19. Eaque, Protésilas et Paris

Eaque
Pourquoi, Protésilas, te jeter ainsi sur Hélène et l'étrangler ?

Protésilas
Parce qu'elle est cause de ma mort, Eaque. Pour elle j'ai quitté mon palais avant qu'il fût achevé, et j'ai laissé veuve celle que je venais de prendre pour épouse.

Eaque
Accuse donc Ménélas, qui vous a conduits à Troie pour une pareille femme.

Protésilas
Ton conseil est bon ; c'est à lui que je dois m'en prendre.

Ménélas
Non pas à moi, mon cher ami, mais bien, plutôt à Paris, qui, au mépris de tous les droits de l'hospitalité, m'a enlevé ma femme et s'est enfui avec elle. Il ne mérite pas seulement d'être étranglé par toi, mais par tous les Grecs et par tous les Barbares dont il a causé la mort.

Protésilas
Oui, cela vaut mieux. Ainsi, détestable Paris, tu ne t'échapperas pas de mes mains.

Paris
Tu as tort, Protésilas, et surtout avec un homme de ton métier : je suis amoureux, comme toi, et soumis aux lois du même dieu. Tu sais qu'il triomphe de la volonté, qu'il mène où bon lui semble, et qu'il est impossible de lui résister.

Protésilas
C'est vrai : ah ! que ne m'est-il donné de tenir ici l'Amour !

Eaque
Moi, je vais plaider sa cause auprès de toi. Il te dira qu'il a causé peut-être la passion de Paris, mais nullement la mort de personne, Protésilas, ni la tienne. C'est toi qui, oubliant ta jeune épouse, quand vous abordiez à Troie, t'es élancé avant tous les autres sur le rivage avec une audace insensée, transporté du désir de la gloire ; et c'est ce désir qui t'a fait périr le premier à la descente des vaisseaux.

Protésilas
Eh bien, Ëaque, je te répondrai quelque chose de plus juste encore à mon égard. Ce n'est pas moi qui suis la cause de tout cela, c'est la Parque qui a filé ma vie depuis ma naissance.

Eaque
D'accord : aussi, que ne l'accuses-tu ?

Traduction d'Eugène Talbot (1857)