadrigarum labores. Ceci doit faire présumer que la victoire célébrée dans cette troisième ode avait été remportée sur des chevaux attelés au char.

(7)  Etranges vicissitudes. Le poète fait ici allusion au malheur arrivé à la famille de Mélisse ; quatre de ses parents avaient péri dans une guerre, ainsi qu'on le verra par l'ode suivante au même Mélissus. Pindare se sert de l'expression d'enfants des dieux pour exprimer les dieux eux-mêmes, comme on dit les enfants d'Israël, pour exprimer les Israélites.