(Kuklios choros). - Le choeur cyclique est celui qui était chargé d'exécuter le dithyrambe [Dithyrambus] ; il a, par conséquent, la même origine et la même histoire que ce genre poétique. Arion (vers 628 avant J.-C.) est l'inventeur du dithyrambe et du choeur cyclique, ou du moins c'est lui qui leur donna une forme définitive et acceptée par les poètes qui suivirent ; il y a là une tradition fort ancienne sur laquelle nous aurons à revenir à propos du dithyrambe. La forme métrique des poésies chantées en l'honneur de Bacchus, strophe et antistrophe, répondait aux divers mouvements des choreutes autour de l'autel dionysiaque [Chorus]. On peut admettre que bien avant Arion le culte du dieu avait été en Grèce l'occasion de danses et de chants dont le dithyrambe fut, en quelque sorte, l'expression dernière, suivant l'usage familier aux Grecs de créer des genres artistiques distincts qui répondaient aux diverses manifestations de la pensée et de la passion.

A l'origine et en règle générale, le choeur cyclique devait être composé de cinquante choreutes. Ce nombre a sans doute varié dans la suite du temps, suivant l'importance des fêtes où l'on donnait des choeurs, suivant la richesse des villes qui en faisaient les frais. On cite des choeurs cycliques qui n'étaient composés que de trente-cinq chanteurs ou même de vingt-cinq ; à Delphes, aux fêtes des Sôtêria, il y eut des choeurs d'hommes et d'enfants qui ne comptaient que quinze, douze ou même cinq membres. Le nombre de sept a souvent prévalu, comme on l'a déjà remarqué au sujet des peintures trouvées dans une nécropole de la Cyrénaïque qui représentent les musiciens entourés des choreutes ; il est probable que, dans ce cas, on admettait des chanteurs de profession. Le même nombre de personnages est visible sur le bas-relief de l'Acropole qu'a publié M. Beulé et qui date sans doute du IVe siècle.

A Athènes, il n'y a que les citoyens libres ou les métèques qui puissent remplir le rôle de choreutes : l'importance religieuse des fêtes dionysiaques, berceau du dithyrambe et des choeurs cycliques, explique la condition honorable de ceux qui prenaient part à la représentation même ; certains privilèges s'attachaient à leurs fonctions : ils étaient exemptés du service militaire. Il y eut des chanteurs salariés, quand on introduisit dans le choeur des solistes qui devaient être des artistes de profession ; on les appelait choreutai misthophoroi ; ils sont nommés à part, à côté du joueur de flûte, dans les inscriptions.

Le choeur dithyrambique ou cyclique n'eut pas d'abord un local particulier ; il évoluait sur la place publique. Périclès bâtit l'Odéon (Ôideion), auquel il donna la forme de la tente de Xerxès, et en fit un bâtiment réservé aux concours de musique ; plus tard, du temps de l'orateur Lycurgue, un édifice plus grand fut construit et servit au même usage (panathênaikon theatron). Les choeurs qui y chantaient étaient de deux genres : les choeurs d'hommes (andrikos choros ou andres) et les choeurs d'enfants (paidikos choros ou paides). Les premiers comprenaient des hommes de dix-huit à trente ans ; les autres, des enfants ayant moins de dix-huit ans. Remarquons que l'on trouve aussi mentionnés, mais rarement et en dehors d'Athènes, des choeurs de femmes.

Comme son nom l'indique, le choeur cyclique se mouvait en cercle (kuklos) ; il formait une ronde en chantant et en dansant autour de l'autel du dieu. Cette forme orchestrique s'opposait au tetragônon schêma des choeurs scéniques [Chorus]. Cependant, à Sparte, on signale l'existence de choeurs, analogues aux choeurs cycliques des Athéniens, qui se présentaient en carré devant les spectateurs. La danse du choeur cyclique avait-elle un caractère particulier, ou se bornait-elle à une marche cadencée allant dans un sens, puis dans un autre, suivant l'ordre des strophes et des antistrophes ?

On pourrait le croire, d'après l'allure grave et lente des personnages qui décorent le relief de l'Acropole ; mais il est probable que la danse du choeur a en aussi un caractère plus animé. Athénée, en énumérant les divers genres de danses, n'en mentionne point qui appartienne en propre au choeur cyclique. Mais dans les lexicographes nous rencontrons le nom de la tyrbasie (Turbasia) comme celui d'une danse dithyrambique. L'étymologie indique une danse et une mimique d'un caractère sans doute assez vif ; on peut admettre qu'avec le temps la sicinnis, d'abord commune aux deux genres, fut réservée au drame satyrique, de même que le choeur composé exclusivement de satyres. Les modifications introduites à partir du Ve siècle dans la constitution littéraire et musicale du dithyrambe ont certainement amené des innovations dans les danses du choeur, et les plaisanteries dont Aristophane poursuit le poète dithyrambique Cinésias, qui jouait lui-même un rôle dans ses choeurs, en sont un indice : il se moque de ses contorsions et de sa mimique exagérée. On peut donc croire que la danse du choeur cyclique, analogue à l'origine à celle du choeur satyrique, avait conservé, dans la suite, une certaine vivacité d'allure. Même les joueurs de flûte qui accompagnaient les choreutes suivaient le rythme du chant avec des mouvements du corps et une attitude expressive dont Aristote a blâmé l'emploi parfois excessif.

Le choeur était placé sous la direction générale du chorège [Choregia] qui faisait les frais de la liturgie. La dépense d'un choeur d'hommes, au IVe siècle et à Athènes, pouvait monter à deux mille drachmes et même à cinq mille, dans les fêtes importantes ; un choeur d'enfants coûtait beaucoup moins cher, environ quinze cents drachmes ; dans les petites fêtes on se contentait pour le choeur cyclique d'une dépense d'environ trois cents drachmes. Le chorège, n'étant qu'un bailleur de fonds, avait à sa solde des gens chargés de diriger le choeur et de veiller à tous les détails de leur instruction pour le choeur cyclique ; il avait deux mandataires principaux dont il est nécessaire de dire quelques mots, le poète ou didascale et le joueur de flûte.

Le poète, à l'origine, se chargeait de tout ; c'est lui qui composait les paroles et la musique, qui apprenait aux choreutes à chanter et à danser ; lui-même se mêlait au choeur le jour de la représentation et servait de coryphée : il était à la fois auteur, régisseur et parfois même acteur [Didaskalia]. Hérodote le dit en propres termes d'Arion (poiêsanta kai didaxanta), et nous avons vu qu'à la fin du Ve siècle encore le poète Cinesias dansait lui-même sur la scène. Mais dans le genre cyclique la musique prit de bonne heure une telle importance que le poète ne suffit alors le joueur de flûte, qui se contentait jusque là d'accompagner les choreutes et qui n'était qu'un personnage subalterne, à la solde du didascale, passe au premier rang et devient le collaborateur du poète dans l'instruction du choeur. Dans les inscriptions antérieures à la moitié du Ive siècle avant J.-C., le poète didascale paraît être seul nommé. Jusqu'au milieu du IVe siècle, les inscriptions choragiques que nous possédons, relatives aux victoires de choeurs cycliques, nomment le joueur de flûte à côté du didascale ou poète. Enfin, à partir de cette époque, le joueur de flûte précède même le didascale dans l'énumération des personnages importants. Il y a là un renversement de hiérarchie qui résulte évidemment des modifications profondes introduites dans l'organisation du choeur cyclique et, en général, dans la constitution du dithyrambe. Le poète, privé de tout ce qui concerne la partie musicale, conservait, avec le titre de didascale, l'organisation des détails matériels de la représentation : c'est ce qui résulte clairement de la chorégie de Démosthène qui, ayant chassé son didascale que Midias avait corrompu, fut tiré d'embarras par son musicien, le joueur de flûte Téléphanès, qui voulut bien prendre la place de l'autre et veiller à l'instruction du choeur.

Le choeur cyclique, à l'origine, était composé de personnages qui portaient des costumes de Satyres ou de Silènes, suivants ordinaires du dieu dont on célébrait la fête. Le costume, la musique, la danse de ces premiers exécutants du dithyrambe ne devaient guère différer de ce que fut le choeur satyrique qui, dans le genre dramatique, conserva si fidèlement le caractère des premières origines. Mais, à mesure que les genres se distinguèrent entre eux et que les poètes dithyrambiques s'astreignirent de moins en moins à prendre pour sujets de leurs compositions des faits empruntés à la légende dionysiaque, il dut paraître peu naturel de conserver les anciens costumes, dont rien ne justifiait plus le maintien. Les titres des dithyrambes célèbres, tels que les Centaures de Lasus, les Danaïdes de Mélanippide, les Mysiens de Philoxène, la Niobé de Timothée, l'Esculape de Cynésias, etc., expriment le caractère nouveau que le genre avait pris. Il faut aussi tenir compte du faste de plus en plus grand que les chorèges étalèrent dans les représentations, du jour où le dithyrambe fut accepté au nombre des liturgies athéniennes : les joueurs de flûte, en particulier, comme étant les principaux personnages et les chefs du choeur, se distinguaient par la richesse de leur habillement. On peut s'en faire une idée par les peintures de la Cyrénaïque (première illustration ci-dessus) où les joueurs de cithare et de double flûte apparaissent revêtus d'étoffes bariolées, analogues à celles des acteurs tragiques. Les choreutes portent le costume ordinaire et le manteau ; ils n'ont pas d'autre ornement qu'une couronne de feuillage sur la tête. C'est aussi de cette facon que Démosthène avait orné son choeur ; les couronnes qu'il avait fait fabriquer étaient en or.

Dans le bas-relief de l'Acropole les sept personnages qui, d'après la restitution proposée pour l'inscription, représenteraient le choeur cyclique, portent le costume ordinaire des citoyens athéniens, sans ornement d'aucun genre et même sans couronne ; il est vrai que cet accessoire a pu être peint sur le marbre et s'effacer dans la suite. En tout cas, les masques primitifs et les costumes des Satyres ont tout à fait disparu : cet usage s'est établi sans doute dès le commencement du Ve siècle.

A l'origine, la double flûte [Tibia] accompagnait seule toutes les évolutions et les chants du choeur cyclique ; les choreutes chantaient tous ensemble à l'unisson sur le mode phrygien ; le musicien se tenait debout au centre du cercle. Au commencement du Ve siècle, l'instrumentation musicale se modifia profondément : le dithyrambe renonça à l'emploi exclusif du mode phrygien qui lui était propre pour recourir à d'autres tonalités ; à l'oligochordia des anciens maîtres succéda la poluchordia. La musique, au lieu d'accompagner discrètement les chanteurs, prit la première place et subordonna les paroles à ses développements harmoniques. Il en résulte que l'ancienne organisation du choeur cyclique fut troublée. Dès le commencement du Ve siècle, Lasus d'Hermione mêle aux choreutes des solistes chargés d'exécuter les melê, morceaux déclamés comme les monodies de la tragédie : ces solistes sont nommés à côté des joueurs de flûte dans deux inscriptions de Béotie. Le joueur de flûte lui-même, qui prend le titre de kulios aulêtês, ne se contente plus d'être un simple accompagnateur : il dirige les chants et joue sans doute de véritables morceaux de musique. Il est probable môme que l'usage s'était introduit d'avoir plusieurs joueurs de flûte pour le même choeur ; on aurait appelé alors aulêtai andres, non pas un ensemble de flûtistes jouant ensemble, mais l'ensemble du choeur chantant et accompagné par des flûtistes. Ce qui est hors de doute, c'est qu'à une certaine époque les chanteurs ont l'air d'accompagner les musiciens, plutôt que d'être soutenus par eux, et c'est peut-être pour cette raison que leur nombre diminue jusqu'à tomber au nombre de sept, comme nous le voyons sur les monuments déjà décrits.

Enfin, à la flûte devenue si prépondérante dans le choeur s'ajoute le chant de la lyre, qui jusqu'alors avait été l'instrument spécial du nomos. La confusion des genres lyriques, qui est un trait caractéristique de la nouvelle école du Ve siècle, amena l'union de ces deux instruments dans le choeur cyclique ; on attribuait cette innovation à Timothée. Nous voyons les deux musiciens, flûtiste et cithariste, figurer sur une des peintures de la Cyrénaïque.

Il est probable que l'accompagnement des lyres dominait quand le choeur ne faisait qu'évoluer et danser, et qu'au moment où l'on chantait, la double flûte reprenait le dessus, d'après la remarque d'Aristote sur la supériorité de la flûte pour accompagner la voix. L'accord des deux instruments s'appelait enaulos kitharisis ; on lui donnait aussi le nom de sunaulia, bien que ce terme désignât plus particulièrement deux ou plusieurs flûtes jouant ensemble.

Le dithyrambe étant spécialement consacré à Bacchus, il n'y eut sans doute de choeurs cycliques, à l'origine, qu'aux Dionysiaques et principalement aux grandes Dionysiaques urbaines, plus tard aux Lénéennes. Mais peu à peu, à mesure qu'on admit dans le dithyrambe des légendes étrangères au mythe dionysiaque, on introduisit ce spectacle dans d'autres fêtes, aux grandes et aux petites Panathénées, aux Thargélies ; on voit aussi des choeurs cycliques mentionnés dans les fêtes d'Héphaistos, de Prométhée, d'Esculape, de Poseidon. En dehors d'Athènes, on les trouve au Pirée, à Delphes, à Thèbes, en Arcadie, en Messénie et, en dehors de la Grèce propre, à Téos, à Samos, à Halicarnasse, etc. Il paraît certain que chaque ville grecque avait institué dans ses fêtes religieuses des choeurs cycliques. Le prix remporté était ordinairement un trépied : dans quelques villes c'était un taureau.


Article de F. Castets et E. Pottier