1. Ses origines
  2. Son installation en Grèce
  3. L'extension de ses assimilations
  4. Mythologie - Son enfance
  5. Mythologie - Les orgies
  6. Mythologie - Ses ennemis
  7. Mythologie - Ariane
  8. Mythologie - L'Asie mineure et l'Inde
 
  1. Le dieu du vin
  2. Ses attributs moraux
  3. Ses symboles naturels
  4. Ses symboles fabriqués
  5. Représentations anthropomorphiques
  6. Dionysos, Héra et Athéna
  7. Un dieu de mystères
  8. Dionysos/Bacchus en Italie

Dionysos est avant tout le dieu du vin. A l'origine, comme le Soma védique dont il dérive, il a personnifié la boisson même qui fortifie l'homme, qui cause l'ivresse et qui constitue la libation. «Plus d'un passage des Bacchantes d'Euripide, remarque avec raison M. Maury, rappellent clairement cette origine matérielle de la divinité, et le poète finit même souvent par ne plus la voir que dans la liqueur». Un de ses noms les plus anciens est celui de Theoinos, le dieu vin, d'où les Dionysies des champs, en Attique, étaient quelquefois qualifiées de Theoinia. Il garde encore complètement ce caractère quand il est lui-même appelé Acratos, le vin pur. Mais en général sa personnalité divine se dégage d'une manière plus marquée de cette confusion ; il n'est plus le vin lui-même, mais cette liqueur est le présent qu'il a fait aux hommes, le raisin son fruit, Dionysou karpos. Le dieu est alors qualifié de celui qui donne le vin pur, Acratophoros, l'inventeur du vin, oinou euretês, celui qui produit la vendange, Protryges celui qui plante la vigne, Ampelophutôr, le dieu aux grappes, Eustaphylos, Staphylites, Racemifer, celui qui préside aux pressoirs Lenaios. La majeure partie des noms des personnages que la légende et les monuments de l'art groupent autour du dieu, sont des allégories tout à fait transparentes de cet ordre d'idées. Tels sont ceux des héros, Oeneus, Oenopion, Staphylos, Ampelos. Staphylos, la grappe, paraît avoir joui d'une popularité particulière ; nous l'avons vu donné comme fils de Dionysos et d'Ariadne, ailleurs il est l'enfant du dieu et d'Erigone ; à Chios nous le voyons lié à la légende d'Oenopion, en Etolie il figure comme un berger d'OEneus et il tient aussi une place importante dans les fables locales de la Carie. Acratos, le vin pur, devient quelquefois un personnage distinct, que l'on croit reconnaître sur divers monuments. Les noms des Satyres qui composent le thiase du dieu, particulièrement sur les vases peints, en font aussi fréquemment des personnifications de la même nature ; nous reviendrons sur ce sujet à l'article Thiasus, mais il est impossible de ne pas signaler ici quelques-uns des plus significatifs, tels Oinos, le vin, Hedyoinos, le vin doux, Oinopion, etc. De même, parmi les Ménades, à côté de Méthé, l'ivresse, et de Dinonoé, celle qui fait tourner l'esprit, nous rencontrons Oinanthé, la vigne en fleurs.

Mais ce n'est pas seulement à la vigne que Bacchus préside ; il a un caractère plus général de dieu de la production et de la végétation, Phutêkomos, et il préside spécialement à tous les arbres fruitiers. A ce titre il est qualifié de Dendritès et on le fête dans les Dendrophoriae.

Il est aussi le dieu qui préside aux figuiers, Sukitês, ou qui donne la pomme ; parmi les femmes que l'on met en rapport amoureux avec lui, plusieurs portent des noms de plantes et d'arbres, comme Althaea, Carya. Le surnom de Dasyllios (de dasus et ulê) se rattache à la même idée. En revanche, le dieu n'est presque jamais mis en rapport direct avec la production proprement agraire, et l'on ne peut citer que le Dionysus Areus de Patrae qui soit dans ce cas. Dans l'opposition établie sur quelques monuments d'ancien style entre Bacchus et Triptolème, le premier représente la culture des vergers et des vignes, le second celle des champs labourés. Dionysos est aussi le dieu de la floraison des végétaux, Antheus, Anthios, Evanthes, le dieu honoré dans la fête des Anthestéries [Dionysia], comme celui qui fait pousser les fruits, Eucarpos, Chloocarpos, Genesiourgos tôn karpôn, Koiranos karpôn polusporos. L'idée d'exubérance productrice qui s'attache au personnage de Dionysos, le dieu vivificateur de la nature, Phusizôos, est exprimée d'une manière encore plus générale par ses surnoms Phloios, Phlyus, Phleus, Phleon, tirés de phleô, phluô, aussi bien que les noms de Phlias et de Phliasos représentés comme des fils du dieu, par celui de Brisaios, qui dérive de bruô ou de l'ancien mot britus «doux» [Britomartis], enfin par ceux de Leibênos ou Loibêsios, ce dernier source du Liber italique dont la forme primitive était Loebesus ou Loebasius. Tirés de leibô, les deux derniers surnoms que nous venons de citer expriment une idée de flux en même temps que d'abondance.

Bacchus est en effet le dieu de l'humidité chaude qui développe la vie et la végétation à la surface de la terre. C'est ce qu'expriment les Hyades données pour ses nourrices et le nom d'Hye appliqué à sa mère Sémélé. Lui-même est qualifié de Hyes et Hyeus. Il est aussi le dieu dont on place volontiers les temples dans les marais, en limnais, qui y réside, Limnaios, et qui y naît, Limnagenes. C'est ainsi que dans plusieurs endroits on voit des sources consacrées à Bacchus, sans qu'il soit nécessaire qu'on y attribue des miracles de flux périodique de vin comme à Téos et à Andros ; et qu'également Naïs est comptée sur certains vases au nombre des suivantes du dieu, comme les Naïades en général chez les écrivains. Silène, son précepteur et son plus inséparable compagnon, a été à l'origine un demi-dieu des fontaines [Silenus]. De là l'association de Dionysos à Poseidon sur quelques monuments, comme les deux rois du principe humide. La fête des Protrygaea, qui précédait la vendange, était consacrée à tous deux ensemble. On unissait dans les invocations Dionysos Dendritès et Poseidon Phytalmios [Neptunus], en tant que les auteurs de la production végétative par l'humidité.

La symbolique de tous les peuples de l'antiquité établit une connexité étroite entre le principe humide et le principe féminin dans la nature ; l'eau est femelle, comme le feu est mâle. C'est donc en sa qualité de représentant de l'humidité chaude que Bacchus est essentiellement le dieu à l'aspect et au sexe indécis, à demi-homme, Pseudanôr, efféminé, à la fois masculin et féminin, Arsenothêlus, Gunnis, Thêluphrôn, caractère que les artistes grecs se sont plu à exprimer dans ses images à partir de l'époque de Praxitèle et qui en fait, comme on l'a très bien défini, «la personnification même du principe féminin». Cette effémination est poussée jusqu'aux dernières conséquences qu'en admettaient les moeurs grecques et conduit au récit des rapports du dieu et de Prosymnus. La notion de ce caractère ambigu n'a jamais été complètement étrangère au Dionysos grec ; mais elle s'est surtout prononcée chez lui par suite de son assimilation au Bassareus lydien, car c'est une conception essentiellement propre aux religions de l'Asie que celle des dieux androgynes, qui sont en même temps guerriers et conquérants. Le mot dionnus, tiré du nom du dieu, était employé par les Grecs pour désigner un personnage efféminé. Le costume de Dionysos est toujours en partie féminin [voy. sect XIII]. On le dépeint aussi prenant comme déguisement les habits d'une des Ménades de son thiase. Quelques monuments de la sculpture représentent Bacchus jeune en costume de femme ou donnent même ces vêtements au Bacchus barbu. Une curieuse statuette de bronze du Musée d'Angers montre un Bacchus barbu enveloppé d'un manteau que décorent à la hauteur de la poitrine trois rangs de mamelles féminines. Mais ce dieu à demi-femme est en même temps un dieu phallique par excellence ; les deux notions ne s'excluaient pas pour la symbolique des anciens. Le dieu de la production végétative devait être envisagé aussi comme celui de toute génération (Gonoeis) et par suite avoir au premier rang de ses symboles celui qui en exprime l'idée de la manière la plus brutale. Aussi l'adoration du phallus est-elle toujours liée en Grèce au culte de Dionysos ou à celui de l'antique Hermès pélasgique [Mercurius]. On portait le phallus en triomphe dans les Dionysies des champs attiques [Dionysia], et c'était là un rite essentiel de la plus ancienne forme agraire du culte du dieu. Aux grandes Dionysies, les colonies d'Athènes envoyaient à la métropole comme offrande un phallus. On célébrait encore des phallagogies en l'honneur de Bacchus dans beaucoup de lieux, entre autres à Argos et à Rhodes. Plusieurs surnoms du dieu se rapportent à ce caractère, flétri par les Pères de l'Eglise, Phallen, Priapos, Orthos, Enorchès. J'ai rappelé plus haut [sect. V], les épithètes qui le montrent animé de la passion des femmes ; la plus en rapport avec celles qui figurent ici est Choiropsalês, qui rappelle le nom de Choiros donné avec intention à une des Ménades de son thiase sur quelques vases peints. Les êtres à demi-animaux qui font cortège à Dionysos, Satyres et Pans, sont souvent représentés ithyphalliques [Pan, Satyri, Thiasus]. Priape est aussi son compagnon et même, dans la plupart des récits, le fils de Dionysos et d'Aphrodite, ou bien de Dionysos et de Naïs ou Chioné [Priapus] ; dans d'autres versions, l'enfant ithyphallique de Dionysos et d'Aphrodite est appelé Bacchus comme son père, ou bien on le remplace par Hyménée [Hymenaeus].

On donnait quelquefois de ces récits une explication tirée des effets du vin sur l'organisme de l'homme. La même idée n'était peut-être pas étrangère à l'association d'Aphrodite à Dionysos dans le culte de nombreuses localités, dans des sacrifices communs, et sur des sculptures, mais elle avait surtout pour but de réunir les deux divinités de la production et de la fécondité. Antoine et Cléopâtre présentèrent leur couple comme celui de Dionysos et d'Aphrodite. Eros est aussi quelquefois placé dans la suite du dieu et les monuments de l'art connaissent fréquemment un Eros bachique, qui tient une grappe de raisin à la main ou bien monté sur un lion, boit le vin dans un canthare, ou bien encore s'élance sur le dos d'un Centaure. Dans une statue célèbre, Dionysos jeune s'appuie sur Eros adolescent. Il est aussi associé aux Charites et comme dieu de la production végétative aux Heures, principalement à Iréné et à Opora.

Dans les monuments qui rappellent l'association de Dionysos avec les Charites, diverses circonstances rappellent le caractère solaire qu'il revêtit par suite de son association avec Sabazius et Bassareus, et qui lui valut les surnoms de Chrusokomês, Xanthokarênos ou Chrusôpês. Mais ce caractère se développa surtout dans le culte mystique et l'assimilation de Bacchus au soleil, tout à fait étrangère à sa physionomie primitive, ne fut complète que chez les Orphiques. Quand le Dionysos thébain est appelé Puripheggês, Purpolos, Phaustêrios, Puripnoos ce n'est pas comme un dieu solaire, mais comme un dieu armé de la flamme. Cette flamme est celle des flambeaux qui éclairent ses fêtes nocturnes et qui lui valent aussi la qualification de Lamptêr. Déjà le Soma védique tendait à se confondre avec Agni, le feu personnifié, le dieu de la libation avec celui de la flamme du sacrifice. D'ailleurs Dionysos était le dieu né au milieu des flammes, Purigenês, en même temps que le dieu de l'humidité chaude.


Article de F. Lenormant