[Les jeux olympiques]

VII. [1] A Olympie l'Alphée paraît dans toute sa largeur et dans toute sa beauté, comme ayant été grossi de plusieurs autres fleuves considérables ; car et l'Hélisson qui passe par la ville de Mégalopolis, et le Branthéate qui traverse les terres des Mégalopolitains, et le Gortynius qui coule auprès de Gortyne, où il y a un temple d'Esculape, et le Buphagus, qui après avoir passé par Mélénée prend son cours à travers le territoire de Mégalopolis et celui d'Hérée, et le Ladon qui vient de chez les Clitoriens, et l'Erymanthe, qui sort d'une montagne de même nom, tous ces fleuves passent par l'Arcadie, et viennent tomber dans l'Alphée. Il reçoit aussi le Cladée qui coule dans l'Elide, quoiqu'il ait sa source en Arcadie, non en Elide.

[2] Si nous en croyons la fable, Alphée était un grand chasseur, passionnément amoureux d'Aréthuse, qui n'ayant, elle, de passion que pour la chasse et ne voulant pas épouser Alphée, pour se dérober à ses poursuites, passa dans l'île Ortygie près de Syracuse, où elle fut changée en fontaine ; et Alphée, à cause de l'excès de son amour, fut métamorphosé en fleuve.

[3] Voilà ce que dit la fable. Mais que ce fleuve après avoir passé la mer aille tomber dans la fontaine d'Aréthuse, je n'ai pas de peine à le croire, sachant surtout que cette opinion a été confirmée par l'oracle de Delphes ; car le Dieu en ordonnant au Corinthien Archias de conduire une colonie à Syracuse : Vous trouverez, lui dit-il, au-dessus de la Sicile une île au milieu de la mer : cette île se nomme Ortygie ; et c'est-là que l'Alphée s'unit à la belle Aréthuse. Je crois même que c'est ce mélange des eaux du fleuve avec celles de la fontaine qui a donné lieu à la fable de l'amour d'Alphée pour Aréthuse.

[4] En effet tout ce qu'il y a de Grecs et d'Egyptiens qui ont voyagé en Ethiopie du côté de Siene ou de Méroé, disent que le Nil passe à travers un lac, comme il passerait à travers des terres, et qu'ensuite il continue son cours par la basse Ethiopie, puis par l'Egypte, et qu'il va tomber dans la mer auprès de l'île du Phare. Et moi-même dans le pays des Hébreux j'ai vu le fleuve du Jourdain qui entre dans le lac Tibériade, et qui ensuite va se perdre dans une espèce de lac qu'ils nomment la mer morte.

[5] Les eaux de cette mer sont d'une nature toute différente de celles des autres ; car dans la mer morte tout ce qui est animé surnage, et ce qui est mort va au fond : aussi n'y voit-on point de poissons, parce que le poisson qui fuit toujours le danger, et qui par cette raison ne veut pas se montrer, cherche des eaux qui lui soient plus convenables. En Ionie il y a un fleuve qui est connu par la même singularité que l'Alphée ; car sorti du mont Mycale il se précipite dans la mer qui n'en est pas loin, puis reparaît à Branchides vers le port Panorme.

[6] Quant aux jeux olympiques, voici ce que j'en ai appris de quelques Eléens qui m'ont paru fort profonds dans l'étude de l'antiquité. Selon eux Saturne est le premier qui ait régné dans le ciel, et dès l'âge d'or il avait déjà un temple à Olympie. Jupiter étant venu au monde, Rhéa sa mère en confia l'éducation aux Dactyles du mont Ida, autrement appelles Curètes. Ces Dactyles vinrent ensuite de Crète en Elide, car le mont Ida est en Crète. Ils étaient cinq frères, savoir Hercule, Péonéüs, Epimede, Iasius, et Ida.

[7] Hercule comme l'aîné proposa à ses frères de s'exercer à la course, et de voir à qui en remporterait le prix qui était une couronne d'olivier ; car l'olivier était déjà si commun qu'ils en prenaient les feuilles pour en joncher la terre et pour dormir dessus. Hercule apporta le premier cette plante en Grèce de chez les Hyperboréens.

[8] Le poète Olen de Lycie, dans un hymne qu'il a fait pour les Achéens, nous apprend que les Hyperboréens étaient une nation qui habitait sous le nord, et qu'Hercule était venu de là à Délos et en Achaïe. Après Olen, Mélanopus de Cumesa a fait un cantique en l'honneur d'Opis et d'Hécaergé, où il dit que ces déesses étaient aussi venues du pays des Hyperboréens en Achaïe et à Délos.

[9] Pour Aristias le Proconnésien, il s'est contenté de faire une légère mention des Hyperboréens, quoiqu'il eût pu nous en apprendre plus de particularités qu'un autre, ayant voyagé chez les Issédons, comme il le dit lui-même dans ses vers. C'est donc Hercule Idéen qui a eu la gloire d'inventer ces jeux, et qui les a nommés olympiques. Et parce qu'ils étaient cinq frères, il voulut que ces jeux fussent célébrés tous les cinq ans.

[10] Quelques-uns disent que Jupiter et Saturne combattirent ensemble à la lutte dans Olympie, et que l'empire du monde fut le prix de la victoire : d'autres prétendent que Jupiter ayant triomphé des Titans, institua lui-même ces jeux, où Apollon entre autres signala son adresse en remportant le prix de la course sur Mercure, et celui du pugilat sur Mars. C'est pour cela, disent-ils, que ceux qui se distinguent au pentathle, dansent au son des flûtes qui jouent des airs pythiens, parce que ces airs sont consacrés à Apollon, et que ce Dieu a été couronné le premier aux jeux olympiques.

VIII. [1] Cinquante ans après le déluge de Deucalion, Clyménus fils de Cardis et l'un des descendants d'Hercule Idéen étant venu de Crète, célébra ces jeux à Olympie ; ensuite il consacra un autel aux Curètes, et nommément à Hercule, sous le titre d'Hercule protecteur. Endymion fils d'Aéthlius chassa Clyménus de l'Elide, s'empara du royaume, et le proposa à ses propres enfants pour prix de la course.

[2] Mais Pélops qui vint quelque trente ans après Endymion, fit représenter ces mêmes jeux en l'honneur de Jupiter avec plus de pompe et d'appareil qu'aucun de ses prédécesseurs. Ses fils n'ayant pu se maintenir en Elide, et s'étant répandus en divers lieux du Péloponnèse, Amythaon fils de Créthéus et cousin germain d'Endymion, car on dit qu'Aéthlius était fils de cet Eole qui eut le surnom de Jupiter ; Amythaon, dis-je, donna ces jeux au peuple. Après lui Pélias et Nélée les donnèrent à frais communs.

[3] Augée les fit aussi célébrer, et ensuite Hercule fils d'Amphitryon, lorsqu'il eut pris l'Elide. Le premier qu'il couronna fut Iolas, qui pour remporter le prix de la course du char, avait emprunté les propres cavales d'Hercule : car en ces temps-là on empruntait sans façon les chevaux qui étaient en réputation de vitesse. Nous voyons dans Homère qu'aux jeux funèbres de Patrocle, Ménélas avait attelé avec un de ses chevaux une cavale d'Agamemnon.

[4] D'ailleurs Iolas était l'écuyer d'Hercule. Il remporta donc le prix de la course du char, et Iasius Arcadien remporta celui de la course des chevaux de selle. Les fils de Tyndare furent aussi victorieux ; Castor à la course, et Pollux au combat du ceste. On prétend même qu'Hercule eut le prix de la lutte et du pancrace.

[5] Mais depuis Oxylus, qui ne négligea pas non plus ces spectacles, les jeux olympiques furent interrompus jusqu'à Iphitus qui les rétablit. On en avait même presque perdu le souvenir ; peu à peu on se les rappella, et à mesure que l'on se souvenait de quelqu'un de ces jeux, on l'ajoutait à ceux que l'on avait déjà retrouvés.

[6] Cela paraît manifestement par la suite des olympiades dont on a eu soin de conserver la mémoire ; car dès la première olympiade on proposa un prix de la course, et ce fut Coroebus Eléen qui le remporta. Il n'a pourtant point de statue à Olympie, mais on voit son tombeau sur les confins de l'Elide. En la quatorzième olympiade à cette première sorte de combat on ajouta la course du stade double. Hypénus de Pise vainqueur eut une couronne d'olivier, et l'olympiade suivante Acanthus Lacédémonien fut couronné.

[7] En la dix-huitième olympiade on se ressouvint du combat de la lutte, et même du pentathle : ils furent renouvelés ; Lampis et Eurybates, tous deux Lacédémoniens, eurent l'honneur de la victoire. Le combat du ceste fut remis en usage en la vingt-troisième olympiade, Onomastus de Smyrne en remporta le prix ; Smyrne était déjà censée ville d'Ionie. La vingt-cinquième olympiade fut remarquable par le rétablissement de la course du char attelé de deux chevaux d'un bon âge, et ce fut Pagondas Thébain qui eut la victoire.

[8] La vingt-huitième vit renouveler le combat du pancrace et la course avec des chevaux de selle. La cavale de Crauxidas natif de Cranon passa toutes les autres ; et Lygdamis de Syracuse terrassa tous ceux qui combattirent contre lui. Son tombeau est à Syracuse auprès des carrières : je ne sais pas si réellement il égalait Hercule en force du corps, mais dit moins les Syracusains le disent ainsi.

[9] Ensuite les Eléens s'avisèrent d'instituer des combats pour les enfants, quoiqu'il n'y en eût aucun exemple dans l'antiquité. Ainsi en la trente-septième olympiade il y eut des prix proposés aux enfants pour la course et pour la lutte. Hipposthène Lacédémonien fut déclaré vainqueur à la lutte, et Polynice Eléen à la course. En la quarante-unième les enfants furent admis au combat du ceste, et Philétas Sybarite surpassa tous les autres.

[10] La soixante-cinquième olympiade introduisit encore une nouveauté : des gens de pied tout armés disputèrent le prix de la course ; ils partirent dans la carrière avec leurs boucliers, et Démarate d'Hérée remporta la victoire. Cet exercice fut jugé très convenable à des peuples belliqueux. En la quatre-vingt-treizième olympiade on courut avec deux chevaux de main dans la carrière ; Evagoras Eléen fut vainqueur. En la quatre-vingt-dix-neuvième on attela deux jeunes poulains à un char, et ce nouveau spectacle valut une couronne à Sybariade Lacédémonien.

[11] Quelque temps après on s'avisa d'une course de deux poulains menés en main, et d'une course de poulain, monté comme un cheval de selle. A la première, Bélistiche, femme née sur les côtes de Macédoine, remporta le prix ; à la seconde, Tiépoleme Lycien fut couronné ; celui-ci en la cent trente-unième olympiade, Bélistiche en la cent vint-huitième. Enfin en la cent quarante-cinquième, les enfants furent aussi admis au combat du pancrace, et Phédime Eolien d'une ville de la Troade demeura victorieux.

IX. [1] Comme les Eléens introduisaient de nouveaux combats, aussi les abolissaient-ils lorsqu'ils ne réussissaient pas à leur gré. Ainsi après avoir permis le pentathle aux enfants en la trente-huitième olympiade, qu'Entélidas Lacédémonien eut une couronne d'olivier, ils jugèrent à propos de le leur interdire à l'avenir. Et après avoir imaginé la course de l'Apéné en la soixante-dixième olympiade, et la course du Calpé l'olympiade suivante, quelque cinquante ans après en la quatre-vingt-quatrième olympiade ils proscrivirent l'une et l'autre. Thersius de Thessalie avait été couronné à la première, et Patécus Achéen de la ville de Dyme à la seconde.

[2] La course du Calpé se faisait avec deux juments : sur la fin de la course on se jetait à terre, on prenait les juments par le mors, et l'on achevait ainsi la carrière ; ce que pratiquent encore de nos jours ces écuyers à qui l'on donne le nom d'Anabates. Toute la différence qu'il y avait entre ceux qui faisaient la course du Calpé et les Anabates, c'est que ceux-ci ont une marque particulière qui les distingue, et qu'ils montent des chevaux et non des juments. Pour l'Apéné, c'était un char attelé de deux mules ; invention moderne, et qui ne produisait pas un fort bel effet ; outre que les mules et les mulets sont en horreur aux Eléens, qui par cette raison n'en élèvent point chez eux.

[3] Quant à l'ordre et à la police des jeux olympiques, voici ce qui s'observe aujourd'hui. On fait d'abord un sacrifice à Jupiter ; ensuite on ouvre par le pentathle. La course à pied vient après, puis la course de chevaux : cela fut ainsi réglé en la soixante-dix-septième olympiade ; auparavant les hommes et les chevaux combattaient le même jour ; d'où il arrivait que le rang du pancrace ne venait que sur le soir, parce que tout le jour se passait à voir les courses de chevaux, et surtout le pentathle. En cette olympiade Callias Athénien eut le prix du pancrace.

[4] Mais depuis on changea l'ordre de ces jeux, et l'on en rejeta une partie à un autre jour, afin d'empêcher que les uns ne nuisissent aux autres. La direction du spectacle et le nombre des juges ont aussi varié : car Iphitus, qui fut le restaurateur des jeux olympiques, y présida seul. Oxylus et ses successeurs conservèrent le même privilège. Mais en la cinquantième olympiade tous les Eléens tirèrent au sort, et l'administration de ces jeux échut à deux particuliers qui en prirent soin dans la suite.

[5] Il n'y eut que deux directeurs pendant longtemps, et jusqu'à la cent cinquième olympiade, que l'on créa neuf juges, dont trois devaient connaître de la course des chevaux, trois du pentathle, et les trois autres des autres sortes de combats. Deux olympiades après on ajouta un dixième juge. En la cent troisième olympiade les Eléens furent distribués en douze tribus, et chaque tribu nomma un juge.

[6] Mais ensuite la nation ayant eu du dessous dans la guerre contre les Arcadiens, et plusieurs tribus étant tombées en la puissance des ennemis, de douze il n'en resta plus que huit ; et par là en la cent troisième olympiade les directeurs ou juges des jeux olympiques furent réduits à pareil nombre de huit. Enfin en la cent huitième olympiade le nombre de dix fut rétabli, et c'est celui qui subsiste à présent.


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Traduction par l'abbé Gédoyn (1731, édition de 1794)
NB : Orthographe modernisée et chapitrage complété.