[La Béotie orientale et septentrionale]

Tardieu, 1821

XVIII. [1] En sortant de Thèbes par la porte Proetide, on va droit à Chalcis. Sur le chemin on trouve le tombeau de Mélanippus, un des plus grands capitaines que les Thébains aient jamais eu. Lorsque les Argiens assiégeaient Thèbes, il tua de sa main Tydée et Mécistée, un des frères d'Adraste ; mais il fut tué lui-même par Amphiaraüs.

[2] Près de ce tombeau vous voyez trois grosses pierres ; ceux qui croient connaître les antiquités du pays disent que c'est le lieu de la sépulture de Tydée qui fut inhumé là par Méon, et ils se fondent sur un vers de l'Iliade d'Homère, qui dit que ce guerrier

Trouva sa sépulture aux campagnes thébaines.

[3] Les tombeaux des fils d'Oedipe sont sur la même ligne. Je n'ai pas assisté aux sacrifices qui s'y font ; mais des gens dignes de foi m'ont dit deux choses, l'une que les Thébains sacrifient à plusieurs autres héros, mais particulièrement à ceux-ci ; l'autre, que dans le temps qu'ils font rôtir les victimes immolées à ces frères irréconciliables, la flamme et la fumée se séparent visiblement en deux. Si quelque chose peut rendre ce fait croyable, c'est ce que j'ai vu moi-même ailleurs.

[4] Dans cette partie de la Mysie qui est au-dessus de Caïque, il y a une petite ville nommée Pionie, du nom de Pionis son fondateur qui était, dit-on, un des descendants d'Hercule. Lorsque les habitants vont sacrifier sur le tombeau de ce Pionis, il en sort une fumée assez épaisse, et je l'ai vu de mes propres yeux. Les Thébains vous montreront aussi le tombeau de Tirésias qui est à quinze stades ou environ de la sépulture des fils d'Oedipe. Cependant, comme ils conviennent eux-mêmes que Tirésias mourut à Haliartie, ils ne regardent ce tombeau que comme un cénotaphe.

[5] Enfin ils se vantent d'avoir aussi le tombeau d'Hector fils de Priam, et ils le montrent près de cette fontaine que l'on nomme la fontaine d'Oedipe. Car ils disent que les cendres de ce fameux Troyen furent apportées à Thèbes, en conséquence d'un certain oracle conçu en ces termes : Peuples qui habitez la célèbre ville de Cadmus, voulez-vous jouir d'un bonheur durable ? Allez recueillir les cendres d'Hector, le généreux fils de Priam, apportez-les d'Asie chez vous, et qu'à l'avenir elles soient honorées comme elles doivent l'être ; c'est la volonté de Jupiter.

[6] La fontaine porte le nom d'Oedipe, parce que ce fut dans ses eaux qu'il se purifia du meurtre de son père. Près de cette fontaine on voit le tombeau d'Asphodicus ; les Thébains disent que cet Asphodicus tua Parthénopée fils de Talaüs, dans le combat qui fut donné sous les murs de Thèbes contre les Argiens. Mais ces vers de la Thébaïde, où il est parlé de la mort de Parthénopée, en donnent tout l'honneur à Périclymène.

XIX. [1] Sur cette route on trouve le village de Teumesse, où l'on dit que Jupiter tint Europe cachée. On fait aussi un conte sur un renard de Teumesse, qui servait d'instrument à la vengeance de Bacchus irrité contre les Thébains. Ce renard, dit-on, allait être pris par un chien que Diane avait donné à Procrys, fille d'Erechthée, lorsque le chien et le renard furent changés en pierres. A Teumesse on voit un temple de Minerve Telchinia, où il n'y a aucune statue. On peut croire que le surnom de Telchinia vient de ces Telchiniens qui habitèrent autrefois l'île de Chypre, et dont plusieurs passèrent dans la Béotie, où apparemment ils bâtirent ce temple à Minerve.

[2] A sept stades de Teumesse, en tirant sur la gauche, on trouve les ruines de Glisas ; et sur la droite on voit une petite éminence couverte d'arbres sauvages et d'arbres fruitiers. On tient que c'est la sépulture de ces Argiens qui suivirent Egialée fils d'Adraste dans son expédition contre Thèbes ; car plusieurs des chefs y périrent, et entre autres Promachus fils de Parthénopée. Quant à Egialée, en parlant des curiosités de Mégare, j'ai déjà dit qu'il y avait son tombeau à Pages.

[3] Sur le chemin de Thèbes à Glisas, vous verrez une enceinte fermée par une balustrade de pierres ; les Thébains nomment ce lieu la tête du serpent, parce qu'un gros serpent avait autrefois là son repaire, et que Tirésias, dans le temps que ce reptile levait la tête, la lui coupa avec son sabre. Au-dessus de Glisas s'élève une montagne nommée le haut lieu, parce que Jupiter le Très Haut y a un temple et une statue. De là tombe un torrent qu'ils appellent le Thermodon. Si vous revenez gagner le chemin de Chalcis vers Teumesse, vous verrez le tombeau de Chalcodon, tué par Amphitryon, dans le combat qui se donna entre les Thébains et les Eubéens.

[4] On voit ensuite les ruines d'Harma et de Mycalèse. La première de ces villes est ainsi nommée parce que selon les Tanagréens ce fut là qu'Amphiaraüs fut englouti avec son char, et non dans l'endroit que disent les Thébains. Pour Mycalèse, on convient qu'elle a pris son nom de ce que la vache qui servait de guide à Cadmus et à ses troupes se mit à beugler dans le lieu où la ville a été bâtie. Ses malheurs sont décrits dans mes mémoires sur l'Attique.

[5] Du côté de la mer il y a dans cette ville un temple de Cérès Mycalésia. Les gens du pays disent que toutes les nuits Hercule ferme et rouvre ce temple ; mais, selon eux, c'est Hercule le Dactycle Idéen. Voici un autre miracle qu'ils racontent. On apporte aux pieds de la déesse toutes sortes de fruits qui se cueillent en automne, et ces fruits se conservent toute l'année aussi frais que s'ils venaient d'être cueillis.

[6] En tirant vers l'Euripe, du côté qu'il sépare l'Eubée de la Béotie, à la droite du temple de Cérès Mycalésia, si vous avancez un peu vous entrerez dans l'Aulide, ainsi appelée, à ce que l'on prétend, du nom d'une fille d'Ogygus. On y voit un temple de Diane et deux statues de marbre blanc dont l'une représente la déesse un flambeau à la main, l'autre avec un arc et des flèches. On dit que les Grecs, selon l'oracle de Calchas, étant sur le point de sacrifier Iphigénie sur l'autel de Diane, la déesse substitua elle-même une biche en sa place. Les gens du lieu conservent encore dans le temple une partie du tronc de ce platane dont Homère fait mention dans l'Iliade.

[7] Une de leurs traditions est aussi que les Grecs furent arrêtés longtemps en Aulide par les vents contraires, et que tout à coup les vents étant devenus favorables, chacun sacrifia aussitôt en action de grâces la première victime qu'il put rencontrer, soit mâle, soit femelle ; que de là est venue la coutume qui s'observe encore dans le pays, d'immoler à Diane toute sorte de victimes, sans distinction de sexe. On vous montrera la fontaine sur le bord de laquelle était le platane d'Homère, et l'on vous fera remarquer sur une petite éminence un seuil de cuivre qui était devant la tente d'Agamemnon.

[8] Autour du temple il y a des palmiers dont le fruit n'est pas fort bon, non plus que ceux de la Palestine ; mais encore est-il meilleur que les dattes qui viennent en Ionie. L'Aulide n'a qu'un très petit nombre d'habitants qui pour la plupart travaillent en poterie. Les terres sont cultivées par les habitants des villes voisines, Tanagre, Mycalèse et Harma.

XX. [1] Sur les confins des Tanagréens du côté de la mer est la ville de Délium, où pour toute curiosité vous voyez une statue de Diane et une de Latone. Quant aux Tanagréens, ils rapportent leur origine à Poemander fils de Chérésilas, petit-fils d'Iasius et arrière-petit-fils d'Eleuther, qui, si on les en croit, était issu d'Apollon et d'Ethuse fille de Neptune. Poemander épousa Tanagra, qu'ils disent fille d'Eole contre l'opinion de Corinne qui dans ses vers l'a faite fille de l'Asope.

[2] Ils ajoutent que Tanagra eut une vie si longue que ses voisins ne la nommaient plus autrement que Gréa, c'est-à-dire la vieille, nom qui passa à la ville et qui est demeuré si longtemps qu'Homère ne lui en donne point d'autre dans son dénombrement. Mais dans la suite elle reprit son premier nom.

[3] A Tanagre on voit le tombeau d'Orion et le mont Cérycius, où l'on dit que Mercure a pris naissance. Le Poloson est encore un lieu remarquable ; c'est là, dit-on, qu'Atlas avait coutume de se retirer pour observer le ciel et pour s'enfoncer dans l'étude de la nature ; ce qui a donné à Homère l'occasion d'en parler d'une manière si magnifique.

[4] Dans le temple de Bacchus on voit une très belle statue du dieu ; elle est de marbre de Paros et de la façon de Calamis. Mais il y a un Triton qui est encore plus admirable, et les Tanagréens donnent à cette statue une origine qui mérite d'être rapportée. Ils disent que les femmes les plus considérables de Tanagre étaient initiées aux mystères de Bacchus ; qu'un jour étant descendues sur le rivage de la mer pour se purifier, comme elles étaient dans l'eau, un Triton se jeta sur elles ; que dans ce pressant danger elles adressèrent leurs voeux à Bacchus, qui aussitôt vint à leur secours, combattit le Triton et le tua.

[5] Cependant d'autres racontent le fait d'une autre manière, qui le rend à la vérité moins merveilleux mais plus probable. Selon eux un Triton caché sous l'eau se jetait sur les bestiaux qui venaient boire ou paître en ce lieu ; il attaquait même les pêcheurs dans leurs barques. Les Tanagréens s'avisèrent de mettre une cruche de vin sur le bord de la mer ; le Triton attiré par l'odeur ne manqua pas de venir boire ce vin, dont les fumées lui portant à la tête l'endormirent, et en dormant, il se laissa tomber du haut d'une falaise. Un Tanagréen qui se trouva là par hasard l'ayant vu, lui coupa la tête avec sa hache ; de là vient qu'il est représenté sans tête, et parce que l'ivresse avait été cause de sa mort, on imagina que c'était Bacchus qui l'avait tué.

XXI. [1] Parmi les curiosités de la ville de Rome j'ai vu aussi un Triton, mais plus petit que celui qui est à Tanagre. Voici maintenant comment les Tritons sont faits quant à la figure. Ils ont une espèce de chevelure d'un vert d'ache de marais et tous leurs cheveux se tiennent, de manière qu'on ne peut les séparer. Le reste du corps est couvert d'une écaille aussi fine et aussi forte que le chagrin. Ils ont des nageoires au-dessous des ouïes et des narines d'hommes, l'ouverture de la bouche fort large, avec des dents extrêmement fortes et serrées. Leurs yeux, autant que je l'ai pu remarquer, sont verdâtres. Ils ont aussi des mains, des doigts et des ongles qui ressemblent à l'écaille supérieure d'une huître ; enfin, vous leur voyez sous l'estomac et sous le ventre des pattes comme aux dauphins.

[2] J'ai vu plusieurs autres animaux extraordinaires, comme des taureaux d'Ethiopie, autrement appelés rhinocéros, parce que sur chacune des narines ils ont une corne, et une autre plus petite au-dessus, sans en avoir à la tête ; des taureaux de Péonie, qui ont de grands poils sur le corps, particulièrement sous la gorge et sur l'estomac ; des chameaux des Indes qui sont de la même couleur que les léopards ;

[3] enfin un animal qui naît dans le pays des Celtes, et que l'on nomme Alcé ; c'est une espèce qui semble tenir du cerf et du chameau. Cette bête est la seule qui sache se dérober à la connaissance et aux poursuites des chasseurs. Elle sent un homme de loin, et se cache aussitôt dans son fort, qui est si profond et si épais que l'on ne saurait y pénétrer. Aussi ne la prend-on jamais que par hasard, et en chassant d'autres bêtes. On investit tout un canton, soit plaine, soit montagne, et on l'entoure de filets ; chaque chasseur garde exactement son poste ; tous ensuite se rapprochent peu à peu, en sorte que le cercle qui est d'abord fort grand devient toujours plus petit, jusqu'à ce que toutes les bêtes enfermées dans cette enceinte se trouvent prises. Parmi ces bêtes, celle dont je parle se rencontre quelquefois ; il n'y a que cette seule manière de la pouvoir prendre.

[4] Ctésias dans son histoire des Indes parle d'une bête appelée par les Indiens la mantichore, et par les Grecs l'andropophage ; je crois pour moi que ce n'est autre chose qu'un tigre. Suivant Ctésias, cet animal a trois rangs de dents à chaque mâchoire ; l'extrémité de sa queue est hérissée de pointes, avec lesquelles il se défend contre ceux qui l'approchent, et qu'il darde même au loin contre ceux qui le poursuivent. Mais la peur que les Indiens ont de cet animal pourrait bien avoir quelque part à la peinture qu'ils en font.

[5] Car ils se trompent jusque dans la couleur qu'ils lui attribuent ; ils le croient rouge, parce qu'au soleil il leur paraît tel, ou parce que l'extrême agilité de cet animal, qui pourtant ne court jamais, et le danger de l'approcher ne leur permettent pas de discerner sa véritable couleur. Si quelqu'un se donnait la peine d'aller aux Indes, ou en Libye, ou en Arabie, pour y chercher toutes les espèces d'animaux qui sont en Grèce, je suis persuadé qu'il ne les y trouverait pas toutes, et que parmi celles qu'il y trouverait, plusieurs lui paraîtraient d'une forme différente.

[6] Car ce n'est pas seulement l'homme qui tire de la diversité de l'air, ou du climat, ou de la terre des qualités différentes ; la même chose arrive aux autres animaux. En effet, nous savons qu'en Libye les aspics, quant à la couleur, sont tout semblables aux aspics d'Egypte, et que ceux d'Ethiopie sont noirs comme les hommes qui naissent en cette contrée. C'est pourquoi quand on entend parler de quelque merveilleuse production de la nature, on ne doit ni croire légèrement ni aussi se montrer incrédule. Je n'ai jamais vu de serpents ailés ; cependant je ne puis douter qu'il ne s'en trouve, depuis que je sais qu'un Phrygien apporta en Ionie un scorpion qui avait des ailes comme une sauterelle.

XXII. [1] Près du temple de Bacchus à Tanagre, il y a trois autres temples, l'un consacré à Thémis, l'autre à Vénus, le troisième à Apollon ; dans ce dernier Diane et Latone ont aussi leurs statues. Mercure a deux temples dans cette ville, l'un sous le nom de Criophorus ou Porte-Bélier, l'autre sous celui de Promachus, c'est-à-dire le défenseur. Le premier surnom vient de ce que les Tanagréens étant affligés de la peste, Mercure détourna d'eux ce fléau en portant un bélier sur ses épaules autour des murs de la ville ; c'est la raison pourquoi Calamis qui a fait sa statue, l'a représentée de la sorte. Et en mémoire de ce bienfait, tous les ans le jour de la fête du dieu ils choisissent le plus beau jeune homme d'entre eux pour faire la même cérémonie.

[2] Le second surnom est fondé sur une autre marque de protection que ce dieu leur a donnée, car ils racontent que les Erétriens s'étant embarqués à Eubée pour venir assiéger Tanagre, Mercure à la tête des jeunes gens de la ville, lui-même sous la forme d'un jeune homme et armé d'une étrille, attaqua brusquement les ennemis, surtout les Eubéens, et les mit en fuite. Dans le temple de Mercure Promachus, on conserve encore les restes d'un arbre sous lequel on prétend que ce dieu fut nourri. Non loin du temple est le théâtre, et près du théâtre un portique. Les Tanagréens m'ont paru plus religieux que tous les autres peuples de la Grèce, en ce qu'ils ont bâti leurs temples dans un lieu séparé du commerce des hommes, où il n'y a point de maison, et où l'on ne va que pour adorer les dieux.

[3] Ils ont choisi l'endroit le plus apparent de la ville pour y placer le tombeau de Corinne, le seule femme de Tanagre qui ait fait des odes et des cantiques. Ils ont aussi mis son portrait dans le lieu d'exercice ; elle est représentée la tête ceinte d'un ruban pour marque du prix de poésie qu'elle remporta à Thèbes sur Pindare. Je crois que le prix ne lui fut adjugé qu'à cause du dialecte dont elle s'était servie ; car ses vers n'étaient pas en langage dorien comme ceux de Pindare, mais en un langage que les Eoliens pouvaient entendre plus aisément ; et d'ailleurs c'était la plus belle femme de son temps, à en juger par son portrait.

[4] J'ai vu à Tanagre des coqs de deux espèces, les uns qui aiment à se battre comme les coqs ordinaires, et les autres que l'on nomme des merles. Ces derniers sont de la grosseur de ces oiseaux de Lydie ; ils ont la chair noire comme le corbeau, la crête et les barbes de couleur d'anémone, l'extrémité du bec et de la queue marquetée de blanc. Voilà à peu près comme ils sont faits.

[5] Dans cette partie de la Béotie qui est à la gauche de l'Euripe, il y a le mont Messapius, et au bas, Anthédon, ville maritime, qui a pris son nom ou de la nymphe Anthédon, ou d'un certain Anthès qui exerçait son empire sur toute cette côte, et que l'on croit avoir été fils de Neptune et d'Alcyone fille d'Atlas. On voit au milieu de la ville un temple des Cabires, et près de là un bois sacré de Cérès avec un temple de Proserpine, où la déesse est en marbre blanc.

[6] Bacchus a aussi son temple et sa statue devant la porte de la ville du côté de la terre ferme. Là vous verrez le tombeau des enfants d'Aloéüs et d'Iphimédée ; ils furent tués par Apollon à Naxe, au-dessus de Paros, comme Homère et Pindare le racontent ; mais leur sépulture est à Anthédon. Du côté de la mer vous remarquerez un endroit que l'on nomme le saut de Glaucus.

[7] On dit que ce Glaucus était un pêcheur et qu'ayant mangé d'une certaine herbe, il fut changé en un dieu marin. Plusieurs se persuadent qu'il prédit encore l'avenir, et tous les ans on voit des étrangers qui passent la mer pour le venir consulter ; particularité que Pindare et Eschyle avaient apparemment apprise des Anthédoniens ; car l'un en touche quelque chose dans une de ses odes, et l'autre l'a fait servir de fondement à une de ses pièces.

XXIII. [1] A Thèbes, près de la porte Proetide, vous verrez un lieu d'exercice qui porte le nom d'Iolas, et ensuite un stade qui comme à Olympie et à Epidaure est une espèce de longue terrasse. Là on vous fera aussi remarquer le monument héroïque d'Iolas. Les Thébains même conviennent qu'Iolas périt en Sardaigne, avec les Athéniens et les Thespiens, qui s'étaient embarqués sous ses ordres.

[2] Quand vous avez monté la terrasse qui sert de stade, vous trouverez à votre droite une lice pour les courses de chevaux, au milieu de laquelle est le tombeau de Pindare. On raconte de ce poète qu'étant encore dans la première jeunesse, un jour d'été qu'il allait à Thespies, il se trouva si fatigué de la chaleur qu'il se coucha à terre près du grand chemin, et s'endormit. On ajoute que durant son sommeil des abeilles vinrent se reposer sur ses lèvres, et y laissèrent un rayon de miel ; ce qui fut comme un augure de ce que l'on devait un jour attendre de lui.

[3] Son nom devint bientôt célèbre dans toute la Grèce ; mais ce qui mit le comble à sa gloire, ce fut la fameuse déclaration de la Pythie, qui enjoignait aux habitants de Delphes de donner à Pindare la moitié de toutes les prémices que l'on offrirait à Apollon. On dit que sur la fin de ses jours le poète eut une vision en songe. Proserpine s'apparut à lui, se plaignant d'être la seule divinité qu'il n'eût pas célébrée dans ses vers ; mais, ajouta-t-elle, j'aurai mon tour ; quand je vous tiendrai, il faudra bien que vous fassiez aussi un cantique en mon honneur.

[4] Pindare ne vécut pas dix jours après ce songe. Il y avait à Thèbes une femme vénérable, parente du poète, et qui chantait fort bien ses odes. Une nuit qu'elle dormait, elle vit en songe Pindare qui lui chanta un cantique qu'il avait fait pour Proserpine ; cette femme à son réveil se rappela le cantique et le mit par écrit. Le poète y donnait plusieurs surnoms à Pluton, mais entre autres celui de Chrysénius, qui sans doute doit s'entendre de l'enlèvement de Proserpine.

Tardieu, 1821

[5] De là on va à Acrephnie par des plaines qui règnent sur une bonne partie du chemin. C'est une petite ville bâtie sur le mont Ptoüs ; on dit qu'elle était autrefois du ressort de Thèbes ; ce qui est de sûr, c'est que plusieurs Thébains s'y retirèrent lorsque Thèbes fut détruite par Alexandre ; car ceux qui ne se sentirent pas assez de force pour suivre les autres jusqu'en Attique prirent le parti de s'établir là. Il y a dans cette ville un temple et une statue de Bacchus qui méritent d'être vus.

[6] Quinze stades au-delà vous trouvez le temple d'Apollon surnommé Ptoüs, parce que Ptoüs fils d'Athamas et de Thémiste donna son nom et au temple et à la montagne, comme Asius le dit dans ses poésies. Avant l'expédition d'Alexandre contre les Thébains et la ruine de Thèbes, le dieu rendait en ce temple des oracles qui ne trompaient jamais. On dit qu'un Européen nommé Mys étant venu de la part de Mardonius pour consulter Apollon, il lui proposa ses questions dans la langue de son pays, et que le dieu répondit en langue barbare.

[7] Quand vous aurez passé le mont Ptoüs, vous verrez sur le bord de la mer Larymna ville de Béotie. On croit que cette ville a pris son nom de Larymna fille de Cynus, dont je donnerai la généalogie lorsque je parlerai des Locriens. Cette ville était anciennement de la dépendance d'Opunte ; mais les Thébains étant parvenus à un haut degré de gloire et de puissance, elle se soumit d'elle-même aux Béotiens. On y voit un temple de Bacchus, où le dieu est représenté debout. Près de la ville est un lac qui a cela de particulier que ses rives même sont d'une profondeur extraordinaire ; et au-dessus ce sont des montagnes couvertes de bois, où l'on trouve quantité de sangliers.

XXIV. [1] Au sortir d'Acrephnie vous trouverez un chemin qui vous mène droit au lac Céphise, autrement dit Copaïs, et vous passez par une plaine que l'on nomme la plaine d'Athamas, parce qu'Athamas y avait autrefois son habitation. Le lac Céphise est ainsi appelé à cause du fleuve Céphise qui s'y décharge ; ce fleuve vient de Lilée, ville de la Phocide ; en le descendant vous allez jusqu'à Copes, petite ville située sur le bord du lac qu'Homère n'a pas oubliée dans son dénombrement. Cérès, Bacchus et Sérapis y ont chacun un temple.

[2] Les Béotiens assurent qu'il y avait autrefois deux autres villes bâties sur ce lac, Athènes et Eleusis, et que le lac, grossi par la fonte des neiges, étant venu à déborder, ces villes furent submergées. Ce lac n'est pas plus poissonneux qu'un autre, mais on y trouve des anguilles d'une grosseur prodigieuse et d'un goût excellent.

[3] Halmons est à douze stades de Copes sur la gauche, et Hyette est à sept stades d'Halmons ; ce sont deux villages tels qu'ils ont toujours été ; mais je les crois du territoire des Orchoméniens, aussi bien que la plaine d'Athamas. C'est pourquoi, dans l'article où je me réserve à parler de ces peuples, je raconterai ce que j'ai ouï dire d'un Argien, nommé Hyettus, et d'un fils de Sisyphe, qui avait nom Halmon. Du reste, le village d'Halmons ne mérite pas de nous arrêter plus longtemps ; mais à Hyette il y a un temple d'Hercule où les malades vont chercher leur guérison. La statue du dieu n'est nullement travaillée ; c'est une grosse pierre toute brute comme au vieux temps.

[4] D'Hyette à Cyrtons on compte vingt stades ; c'est une petite ville qui se nommait autrefois Cyrtone ; elle est bâtie sur une montagne fort haute, on y voit un temple d'Apollon et un bois sacré ; Apollon et Diane y sont représentés debout. Une source d'eau froide qui sort d'une roche forme une fontaine, près de laquelle est une chapelle consacrée aux nymphes, et un petit bois, ou, pour mieux dire, un verger planté d'arbres fruitiers.

[5] Passé Cyrtons, vous achevez de monter la montagne, et vous trouvez une autre petite ville nommée Corsées. Au bas et à demi-stade c'est un bois sacré au milieu duquel on voit une petite statue de Mercure exposée à l'air. Quand vous êtes dans la plaine vous voyez le fleuve Platanius, qui bientôt après va se jeter dans la mer. A la droite du fleuve vous avez pour frontière de la Béotie, la petite ville d'Hales, près d'un bras de la mer qui sépare la Locride de l'Eubée.


Chapitre suivant

Traduction par l'abbé Gédoyn (1731, édition de 1794)
NB : Orthographe modernisée et chapitrage complété.