XIV - Adrien (an de Rome 870)

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Hadrien
Musée du Vatican

Aelius Adrien (1), ayant plus d'aptitude pour l'éloquence et pour les fonctions civiles que pour la guerre, se hâta de donner la paix à l'Orient et de retourner à Rome. A l'imitation des Grecs et de Numa Pompilius, il commença par instituer de nouvelles cérémonies, faire des lois, établir des gymnases, et favoriser les savants, pour lesquels il forma un établissement, qu'on nomme Athénée, où ils pussent se livrer aux exercices littéraires (2). Il introduisit aussi à Rome les initiations de Cérès et les mystères de Libera ou Eleusine (3), conformément à ce qui se pratiquait chez les Athéniens. Ensuite, selon la coutume observée pendant la paix par ses prédécesseurs, et pour se délasser de ses travaux, il abandonna le gouvernement de la ville au césar L. Aelius, et se retira dans sa maison de plaisance de Tibur (4). Il se conduisit dans cette retraite comme les hommes heureux et opulents : il éleva des palais, donna des festins, acheta des statues et des tableaux : on le vit, en un mot, rechercher, avec une sorte de passion tout ce qui pouvait satisfaire son penchant pour le luxe et la volupté.

De là coururent contre ses moeurs des bruits infâmes. On disait qu'il avait abusé de jeunes garçons ; qu'il avait brûlé d'un amour criminel pour Antinoüs ; que c'était le motif pour lequel il avait donné le nom de cet adolescent à une ville qu'il avait fondée (5), et lui avait érigé des statues. Il est vrai que d'autres personnes prétendent qu'il n'avait rempli en cela qu'un devoir de reconnaissance et de religion : «Adrien, disent-elles, désirant une longue vie, consulta les magiciens. Ils lui répondirent que ses désirs s'accompliraient, si ce quelqu'un consentait à mourir pour lui. Comme personne ne s'offrait pour ce sacrifice, Antinoüs s'y dévoua de lui-même (6). Ce fut pour cette raison que l'empereur rendit à sa mémoire les honneurs dont nous avons parlé». Quoique la liaison d'un prince, si relâché dans ses moeurs, avec un homme d'un âge si éloigné du sien, nous paraisse suspecte, nous ne porterons aucun jugement sur un fait si douteux. Après la mort du césar Aelius, Adrien, s'apercevant que son esprit s'affaiblissait, et que pour cela on commençait à perdre de la considération qu'on avait eue pour lui, convoqua le sénat pour l'inviter à nommer un autre césar. Comme les sénateurs se hâtaient de se rendre à l'assemblée, il jeta par hasard les yeux sur Antonin qui soutenait les pas chancelants de son beau-père, comme il aurait fait à l'auteur même de ses jours. Ce spectacle lui ayant causé autant d'admiration que de plaisir, il adopta aussitôt celui qui le lui avait offert, et commanda qu'on mît à mort les sénateurs qui l'avaient tourné en dérision. Peu après il mourut à Baïes, après une longue maladie. Il avait régné pendant vingt -deux ans moins un mois (7) ; et, malgré sa vieillesse, il avait conservé toute sa vigueur. Le sénat, encore tout affligé d'avoir perdu un grand nombre de ses membres, refusa de lui décerner les honneurs divins, malgré les sollicitations de son successeur ; mais, lorsqu'il vit reparaître tout à coup ceux de ses membres dont il pleurait la mort, et venir embrasser leurs amis, il accorda ce qu'il avait refusé.


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(1)   Toutes les médailles et inscriptions offrent ce nom avec la lettre H. Les Grecs l'écrivent de même, c'est-à-dire, avec un alpha, esprit rude.

(2)  C'est-à-dire, où ils pussent s'entretenir ensemble sur les sciences et les arts qu'ils cultivaient, et réciter publiquement les poèmes et les discours qu'ils avaient composés.

(3)  Il n'est pas vrai qu'Adrien ait introduit à Rome les mystères d'Eleusine, qui n'y furent jamais reçus, malgré les efforts que Claude avaient déjà faits pour les y faire admettre. Quant aux mystères de Cérès, les Romains les avaient empruntés de la Grèce longtemps avant cet empereur. Adrien y ajouta, sans doute, de nouvelles cérémonies.

(4)  Les Romains les plus riches avaient des maisons de plaisance près de cette ville, qui se nomme aujourd'hui Tivoli. Ils s'y retiraient, pendant les chaleurs de l'été, pour y jouir de la fraicheur de l'air, entretenue par de nombreux ruisseaux et l'ombrage des bois. Horace en a célébré les agréments.

(5)  Le nom de cette ville est Antinoüs ou Antinopolis, en Egypte. Adrien éleva aussi un temple à ce favori, près de Mantinée.

(6)  Suivant Spartien, il se noya dans le Nil. D'autres, comme Dion Cassius, rapportent qu'Adrien l'immola lui-même, pour connaître l'avenir par l'inspection de ses entrailles.

(7)  La vérité est qu'Adrien régna vingt ans dix mois, et vingt jours.