(Saturikon drama, saturikon, saturoi). - On a dit à l'article Dithyrambus comment la tragédie grecque était issue du dithyrambe. C'est de la tragédie primitive que s'est, à son tour, dégagé le drame satyrique [Tragoedia]. Les érudits de l'antiquité rattachaient la naissance de ce genre à une circonstance précise. On racontait que, se trouvant à l'étroit dans le cycle légendaire de Dionysos, les poètes tragiques des premiers temps s'étaient permis de prendre pour sujets des fables empruntées à d'autres cycles. Dans de telles pièces, il va de soi que le choeur traditionnel des Satyres dionysiaques n'avait plus de raison d'être et devait faire place à un choeur approprié (soldats, serviteurs, vieillards, etc.). Mais cette innovation ne fut pas accueillie sans protestations. «Cela n'a point de rapport avec Dionysos» (ouden pros ton Dionuson), murmuraient les dévots : par là, ils entendaient qu'on frustrait le dieu d'un hommage rituel, auquel il avait droit. Pour donner satisfaction à ce pieux scrupule, il fut entendu que désormais, dans toute représentation tragique, on verrait paraître, à la suite des choeurs héroïques nouveaux, le choeur antique des Satyres. Ainsi serait né le drame satyrique. De cette anecdote qui, manifestement, simplifie, outre mesure, une évolution longue et complexe, ce qu'il faut sans doute retenir, c'est que la constitution du drame satyrique en genre distinct fut le résultat d'un compromis entre le développement naturel de la tragédie et le conservatisme religieux du public grec.

Quoi qu'il en soit, c'est du dithyrambe que le drame des satyres tient son caractère essentiel, le mélange de l'héroïque et du comique. Dans le dithyrambe, en effet, les deux éléments déjà existaient côte à côte. Rien de plus pathétique que les chants exaltés du choeur, évoquant à larges traits les épreuves et la passion de Dionysos. Mais quoi de plus incongru, à l'occasion, que les faits et dits des Satyres, ou hommes-boucs [Satyri]. La tragédie commençante hérita de cette double nature. On en trouverait, au besoin, la preuve dans plusieurs fragments tragiques d'Eschyle, dont le contenu très réaliste nous étonne. Mais le goût des Hellènes était trop épris des distinctions précises et tranchées pour ne point tendre, de très bonne heure, à une forme épurée de la tragédie d'où l'élément bouffon serait banni. Du jour où le drame satyrique se fut constitué en un genre indépendant, la tragédie put enfin réaliser librement cet idéal.

Mais il était naturel, en revanche, que le drame satyrique conservât l'exubérante gaieté, qui n'était pas seulement un rite dionysiaque, mais qui, en face de la tragédie épurée, constituait son individualité propre et son droit à l'existence. C'est ainsi que, par l'évolution naturelle du genre, non par la volonté des poètes, qui, au contraire, ont, de plus d'une façon, tenté de se soustraire à cette obligation gênante, le mélange de l'héroïque et du bouffon est devenu la loi du drame satyrique. On ne sait rien de précis sur l'histoire du drame satyrique avant l'institution des concours de tragédies à Athènes. Ce que l'on peut conjecturer, c'est que ceux-ci, à l'origine, ne firent que codifier et ériger en règlement l'usage antérieur. Or, aussi haut que nous puissions remonter dans l'histoire des concours athéniens, nous trouvons que le nombre des poètes concurrents y est fixé à trois, chacun d'eux présentant une tétralogie, c'est-à-dire un groupe formé de trois tragédies, plus un drame satyrique qui termine le spectacle. Mais le lien de ce divertissement satyrique avec les drames précédents s'est de plus en plus relâché. Rappelons, en effet, que, dès le Ve siècle, on distingue deux sortes de tétralogie. La plus ancienne est la tétralogie liée, où les quatre drames sont le développement d'une même légende. Tels sont les groupes suivants d'Eschyle : une Oedipodie, jouée en 467 (Laios, Oedipe, les Sept contre Thèbes, le Sphinx), l'Orestie, représentée en 458 (Agamemnon, les Choéphores, les Euménides, Proteus), une Lycurgie (les Edons, les Bassarides, les Jeunes Gens, Lycurgue), et enfin, une Prométhéide (Prométhée enchaîné, Prométhée délivré, Prométhée porteur du feu, drame satyrique inconnu). Dans deux de ces groupes, 1'Orestie et la Prométhéide, le rapport du drame satyrique avec la tétralogie tragique ne saurait être exactement déterminé. Mais, pour les deux autres, on remarquera que, si le sujet satyrique est tiré de la même légende que les trois tragédies, il ne leur fait pas suite, cependant, chronologiquement. C'est un divertissement final, pris librement à un moment quelconque de la légende. Dans la tétralogie libre, qui n'est qu'un assemblage arbitraire de quatre drames, sans lien, l'indépendance absolue du drame satyrique devient, naturellement, ipso facto, la règle. Nous en avons un exemple, dès 472, dans la tétralogie présentée par Eschyle : Phineus, les Perses, Glaucos, Prométhée. Et il est bien probable même qu'antérieurement déjà, la Prise de Milet (494 ?) et les Phéniciennes (476) de Phrynichos, pièces historiques et d'actualité, faisaient partie de deux groupes libres. Cette manière de faire est la seule qu'aient pratiquée les poètes de la génération de Sophocle et d'Euripide. Aussi bien il apparaît, dès ce temps, à plusieurs indices, que le drame satyrique perd de plus en plus la faveur du public. C'est ainsi qu'en 438 nous voyons Euripide terminer sa tétralogie (les Crétoises, Alcmaeon à Psophis, Télèphe, Alceste), non par un drame satyrique, mais par l'Alceste, tragédie héroï-comique destinée à en tenir lieu. Et il n'est guère douteux que, non seulement Euripide mais aussi Sophocle et les tragiques contemporains, n'aient eu maintes fois recours à ce subterfuge. Une autre preuve, plus évidente encore, du discrédit où est tombé le drame satyrique nous est fournie par les inscriptions didascaliques. L'une de ces inscriptions, qui se rapporte, semble-t-il, aux Lénéennes, nous a conservé le programme du concours tragique des années 419 et 418 : le drame satyrique n'y tient aucune place. L'autre inscription, qui date des années 341 et 340, se rattache aux Grandes Dionysies : le genre satyrique y figure encore, mais il n'est plus représenté que par une pièce unique, jouée, en guise de prélude, au début de la représentation. S'il était permis de généraliser d'après des documents si fragmentaires, il faudrait donc conclure que dès la fin du Ve siècle, le genre satyrique avait disparu du concours des Lénéennes, et qu'aux Grandes Dionysies mêmes il avait été réduit au strict minimum. A partir de cette époque, tout renseignement nous fait défaut sur le programme des concours tragiques d'Athènes. Il y a lieu de croire, néanmoins, que le drame satyrique n'en fut jamais complètement banni, car nous connaissons ailleurs, dans le monde grec, maintes fêtes où il conserve sa place à côté de la tragédie et de la comédie. C'est ainsi que, sur les listes de vainqueurs aux Charitesia d'Orchomène (début du IIe siècle av. J.-C.), un certain Aminias, Thébain, est qualifié de poiêtês saturôn. Vers le même temps, l'antique concours des Mouseia de Thespies est transformé et s'enrichit de représentations dramatiques, où l'on couronne chaque année, outre un poète tragique et un poète comique, un saturographos. Au Ier siècle av. J.-C, les Romaea de Magnésie du Méandre comprenaient également dans leur programme un concours de saturoi. Enfin, à peu près à la même époque, une inscription nous montre l'acteur ou chef de troupe, Alkimachos d'Athènes, donnant à Rhodes une reprise d'une tétralogie de Sophocle, terminée par un drame satyrique (Péleus, Ulysse furieux, les Ibères, Télèphe). A Rome même, les satyres finirent, à la suite des autres genres dramatiques grecs, par se faire place sur le théâtre, à côté de l'atellane indigène. Le premier qui les y introduisit fut, dit-on, Pomponius de Bologne, auteur d'une Atalante, d'un Sisyphe, d'une Ariane. Et c'est ce qui explique qu'Horace, dans son Art poétique, ait cru devoir donner la théorie et les préceptes détaillés du drame satyrique.

Tous les tragiques grecs ont été, par là même, poètes satyriques. Au VIe siècle, Choerilos était déjà renommé en cet art. Mais sa réputation fut bien dépassée par son contemporain Pratinas de Phlionte, que les critiques anciens reconnaissaient, sinon comme le créateur, du moins comme le véritable initiateur du genre nouveau.

Chose curieuse, Pratinas avait écrit près de deux fois plus de drames satyriques que de tragédies (32 contre 18). Etant donnée l'organisation des concours, telle que nous venons de l'exposer, cette disproportion ne peut guère s'expliquer que si l'on admet que ce poète, maître incontesté du genre, fournissait de drames satyriques ses confrères. Ce qui autorise cette hypothèse, c'est que nous savons qu'en 467, Aristias, fils de Pratinas, présenta au concours une tétralogie, dont le drame satyrique, Les Lutteurs, était l'oeuvre de son père. Eschyle ne brilla pas moins dans les saturoi que dans la tragédie ; il y éclipsa même le vieux poète de Phlionte.

Nous connaissons de lui huit titres satyriques, auxquels les modernes en ajoutent, avec plus ou moins de probabilité, une demi-douzaine d'autres. Sophocle lui-même ne dédaigna nullement le drame satyrique. Douze titres certains et cinq autres très vraisemblables témoignent de son activité en ce genre. Toutefois, ce nombre n'est pas en proportion de celui de ses tragédies connues (113) : ce qui a fait supposer que Sophocle avait dû maintes fois, comme Euripide avec Alceste, substituer au drame satyrique proprement dit une tragédie d'un ton spécial. Le même fait explique sans doute que nous ne connaissions d'Euripide que sept titres satyriques, y compris le Cyclope. Du reste, le poète le plus réputé de ce temps dans le drame satyrique, ce n'est ni Sophocle ni Euripide ; c'est Achaeos d'Erétrie (8 titres), au-dessus duquel on ne mettait qu'Eschyle. Citons, enfin, Ion de Chios, auteur d'une Omphale et vers la fin du Ve siècle, Iophon (les Aulèdes) et Xénoclès (Athamas). Nous avons dit le peu qu'on sait du drame satyrique à partir de cette date. Ajoutons un détail intéressant, qui nous est révélé par les listes de vainqueurs aux Romaea. Même au Ier siècle av. J.-C., tout lien entre la tragédie et le drame satyrique n'est pas rompu, en ce sens que les poètes tragiques continuent à cultiver à la fois les deux genres.

De cette production satyrique, si prolongée et si riche, il ne nous reste, exception faite de quelques fragments peu étendus, qu'un exemplaire complet, le Cyclope d'Euripide. C'est assez pour porter sur ce genre un jugement d'ensemble, non pour suivre avec précision son évolution. Le trait essentiel du drame satyrique, c'est, nous l'avons dit, l'intrusion du burlesque dans l'héroïque. Et, à cet égard, il n'y a nulle distinction à faire entre les auteurs. Le délicat et noble artiste qu'est Sophocle ne s'interdit pas plus qu'Eschyle ou qu'Euripide, dans le drame satyrique, les incidents vulgaires, les jeux de scène indécents, les plaisanteries scatologiques. Il est manifeste que c'est là une loi du genre, à laquelle aucun poète ne saurait se soustraire. Toutefois, la répartition des éléments héroïque et bouffon n'était pas entièrement livrée à l'arbitraire personnel ; elle était soumise, sinon à des règles précises, du moins à une tradition. A ce point de vue, les personnages du drame satyrique peuvent se diviser en trois catégories. Les uns sont purement héroïques et presque exempts de tout mélange comique : ce sont les héros et les dieux. Tel est le cas, par exemple, d'Ulysse dans le Cyclope. A travers les aventures burlesques qu'il traverse, non seulement sa dignité reste sauve, mais encore, par son courage, son sang-froid, son esprit avisé, il excite, autant que dans n'importe quelle tragédie, notre sympathique admiration. Exclusivement comiques, au contraire, sont les Satyres qui forment ordinairement le choeur. Au physique, ce sont de jeunes animaux, débridés, ivres de mouvement et de bruit, sans cesse gambadant, sifflant et chantant ; du moral, de mauvais drôles, chez qui tous les vices s'épanouissent à l'aise, poltronnerie, gourmandise, mensonge, impudeur. Et pourtant, avec ces défauts, ils ne laissent pas d'être sympathiques : d'abord, parce que, dans leurs pires incongruités, ils gardent la tranquille inconscience de l'animalité ; ensuite, parce qu'ils ne manquent pas d'une certaine grâce spontanée d'êtres jeunes et ingénus; enfin, parce qu'ils sont espiègles, malicieux, et, à l'occasion, pleins d'esprit. A côté d'eux, il faut citer leur père, Silène ou Papposilène [Satyri], comme on disait au théâtre. Chez ce Satyre, épaissi et alourdi par l'âge, tous les vices de jeunesse ont subsisté et se sont aggravés, mais la grâce a disparu. Menteur autant que lâche, ivrogne, lubrique, ignorant de tout principe moral, Silène serait le plus abominable coquin, s'il n'était, de toute évidence, un fantoche, que son irréalité même sauve de l'odieux. Outre ces types consacrés, l'élément comique est représenté encore par toute la tribu des monstres, géants et brigands mythologiques, que le drame satyrique mettait volontiers en scène : le Sphinx, Proteus, Circé, Cercyon, Glaucos, Sisyphe, Amycos, Salmoneus, Autolycos, Busiris, Sciron, Syleus, le Cyclope, etc. Par le Cyclope d'Euripide, on peut juger la façon dont les poètes satyriques représentaient ces êtres fantastiques. On ne se mettait guère en peine, semble-t-il, de leur prêter des sentiments humains. Leur âme était aussi exceptionnelle et monstrueuse que leur figure : c'étaient des croquemitaines et des ogres, très horrifiques et très invraisemblables. Enfin, à côté de ces rôles tranchés, tout héroïques, ou tout bouffons, il nous faut ranger à part les personnages dans lesquels le bouffon et l'héroïque se mêlent. De ces personnages, qui n'ont jamais dû être très nombreux, un seul nous est bien connu, c'est Héraclès. Ce héros était un des types favoris du drame satyrique, comme de la comédie. Quelques peintures de vases nous ont conservé le souvenir de pièces où, près de lui, le choeur des Satyres jouait un rôle bouffon, épiant son sommeil, lui dérobant ses armes, etc.

Mais, par le rôle qu'il jouait dans l'Alceste et dans le Syleus (autre pièce perdue d'Euripide, dont une analyse anonyme nous a été conservée), nous voyons clairement que l'Héraclès satyrique n'était point le benêt et le pleutre, perpétuellement esclave de son ventre, dont s'égayaient les comiques. Sans doute, il y gardait en partie la physionomie traditionnelle et populaire, sans laquelle il n'eût pas été lui-même. Goinfre, mal appris, brutal, voilà les traits sous lesquels, d'abord, il faisait rire. Mais, dans l'une et l'autre pièce, un incident soudain survenait, à l'occasion duquel se révélait brusquement sa nature héroïque : alors il apparaissait généreux, magnanime, admirable de force morale autant que physique.

Il est impossible de retracer, même à grands traits, les transformations qu'a subies le genre satyrique dans le cours de sa longue histoire. Tout au plus y distingue-t-on quelques tendances générales. Le premier fait à signaler, c'est qu'en dépit de ses origines, le drame satyrique, à son tour, s'aventura, de bonne heure, hors du cycle dionysiaque. Il y avait nombre de sujets tragicomiques qui tentaient la verve des poètes, mais où les Satyres n'avaient véritablement rien à faire. On remplaca, dans ces sujets, les Satyres par un choeur, à peu près équivalent, de personnages vulgaires et bouffons. Ainsi avait fait, par exemple, Sophocle dans son Héraclès au Ténare et dans ses Bergers, dont les choeurs étaient respectivement composés d'hilotes et de pâtres troyens. Dans le drame satyrique, ainsi entendu, la proportion du sérieux et du comique n'était point, malgré tout, sensiblement modifiée. Mais il n'en est plus de même dans d'autres drames, dont l'Alceste d'Euripide peut être prise comme type. Le choeur de cette pièce est composé des vieillards de Phères ; et, par suite, l'élément bouffon, relégué exclusivement dans le rôle d'Héraclès, s'y réduit au strict minimum. Nul doute qu'il ne faille reconnaître là l'influence de la tragédie. A l'imitation de celle-ci, le drame des Satyres tendait lui-même à se hausser à une forme ennoblie. Tentative condamnée d'avance, puisque, sous peine de perdre son originalité et sa raison d'être, le drame satyrique ne pouvait la pousser jusqu'au bout. L'imitation de la tragédie se marque encore d'une autre façon. On pourrait déjà a priori supposer que l'art des péripéties, des reconnaissances, des coups de théâtre, qui alla toujours se développant dans la tragédie, eut son contre-coup sur le drame satyrique. Et, de fait, nous trouvons dans le Cyclope une reconnaissance, dans l'Alceste l'explication d'un malentendu ; et maintes pièces perdues (en particulier, le Syleus) laissent deviner, par le titre ou par les fragments conservés, d'autres effets dramatiques du même genre. Mais là encore la limite où devait s'arrêter le drame satyrique était d'avance fixée. Il lui était permis, certes, d'émouvoir à l'occasion, mais à condition que ce pathétique ne fût ni trop profond ni trop durable. Une double loi du genre satyrique, en effet, c'était premièrement d'être un spectacle gai (tragôdia paizousa) 9, et, en second lieu, de se terminer par un dénouement heureux. On voit par là combien il fallait, pour y réussir, de dextérité et de tact délicat. C'est que, par sa constitution originelle, le drame satyrique était un genre équivoque, où deux tendances contradictoires se combattaient, sans que l'une ni l'autre pût franchement triompher. Enfin, il suffira de mentionner d'un mot certaines innovations qui n'ont été, semble-t-il, que des tentatives isolées, ou même des fantaisies individuelles. Citons en ce genre l'Agen du poète Python, joué en Asie (probablement en 327) devant Alexandre le Grand, aux Dionysies célébrées sur les bords de l'Hydaspe. La pièce abondait en allusions au trésorier infidèle du roi, Harpale, à ses maîtresses, à sa fuite vers Athènes. Le drame satyrique devenait ainsi satirique, au sens moderne du mot, c'est-à-dire agressif et moqueur. Le caractère opposé se montrait dans le Ménédème de l'Alexandrin Lycophron, qui était un éloge du philosophe de ce nom. Enfin Dioscoride, dans une épigramme, proclamait son contemporain Sosithéos comme le restaurateur du genre.

Les conditions matérielles d'une représentation satyrique étaient à peu près les mêmes que celles d'une représentation tragique. Disons quelques mots seulement du décor. A la place du palais ou du temple, qui servait traditionnellement de cadre à la tragédie, on voyait en général dans le drame satyrique un paysage «formé, dit Vitruve, d'arbres, de grottes, de montagnes et de tous les autres objets naturels». Ailleurs encore, le même écrivain détaille, avec plus de précision, les éléments essentiels d'un paysage satyrique : «ports, promontoires, rivages, fleuves, sources, ruisseaux, sanctuaires, bois, collines, troupeaux et bergers». Tel est, en effet, le décor que réclame le Cyclope : l'action s'y passe sur le bord de la mer, au pied du mont Etna, devant l'antre à deux ouvertures habité par Polyphème. Et c'est aussi un cadre champêtre de ce genre que la plupart des titres conservés nous autorisent à restituer.

Sur les machines employées dans le drame satyrique aussi bien que dans la tragédie, voyez l'article Machina. On trouvera aux articles Histrio et Persona les renseignements utiles sur les costumes et masques des acteurs et du choeur. Il est probable que le nombre des acteurs, dans le drame satyrique, a suivi les mêmes variations que dans la tragédie [Tragoedia] ; c'est-à-dire que, porté à deux par Eschyle, il fut définitivement fixé à trois par Sophocle. Ce qui est sûr, c'est que trois interprètes sont nécessaires et suffisants pour jouer le Cyclope : le protagoniste représentait Ulysse, le deutéragoniste Silène, le tritagoniste Polyphème. Le vase de Ruvo, qui figure les apprêts d'une représentation satyrique, semble aussi témoigner dans le même sens : car, outre les Satyres, on y voit trois acteurs, Héraclès, Silène et un héros inconnu. Rappelons, du reste, que le drame satyrique n'eut jamais d'interprètes spéciaux : tout tragédien (en raison de l'union primitive des deux genres) était, à l'occasion, acteur satyrique. Quant au nombre des choreutes, il paraît certain que, comme dans la tragédie, il fut successivement de douze, puis de quinze. La danse ordinaire du choeur satyrique était la sikinnis ou sikinis ; c'était une agitation violente et rapide, qui, sous une forme sans doute plus réglée, reproduisait le cômos bachique [Saltatio].

La structure technique du drame satyrique n'a rien d'original. Calquée trait pour trait sur celle de la tragédie, elle comprend des parties dialoguées (prologos, epeisodia, exodos) et des parties chantées (parodos, stasima, etc.). Le Cyclope, comme la plupart des tragédies grecques, a cinq actes. Mais tous les éléments de ce drame, si on les compare aux éléments correspondants d'une tragédie, apparaissent singulièrement rétrécis. Les parties lyriques surtout (à l'exception de la parodos qui comprend une quarantaine de vers) s'y réduisent presque à rien. Du reste le Cyclope n'a, au total, que sept cents vers, ce qui est environ la moitié de l'étendue normale d'une tragédie. Cette brièveté s'explique d'elle-même dans un genre qui ne servit jamais que de divertissement final ou de lever de rideau.


Article d'Octave Navarre