[L'Arcadie occidentale]

Tardieu, 1821

XIV. [1] La ville de Psophis selon quelques-uns a été bâtie par Psophis fils d'Arrhon qui descendait en droite ligne de Nyctimus. Car de Nyctimus naquit Periphète, de Periphète naquit Parthaon, de Parthaon naquit Atistas, d'Aristas naquit Erymanthe, d'Erymanthe naquit Arrhon, et d'Arrhon naquit Psophis.

[2] Mais selon d'autres Psophis était fille de Xanthus fils d'Erymanthe et petit-fils d'Arcas. Voilà ce que l'on trouve écrit dans l'histoire des rois d'Arcadie. Cependant l'opinion la plus probable est que Psophis était fille d'Eryx roi de Sicanie qui voyant sa fille grosse et ne la pouvant souffrir dans sa maison l'envoya chez son hôte et son ami Lycortas à Phegée, ville qui avant le règne de Phegéüs se nommait Erymanthe. Là Psophis, grosse du fait d'Hercule, se délivra de deux enfants, Echéphron et Promachus, qui dans la suite donnèrent à la ville de Phegée le nom de Psophis leur mère.

[3] La citadelle de Zacinthe s'appelle aussi Psophis, parce qu'un Psophidien nommé Zacinthe fils de Dardanus ayant débarqué dans l'île, y fit bâtir cette citadelle, et leur donna le nom de la ville d'où il était. De Siras à Psophis on compte trente stades ; le fleuve Aroanius traverse la ville ; un peu plus loin on trouve l'Erymanthe.

[4] Cette rivière a sa source au mont Lampée que l'on dit être consacré au dieu Pan. Cette montagne peut être regardée comme une partie du mont Erymanthe. Homère nous dépeint le mont Taygète et le mont Erymanthe comme des lieux très propres pour le plaisir de la chasse. Quant à la rivière d'Erymanthe, après être sortie comme j'ai dit, du mont Lampée, elle prend son cours par l'Arcadie entre le mont Pholoé qui est sur la droite, et Thelpuse qui est à gauche, et va tomber dans l'Alphée.

[5] On dit qu'Hercule pour obéir aux ordres d'Eurysthée entreprit de tuer un sanglier d'une grandeur et d'une force prodigieuse qui infestait le mont Erymanthe ; et si l'en en croit les habitants de Cumes dans l'Opique, ils conservent encore dans le temple d'Apollon les défenses de cet énorme animal ; mais je n'y vois point de vraisemblance.

[6] Les Psophidiens avaient autrefois deux temples, dont l'un était conacré à Vénus Erycine ; le temps l'a détruit. On prétend que c'était Psophis fille d'Eryx qui l'avait fait bâtir, et cela paraît assez croyable ; car en Sicile il y a sous le mont Eryx un temple de nême nom, célèbre depuis longtemps, et qui ne le cède pas en richesses au temple de Vénus qui est à Paphos.

[7] Les tombeaux des deux fils de Psophis, Promachus et Echéphron subsistent encore et sont remarquables par leur beauté. On voit aussi la sépulture d'Alcméon fils d'Amphiaraüs ; c'est un tombeau qui n'a rien de particulier ni pour la grandeur, ni pour les ornements. On a laissé croître à l'entour un grand nombre de cyprès qui sont si hauts qu'une montagne voisine en est cachée ; ces arbres sont censés appartenir à Alcméon et lui être consacrés ; voilà pourquoi on ne les coupe point, et les gens du pays les appellent des arbres vierges.

[8] Selon eux Alcméon après avoir tué Eriphyle sa propre mère s'enfuit d'Argos, et vint à Psophis qui alors du nom de Phegéüs se nommait Phegée ; là il épousa Alphésiboée fille de Phegéüs, et entre autres présents il lui donna le collier d'Eriphyle. Mais en Arcadie comme à Argos tourmenté sans cesse par les furies, il résolut d'aller consulter l'oracle de Delphes. La réponse de l'oracle fut qu'il cherchât une terre nouvellement découverte, et qui fût sortie du sein de la mer depuis son parricide, que là le génie vengeur d'Eriphyle ne le poursuivrait pas.

[9] A force de chercher il trouva un monceau de terre qui s'était formé du limon de l'Achéloüs. Ce fut là qu'il établit son domicile, et dans la suite il épousa Callirhoé, qui, si l'on en croit les Acarnaniens, était fille du fleuve Achéloüs. Il en eut deux fils, Acarnan et Amphoterus ; le premier donna son nom aux peuples qui habitent ce continent ; car auparavant on les nommait Curètes. Il arrive souvent aux hommes et encore plus aux femmes de se laisser aller à des désirs déréglés.

[10] Callirhoé ne fut pas exempte d'un défaut si ordinaire à son sexe ; elle voulut avoir le collier d'Eriphyle, et ne donna point de repos à Alcméon qu'il ne lui eût promis de l'aller chercher. Il retourna donc à Phégée, mais pour son malheur ; car Téménus et Axion tous deux fils de Phegéüs lui dressèrent des embûches où il périt, et ensuite ces princes consacrèrent le collier d'Eriphyle à Apollon de Delphes. Les Psophidiens disent qu'au temps de la guerre de Troie, leur ville gouvernée par des Rois s'appellait encore Phégée et qu'ils n'eurent aucune part à cette expédition, parce que leurs Rois haïssaient les chefs des Argiens, dont la plupart étaient parents d'Alcméon, et l'avaient suivi à la guerre de Thèbes.

[11] Autant que j'en puis juger, si les Echinades ne sont pas encore jointes au continent de ce côté-là, c'est parce que les Etoliens chassés pour la plus grande partie de leur pays ont laissé leurs terres incultes ; car l'Achéloüs ne charriant plus la même quantité de limon n'a pu combler l'espace qui est entre ces îles et la terre ferme. Je n'en veux point d'autre preuve que le Méandre qui traversant la Phrygie et la Carie, pays très cultivé, a fait en assez peu de temps un continent de ce bras de mer qui était entre Priène et Milet.

[12] Les Psophidiens ont sur le mont Erymanthe un temple dédié au fleuve de ce nom, avec une statue du Dieu, et les fleuves les plus célèbres ont des statues de marbre blanc dans le même temple, à la réserve du Nil qui en a une de marbre noir ; car on croit que, parce que le Nil en se rendant à la mer arrose le pays des Ethiopiens, ses statues doivent être noires.

[13] J'ai ouï dire qu'aussi bien que Crésus roi de Lydie, un Psophidien nommé Aglaüs avait été heureux tout le temps de sa vie ; mais je ne le crois pas. Un homme peut bien être plus heureux quun autre, comme un vaisseau peut être exposé à de moindres vents, à de moindres tempêtes.

[14] Mais jamais homme n'a été entièrement exempt d'adversité, comme jamais vaisseau en courant les mers n'a manqué d'essuyer quelque tempête. C'est ce qu'Homère a voulu nous faire entendre par ces deux tonneaux que Jupiter a, dit-il, en sa puissance, l'un plein de bien, l'autre de maux ; et c'est ce qu'il avait appris lui-même de l'oracle de Delphes, qui prononça qu'Homère était heureux et malheureux, voulant dire qu'il était né pour l'un et pour l'autre sort.

XXV. [1] Sur le chemin de Psophis à Thelpuse on trouve à la gauche du Ladon un village nommé Trophéa. Près de ce village est le bois Aphrodisium. Une inscription gravée sur une colonne en vieux caractères presque effacés apprend que ce sont là les confins des Psophidiens et des Thelpusiens. Les plaines de Thelpuse sont arrosées par le fleuve Arsen ; quand vous avez passé ce fleuve, vingt-cinq stades au-delà vous voyez les ruines d'Haluns, et un temple d'Esculape, qui est sur le chemin.

[2] A quarante stades de ce temple ou environ est la ville de Thelpuse, ainsi appellée du nom d'une nymphe que l'on dit avoir été fille du fleuve Ladon. Le Ladon a sa source comme j'ai déjà dit assez près de Clitore ; après avoir pris son cours du côté de Leucase et de Mésoboa, il passe à Nases, à Oryge, à Haluns ; de là il descend aux Thaliades et vient baigner un temple de Cérès Eleusinienne qui est sur la lisière du territoire de Thelpuse.

[3] Dans ce temple on voit des statues de Cérès, de Proserpine, et de Bacchus qui toutes sont de marbre, et ont pour le moins sept pieds de haut. Le Laclon après avoir passé au pied du temple de Cérès continue son cours vers Thelpuse qu'il 1aisse sur la gauche. Cette ville est située sur une hauteur, mais elle n'est plus ce qu'elle était autrefois ; car la place publique qui était, à ce que l'on assure, au centre de la ville, est aujourd'hui à l'extrémité. On y voit encore un temple d'Esculape. Il y en avait un autre consacré aux douze dieux ; mais il est détruit de fond en comble.

[4] De Thelpuse le Ladon vient gagner le temple de Cérès à Oncée ; ce temple est nommé par les Thelpusiens 1e temple de Cérès Erinnys, et Antimaque dans ses vers sur l'expédition des Argiens contre Thèbes confirme cette dénomination. Si l'on en croit la renommée Oncus était un fils d'Apollon qui donna son nom à tout ce canton où il s'était rendu fort puissant. Quant à Cérès, voici pourquoi elle fut surnommée Erinnys.

[5] Dans le temps qu'elle cherchait sa fille par le monde, Neptune épris de sa beauté voulut avoir ses bonnes grâces. La Déesse pour éviter les poursuites du Dieu se métamorphosa en jument et passa quelques temps parmi les cavales d'Onces. Neptune se voyant trompé, trompa la Déesse à son tour ; il prit la figure d'un cheval et parvint à ce qu'il souhaitait.

[6] Cérès au commencement se mit fort en colère, mais ensuite elle s'apaisa, et l'on dit qu'elle prenait plaisir à s'aller baigner dans la rivière de Ladon. Cette aventure lui fit donner les surnoms d'Erinnys et de Lusia ; le premier à cause du mot grec qui dans le langage des Arcadiens signifie être en fureur ; le second parce qu'elle s'était baignée dans le Ladon. Les deux statues qui représentent Cérès sous ces deux noms sont de bois, à la réserve du visage, des mains et des pieds qui sont de marbre de Paros.

[7] Cérès Erinnys tient un flambeau de la main droite, et une corbeille de la gauche ; c'est une statue de neuf pieds de haut, celle de Cérès Lusia n'en a pas plus de six. Ceux qui ont pris cette dernière pour une statue de Thémis se sont assurément trompés. On dit que de cet accouplement naquit une fille, dont le nom est un secret pour ceux qui ne sont pas initiés aux mystères de Cérès, et qu'il en naquit aussi un cheval qui eut nom Arion ; et l'on tient que ce sont les Arcadiens qui ont donné les premiers le surnom d'Hippius à Neptune.

[8] On allègue deux passages en faveur d'Arion, l'un de l'Iliade, l'autre de la Thébaïde. Dans le premier, Nestor parlant à son fils Antiloque, lui dit que s'il suit ses conseils, il n'y aura point de coursiers qui puissent devancer les siens, quand ce serait Arion, ce cheval de race immortelle qu'Hercule donna à Adraste ; dans le second le poète nous peint Adraste fuyant de Thèbes en habit de deuil et monté sur Arion, qui avait, dit-il, le poil de couleur céleste. Par ces témoignages on prétend prouver qu'Arion était né de Neptune.

[9] Mais Antimaque dit formellement qu'il fut engendré de la terre ; Adraste, dit-il fils de Talaüs poussa le premier son char attelé de deux superbes coursiers, dont l'un était Cérus plus léger que le vent ; l'autre Arion que la terre enfanta d'une manière miraculeuse près du bois d'Apollon à Oncée.

[10] Pour dire le vrai, si ce cheval sortit de la terre, on peut bien croire qu'il était de race divine et qu'il avait les crins de couleur céleste. Quoi qu'il en soit, on ajoute qu'Hercule voulant faire la guerre aux Eléens demanda Arion à Oncus, que monté sur ce cheval il gagna des batailles, qu'il prit Elis, et qu'ensuite il fit présent de ce merveilleux cheval à Adraste : cette tradition est confirmée par Antimaque, qui dit qu'Adraste fut le troisième qui eut la gloire de dompter Arion.

[11] Du temple de Cérès Erinnys le Ladon va passer entre le temple d'Apollon Oncéate qui est sur la gauche, et le temple d'Esculape enfant, qui est sur la droite. Là vous verrez le tombeau de Trygon que l'on dit avoir été la nourrice d'Esculape ; car les Arcadiens prétendent qu'Esculape dans son enfance fut exposé près de Thelpuse, et qu'Autolaüs fils naturel d'Arcas l'ayant trouvé par hasard, le fit élever. C'est apparemment pourquoi l'on honore cette divinité sous le titre d'Esculape enfant, outre les raisons que j'ai rapportées dans le chapitre qui concerne les Epidauriens.

[12] Le Ladon reçoit la rivière de Tuthoa auprès d'Hérée sur les confins des Thelpusiens ; et la campagne voisine du confluent des deux rivières s'appelle par excellence la plaine. Ensuite le Ladon va tomber lui-même dans l'Alphée près d'un endroit que l'on nomme l'île aux corbeaux. Quelques-uns ont cru que Stratie, Enispé et Rhipé dont Homère fait mention étaient des îles du Ladon qui autrefois étaient habitées ; mais c'est une chimère ; car le Ladon n'a point d'île qui soit plus grande qu'un bâtiment de transport.

[13] C'est à la vérité la plus belle rivière qu'il y ait en Grèce, elle n'a pas même sa pareille dans les pays barbares, mais elle n'est pas assez large pour avoir des îles, comme on en voit sur le Danube et sur le Pô.

XXVI. [1] Hérée a eu pour fondateur Héréüs fils de Lycaon ; cette ville est bâtie à la droite de l'Alphée, moitié sur le penchant d'un côteau, moitié sur les bords du fleuve. On y voit le long de l'Alphée une espèce de cours planté de myrthes et d'autres arbres, où les Héréens s'exercent à la course ; ils ont aussi de ce côté là des bains publics et deux temples de Bacchus, dont ils nomment l'un Politès, l'autre Axitès,

[2] sans compter une chapelle où ils célèbrent les orgies en l'honneur du dieu. Pan a son temple dans la ville ; ce dieu est honoré des Arcadiens comme un dieu originaire de leur pays. Junon avait aussi autrefois un temple à Hérée, mais on n'en voit plus que les ruines avec quelques colonnes qui sont restées. Démarate d'Hérée est de tous les athlètes que l'Arcadie a jamais eus, celui qui s'est acquis le plus de gloire et de réputation ; ce fut lui qui le premier aux jeux olympiques parut à la course armée et fut proclamé vainqueur.

[3] A quinze stades de la ville vous êtes sur les terres des Eléens et vous passez le Ladon. Vingt autres stades au-delà vous trouvez l'Erymanthe ; les Arcadiens disent que ce fleuve est limitrophe entre les Héréens et les Eléens ; mais ceux-ci prétendent que le tombeau de Coroebus est leur véritable borne.

[4] J'ai déjà dit qu'Iphitus le restaurateur des jeux olympiques ayant d'abord proposé des prix pour la course seulement, Coroebus fut le premier qui remporta la victoire. Son épitaphe fait foi de cet événement, et nous apprend aussi qu'il fut enterré sur les confins de l'Elide ; ce qui semble appuyer la prétention des Eléens.

[5] D'Hérée vous allez à Aliphère ; c'est une petite ville qui fut abandonnée de la plupart de ses habitants, lorsque les Arcadiens prirent la résolution d'accroître et de peupler Mégalopolis. En y allant vous passez l'Alphée, et après avoir fait environ dix stades dans des plaines, vous arrivez à une montagne, d'où vous descendez jusques dans la ville par un chemin qui peut avoir trente stades de longueur.

[6] Aliphère a pris son nom d'Aliphérus autre fils de Lycaon. Ses temples sont au nombre de deux, dont l'un est dédié à Esculape, l'autre à Minerve, déesse à laquelle ces peuples ont une dévotion singulière, persuadés qu'ils sont qu'elle est née chez eux et qu'elle y a été nourrie. C'est dans cette idée qu'ils ont érigé un autel à Jupiter Lochéate, c'est-à-dire à Jupiter qui accouche de Minerve, et ils ont donné le nom de Tritonis à une fontaine à laquelle ils attribuent tout ce que l'on dit du fleuve Triton.

[7] La statue de Minerve est un ouvrage d'Hyppatodore qui mérite d'être vu tant pour sa grandeur que pour sa beauté. Ils ont des jours d'assemblées et de foires en l'honneur d'une certaine divinité, qui est Minerve selon toutes les apparences. Dans ces occasions ils sacrifient premièrement à Myiagrus, adressant leurs veux à ce héros et l'invoquant par son nom : avec cette précaution ils ne sont jamais incommodés des mouches durant leurs sacrifices.

[8] Sur le chemin qui va d'Hérée à Mégalopolis on trouve Mélénée, ville autrefois bâtie par Mélénéus un des fils de Lycaon, mais aujourd'hui ce n'est plus qu'un village désert et inondé en tout temps. Quarante stades au-dessus de Mélénée vous voyez un lieu nommé Buphagium, où le Euphagus prend sa source ; c'est une rivière qui tombe dans l'Alphée, et sa source même est ce qui borne les Héréens et les Mégalopolitains.

XXVII. [1] De toutes les villes non seulement de l'Arcadie mais même de la Grèce, la plus récente est Mégalopolis, à la réserve de celles qui depuis la funeste division des Romains et la bataille d'Actium ont été peuplées de nouveaux habitants. Ce qui porta les Arcadiens à bâtir Mégalopolis, ce fut l'envie de réunir leurs forces dans une ville qui fût comme le centre et la capitale de tout le pays. Ils savaient que les Argiens, pendant tout temps qu'ils avaient eu leurs troupes dispersées en plusieurs villes, s'étaient vus sans cesse harcelés par les Lacédémoniens ; et qu'au contraire depuis le parti qu'ils avaient pris de raser Tirynthe, Hysies, Ornée, Mycènes, Midée et quelques autres pour en transporter les habitants à Argos, ils avaient moins redouté les Lacédémoniens, et s'étaient fait respecter de leurs voisins.

[2] Ce fut dans cette vue que les Arcadiens conspirèrent tous à aller habiter Mégalopolis ; mais Epaminondas fut regardé avec justice comme l'auteur de cette entreprise ; car il trouva le moyen de rassembler les Arcadiens dans une seule ville, et il envoya à ces peuples une escorte de mille hommes choisis sous la conduite de Paminenès, pour les soutenir au cas que les Lacédémoniens les attaquassent, et qu'ils s'opposassent à leur transmigration. Les Arcadiens de leur côté nommèrent des chefs tirés de chaque province. Timon et Proxène commandaient les Tégéates ; Lycomede et Poléas conduisaient les Mantinéens ; Cléolas et Acriphius menaient ceux de Clitore ; Eucampidas et Iéronyme avaient les Ménaliens sous leurs ordres ; enfin Pasicrate et Théoxène étaient à la tête des Parrhasiens.

[3] Voici maintenant la liste des villes qui, soit par zèle pour le nouvel établissement, soit par haine pour les Lacédémoniens, se laissèrent persuader d'envoyer la meilleure partie de leurs citoyens à Mégalopolis. Dans la province de Ménale il y eut Aléa, Pallantium, Entée, Sumatie, Asée, Apérethe, Hélisson, Oresthasium, Dipée, et Alycée. Dans le pays des Eutrésiens il y eut Tricolons, Zoetée, Charisie, Ptolederme, Cnausons et Parorée.

[4] Entre les Egyptiens il y eut Scirtonium, Malée, Cromès, Belemine et Leuctron. Entre les Parrhasiens, ceux de Lycosure, de Thocnée, de Trapésunte, de Prosée, d'Acacésium, d'Acontion, de Macarie et de Dasée se signalèrent à l'envi. Parmi les Cynuréens d'Arcadie, ceux de Gortys, de Thise sur le Licée, de Lycoa, et d'Aliphère, suivirent l'exemple des autres. Enfin du pays des Orchoméniens furent les villes de Thisoa, de Méthydrium, et de Teuthis, auxquelles se joignirent Tripolis, Callia, Dipoene et Nonacris.

[5] La plupart de ces peuples se soumettant à une résolution prise du consentement unanime de toute la nation se transplantèrent volontiers à Mégalopolis. Il n'y eut que les Lycoates, ceux de Tricolons, ceux de Lycosure et ceux de Trapésunte qui résistèrent, ne pouvant se résoudre à abandonner les villes où ils avaient pris naissance. Encore même des quatre peuples que je viens de nommer les trois premiers furent-ils obligés de céder de sorte que les Trapésuntiens furent les seuls qu'on ne put persuader ; ils aimèrent mieux quitter entièrement le Péloponnèse que d'aller demeurer à Mégalopolis.

[6] Ceux d'entre eux qui purent échapper à la fureur des Arcadiens, s'embarquèrent et allèrent trouver leurs compatriotes, qui avaient bâti une autre Trapésunte sur le Pont-Euxin, et qui les reçurent comme leurs frères. Quant à ceux de Lycosure qui d'abord avaient refusé d'obéir, ils furent épargnés par respect pour le temple de Cérès et de Proserpine où ils s'étaient réfugiés.

[7] De toutes les autres villes dont j'ai donné le dénombrement, les unes sont aujourd'hui désertes, les autres ne sont plus que des villages qui relèvent des Mégalopolitains, comme Gortys, Dipoene, Thisoa dans le pays des Orchoméniens, Méthydrium, Teuthis, Callia et Hélisson. Pallantium est la seule qui ait eu un sort plus favorable. Aliphèré s'est aussi maintenue et subsiste encore.

[8] Cette transmigration des Arcadiens dans la ville de Mégalopolis arriva la même année que la défaite des Lacédémoniens à Leuctres, et peu de mois après. Phrasiclidès était pour lors archonte à Athènes, et ce fut en la cent deuxième olympiade, en laquelle Damon de Thurium remporta le prix du stade.

[9] Les Mégalopolitains ayant fait une étroite alliance avec les Thébains, n'eurent plus rien à craindre de la part des Lacédémoniens. Mais cette sécurité ne dura pas longtemps. Car dès que les Lacédémoniens virent les Thébains engagés dans la guerre sacrée, ainsi la nomme-t-on, et attaqués par les Phocéens qui soutenus de leurs voisins les Béotiens, et qui ne manquaient pas d'argent parce qu'ils avaient pillé le temple de Delphes,

[10] aussitôt ils déclarèrent la guerre aux Arcadiens en général, et surtout à ceux de Mégalopolis. Ceux-ci se défendirent si bien, et furent secourus si à propos de tous les peuples d'alentour, qu'il ne se passa rien de considérable de part ni d'autre. Il faut convenir que les Arcadiens par leur animosité contre Sparte contribuèrent beaucoup à l'agrandissement de Philippe et de la puissance macédonienne ; car ils ne se trouvèrent ni à la bataille de Chéronée avec les autres Grecs, ni au combat qui se donna ensuite en Thessalie.

[11] Quelque temps après il s'éleva parmi eux un tyran nommé Aristodème, Phigalien de naissance fils d'Artylas, et que Tritée un des plus riches citoyens de Mégalopolis avait adopté ; pour comble de bonheur malgré sa tyrannie, il était en si grande réputation de vertu, qu'on le surnommait l'homme de bien. Sous la domination d'Aristodème Acrotate à la tête d'une armée de Lacédémoniens fit une irruption dans le pays des Mégalopolitains ; Acrotate était l'aîné des fils de Cléomène dont j'ai rapporté la généalogie comme celles de tous les rois de Sparte. Il y eut un grand combat entre ces deux peuples et beaucoup de monde tué d'un et d'autre côté ; cependant les Arcadiens eurent l'avantage. Acrotate périt en cette occasion avec un grand nombre de Lacédémoniens ; ainsi ce malheureux prince ne succéda point à son père.

[12] Deux générations après la mort d'Aristodème, Lydiade usurpa aussi la souveraine autorité ; c'était un homme obscur, mais qui avait des sentiments élevés, et qui aimait sa patrie, comme il en donna des marques. Car jeune encore il s'était emparé du gouvernement, et quand il eut plus d'âge et plus d'expérience, il s'en démit volontairement, quoique sa domination fût bien établie. Ensuite les Mégalopolitains étant entrés dans la ligue d'Achaïe, Lydiade se fit tellement estimer des Achéens et de ses compatriotes que tous le comparaient à Aratus.

[13] A quelque temps de là les Lacédémoniens sous la conduite d'Agis fils d'Eudamidas, roi de Sparte, mais de l'autre maison, après des préparatifs de guerre extraordinaires et beaucoup plus grands que n'avaient été les derniers sous Acrotate, vinrent attaquer les Mégalopolitains, les taillèrent en pièces, et mirent le siège devant Mégalopolis. Déjà ils avaient approché des murs une énorme machine dont ils battaient la tour en ruines, et ils espéraient que dès le lendemain cette tour serait renversée.

[14] Mais il était de la destinée des Grecs d'être sauvés plus d'une fois par le vent de Borée ; car ce même vent qui avait fait échouer une partie de la flotte des Perses contre les écueils de la côte de Sépias, empêcha aussi que Mégalopolis ne fût prise ; sa violence fut si grande et si continuelle qu'elle abattit et brisa la machine de guerre en laquelle les ennemis avaient toute leur espérance. Le roi Agis à qui Borée joua un si mauvais tour est celui-là même sur qui Aratus général des Sicyoniens prit la ville de Pellène en Achaïe, et qui depuis fut tué au combat de Mantinée.

[15] Enfin peu d'années après Cléomène fils de Léonidas, sans aucun égard pour la foi des traités, se rendit maître de Mégalopolis par surprise. Nombre d'habitants étant accourus la nuit à la défense des remparts furent tués en combattant pour leur patrie ; et Lydiade entre autres après avoir fait tout ce que l'on pouvait attendre de son grand courage, eut une fin digne de la mémoire de tous les siècles. Philopoemen fils de Craugis rassembla les deux tiers du peuple tant hommes que femmes et enfants, et se retira avec eux en Messénie.

[16] Tout le reste fut passé au fil de l'épée ; Cléomène rasa la ville jusqu'aux fondements et y mit le feu. Comment dans la suite les Mégalopolitains y étant rentrés la rebâtirent, et ce qu'ils firent après leur rétablissement, c'est ce que je me réserve à dire lorsque je parlerai de Philopoemen. Cependant il faut rendre justice aux Lacédémoniens ; le sac de Mégalopolis ne leur doit pas être imputé, mais uniquement à Cléomène qui gouvernait despotiquement alors, et qui de roi de Sparte s'en était fait le tyran.

[17] La source du fleuve Buphagus est, comme j'ai dit, ce qui sépare les Héréens d'avec les Mégalopolitains. On tient que ce fleuve a pris son nom du héros Buphagus, qui était fils de Japet et de Thornax. La mémoire de Thornax est célèbre aussi parmi les Lacédémoniens. Quant à Buphagus, on dit que Diane le tua à coups de flèches sur le mont Pholoé, pour le punir d'avoir voulu attenter à sa pudicité.

XXVIII. [1] De la source du fleuve on va à Maratha, et de là à un village nommé Gortys, qui était autrefois une ville. Vous y voyez un temple d'Esculape, de ce beau marbre du mont Pentélique, une statue du Dieu qui le représente jeune encore et sans barbe, et une statue d'Hygéia, l'une et l'autre de la main de Scopas. Les gens du lieu disent qu'autrefois Alexandre consacra dans ce temple sa cuirasse et sa lance à Esculape ; ce qui est de certain, c'est que l'on y voit encore une cuirasse et le bout d'une lance.

[2] Le village de Gortys est coupé par un fleuve que l'on nomme à sa source le Lusius, parce que, dit-on, Jupiter venant au monde fut lavé dans l'eau de ce fleuve. Plus bas il prend le nom de Gortynius à cause du lieu par où il passe, et c'est de tous les fleuves celui dont les eaux sont les plus fraîches. Car on ne doit pas simplement appeller frais, de certains qui gèlent tous les hivers, parce qu'ils coulent à travers des terres presque toujours couvertes de neiges, ou situés sous un climat fort septentrional. Tels sont le Rhin, le Danube, l'Hypanis, le Borysthène et quelques autres.

[3] Mais ces fleuves qui sous un climat plus doux, sans être sujets à geler en hiver, peuvent rafraîchir en été ceux qui boivent de leurs eaux, ou qui s'y baignent, ce sont ceux-là dont on peut vanter la fraîcheur. Je mets de ce nombre le Cydnus qui arrose les terres des Tarses, le Mélas qui passe dans le pays des Pamphiliens auprès de Sicle, l'Alens qui embellit la ville de Colophon, et que les poètes élégiaques ont tant chanté ; mais le Gortynius l'emporte sur eux tous. Sa source est entre Thisoa et Méthydrium, et l'endroit où est le confluent du Gortynius et de l'Alphée se nomme Rhétées.

[4] Près de Thisoa il y a un village qui a nom Teuthis ; c'était même anciennement une ville, qui, à ce que l'on dit, leva des troupes à ses dépens pour le siège de Troie, et les envoya sous la conduite d'un chef particulier nommé Teuthis, d'autres disent Ornythus ; ce chef, pendant que les Grecs étaient arrêtés en Aulide par les vents contraires, se brouilla avec Agamemnon, et voulut s'en retourner avec ses Arcadiens.

[5] On ajoute que Minerve ayant pris la ressemblence de Mélas fils d'Ops tâcha de détourner Teuthis de son dessein ; que Teuthis transporté de colère frappa la déesse de son javelot et la blessa à la cuisse ; qu'ensuite il partit avec sa troupe ; mais qu'arrivé chez lui il eut une vision où il lui sembla voir Minerve qui lui montait sa blessure ; aussi tôt il tomba malade d'une maladie de langueur dont il mourut ; que la terre où il demeurait fut maudite, et que par cette raison c'était le seul canton de toute l'Arcade qui ne portait aucune espèce de fruit.

[6] Dans la suite les habitants allèrent consulter l'oracle de Dodone, qui leur conseilla d'apaiser la déesse. Ce fut dans cette intention qu'ils lui érigèrent une statue où elle est représentée avec une blessure à la cuisse ; j'ai vu cette statue ; une des cuisses a encore une ligature couleur de pourpre.

[7] Il y plusieurs temples à Teuthis ; les deux plus considérables sont celui de Vénus et celui de Diane. Sur le chemin qui mène de Gortys à Mégalopolis on voit la sépulture de ces braves Arcadiens qui furent tués en combattant contre Cléomène. On appelle leur tombeau le Parébasium, à carre de la perfidie de Cléomène qui surprit Mégalopolis contre la foi des traités. Près de ce tombeau est une plaine d'environ soixante stades. A votre droite vous voyez les ruines de la ville de Brenthe, et la rivière de Brenthéate qui passe auprès, et qui cinq stades au-delà va se jeter dans l'Alphée.

XXIX. [1] Quand on a passé ce fleuve on se trouve dans la plaine de Trapésunte où l'on voit encore les restes de la ville qui portait ce nom. En descendant sur la gauche et en côtoyant le fleuve on découvre un vallon que les gens du pays nomment Bathos, et où tous les trois ans ils célèbrent les mystères des grandes Déesses. Là vous verrez la fontaine Olympias qui est à sec de deux années l'une, et dans le voisinage de laquelle il sort de terre des tourbillons de flamme.

[2] Si l'on en croit les Arcadiens, ce fut là et non près de Pellène en Thrace, que les Géants combattirent contre les Dieux. C'est pourquoi ils sacrifient aux Tempêtes, aux Eclairs, et aux Foudres. Homère n'a fait aucune mention des Géants dans l'Iliade ; mais dans l'Odyssée il raconte que les vaisseaux d'Ulysse furent attaqués par les Lestrygons qui tenaient plus des Géants que des hommes ; ce sont ses termes. Et Alcinoüs parlant à Ulysse lui dit que les Phéaciens ressemblaient autant aux Dieux par leur piété et leur justice, que les Cyclopes et les Géants se ressemblaient par leur injustice et leur impiété. Ces endroits marquent assez que le poète ne regardait pas les Géants comme issus des Dieux, mais comme une race mortelle ; et il s'en explique encore plus clairement, lorsqu'il dit que le Roi qui tenait les fiers Géants sous son empire vit périr ce peuple insolent, et périt lui-même après. Car Homère par le mot de peuple entend toujours une multitude d'hommes.

[3] Quant à ce que l'on dit que les Géants avaient des serpents en guise de pieds, c'est une folie dont il est aisé de montrer l'absurdité par plusieurs preuves, mais surtout par celle que je vais rapporter. L'Oronte est un fleuve de Syrie, qui en allant se rendre à la mer passe tantôt par des plaines, tantôt aussi par des lieux escarpés et des précipices, en un mot dont le lit est très inégal. Un Empereur romain qui voulait transporter son armée par eau depuis la mer jusqu'à Antioche, entreprit de rendre l'Oronte navigable, afin que rien n'arrêtât ses vaisseaux. Ayant donc fait creuser un autre canal avec beaucoup de peine et de dépense, il détourna le fleuve et lui fit changer de lit.

[4] Quand le premier canal fut à sec, on y trouva un tombeau de brique, long pour le moins de onze coudées, qui renfermait un cadavre de pareille grandeur, et de figure humaine en toutes ses parties. Les Syriens ayant consulté l'oracle d'Apollon à Claros pour savoir ce que c'était que ce corps, il leur fut répondu que c'était Oronte, Indien de nation. En effet si dans les premiers temps la terre encore toute humide, venant à être échauffée par les rayons du soleil a produit les premiers hommes, quelle partie de la terre fut jamais plus propre à produire des hommes d'une grandeur extraordinaire, que les Indes qui encore aujourd'hui engendrent des animaux tels que les éléphants ?

[5] A dix stades de ce vallon que l'on nomme Bathos est la ville de Basilis, bâtie autrefois par ce Cypselus qui maria sa fille à Cresphonte fils d'Aristomaque ; cette ville est présentement en ruines, il ne s'y est conservé qu'un temple de Cérès Eleusinienne. Un peu plus loin vous passez une seconde fois l'Alphée, et vous arrivez à Tocnie, qui a pris son nom de Tocnus fils de Lycaon ; cette ville est entièrement déserte ; elle est bâtie sur le haut d'une colline ; l'Aminius passe au bas ; c'est une petite rivière qui se jette dans l'Hélisson, et l'Hélisson va tomber ensuite dans l'Alphée.


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Traduction par l'abbé Gédoyn (1731, édition de 1794)
NB : Orthographe modernisée et chapitrage complété.