Etres mythiques par la forme, l'origine et la naissance, au sujet desquels il existait diverses traditions. Dans l'Iliade (I, 268, II, 743), ils sont désignés sous le nom de fêres et représentés comme des animaux au poil hérissé, sauvages habitants des montagnes de la Thessalie. Dans l'Odyssée (XXI, 295, 304), ils portent leur nom mythologique de centaures et se distinguent par les mêmes instincts brutaux et sensuels qui caractérisent les satyres, ces autres représentants de l'homme primitif. Une étymologie ancienne fait dériver leur nom de deux mots grecs : kentein, piquer, et tauros, taureau. On contait à l'appui l'histoire suivante : un roi de Thessalie, voulant rassembler ses boeufs dispersés par un taon, aurait envoyé à leur poursuite des cavaliers qui les auraient ramenés en les piquant de l'aiguillon. Les centaures seraient ainsi un peuple pasteur, et auraient usé avec leurs animaux du même procédé dont se servent encore pour rattraper les taureaux les pâtres à cheval de la campagne de Rome et les gauchos de l'Amérique du Sud. Une autre étymologie, celle-ci moderne, associe au mot kentein celui d'auros, lièvre, et fait des centaures des piqueurs de lièvres. Cette étymologie s'accorde avec les traditions et avec les monuments qui nous représentent les centaures comme une population de chasseurs.

En nous renfermant dans les données grecques, les centaures, proches parents des satyres, avec lesquels nous les verrons figurer dans la pompe dionysiaque, nous offrent l'image des tribus primitives encore sauvages, et dont les instincts violents sont excités à la lubricité par l'intempérance. C'est ainsi que les peint Homère. La mythologie comparée, en leur supposant une origine asiatique, les a rapprochés des Gandharvas de l'Indes, dieux velus comme des singes, aimant, eux aussi, le vin et les femmes, cultivant la médecine, la divination, la musique, comme les ont cultivées les centaures de la mythologie hellénique. Ce rapprochement avec les Gandharvas (ce nom signifie cheval en sanscrit), tendrait à faire des centaures, ces hommes-chevaux, des personnifications des rayons solaires, que l'imagination aryenne comparait à des chevaux ; ou, comme on l'a dit aussi, des nuages qui semblent chevaucher autour du soleil. Telle est l'explication naturaliste. Cette conception a son analogue en Grèce. Une tradition y faisait naître les centaures d'Apollon et d'Hébé, fille du Pénée et d'une Océanide, dont le nom signifie éclat, splendeur, ce qu'on peut rapporter aux nuages brillants que le soleil fait monter du sein des eaux sur la vallée de Tempé.

Mais la tradition la plus répandue sur l'origine des centaures est celle qu'on trouve dans Pindare (Pyth. II, 35-70). Suivant cette tradition, ils descendaient d'Ixion et de Néphélé (la Nuée). Coupable du meurtre de son beau-père Déionée, Ixion avait été purifié par Zeus, qui l'avait admis à la table céleste. Epris d'Héra, il aurait manqué aux lois de l'hospitalité et de la reconnaissance jusqu'à lui déclarer son amour. Zeus, irrité, lui tendit un piège ; il donna à une nuée la forme d'Héra ; Ixion, trompé par la ressemblance, s'unit avec elle, et de leur embrassement naquit Centauros. Enchaîné par Hermès, Ixion expie son crime sur une roue qui tourne éternellement. «Cette étrange mère, dit Pindare de Néphélé, unique dans l'univers, produisit un fils qui dans la nature n'avait pas son semblable. Monstre féroce, les Grâces ne présidèrent point à sa naissance, et il fut avec dédain repoussé par les hommes et flétri par les lois divines. Centaure (c'est le nom que lui donna sa mère) se mêla dans les vallées du Pélion aux cavales de Magnésie. De cette union sortit un peuple d'enfants merveilleux qui ressemblaient à leur mère par le bas du corps, par le haut à leur père».

Nous n'entrerons pas dans le détail des explications qui ont été données de ce mythe. Les uns ont vu dans Ixion et sa roue une image du soleil emporté d'un mouvement éternel. Pour d'autres, c'est une personnification de l'ouragan et de la trombe. Les centaures sont, ou les rayons du soleil, ou les nuages qui l'entourent. On y verra des démons de la tempête, à moins qu'on ne préfère y voir un symbole des torrents qui descendent du Pélion.

Le mythe le plus populaire concernant les centaures thessaliens, qu'on trouve déjà dans Homère et dans Hésiode, souvent représenté par les artistes grecs, est celui du combat des Centaures et des Lapithes aux noces de Pirithoos. Thésée en est le héros. Selon le récit homérique, amplifié et développé dans les narrations postérieures, Pirithoos, roi des Lapithes, ayant invité à ses noces avec Hippodamie le centaure Eurytion, celui-ci, pris de vin, porta les mains sur la fiancée et fut châtié de son insolence par les héros, qui le chassèrent, après lui avoir coupé le nez et les oreilles. Les centaures, ses compagnons, vinrent alors à son secours, et il s'ensuivit une mêlée dans laquelle les centaures furent vaincus par Pirithoos et par Thésée présent à la fête. On les poursuivit jusqu'au pied du Pinde.

Une autre lutte du même genre a pour scène l'Etolie. Ce mythe semble une sorte de contrepartie des noces de Pirithoos ; mais ici c'est Hercule qui trouble la fête et qui est le vainqueur des Centaures. La fille du roi Dexamenos, Déjanire, avait été fiancée à Hercule ; mais, après le départ du héros, le centaure Eurytion l'avait demandée en mariage, et le roi son père l'avait cédée par crainte. Hercule arriva le jour même des noces, tua Eurytion et emmena Déjanire.

On connaît l'histoire de l'enlèvement de cette même Déjanire par le centaure Nessos. Hercule tua le centaure qui, pour se venger, conseilla en mourant à Déjanire de recueillir son sang dans une coupe ; en trempant dans ce sang une tunique, il lui suffirait de l'envoyer à Hercule pour renouveler son amour, si elle venait à le perdre. Ainsi fut fait. Hercule revêtit la tunique empoisonnée et, dès ce moment, un feu brûlant courut dans ses veines. Ce fut alors qu'il fit allumer sur 1'Oeta le bûcher où il se coucha pour mourir.

Mais c'est au pied du Pholoë qu'eut lieu la grande lutte dans laquelle le héros dorien triompha des centaures, comme Thésée, le héros athénien, en avait triomphé au pied du Pélion. Le Pholoë est une montagne située sur les confins de l'Arcadie et de l'Elide ; c'était un pays de gibier, peuplé de sangliers, de chevreuils et de cerfs, et l'un des deux grands centres d'habitation des centaures. On racontait qu'Hercule, allant à la chasse du sanglier d'Erymanthe, avait reçu l'hospitalité du centaure Pholos, fils de Silène et de la nymphe Mélias, dont la douceur de moeurs contrastait avec la férocité des autres centaures. Pour fêter le héros, l'hôte d'Hercule ouvrit un tonneau qu'il avait reçu en présent de Dionysos. Attirés par l'odeur de la liqueur bachique, les centaures vinrent en foule devant l'antre de Pholos, réclamant leur part de boisson. Armés de quartiers de roche, de pins déracinés, brandissant des torches ardentes, secondés par leur mère Néphélé, qui verse la pluie à torrents, ils fondent sur Hercule. Celui-ci les reçoit à coups de flèches, les met en déroute et les poursuit jusqu'au cap Malée.

Ce mythe est un de ceux où le caractère naturaliste paraît avec le plus d'évidence et qui se laissent le mieux expliquer. Hercule était un dieu solaire, les Centaures deviennent ici aisément les démons de l'orage.

Les centaures nous apparaissent encore dans l'histoire d'Atalante, la vierge sauvage de l'Arcadie, couronnés de rameaux de pins, courant la nuit à travers les montagnes, les mains armées de torches, mettant le feu aux arbres. Atalante, qu'ils poursuivaient de leur amour odieux, les perce de ses flèches.

Parmi les noms qu'on donnait aux centaures, les uns, Arctos, Lycos, Eurynomos, Bianor, Agrios, etc., expriment la sauvagerie et la violence ; d'autres, comme Petraios, Oureios, Dryalos, etc., conviennent aux habitants des montagnes et des forêts. Il y avait aussi des Centaures d'un caractère plus doux, tels que Pholos, l'hôte d'Hercule, et surtout Chiron, qui diffère des autres centaures thessaliens par le caractère aussi bien que par l'origine.

Les représentations des centaures sont nombreuses sur les monuments. L'art primitif les représentait avec les formes du corps humain par devant, en y adaptant par derrière une croupe de cheval. C'est ainsi que, selon Pausanias, Chiron était représenté sur le coffre de Cypselos et que nous voyons des centaures sur des monuments de style archaïque. Cependant on trouve aussi la même forme dans des représentations d'une époque plus avancée, où une autre forme était adoptée généralement.



M. Klügman pense que le centaure à jambes humaines ne représente pas le plus ancien type, mais seulement une modification du type établi, née du désir de distinguer les centaures humains des centaures animaux. D'un autre côté, la découverte faite par M. Salzmann à Camiros, dans l'île de Rhodes, d'un centaure à pieds humains, sur les plaques d'un collier, nous montre cette forme en usage dans les colonies phéniciennes au vue siècle avant notre ère. Il semble assez naturel de penser que cette forme anti-platisque a dû être l'essai grossier de représentation pour la double nature des centaures, corrigé plus tard par un art plus savant et plus délicat ; ce qui n'empêchait pas la production de figures d'un symbolisme archaïque sur des vases de bon style.

On voit des centaures aux formes régulières dans la frise du temple d'Assos, au Musée du Louvre '3, oeuvre qui remonte au moins au VIe siècle. Vers l'époque de Phidias, comme le remarque Otfried Muller, le type du centaure semble être fixé par la sculpture. La centauromachie figure sur les édifices les plus célèbres de cette époque : à Athènes sur la frise postérieure du temple de Thésée et sur les métopes du Parthénon ; à Phigalie, où elle se développe dans une composition pleine de vie et de mouvement. Les centaures luttant contre les héros ou enlaçant des femmes de leurs bras donnaient lieu à des oppositions de formes d'un grand attrait et d'un caractère très décoratif. Aussi les oeuvres antiques où sont figurés l'enlèvement de Déjanire, d'Hippodamie ou d'autres femmes sont-ils très nombreux. L'histoire d'Hercule au Pholoë fut aussi représentée par la peinture et par la sculpture. Plus tard, Zeuxis, en quête de sujets nouveaux et de formes étranges, exerça son pinceau sur le type de la centauresse et en réalisa la perfection dans un tableau d'un charme séduisant décrit par Lucien. On y voyait une centauresse allaitant ses enfants. Un camée du Musée de Florence offre un motif analogue.

Une belle mosaïque représente des centaures luttant contre des bêtes féroces, et une centauresse terrassée.

Les centaures, dont l'amour du vin est un des traits distinctifs, sont représentés dans le cortège de Dionysos, tantôt jouant de la lyre au milieu de la bacchanale, tantôt attelés au char du dieu. On les voit aussi traîner le char d'Hercule. D'autres monuments les mettent en rapport avec Eros, ou fondent ensemble, dans une représentation animée du délire sensuel, le caractère bachique et le caractère érotique.

On les voit sur certains monuments, notamment sur des sarcophages, représentés avec des torches ardentes, comme dans le mythe du Pholoë ou dans celui de la poursuite d'Atalante, ou bien porteurs de branches d'arbres, ornées de bandelettes, ou bien tenant une coupe. Enfin on les voyait à Pompéi apportant, comme de bons paysans, en tribut à Pirithoüs, des fruits de la terre.


Article de L. de Ronchaud