Les deux caractéristiques d'Hélénos sont résumées ainsi dans l'Iliade d'Homère (VI,76) : il est Πριαμίδης Ἕλενος οἰωνοπόλων ὄχ᾽ ἄριστος, "fils de Priam, de beaucoup le meilleur des devins". C'est ainsi que tour à tour il donne des conseils inspirés par les dieux (VII,44) et il se bat vaillamment sur le champ de bataille (XII, 94). Mais Hélénos est blessé par Ménélas et doit se replier (XIII, 576 sqq) :

Δηΐπυρον δ᾽ Ἕλενος ξίφεϊ σχεδὸν ἤλασε κόρσην
Θρηϊκίωι μεγάλωι, ἀπὸ δὲ τρυφάλειαν ἄραξεν.
ἣ μὲν ἀποπλαγχθεῖσα χαμαὶ πέσε, καί τις Ἀχαιῶν
μαρναμένων μετὰ ποσσὶ κυλινδομένην ἐκόμισσε·
τὸν δὲ κατ᾽ ὀφθαλμῶν ἐρεβεννὴ νὺξ ἐκάλυψεν.
Ἀτρεΐδην δ᾽ ἄχος εἷλε βοὴν ἀγαθὸν Μενέλαον·
βῆ δ᾽ ἐπαπειλήσας Ἑλένωι ἥρωϊ ἄνακτι
ὀξὺ δόρυ κραδάων· ὁ δὲ τόξου πῆχυν ἄνελκε.
τὼ δ᾽ ἄρ᾽ ὁμαρτήδην ὁ μὲν ἔγχεϊ ὀξυόεντι
ἵετ᾽ ἀκοντίσσαι, ὁ δ᾽ ἀπὸ νευρῆφιν ὀϊστῶι.
Πριαμίδης μὲν ἔπειτα κατὰ στῆθος βάλεν ἰῶι
θώρηκος γύαλον, ἀπὸ δ᾽ ἔπτατο πικρὸς ὀϊστός.
ὡς δ᾽ ὅτ᾽ ἀπὸ πλατέος πτυόφιν μεγάλην κατ᾽ ἀλωὴν
θρώισκωσιν κύαμοι μελανόχροες ἢ ἐρέβινθοι
πνοιῆι ὕπο λιγυρῆι καὶ λικμητῆρος ἐρωῆι,
ὣς ἀπὸ θώρηκος Μενελάου κυδαλίμοιο
πολλὸν ἀποπλαγχθεὶς ἑκὰς ἔπτατο πικρὸς ὀϊστός.
Ἀτρεΐδης δ᾽ ἄρα χεῖρα βοὴν ἀγαθὸς Μενέλαος
τὴν βάλεν ἧι ῥ᾽ ἔχε τόξον ἐΰξοον· ἐν δ᾽ ἄρα τόξωι
ἀντικρὺ διὰ χειρὸς ἐλήλατο χάλκεον ἔγχος.
ἂψ δ᾽ ἑτάρων εἰς ἔθνος ἐχάζετο κῆρ᾽ ἀλεείνων
χεῖρα παρακρεμάσας· τὸ δ᾽ ἐφέλκετο μείλινον ἔγχος.
καὶ τὸ μὲν ἐκ χειρὸς ἔρυσεν μεγάθυμος Ἀγήνωρ,
αὐτὴν δὲ ξυνέδησεν ἐϋστρεφεῖ οἰὸς ἀώτωι
σφενδόνηι, ἣν ἄρα οἱ θεράπων ἔχε ποιμένι λαῶν.

Hélénos frappe à bout portant Déipyre, à la tempe, de sa grande épée thrace, et lui fait sauter son casque. Celui-ci vole en l'air et va tomber à terre, où un des Achéens en train de combattre le ramasse, roulant, entre ses jambes. Pour lui, une nuit sombre enveloppe ses yeux. Le chagrin prend alors l'Atride Ménélas au puissant cri de guerre. Il s'avance, menaçant le héros sire Hélénos et brandissant sa lance aiguë, cependant qu'Hélénos tire la poignée de son arc. Ainsi tous deux à la fois brûlent de lancer leur trait, l'un sa pique aiguë, l'autre la flèche qui jaillit de la corde. Le fils de Priam, de sa flèche, atteint son adversaire en pleine poitrine, juste au plastron de sa cuirasse, d'où la flèche amère aussitôt rejaillit. Ainsi, de la large pelle à vanner, sur une aire immense, sautent fèves noires ou pois chiches, dociles au vent sonore et à l'élan donné par le vanneur ; ainsi, de la cuirasse du glorieux Ménélas, la flèche amère rejaillit et se perd au loin. A son tour, l'Atride Ménélas au puissant cri de guerre atteint la main d'Hélénos, la main qui tient l'arc poli. La lance de bronze, heurtant en plein l'arc, traverse la main ; Hélénos se replie sur le groupe des siens, pour se dérober au trépas. Sa main pend, inerte, traînant la lance de frêne. Le magnanime Agénor la lui retire de la main, puis lui entoure celle-ci d'une tresse, en bonne laine de brebis, enlevée à la fronde que, pour le pasteur d'hommes, porte son écuyer.

Dans le Cycle homérique, c'est évidemment la capacité divinatoire d'Hélénos qui est mise en avant ; on peut le conjecturer à partir de deux allusions de Proclus aux Cypria et à la Petite Iliade :

[Cypria]
ἔπειτα δὲ Ἀφροδίτης ὑποθεμένης ναυπηγεῖται, καὶ Ἕλενος περὶ τῶν μελλόντων αὐτοῖς προθεσπίζει, καὶ ἡ Ἀφροδίτη Αἰνείαν συμπλεῖν αὐτῷ κελεύει. καὶ Κασσάνδρα περὶ τῶν μελλόντων προδηλοῖ.

Puis Aphrodite conseille (à Pâris) de construire des vaissaux. Hélénos prophétise ce qui arrivera. Aphrodite ordonne à Enée de faire voile avec lui. Et Cassandre prédit ce qui arrivera.

[Petite Iliade]
μετὰ ταῦτα Ὀδυσσεὺς λοχήσας Ἕλενον λαμβάνει, καὶ χρήσαντος περὶ τῆς ἁλώσεως τούτου Διομήδης ἐκ Λήμνου Φιλοκτήτην ἀνάγει.

Après quoi, Ulysse s'empare d'Hélénos dans une embuscade, et sur la foi de sa prédiction à propos de la prise de la ville, Diomède ramène Philoctète de Lemnos.

Et c'est manifestement de cette tradition du Cycle que s'inspire Sophocle dans son Philoctète (603 sqq et 1338 sqq)

ἐγώ σε τοῦτ’, ἴσως γὰρ οὐκ ἀκήκοας,
πᾶν ἐκδιδάξω. μάντις ἦν τις εὐγενής,
Πριάμου μὲν υἱός, ὄνομα δ’ ὠνομάζετο
Ἕλενος, ὃν οὗτος νυκτὸς ἐξελθὼν μόνος
ὁ πάντ’ ἀκούων αἰσχρὰ καὶ λωβήτ’ ἔπη
δόλοις Ὀδυσσεὺς εἷλε· δέσμιόν τ’ ἄγων
ἔδειξ’ Ἀχαιοῖς ἐς μέσον, θήραν καλήν·
ὃς δὴ τά τ’ ἄλλ’ αὐτοῖσι πάντ’ ἐθέσπισεν
καὶ τἀπὶ Τροίᾳ πέργαμ’ ὡς οὐ μή ποτε
πέρσοιεν, εἰ μὴ τόνδε πείσαντες λόγῳ
ἄγοιντο νήσου τῆσδ’ ἐφ’ ἧς ναίει τὰ νῦν
.

Je vais tout t'apprendre, car tu l'ignores sans doute. Il y avait à Troie un noble devin, fils de Priam, et nommé Hélénus. Ulysse, ce fourbe qui s'entend appeler de tous les noms injurieux et outrageants, sortit seul du camp pendant la nuit, s'empara de lui et l'amena enchaîné au milieu des Grecs, auxquels il montra cette riche capture. Hélénus, entre autres oracles qu'il leur rendit, annonça qu'ils ne renverseraient jamais la citadelle de Troie, s'ils ne parvenaient par la persuasion à emmener Philoctète de l'île qu'il habite en ce moment.

ὡς δ’ οἶδα ταῦτα τῇδ’ ἔχοντ’ ἐγὼ φράσω.
ἀνὴρ παρ’ ἡμῖν ἐστιν ἐκ Τροίας ἁλούς,
Ἕλενος ἀριστόμαντις, ὃς λέγει σαφῶς
ὡς δεῖ γενέσθαι ταῦτα· καὶ πρὸς τοῖσδ’ ἔτι,
ὡς ἔστ’ ἀνάγκη τοῦ παρεστῶτος θέρους
Τροίαν ἁλῶναι πᾶσαν· ἢ δίδωσ’ ἑκὼν
κτείνειν ἑαυτόν, ἢν τάδε ψευσθῇ λέγων.

Voici comment je sais que tel est l'arrêt du destin. Nous avons fait prisonnier un Troyen, Hélénus, habile devin, qui annonce clairement que les choses doivent se passer ainsi ; il ajoute que Troie entière sera prise nécessairement dans l'année où nous sommes ; il consent volontiers à mourir, s'il est convaincu de mensonge.

Ainsi, la prédiction d'Hélénos qui donne aux Achéens la clef de la guerre lui est arrachée sous la contrainte dans la littérature épique et classique. C'est ce que semble confirmer l'Epitome d'Apollodore, qui d'ordinaire s'inspire de la tradition du Cycle :

[9] τούτου δὲ ἀποθανόντος εἰς ἔριν ἔρχονται Ἕλενος καὶ Δηίφοβος ὑπὲρ τῶν Ἑλένης γάμων: προκριθέντος δὲ τοῦ Δηιφόβου Ἕλενος ἀπολιπὼν Τροίαν ἐν Ἴδῃ διετέλει. εἰπόντος δὲ Κάλχαντος Ἕλενον εἰδέναι τοὺς ῥυομένους τὴν πόλιν χρησμούς, ἐνεδρεύσας αὐτὸν Ὀδυσσεὺς καὶ χειρωσάμενος ἐπὶ τὸ στρατόπεδον ἤγαγε:
[10] καὶ ἀναγκαζόμενος ὁ Ἕλενος λέγει πῶς ἂν αἱρεθείη ἡἼλιος, πρῶτον μὲν εἰ τὰ Πέλοπος ὀστᾶ κομισθείη παρ᾽ αὐτούς, ἔπειτα εἰ Νεοπτόλεμος συμμαχοίη, τρίτον εἰ τὸ διιπετὲς παλλάδιον ἐκκλαπείη: τούτου γὰρ ἔνδον ὄντος οὐ δύνασθαι τὴν πόλιν ἁλῶναι.

[V, 9] Après la mort d'Alexandre, Hélénos et Déiphobe se disputèrent la main d'Hélène. Déiphobe fut élu, et Hélénos quitta Troie pour le mont Ida. Comme Calchas avait déclaré qu'Hélénos connaissait les oracles qui protégeaient la cité, Ulysse tendit un guet-apens à Hélénos, le captura et le mena dans le camp grec.
[V, 10] Hélénos fut contraint de révéler de quelle manière Ilion pourrait être prise : premièrement, les os de Pélops devaient être portés dans le camp des Grecs ; deuxièmement, Néoptolème devait prendre part à la guerre ; troisièmement, le Palladion, tombé du ciel, devait être dérobé : de fait, tant que le Palladion demeurerait à Troie, la cité serait inexpugnable.

Ce résumé est intéressant à double titre. D'abord, si la condition liée à la participation de Philoctète est ici passée sous silence, c'est qu'Apollodore suit une autre tradition, qui attribue à Calchas la prophétie sur les flèches d'Héraclès : la mort d'Alexandre (Pâris), qui ouvre cet extrait, est effectivement due à Philoctète ; de sorte que dans cet Epitome qui fait la synthèse de multiples versions, Apollodore additionne des prophéties différentes et successives. Mais surtout, ce résumé ouvre une perspective intéressante dans la mesure où le dépit et la jalousie d'Hélénos évincé peuvent suggérer pour ses révélations un autre type de motivation : l'idée d'une trahison délibérée est donc lancée, mais il est impossible de déterminer qui est le premier auteur à l'avoir exploitée, en l'état actuel de nos connaissances.

En tout cas, son destin après la guerre de Troie suggère un traitement tout à fait exceptionnel, dont Virgile rend compte dans le livre III de l'Enéide (III, v.294-505) : ayant accompagné Néoptolème, fils d'Achille, et Andromaque, la veuve d'Hector, il finit, après la mort de Néoptolème, par prendre possession d'une partie des états de l'Eacide et par épouser Andromaque.

Il faut avancer vers les épopées de la latinité plus tardive pour retrouver posé le problème de la trahison d'Hélénos, mais cette fois dans une perspective qui ne laisse plus de place au doute : Tryphiodore (Prise de Troie, 40-48) par exemple relie clairement le changement de camp d'Hélénos à l'épisode de Déiphobe :

εἱστήκει δ’ ἔτι πᾶσα θεοδμήτων ὑπὸ πύργων
Ἴλιος ἀκλινέεσσιν ἐπεμβεβαυῖα θεμέθλοις,
ἀμβολίῃ δ’ ἤσχαλλε δυσαχθέι λαὸς Ἀχαιῶν.
καί νύ κεν ὑστατίοισιν ἐποκνήσασα πόνοισιν
ἀκάματός περ ἐοῦσα μάτην ἵδρωσεν Ἀθήνη,
εἰ μὴ Δηιφόβοιο γαμοκλόπον ὕβριν ἐάσας
Ἰλιόθεν Δαναοῖσιν ἐπὶ ξένος ἤλυθε μάντις,
οἷα δέ που μογέοντι χαριζόμενος Μενελάῳ
ὀψιτέλεστον ὄλεθρον ἑῇ μαντεύσατο πάτρῃ.

Les sacrés remparts d'Ilion n'avaient point encore reçu de brèche ; ses murs, élevés par des mains divines, avaient été posés sur des fondements inébranlables. Les Grecs se plaignaient d'une si longue résistance. Pallas elle-même, quoique infatigable, déjà près de succomber sous le poids de ses travaux, n'aurait recueilli aucun fruit de ses sueurs, si le devin Hélénus ne s'était réfugié dans le camp des Grecs, pour n'être pas témoin à Troie de la flamme adultère de Déiphobe. On eût dit qu'il y était venu pour soulager la peine de Ménélas, en lui prédisant la ruine tant retardée d'Ilion.

C'est aussi le cas de Quintus de Smyrne (Posthomerica, X, 343-354) :

Αἳ δ’ ὀάριζον
ὁππόσα λοίγιος Αἶσα περὶ φρεσὶν οὐλομένῃσι
μήδετο, Τυνδαρίδος στυγερὸν γάμον ἐντύνουσα
Δηιφόβῳ, καὶ μῆνιν ἀνιηρὴν Ἑλένοιο
καὶ χόλον ἀμφὶ γυναικός, ὅπως τέ μιν υἷες Ἀχαιῶν
ἤμελλον μάρψαντες ἐν ὑψηλοῖσιν ὄρεσσι
χωόμενον Τρώεσσι θοὰς ἐπὶ νῆας ἄγεσθαι,
ὥς τέ οἱ ἐννεσίῃσι κραταιοῦ Τυδέος υἱὸς
ἑσπομένου Ὀδυσῆος ὑπὲρ μέγα τεῖχος ὀρούσας
Ἀλκαθόῳ στονόεντα φέρειν ἤμελλεν ὄλεθρον
ἁρπάξας ἐθέλουσαν ἐύφρονα Τριτογένειαν
ἥ τ’ ἔρυμα πτόλιός τε καὶ αὐτῶν ἔπλετο Τρώων·

Les déesses discouraient ensemble ; elles se disaient que bientôt, le Destin, dans ses caprices funestes, livrerait à Déiphobe la personne d'Hélène, qu'Hélénos, fils de Priam, serait cruellement jaloux de son frère, que surpris par les Achéens dans les hautes montagnes, et tout frémissant de colère contre les Troyens, il se laisserait conduire à leurs vaisseaux rapides ; et qu'alors sur ses conseils le fils du vaillant Tydée, accompagné d'Odysse, gravirait les hautes murailles, égorgerait Alcathoas et enlèverait la sage Tritogénie qui, de son plein gré, abandonnerait enfin la ville si longtemps protégée par elle.

Pour des compléments et surtout pour la suite de l'histoire dans la tradition tardo-latine et médiévale, voyez la thèse de Francesco Chiappinelli à propos d'Hélénos.


Et pour compléter sur la toile :


Références des traductions