Membres des confréries dites orphiques, soi-disant disciples d'Orphée, adeptes des doctrines qu'on lui attribuait, initiés à ses mystères.

I. Origines de l'Orphisme

Les origines de l'Orphisme sont confuses et semblent complexes. Orphée n'apparait dans la littérature qu'avec Ibycos et Pindare ; les premiers ouvrages orphiques, à notre connaissance, ont été recueillis ou composés dans la seconde moitié du VIe siècle, au temps de Pisistrate. Sur la période antérieure, on ne sait rien de certain ; la question des origines relève donc de la légende ou de l'hypothèse.

Ce n'est pas à dire qu'on ne doive tenir aucun compte des traditions. La popularité d'Orphée et le succès de l'Orphisme, dès la fin du VIe siècle, font supposer que les origines de la doctrine étaient déjà lointaines. Les traditions peuvent contenir un fond de vérité ; le difficile est de le dégager. Les récits, les explications ou les suppositions des anciens sont contradictoires, et les modernes n'ont pas mieux réussi à se mettre d'accord. Il est fort possible que l'Orphisme soit une combinaison d'éléments très divers.

Suivant la tradition la plus répandue, Orphée avait emprunté à l'Egypte tout l'essentiel de sa doctrine, les règlements de ses mystères, les prescriptions de son rituel funéraire. C'est encore l'opinion qui prévaut chez les savants modernes ; et l'on ne peut nier qu'elle soit fondée en grande partie. On constate de singulières coïncidences entre la cosmogonie des Orphiques et celle des Egyptiens, entre le mythe de Dionysos Zagreus et le mythe d'Osiris, entre les prescriptions ou les rites de l'Orphisme et ceux des cultes égyptiens. La théorie de la migration des âmes, qui tenait tant de place dans les enseignements des Orphiques, était, suivant Hérodote originaire de la vallée du Nil ; et le rituel funéraire des confréries orphiques, tel que nous le connaissons par les auteurs ou les inscriptions, présente beaucoup d'analogies avec le Livre des morts. Il parait donc incontestable que l'Egypte, directement ou indirectement, a fourni bien des éléments à la doctrine des Orphiques. Cependant, l'on a le droit de juger trop simpliste ce système commode, qui par l'influence égyptienne prétend expliquer tout l'Orphisme, comme d'ailleurs le Pythagorisme, les mystères d'Eleusis, tous les mystères. Pour s'en tenir à cette conclusion sommaire, on est obligé de négliger d'autres témoignages, et même des faits certains.

D'après les Orphiques, dont l'opinion a bien ici quelque importance, leur doctrine et leur culte étaient d'origine thrace : c'est en Thrace qu'avait vécu Orphée, et c'est là qu'il avait institué ses mystères. Cette tradition s'accorde pleinement avec celle qui faisait venir de Thrace les mystères bachiques, que l'on identifiait souvent avec les mystères orphiques, et dont la fondation ou la transformation étaient attribuées également à Orphée. Une autre légende rattachait l'Orphisme au culte des Cabires. Orphée lui-même avait été initié aux mystères de Samothrace. Au milieu d'une tempête, les Argonautes, sur le conseil de l'aède, firent voeu de relâcher dans cette île et de s'y faire initier. Aussitôt s'apaisa l'orage. Jason et ses compagnons tinrent leur promesse. Ils abordèrent à Samothrace ; conduits par Orphée, qui avait précédemment reçu l'initiation, ils se rendirent au sanctuaire des Cabires, et furent initiés à leur tour. D'après cet ensemble de faits et de légendes, on ne peut douter que la Thrace ait joué, comme l'Egypte, un rôle important dans la genèse de l'Orphisme.

D'autres traditions mettaient Orphée en rapports avec la Phrygie, notamment avec le roi Midas ; bien des gens pensaient que le culte de Zagreus était venu de Phrygie, et le grand dieu des Orphiques a été souvent confondu avec le Sabazios des Phrygiens. On cherchait aussi en Crète l'origine de l'omophagie et du mythe de Zagreus, que l'on identifiait avec le Zeus de l'Ida. Ajoutons que l'Orphisme s'est développé en partie sous l'influence de Pythagore et de son école, puisque bien des ouvrages orphiques étaient l'oeuvre de Pythagoriciens. Enfin, s'il fallait en croire les chrétiens des premiers siècles, Orphée lui-même aurait fait beaucoup d'emprunts aux livres de Moïse.

Mettons à part les livres de Moïse, que les chrétiens ont fait intervenir ici, comme ailleurs, par habitude d'esprit, en vertu de cette idée fixe que toute vérité venait nécessairement de la Bible. Mais toutes les autres traditions ont trouvé de sérieux défenseurs ; toutes se peuvent justifier par des textes et de bonnes raisons. Qu'est-ce à dire, sinon que les origines de l'Orphisme sont multiples ? Elles sont à la fois en Egypte, en Thrace, en Phrygie, en Crète, dans les loges pythagoriciennes. Ou plutôt, elles sont surtout en Grèce, dans cette Grèce du VIe siècle où fermentaient les esprits et les âmes, où s'éveillaient de nouvelles curiosités et des besoins nouveaux. La mythologie homérique et les vieilles religions nationales avaient pu suffire à des peuples jeunes, à ces tribus naïves de laboureurs et de soldats, de commerçants et de marins, qui façonnaient les dieux à leur image, et qui aimaient trop la bataille ou le gain pour s'inquiéter beaucoup des mystères de l'au-delà. Au VIe siècle, l'esprit grec s'ouvre à la philosophie, à la science, à la vie morale ; et, pour l'élite, c'en est fait de la belle sérénité d'autrefois, toute d'ignorance et d'insouciance. Désormais, à quiconque réfléchissait ou s'inquiétait, les religions officielles parurent bien sèches. On n'y trouvait aucune réponse aux deux questions qui de tout temps ont tourmenté la pensée consciente d'elle-même : explication du monde, destinée humaine. Et de nouvelles religions naquirent, des religions savantes, secrètes et libres, qui prétendaient apporter la solution, mais en la réservant à leurs adeptes. Les mystères sont nés, avant tout, du développement naturel des conceptions helléniques ; mais ils ont beaucoup emprunté à l'Orient, parce que, du côté de l'Orient, les Grecs étaient partout en contact avec des peuples de civilisation plus ancienne, qui s'étaient déjà posé les mêmes questions. L'Orphisme n'est que la plus savante, la plus philosophique, et, en principe, la plus pure de ces religions libres. Il est né du culte mystique de Dionysos, qui apparaissait alors dans la Grèce proprement dite et y avait l'attrait de la nouveauté. Parmi les adorateurs du dieu, il a recruté une élite. Dans sa doctrine et dans son rituel, il s'est développé suivant la loi de toutes les religions, empruntant aux traditions helléniques, aux mystères orientaux, aux cultes exotiques, aux philosophies, tout ce qui répondait à son idéal, théories, croyances, rêveries et pratiques.

Ainsi posé, le problème des origines de l'Orphisme prend un aspect nouveau. Quels sont au juste les emprunts au Pythagorisme, à la Crète, à la Phrygie, à la Thrace, à l'Egypte ? Il serait fort intéressant de le déterminer avec précision ; et malheureusement nous ne pouvons saisir que des détails ou hasarder une hypothèse. Mais ce n'est pas là l'essentiel. L'important serait de savoir exactement ce que l'Orphisme a fait de ces éléments d'emprunt, comment cette religion mystérieuse, née ou développée sur le sol de la Grèce, et recrutée dans l'élite des Hellènes, a pu satisfaire pendant des générations sa clientèle de choix, se renouveler plusieurs fois, et se survivre même quelque temps en face du christianisme. Or, il faut bien l'avouer, ni les débris de la littérature orphique, ni les nombreux témoignages de l'antiquité, ni les travaux des savants modernes ne nous donnent la clef de cette énigme.

A la question des origines se rattache celle des rapports de l'Orphisme avec les autres mystères. Certains savants ont aperçu partout le rayonnement de l'Orphisme, dans la religion comme dans la philosophie, dans la littérature, dans l'évolution morale, jusque dans l'art. Qu'il y ait des analogies entre les divers mystères, c'est évident ; et il n'y a pas lieu de s'en étonner, puisque tous sont nés des mêmes besoins. Qu'il y ait eu des emprunts, c'est probable ; et nous en avons même la preuve sur quelques points. Cependant, l'on doit se garder de conclure, d'une analogie, à un emprunt.

Les anciens avaient constaté des ressemblances entre l'Orphisme et les mystères des Cabires ; d'où la légende qui faisait d'Orphée un initié de Samothrace. De même, les traditions qui plaçaient en Crète, en Phrygie, en Egypte, les origines de l'Orphisme, prouvent que l'on remarquait des analogies entre les mystères orphiques et les mystères crétois, phrygiens ou égyptiens. La question est plus complexe en ce qui concerne le Pythagorisme, les mystères bachiques, et les mystères d'Eleusis.

On a signalé des rapports frappants entre l'Orphisme et le Pythagorisme : théories communes, vie ascétique, prescriptions semblables. Hérodote et Plutarque paraissent même identifier les deux doctrines. On racontait que Pythagore avait été initié à l'Orphisme.

C'est probablement une légende ; car rien ne prouve qu'il ait existé des confréries orphiques dès le temps où vivait le philosophe. Il est certain, au contraire, que le Pythagorisme a réagi sur l'Orphisme. Quand se disloquèrent les communautés pythagoriciennes, vers la fin du VIe siècle, beaucoup de leurs membres semblent s'être affiliés aux thiases orphiques. Ils y apportèrent naturellement leurs doctrines et leur goût des spéculations. Beaucoup des premiers ouvrages orphiques ont été écrits par des Pythagoriciens, Cercops, Brontinos, Zopyros, Arignoté, Persinos, et autres. Mais on exagère assurément, quand on prétend retrouver dans les Orphica la doctrine de Pythagore, à peine modifiée.

Entre l'Orphisme et les mystères bachiques, les rapports sont multiples. Les deux religions avaient été instituées également par Orphée ; elles honoraient le même dieu, Dionysos, tout en lui donnant des surnoms différents ; elles sont identifiées par Hérodote et par bien d'autres écrivains. Cependant, il n'est pas douteux que les mystères orphiques, réservés aux membres des confréries orphiques, aient été réellement distincts des autres mystères de Dionysos. On peut établir une première distinction entre les religions proprement dionysiaques, qui étaient des religions officielles, et les religions bachiques, qui étaient généralement des religions libres. Les premières consistaient surtout en cérémonies et en pratiques nettement réglementées ; dans les autres se donnaient carrière les initiatives individuelles, les dévotions extatiques, les transports divins, ou les spéculations théologiques. Dans le groupe même des religions bachiques l'Orphisme avait une physionomie à part. Tandis que les autres encourageaient les manifestations bruyantes, les extases, les courses échevelées des Bacchantes ou des Ménades, les mystères orphiques, plus recueillis et plus graves, donnaient la première place aux exposés de doctrine et à l'observance d'une vie ascétique. Ce caractère particulier de l'Orphisme, dans le groupe des religions dionysiaques et, bachiques, est comme symbolisé par la légende qui faisait d'Orphée, non pas le créateur, mais le réformateur des mystères bachiques : dans la grande Eglise populaire de Dionysos-Bacchos, les Orphiques formaient une Eglise mystique, une élite de dévots, pour qui l'essentiel était la doctrine, la pureté de la vie, la préparation à la mort et aux existences futures.

La question la plus controversée, et la plus embrouillée, est celle des rapports de l'Orphisme avec les mystères d'Eleusis. Les analogies sont évidentes : rituel du voyage aux Enfers, doctrine théologique, introduction à Eleusis du culte orphique de Dionysos Zagreus. D'après F. Lenormant et la plupart des savants, l'influence de l'Orphisme aurait été toute-puissante sur les mystères éleusiniens, qui auraient été complètement transformés par des Orphiques, surtout par la famille sacerdotale des Lycomides. On a contesté récemment ce rôle des Lycomides ; des inscriptions de Delphes semblent prouver au moins qu'ils n'ont pas pris la place des Kéryces dans l'office de la dadouchie. D'après d'autres savants, les affinités entre Eleusis et l'Orphisme s'expliqueraient simplement par l'imitation commune de l'Egypte. Les deux thèses paraissent exagérées. La plupart des analogies viennent de l'action des idées de temps, qui s'exerçait également sur tous les mystères. Mais, dans certains détails de la doctrine ou du rituel, les coïncidences sont si nettes qu'il est difficile de ne pas admettre des emprunts. C'était l'opinion des anciens. Au IVe siècle, les Athéniens considéraient Orphée comme le fondateur des mystères d'Eleusis. Longtemps après, Pausanias écrivait, à propos d'un détail du culte : «Celui qui a vu les mystères d'Eleusis ou qui a lu les livrses appelés orphiques, celui-là sait ce que je veux dire». Parmi les hymnes orphiques, figure une invocation à Déméter d'Eleusis. Nous croirions volontiers que emprunts ont été réciproques. Les Orphiques étaient avant tout des théologiens ; les mystères d'Eleusis, institution d'Etat, avaient surtout réglementé les pratiques. Il est donc naturel de supposer que l'Orphisme a exercé une action sur la doctrine d'Eleusis, et les mystères d'Eleusis sur le rituel des Orphiques.

Ce ne sont là que des hypothèses. Le fait certain, c'est que tous les mystères avaient beaucoup de traits communs, et que tous cependant avaient leur physionomie propre. Les analogies étaient assez importantes pour que des observateurs superficiels aient pu identifier les mystères orphiques avec les mystères égyptiens, crétois, phrygiens, bachiques ou éleusiniens. Entre toutes ces religions soeurs, l'Orphisme parait s'être distingué par la préoccupation constante des choses de l'au-delà, par la sévérité des prescriptions, surtout par le goût des spéculations théologiques. Il attirait surtout l'élite et s'obstinait à déchiffrer l'énigme du monde : par là, les mystères orphiques étaient vraiment les mystères entre les mystères.

II. La doctrine orphique

Religion libre, née de curiosités intellectuelles et d'inquiétudes morales, non point localisée dans un sanctuaire, mais partout répandue, accessible à tous par l'initiation, soumise à des influences diverses et forcément ouverte aux nouveautés, l'Orphisme, autant qu'une religion, a été une philosophie : une philosophie mobile, collective et anonyme, toujours en voie de transformation. Successivement, l'Orphisme s'est rapproché du Pythagorisme, du Platonisme, du Stoïcisme, du Néo-Platonisme, du Christianisme. Logiquement, si nos informations étaient moins incomplètes, on devrait distinguer autant de formes de la philosophie mise sous le nom d'Orphée, depuis l'Orphisme pythagoricien jusqu'à l'Orphisme chrétien. Malheureusement, à cause de l'insuffisance de nos données, on doit renoncer à appliquer systématiquement cette méthode historique. On doit se résigner souvent à étudier l'Orphisme en bloc, ce qui expose à bien des méprises : par exemple, le mythe de Phanès, qui tient tant de place dans nos Orphica, est presque sûrement une addition assez tardive.

La philosophie orphique a entrepris de répondre aux deux grandes questions qui tourmentèrent l'esprit grec depuis le VIe siècle : explication du monde et destinée de l'homme. Les Orphiques ont donc eu, d'une part, un système cosmogonique et théologique, d'autre part, une doctrine métaphysique sur l'âme.

Le système cosmogonique était exposé dans les poèmes qu'on appelait des Théogonies. Comme il évoluait de siècle en siècle, les Orphiques écrivirent successivement plusieurs Théogonies, dont nous possédons des fragments. La plus ancienne, connue sous le nom de Theogonia antiquissima, datait au moins du VIe siècle avant notre ère. D'après les fragments que lui attribue le dernier éditeur, elle aurait eu bien des rapports avec le système d'Hésiode. En voici le contenu. Au commencement régnait Nyx ou la Nuit. De Nyx naquirent Ouranos et Gaea ; d'Ouranos et de Gaea, Okeanos et Téthys ; d'Okeanos et de Téthys, les Titans, Kronos et Rhéa ; de Kronos et de Rhéa, Zeus et quelques dieux ; puis les autres dieux et les héros. Cette doctrine paraît bien sommaire, et bien peu orphique. Nous ne doutons pas que la Theogonia antiquissima ait renfermé autre chose, notamment les mythes d'Eros et de l'oeuf cosmique, peut-être aussi la légende de Zagreus, mise à la mode par Onomacrite.

Apollonios de Rhodes nous a conservé le résumé, d'ailleurs fort incomplet, d'une autre Théogonie. Orphée, dans le poème, chante les origines du monde. La terre, la mer et le ciel étaient confondus. La Discorde intervint, et ils se séparèrent. Le soleil, la lune, les étoiles, se fixèrent dans le ciel ; la terre prit sa forme. Le monde fut gouverné par Ophion et Eurynome, qui furent ensuite précipités dans l'Océan par Kronos et Rhéa, détrônés à leur tour par Zeus. Dans cette cosmogonie apparaissent deux traits nouveaux : le rôle de la Discorde (Neikos), souvenir d'Empédocle ; le mythe d'Ophion et d'Eurynome, dont on ignore la provenance.

Beaucoup plus caractéristique est la Théogonie dite d'Hellaniens et de Hieronymos, composée sans doute par deux Grecs de Phénicie vers la fin du IIe siècle avant notre ère. En voici l'analyse, d'après les fragments qu'on y rapporte. A l'origine, rien que de l'eau et du limon. De cette boue cosmique naît un dragon ailé à trois têtes, tête humaine, tête de lion, tête de taureau : c'est le Temps toujours jeune (Xronos agêraos), appelé aussi Héraklès. Le Temps s'unit à la Nécessité (Adrasteia ou Anagkê). De leur union sort l'oeuf cosmique, un oeuf gigantesque, qui bientôt se sépare en deux parties : la portion supérieure devient le ciel ; la portion inférieure forme la terre. De l'oeuf naît aussi un dieu à ailes d'or, dont la tête humaine est surmontée d'un dragon, et dont les flancs portent des têtes de taureau. Ce dieu est Protogonos ou Phanès, identifié avec Zeus ou Pan. C'est le créateur ou plutôt l'ordonnateur du monde. Cette cosmogonie était assurément très complexe. Des conceptions tout asiatiques, les monstres familiers des mythologies orientales, s'y mêlaient à des conceptions orphiques de divers âges, l'oeuf cosmique, les mythes de Phanès et de Protogonos.

La plus populaire et la plus complète des Théogonies orphiques était la Théogonie dite des Rhapsodes ou contenue dans les Rhapsodies : c'est aussi celle que nous connaissons le mieux, celle dont nous possédons ou à laquelle on attribue le plus grand nombre de fragments. Les savants modernes sont loin de s'entendre sur la date de cet ouvrage : les conclusions proposées vont du VIe siècle av. J.-C. au IIe siècle de notre ère. La divergence de ces conclusions vient sans doute d'un malentendu. Les fragments de la Théogonie des Rhapsodes nous ont été conservés surtout par les néo-platoniciens et les chrétiens, qui croyaient y trouver la vraie doctrine d'Orphée. La rédaction définitive de cet ouvrage paraît être d'époque assez basse. Mais les éléments essentiels du système peuvent être fort anciens, et remonter en partie jusqu'au vie siècle. Voici l'analyse sommaire de la Théogonie des Rhapsodes, d'après les fragments recueillis par le dernier éditeur. A l'origine était Chronos ou le Temps. Il produisit l'Ether et le Chaos, dont l'union eut pour résultat l'apparition de l'oeuf cosmique, un oeuf énorme en argent. De 1'oeuf sortit un dieu, qui avait de nombreuses têtes d'animaux : à la fois mâle et femelle, il contenait le germe de tout. Ce dieu était Phanès ; mais on lui donne aussi d'autres noms : Protogonos, Ericapaeos, Métis, Eros. Quand le dieu fut né, la partie supérieure de l'oeuf cosmique devint le ciel ; la partie inférieure devint la terre. Phanès régna sur l'univers. Il était le soleil du monde intelligible ; il créa le soleil du monde naturel, puis la lune. Il eut deux enfants : Nyx ou la Nuit, et le monstre Echidna. Nyx enfanta Ouranos et Gaea, dont naquirent les Titans, les Cyclopes, et autres êtres monstrueux. Un des Titans, Kronos, détrôna Ouranos, puis, à son tour, fut détrôné par son fils. Pour assurer son pouvoir, Zeus imagina de dévorer ou d'avaler Phanès, resté le grand dieu du monde intelligible. Il devint ainsi la divinité suprême et universelle ; sa volonté n'eut plus de limites que dans les arrêts de Diké ou de la Justice. Dans le reste de leur cosmogonie, les Orphiques suivaient le système d'Hésiode, en y mêlant quelques légendes nouvelles comme le mythe de Dionysos Zagreus, et en rapprochant, les uns des autres les principaux dieux jusqu'à les identifier entre eux et avec Zeus-Phanès, le dieu souverain.

Cette Théogonie des Rhapsodes, par le nombre et l'importance des fragments conservés, est évidemment la seule qui nous permette d'entrevoir dans leur ensemble les doctrines orphiques sur l'origine du monde. Mais, en même temps, elle risque de donner une idée fausse du véritable Orphisme, celui du Ve siècle. C'est une synthèse d'éléments très divers, de conceptions divergentes. On y voit s'étager, comme dans l'ordre des temps, les systèmes successifs de cosmogonie, où, tour à tour, le premier rôle avait appartenu à Chronos, à Nyx, à Eros, à Zeus, à Dionysos, à Protogonos, à Phanès. Pour concilier toutes ces théories, les Orphiques alexandrins ou gréco-romains ont imaginé de faire entrer ces premiers rôles d'autrefois dans une hiérarchie nouvelle, ou même de les identifier. Chronos garde sa place à l'origine des choses ; mais Nyx est rajeunie, et devient la fille de Pbanès ; l'antique Eros, Protogonos, et bien d'autres, disparaissent dans l'ombre du même Phanès, dont ils ne sont plus que des formes ou des noms ; Zeus, pour éviter des compétitions possibles, avale son ancêtre Manès ; Dionysos Zagreus, assimilé lui-même à Phanès, à Protogonos, à Eros, n'est qu'une autre incarnation de Zeus, son représentant dans le monde des Orphiques, le dépositaire de son pouvoir. Voilà, sans doute, d'ingénieuses combinaisons ; mais il est probable que Pindare, même Euripide ou Platon, auraient peine à y reconnaître l'Orphisme de leur temps. Nous ne pouvons aujourd'hui qu'entrevoir ces altérations ou transformations successives ; nous ne saurions marquer nettement les étapes de l'évolution. La Théogonia antiquissima, dont nous avons seulement quelques débris, est trop incomplète ; la Théogonie des Rhapsodes est trop complexe, trop encombrée d'éléments hétérogènes. Du bloc des Orphica on peut tirer seulement des indications générales, non point sûres, mais vraisemblables, sur le développement de la cosmogonie orphique : au début, elle ne devait guère s'écarter du système d'Hésiode ; puis elle s'est attachée au mythe d'Eros et de l'oeuf cosmique ; elle a adopté, au temps de Pisistrate, la légende de Dionysos Zagreus ; plus tard, elle a reçu le mythe de Phanès ; enfin, est venu l'âge alexandrin et gréco-romain, période de syncrétisme, où l'on s'est efforcé surtout de recueillir, pour les concilier ou les fondre, toutes les théories antérieures.

La théologie de l'Orphisme n'est pas moins confuse que sa cosmogonie. Elle oscille de la mythologie au symbolisme, du polythéisme au monothéisme.

Rien de plus bigarré que le panthéon des Orphiques. Ils conservèrent naturellement les principaux dieux des cultes officiels, surtout Zeus, Dionysos, Hadès, Déméter et Perséphone. Ils remirent en honneur quelques vieilles divinités que délaissait un peu la piété populaire : par exemple, Nyx, Ouranos, Gaea, Téthys, Chronos, les Corybantes, les Curètes ou Pan. Ils développèrent ou modifièrent certains mythes, comme la naissance de Perséphone et l'histoire de son enlèvement par Hadès, comme les aventures de Déméter ou Déo à Eleusis, où l'on substitua Baubo à Iambé, comme le voyage de Déméter aux Enfers.

Enfin, les Orphiques adoptèrent de nouveaux dieux, surtout le Zagreus des Crétois et des Phrygiens. Suivant la légende, Zeus avait eu de Déo ou Déméter une fille nommée Perséphone. Un jour, sous la forme d'un serpent, il se glissa près de Perséphone, et la viola. De cette union naquit Zagreus, le dieu chasseur à tête de taureau. Zeus le confia à Apollon et aux Curètes ; il le prit en grande amitié ; il le faisait asseoir sur son trône et lui confiait ses foudres. Héra, jalouse, excita les Titans contre le jeune dieu. Les Titans surprirent Zagreus, s'approchèrent de lui en lui montrant des jouets, puis le tuèrent, le coupèrent en plusieurs morceaux qu'ils firent bouillir et dévorèrent. Le coeur seul échappa, et fut recueilli par Pallas. Zeus, prévenu par Hécate, foudroya les Titans, et chargea Apollon d'ensevelir le coeur de Zagreus à Delphes, sous le trépied ou l'Omphalos : autour de ce cour se développa une vie nouvelle, et Zagreus ressuscita. Suivant une autre tradition, Zeus fit dissoudre le coeur dans un breuvage, qu'il but lui-même ou fit boire par Sémélé ; et Zagreus reparut sous la forme du Dionysos thébain. Ce mythe, d'origine crétoise ou phrygienne, fut, dit-on, introduit dans l'Orphisme par Onomacrite. Il y prit vite une place prépondérante. Dionysos Zagreus devint la divinité principale des Orphiques. On l'identifia avec le dieu suprême des cosmogonies ou des mythologies, avec Zeus et Hadès, avec Manès et Protogonos, avec Antaugés, Eros, Métis, Ericapaeos et Eubouleus. On fit de lui un autre Zeus, qui tenait de son père l'empire du Ciel, de sa mère l'empire des Enfers : symbole de la vie universelle, personnification divine et sensible de l'âme du monde.

Non contents de transformer les mythes en symboles, les Orphiques inventèrent ou adoptèrent des dieux tout abstraits, sans légende, sans figure, sans personnalité, simples expressions métaphysiques de leurs conceptions cosmogoniques. De ce nombre étaient quelques-uns de leurs dieux les plus vénérés : l'Eros cosmique, Protogonos, Antaugès, Eubouleus, Ericapaeos, Ilippas, Métis, Misé, Mnémosyne, Phanès. Il suffit de considérer l'étymologie de tous ces noms, pour s'apercevoir que ce sont de purs symboles, sans consistance ni réalité concrète. On a simplement divinisé des termes de métaphysique.

Ce panthéon des Orphiques, très complexe et très incohérent, est donc un singulier amalgame de divinités populaires et personnelles, de divinités exotiques, de divinités archaïques à demi allégoriques, et de divinités franchement symboliques. Si l'on en jugeait par le nombre des dieux dont nous connaissons les noms, la théologie orphique aurait abouti à un polythéisme renforcé. En fait, dans les récits mythologiques, par exemple, dans l'histoire des aventures de Zeus ou de Dionysos, ou de Déméter ou de Perséphone, les dieux populaires conservaient leur personnalité distincte ; on entrevoit qu'il en était de même, pour les dieux de toute sorte, dans les parties les plus anciennes des Théogonies. Mais, de plus en plus, dans l'enseignement des Orphiques, les dieux tendirent à se confondre tous, au moins les dieux principaux, ceux qui avaient joué un rôle dans la formation du monde. Des témoignages précis prouvent que l'on identifiait Zeus avec Eros, avec Hadès, avec Phanès, avec Protogonos, avec Dionysos Zagreus ; en réalité, pour les théologiens des confréries, tous ces soi-disant dieux orphiques n'étaient que des noms différents, ou des formes variées, ou des incarnations successives d'un même dieu. Du chaos de la mythologie orphique se dégageait une sorte de monothéisme, ou plutôt un demi-panthéisme, où le dieu souverain symbolisait la vie universelle. Cette doctrine se résumait en formules expressives comme celle-ci : «Zeus est un, Hadès est un, Hêlios est un, Dionysos est un ; il y a un seul dieu en toutes choses» ; ou encore : «Zeus est le premier, Zeus à la foudre éclatante est le dernier ; Zeus est la tête, Zeus est le milieu ; tout vient de Zeus». Parfois, la théologie orphique semble incliner à la dualité divine, même à la conception d'une trinité mystique : Eros, Dionysos, Protogonos, sont qualifiés de diphuês ; Dionysos est appelé triphuês, trigonos, le dieu aux trois naissances, aux trois natures, par allusion, sans doute, au triple mythe de Zagreus, du Dionysos thébain, et du Dionysos infernal. Il est vrai que ces qualifications se trouvent dans des poèmes de date assez basse. Augustin songeait probablement à des textes orphiques de ce genre, quand il félicitait Orphée d'avoir connu la doctrine du Verbe, la distinction du Père et du Fils.

La théologie orphique, telle qu'elle se présente à nous dans les Orphica et dans les analyses des auteurs anciens, est donc incohérente. Elle juxtapose des conceptions très diverses, même contradictoires. Elle flotte entre la mythologie traditionnelle ou exotique, l'allégorisme et le symbolisme, entre le polythéisme vulgaire, le monothéisme, et le panthéisme. Mais nous avons tout lieu de croire que cet amalgame est, en grande partie, l'oeuvre du syncrétisme alexandrin, et que les vrais Orphiques avaient mis plus d'ordre et de logique dans leur idéal divin. En outre, on ne doit pas oublier que l'Orphisme se composait de confréries indépendantes, isolées, soumises à des influences variées ; rien ne prouve que toutes aient eu exactement le même panthéon. De plus, les divers dieux ont été sans doute introduits dans le monde orphique à des époques différentes : il suffit de rappeler l'initiative d'Onomacrite inaugurant la religion de Zagreus, ou l'histoire de Zeus avalant Phanès pour réconcilier deux systèmes cosmogoniques. Enfin, tous les membres d'une même confrérie n'avaient pas nécessairement la même conception de la divinité. La plupart des initiés devaient s'en tenir à un demi-polythéisme, en accordant la première place aux dieux particuliers de l'Orphisme ; seuls, les théologiens ou les esprits d'élite, sous l'influence de la philosophie, devaient viser consciemment au monothéisme. La théologie de nos Orphica est donc un amas confus de conceptions et de croyances, qui ont varié selon les temps, les pays ou les personnes. Nous ne pouvons guère distinguer aujourd'hui ce qui appartient à chaque génération, à chaque contrée, à chaque groupe de théologiens.

Ce qui attirait surtout les prosélytes, c'était la préoccupation de la destinée humaine. Aussi la plupart des initiés devaient s'intéresser principalement à la doctrine sur l'âme. Sur ce point, les enseignements de l'Orphisme paraissent avoir été beaucoup plus précis, plus uniformes, et moins variables.

Les Orphiques croyaient à la nature divine de l'âme, et à une déchéance, à un péché originel. L'âme, créée par les dieux, avait d'abord vécu au ciel ; elle avait été exilée à la suite d'un péché, le palaion penthos dont parle Pindare, les megala amartêmata auxquels fait allusion Jamblique. Nous ne savons en quoi consistait cette faute. D'après l'explication vulgaire, l'homme était né du sang des Titans, meurtriers de Zagreus ; de par sa naissance, il était l'ennemi des dieux ; mais, en même temps, il avait en lui quelque chose de divin, qu'il tenait des Titans. Outre la souillure commune à tout être humain, on admettait une souillure particulière et héréditaire dans certaines familles. En expiation du péché originel, l'âme a été condamnée à la vie terrestre ; elle a été emprisonnée dans un corps, qui est comme son tombeau (sêma).

Pourtant, elle est immortelle. Elle tend d'instinct, ou doit tendre, à retrouver sa pureté primitive. Quand elle y est parvenue, elle est transportée au ciel ou dans les Iles Fortunées. En attendant, elle est condamnée à passer de corps en corps, même dans des corps d'animaux, par une série d'incarnations (ensômatôseis). C'est ce qu'on appelait le «cercle de génération». L'âme doit chercher à s'affranchir des liens du corps, à secouer le joug du péché ; elle n'y peut réussir que par l'initiation, les purifications et la piété, les extases, les jeûnes, l'observance des rites et d'un régime particulier.

Quand viendra l'heure de la mort, l'âme de l'initié saura se guider aux Enfers, grâce aux instructions du rituel funéraire et aux formules qu'elle aura apprises. Elle évitera la source du Léthé, où les profanes ont l'imprudence de se désaltérer ; elle ne boira qu'à la source vivifiante de Mnémosyne. Elle répétera les paroles qui désarment les dieux infernaux et leur permettent de reconnaître les initiés. Si elle est complètement purifiée, elle trouvera grâce devant Dionysos-Hadès et devant Coré-Perséphone ; elle sortira du «cercle de génération» pour se mêler aux héros, pour retourner près des dieux et devenir elle-même une divinité. Si elle n'a pas encore effacé la tache originelle, elle devra recommencer une nouvelle vie terrestre ; et, en attendant, elle séjournera aux Enfers. Mais, pendant cet intervalle entre deux existences, l'âme de l'initié sera déjà privilégiée. Dans de belles prairies et dans les bois sacrés de Perséphone, elle mènera une vie calme et pure, égayée de conversations et de jeux, en compagnie des dieux souterrains. Au contraire, les profanes seront plongés dans un bourbier, au milieu des ténèbres. Les criminels seront relégués au fond du Tartare, et sans doute torturés par des démons ; ou bien, comme les Danaïdes, ils seront condamnés à puiser sans cesse de l'eau dans un crible. D'ailleurs, ces peines infernales, comme les récompenses des initiés, ne sont que relatives et temporaires : le vrai châtiment est dans le retour indéfini aux existences terrestres, comme la vraie félicité est dans le retour au ciel après expiation complète.

Telle était la doctrine orphique, autant que nous la pouvons reconstituer aujourd'hui. Les principaux traits étaient la tendance au monothéisme ou au panthéisme, le goût du symbole, la conception d'un idéal de pureté et de bonheur divin, le principe d'une destinée différente pour les initiés et pour les profanes. On a souvent exagéré l'action de l'Orphisme sur les autres mystères, sur la philosophie, sur la littérature, sur le progrès moral, sur toute la vie hellénique. Rien ne prouve que cette action ait été décisive ; tout fait supposer, au contraire, qu'elle ne s'est guère étendue en dehors du cercle des initiés ou d'une élite intellectuelle. L'Orphisme n'a jamais été populaire ; il était trop abstrait pour cela, trop philosophique, trop symbolique. Aux mystères d'Eleusis, il a peut-être emprunté plus de rites qu'il ne leur a apporté de mythes et de doctrines. On lui a attribué le développement du culte de Dionysos ; c'est de ce culte, au contraire, qu'il parait être né. On ne voit pas qu'il ait beaucoup contribué à enrichir ou modifier les traditions et les religions vulgaires : tout au plus peut-on relever quelques détails, comme le nom de ce Manès qui, suivant la légende, avait inauguré à Phlionte le culte de Dionysos Lysios. C'est seulement chez des philosophes et des poètes que l'influence de l'Orphisme est bien visible. Les derniers Pythagoriciens s'enrôlèrent volontiers dans les confréries orphiques, dont les doctrines ont également séduit Pindare, Euripide, surtout Platon et les Néo-Platoniciens. L'Orphisme parait avoir contribué à répandre en Grèce une nouvelle conception des Enfers, et à orienter les esprits éclairés vers le monothéisme ou le panthéisme.

III. Les confréries orphiques : organisation, culte et rituel funéraire

Ce que nous connaissons le moins, c'est l'organisation intérieure et matérielle de l'orphisme. Un fait certain, c'est qu'il a eu des ramifications dans tout le monde grec, depuis le VIe siècle avant notre ère jusqu'au début de la période byzantine. Mais comment se groupaient ses adeptes ? Naguère on parlait couramment d'une grande secte orphique, presque un ordre religieux, qui aurait enserré l'Orient hellénique dans un réseau de communautés étroitement liées entre elles.

Rien absolument n'autorise cette hypothèse. On constate seulement l'existence d'associations particulières, de thiases, qui avaient pris Orphée pour patron, et qui suivaient les règles de la vie orphique ; peut-être aussi, de prêtres indépendants, qui se recommandaient du nom d'Orphée pour évangéliser ou exploiter le public.

Sur ces thiases mêmes, nous sommes très mal renseignés ; et il est probable que l'organisation en a été assez différente suivant les pays ou les temps. Vers la fin du Ve siècle, nous voyons qu'une de ces confréries, sans doute celle d'Athènes, avait un prêtre (iereus), et qu'on n'y était pas admis sans une initiation en règle. Le philosophe Antisthène se fit initier aux mystères orphiques ; le prêtre lui vantait le bonheur qui, dans l'Hadès, attendait les initiés : «Pourquoi donc ne meurs-tu pas tout de suite ?» lui répondit Antisthène. Les initiés, comme dans les autres mystères, s'appelaient mystes (mustês) ; dans les cérémonies, ils portaient aussi le nom mystique de Bacchus. Les inscriptions orphiques de la Grande Grèce, qui datent du IVe ou du IIIe siècle avant notre ère, nous fournissent quelques renseignements sur les confréries locales. Là, les initiés s'appelaient les Purs (katharoi), ou les Saints (euageis). Plusieurs de ces thiases paraissent avoir eu pour devise la formule énigmatique «Eriphos es gal'epeton», ce qui signifiait sans doute : «Chevreau, j'ai bu le lait». La plupart des Hymnes orphiques que nous possédons ont été composés presque sûrement pour le rituel d'une confrérie, vers le début de l'ère chrétienne. Ils contiennent une série d'indications sur les titres que portaient les initiés ou leurs prêtres : laoi, mustai, mustipoloi, neomustai, neoi iketai, mustês neophantês, orgiophantai, boukolos. Suivant quelques érudits, on devrait considérer comme un thiase orphique la confrérie athénienne des Iobacchoi, connue par une inscription du temps d'Hadrien ; dans ce document, qui renferme de curieux détails sur le règlement, le personnel et le culte de l'association, figure un dieu nominé Proteurythinos, que l'on a proposé d'identifier soit avec Orphée, soit avec Protogonos. Mais ce n'est là qu'une hypothèse ; rien ne prouve que l'inscription se rapporte à un thiase orphique.

On a vu que les membres des confréries italiotes s'appelaient eux-mêmes les Purs, les Saints (katharoi, euageis). Ces termes, ou d'autres analogues (osios, euieros, agnos), reparaissent sans cesse dans les hymnes orphiques. C'est que les initiés devaient se soumettre à un régime particulier, conforme à leur idéal de pureté ; c'est ce qu'on appelait la «vie orphique» (orphikos bios), la «vie sainte» (agnos bios). Ce genre de vie est celui qu'Euripide attribue à Hippolyte. Thésée dit à son fils : «Maintenant glorifie-toi, interdis-toi hypocritement la chair des animaux, proclame Orphée ton maître, et mène la vie bachique, honore la fumée de tous ces livres» (Eurip. Hipp. 951)

Nous connaissons quelques traits du règlement qui fixait ce régime. Les initiés portaient des vêtements blancs, symbole de pureté et de chasteté. Ils se purifiaient sans cesse et cherchaient à provoquer des extases qui les mettaient en rapport direct avec la divinité. Ils s'interdisaient des sacrifices sanglants. Ils suivaient un régime végétarien, ne touchaient point à la chair des animaux, ni même aux fèves, ni peut-être au poisson ou aux oeufs. Enfin, ils proscrivaient l'emploi des étoffes de laine pour l'ensevelissement des corps, et, sans doute aussi, pour les cérémonies religieuses.

Nous ne savons presque rien de précis sur le culte. Les cérémonies d'initiation étaient dirigées par un prêtre ; elles devaient ressembler à celles des autres mystères, notamment à celles du culte de Sabazios, que décrit Démosthène. Le culte était secret ; il constituait de véritables mystères (mustêria, teletai, orgia). Comme nous l'avons vu en étudiant le système théologique et cosmogonique, les dieux orphiques étaient fort nombreux. Chacun d'eux, évidemment, avait droit à sa part d'hommages ; mais ils pouvaient être honorés par groupes, d'autant mieux que beaucoup d'entre eux se confondaient dans l'unité du dieu suprême. Quoi qu'il en soit, les inscriptions orphiques d'Italie mentionnent toute une série de divinités, Phanès, Protogonos, Euklès, Eubouleus, Dionysos, Perséphone, Mnémosyne, Gaea, Ouranos. D'après le recueil des Hymnes orphiques qui nous sont parvenus, et qui ont été composés probablement pour les cérémonies d'un thiase, nous pouvons juger encore de la variété un peu incohérente du panthéon de cette confrérie. Mais il est à croire que partout l'on honorait principalement Zagreus, avec qui l'on identifiait d'ailleurs la plupart des autres dieux. On voit par les Hymnes avec quelle facilité les noms des autres divinités devenaient des épithètes ou des surnoms du Dionysos infernal. Ajoutons que les Hymnes mentionnent une fête collective en l'honneur de tous les dieux.

Les cérémonies principales, les mystères proprement dits, se célébraient la nuit. Voici, semble-t-il, les éléments essentiels de ces mystères : une série de purifications et de prières, notamment une prière en forme d'hymne où un prêtre implorait pour toute l'assistance la protection des dieux ; des sacrifices non sanglants et des libations (thuêpoliê, spondê, loibai, epiloibai) ; la révélation ou la représentation de légendes sacrées, comme le mythe de Zagreus, l'enlèvement de Perséphone, ou la descente dans l'Hadès (ieroi logoi) ; enfin, le rite de l'omophagie et la révélation des formules liturgiques qui devaient guider l'âme aux Enfers.

L'omophagie était l'un des rites du culte dionysiaque, surtout du culte de Zagreus ; elle consistait à dépecer un taureau vivant et à en manger la chair crue. Elle était probablement originaire de Crète. Elle présente un étrange contraste avec les autres prescriptions de la vie orphique, toute d'abstinence ou de pureté. On ne sait si elle fut introduite dans le culte dès le VIe siècle, au moment où Onomacrite popularisa le mythe de Zagreus. En tout cas, elle devait être en usage au Ve siècle, d'après les allusions qu'y font Euripide et Aristophane. Quelques passages des Hymnes orphiques font supposer qu'elle était encore pratiquée vers le début de l'ère chrétienne. Pour les Orphiques, le taureau dévoré en commun paraît avoir été une représentation symbolique du dieu lui-même, de Zagreus mis en pièces par les Titans, peut-être aussi d'Orphée déchiré par les Ménades ; en mangeant les chairs crues du taureau, on s'identifiait avec le dieu, on entrait en communion avec Zagreus.

Après le rite de l'omophagie, l'élément principal des mystères devait être la révélation des formules sacrées ou magiques qui permettraient aux initiés de se guider dans leur voyage aux Enfers, et de se faire reconnaître par les dieux infernaux. Quelques-unes de ces formules nous sont connues par une curieuse série d'inscriptions métriques, gravées sur des lamelles d'or, qui ont été découvertes dans des tombeaux, et qui résument les instructions données au mort sur la route à suivre ou les paroles à prononcer. La plupart de ces inscriptions datent du IVe ou du IIIe siècle avant notre ère, et ont été trouvées dans l'Italie méridionale, aux environs de Petilia et de Thurii.

Trois autres tablettes, qui reproduisent d'ailleurs une même formule, proviennent de la nécropole d'Eleutherna, en Crète et ont été gravées sous l'Empire romain, sans doute au temps des Antonins. Une dernière tablette, du Ier ou du IIe siècle de notre ère, vient d'être découverte près de Rome, dans la tombe d'une femme nommée Caecilia Secundina.

Il est à remarquer que toutes ces tablettes, de provenances et de dates si diverses, reproduisent intégralement ou en abrégé les mêmes formules, empruntées évidemment à un rituel funéraire. L'étude comparée des inscriptions prouve que ce rituel a été employé dans des régions bien différentes et pendant bien longtemps, au moins depuis le IVe siècle avant notre ère jusqu'au IIe siècle de notre ère. C'était certainement un rituel orphique, comme le montrent l'identité des doctrines sur l'autre vie, surtout les noms des divinités qui figurent dans les inscriptions, et les ressemblances des formules trouvées dans les tombes avec certains passages des Hymnes ou des fragments orphiques.

L'une des inscriptions n'a pu être déchiffrée complètement, et paraît contenir un grimoire inintelligible, où l'on relève seulement des noms de divinités orphiques. Les autres tablettes forment deux groupes assez distincts, qui correspondent à deux étapes du voyage infernal.

Les documents du premier groupe renferment des instructions sur la route à suivre et la conduite à tenir lors de l'arrivée aux Enfers. En entrant dans l'Hadès, l'âme apercevra à sa gauche, près d'un cyprès blanc, une source qu'elle devra éviter avec soin, la source du Léthé. Elle se dirigera à droite vers une autre fontaine, aux eaux fraîches, la fontaine de Mnémosyne. Elle y trouvera des gardiens. Elle leur dira : «Je suis fille de la Terre et du Ciel étoilé. J'ai une origine céleste, sachez-le vous aussi. Je suis desséchée par la soif, je meurs de soif ; tout de suite, donnez-moi de cette eau fraîche qui sort du lac de Mnémosyne». Alors les gardiens lui permettront de boire à la source divine ; elle pourra obtenir de régner avec les héros, de devenir elle-même une divinité.

Les inscriptions du second groupe indiquent au mort comment il doit se présenter devant les dieux infernaux, et quel langage il doit leur tenir. Il leur dira : «Je viens de chez les Purs, reine pure du monde souterrain, et vous, Euklès, Eubouleus et autres dieux immortels ; moi aussi, je me flatte d'appartenir à votre race bienheureuse. Mais j'ai été dompté par la Moire et les autres dieux immortels.... Je me suis échappé du terrible cercle de douleur, et, de mes pieds rapides, je me suis élancé vers la couronne désirée. Je me suis réfugié dans le sein de Despoina, reine du monde souterrain». Perséphone répondra : «Heureux, bienheureux, de mortel tu deviendras dieu». Dans chacun des deux groupes, les formules présentent des variantes ; elles sont plus ou moins complètes, plus ou moins développées ; parfois, elles sont si abrégées, qu'elles tournent au grimoire magique et prennent des airs d'amulettes. Mais elles se rapportent sûrement à un même rituel, qui datait au moins du IVe siècle avant notre ère, et dont l'usage s'est répandu dans les confréries de l'Italie méridionale, de Rome, de Crète, et probablement de bien d'autres pays. Ce rituel résumait les prescriptions relatives au voyage des Enfers. Les fragments conservés par les inscriptions nous renseignent assez de précision sur la partie des mystères orphiques où l'on révélait aux initiés les formules secrètes, et où on leur donnait les instructions nécessaires pour l'autre vie.

IV. L'orphisme alexandrin et gréco-romain

Jusqu'ici, nous avons eu principalement en vue l'Orphisme primitif, proprement hellénique, celui qui s'est développé, dans les pays grecs, du VIe au IVe siècle. Mais l'Orphisme a eu la vie longue. Depuis le IVe siècle, il s'est répandu en Orient et en Occident, non sans subir beaucoup d'altérations ou de transformations. Religion libre, ouverte à tous, sous réserve d'une initiation préalable, philosophie mystique, sans défense contre les imaginations et les rêves de ses adeptes, l'Orphisme s'est déformé dans deux directions différentes : dans le sens du charlatanisme, et dans le sens des spéculations panthéistiques.

Dès le temps de Platon, bien des charlatans se réclamaient de l'Orphisme. C'étaient les Orphéotelestes (orpheotelestês), soi-disant initiateurs aux mystères orphiques, souvent confondus avec les Métragyrtes, les adorateurs de Sabazios ou autres dieux orientaux. Les plus effrontés, prêtres ou devins mendiants, se promenaient avec un âne qui portait leurs ustensiles sacrés, traînant partout une liasse de leurs livres saints, promettant une expiation facile pour les crimes des vivants et des morts, exploitant par tous les moyens les superstitions populaires. Les plus avisés restaient chez eux, attendant les clients, qui ne manquaient pas : le Superstitieux de Théophraste va chaque mois, avec sa femme et ses enfants, consulter un Orphéotéleste (Théophr. Char.16).

Ces pieux industriels se donnaient surtout pour des purificateurs de consciences ; mais ils pratiquaient aussi la divination, le prophétisme, l'exégèse des oracles. Ils avaient d'autant plus de succès, que leur enseignement et leurs prétentions étaient, en apparence, assez conformes à la véritable doctrine orphique. Ils faisaient appel aux mêmes livres sacrés ; ils admettaient également le péché originel, le bonheur futur des initiés, le châtiment des incrédules. Ils n'en faussaient pas moins la doctrine en cherchant à l'exploiter ; ils ne demandaient aux coupables aucun effort, n'exigeaient d'eux que des pratiques et des honoraires ; ils se chargeaient, au besoin, de punir les ennemis de leurs clients. Ils abusaient tant des formules magiques, que, pour bien des gens, orphisme devint synonyme de magie, et que l'on attribuait à Orphée de véritables recettes magiques. On devine ce que devenait l'Orphisme entre les mains de ces charlatans et de leurs dupes. Même pour beaucoup de vrais initiés, le principal attrait du Paradis orphique était dans la perspective des joyeux banquets et de l'ivresse perpétuelle des élus.

Depuis le IVe siècle, l'Orphisme ne s'altéra pas moins dans sa doctrine, sous l'influence des écoles philosophiques, surtout du syncrétisme alexandrin. De ces influences, nous avons surpris bien des traces dans le système cosmogonique, dans la théologie, dans le panthéon. Pour voir le syncrétisme à l'oeuvre, il suffit d'ouvrir le recueil des Hymnes, où se rencontrent tant de dieux d'origines si diverses, et où se heurtent tant de conceptions opposées. La philosophie orphique des derniers temps présente bien des analogies avec le Stoïcisme, le Néo-Pythagorisme, ou le Néo-Platonisme ; elle inclina de plus en plus vers le panthéisme et le mysticisme.

Il a existé des confréries orphiques jusque sous l'Empire romain. Lactance semble dire que, de son temps, elles célébraient encore des mystères. En tout cas, nous avons des preuves indirectes de la persistance de ces thiases. La société athénienne des Iobacchoi, au IIe siècle de notre ère, si elle ne se rattachait pas directement à l'Orphisme, en avait du moins subi l'influence. Vers le même temps, la ville d'Eleutherna, en Crète, renfermait certainement une confrérie orphique, comme le montrent les inscriptions liturgiques sur laines d'or qui ont été trouvées dans la nécropole. A l'époque romaine appartient aussi le thiase orphique pour lequel ont été composés les Hymnes.

A Rome même, sous les premiers empereurs, nous constatons l'existence d'une confrérie analogue ; à cette société était affiliée Caecilia Secundina, dont la tombe nous a conservé l'une des tablettes orphiques. On retrouve d'ailleurs le nom d'Orphée jusque dans la topographie de l'ancienne Rome. Dans la cinquième région, on voyait une fontaine connue sous le nom de Locus Orphei. D'après une description de Martial (X, 19, 6), c'était une fontaine monumentale, située en haut de Subura. Elle était entourée de marches et d'un mur demi-circulaire, qui lui donnait l'aspect d'un théâtre ; au sommet se dressait une statue d'Orphée, charmant des bêtes sauvages et des oiseaux. Le Lacus Orphei paraît avoir donné son nom au quartier environnant. Une inscription mentionne les Orfienses ; c'étaient sans doute les habitants d'un vicus Orphei, voisin de la fontaine. Et ce nom s'est conservé, à travers le moyen âge, dans celui de plusieurs églises bâties près des Thermes de Trajan : S. Agata in Orfea, S. Lucia in Orfea, S. Martino in Orfea.

Le souvenir d'Orphée et de l'Orphisme est resté vivant dans le monde gréco-romain. En Italie, en Afrique, en Gaule, dans tout l'Occident, on a trouvé d'innombrables mosaïques qui représentent Orphée charmant les animaux. Virgile s'est inspiré des conceptions orphiques dans sa description des Enfers. Lucain avait composé un poème sur le même sujet, Orpheus Catachthonius. Il n'est guère de poètes qui n'aient parlé d'Orphée ; au début du Ve siècle, dans ses Dionysiaques, Nonnos met en vers les légendes et les enseignements orphiques.

La littérature orphique elle-même suffirait à prouver la survivance de la doctrine. La majorité des poèmes conservés ou connus, les Argonautica, les Hymnes, les Lithica, bien d'autres ouvrages, datent de la période alexandrine ou de la période gréco-romaine ; quelques-uns, du IVe siècle de notre ère. La plupart des renseignements sur l'Orphisme nous viennent des érudits de l'époque romaine ou byzantine, surtout des commentateurs de Platon et d'Aristote. Les Néo-Platoniciens, notamment Proclus et Jamblique, doivent beaucoup à l'Orphisme, dont ils exposent volontiers les théories pour les adopter ou les discuter ou les concilier avec d'autres systèmes.

L'influence sur le Christianisme n'est pas moins certaine, non seulement sur les sectes gnostiques, mais sur le Christianisme orthodoxe des premiers siècles. La figure d'Orphée, aux Catacombes, devint l'un des symboles du Christ ; on admit que le vieil aède s'était inspiré des livres de Moïse, et qu'il avait entrevu la vérité divine. Par là, se trouvait sanctifiée toute la littérature orphique. Elle est familière à saint Justin, à Clément d'Alexandrie, à Lactance, à saint Augustin ; d'autres ne se gênèrent pas pour l'enrichir de leurs interpolations. En fait, comme l'ont remarqué les apologistes chrétiens, il y a bien des points communs entre le Christianisme et l'Orphisme, au moins l'Orphisme néo-platonicien de leur temps : unité divine, doctrine du Verbe, péché originel, nécessité d'une purification, exhortation à la pureté et à la chasteté, préoccupation de l'autre vie, conception du Paradis, rapport du refrigerium avec la source de Mnémosyne. Par l'intermédiaire du Néo-Platonisme, l'Orphisme a exercé une action sur le Christianisme des premiers âges.

V. Littérature orphique

De l'orphisme est sortie toute une littérature poétique, à la fois cosmogonique, théologique, mythologique et liturgique. Cette littérature, née des besoins de l'enseignement et du culte, n'a cessé de se développer et de se renouveler pendant plus de mille ans, depuis le VIe siècle av. J.-C. jusqu'au IVe siècle de notre ère. Nous ne possédons plus que trois ouvrages complets, les Argonautica, les Lithica, le recueil des Hymnes, et de nombreux fragments d'autres ouvrages. Des listes de livres orphiques ont été dressées par Clément d'Alexandrie, Suidas, Lascaris.

Tous ces ouvrages étaient mis sous le nom d'Orphée, et étaient considérés comme authentiques par la plupart des anciens. Cependant, tout le monde n'acceptait pas cette attribution. Aristote parait avoir douté de l'existence d'Orphée. On répétait couramment que certains poèmes étaient l'oeuvre d'Onomacrite, de Cercops ou d'autres Pythagoriciens. La littérature orphique avait même été l'objet de divers travaux critiques. Les plus anciens livres orphiques sur lesquels nous ayons quelques renseignements précis, dataient du VIe siècle avant notre ère ; ils furent composés en Attique, quelques-uns peut-être en Béotie ou en Sicile. Suivant une tradition assez vraisemblable, Onomacrite, éditeur des Oracles de Musée, recueillit les ouvrages antérieurs attribués à Orphée, et en forgea d'autres ; c'est lui aussi qui mit en honneur la légende de Zagreus.

Phérécyde s'occupa également des poèmes orphiques. Plusieurs Pythagoriciens, Cercops, Arignoté, Brontinos, Persinos, Zopyros, mirent sous le nom d'Orphée quelques-uns de leurs livres. Dès la fin du Ve siècle, l'Orphisme avait déjà une assez riche littérature. Platon parle de poèmes orphiques débités par des rhapsodes, de rituels qui circulaient sous les noms d'Orphée et de Musée, de divers ouvrages dont il cite des fragments.

Au IVe siècle, la famille sacerdotale des Lycomides parait avoir précisé ou complété le rituel orphique. Le péripatéticien Eudémos recueillit et édita l'une des Théogonies. Enfin, il n'est pas douteux que divers poèmes dits orphiques aient été composés ou interpolés par des Alexandrins, des Néo-Platoniciens, des Juifs ou des Chrétiens.

Paul Monceaux