Livre IV, chapitre 9

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Où une aventure arrive à Ione

Pendant que quelques assistants demeuraient pour partager avec les prêtres le banquet funéraire, Ione et ses femmes continuaient leur mélancolique retour. Alors (les derniers honneurs ayant été rendus à son frère) son esprit sortit de la stupeur dans laquelle il avait été plongé. Elle songea à son fiancé et à l'accusation qui s'était élevée contre lui, sans y ajouter foi un moment, comme nous l'avons déjà dit, tant elle lui paraissait peu naturelle. Mais nourrissant les plus graves soupçons contre Arbacès, elle pensa que son devoir envers son amant et envers son frère assassiné lui commandait d'aller trouver le préteur et de lui communiquer son impression, quelque vague qu'elle fût. Questionnant ses femmes, qui, comme on le sait, avaient craint jusqu'à cet instant d'accroître sa douleur en l'informant de l'état de Glaucus, elle apprit qu'il avait été dangereusement malade, qu'il était prisonnier dans la maison de Salluste, et que le jour où le procès devait se débattre était fixé.

«Que les dieux l'en préservent ! s'écria-t-elle. Et comment ai-je pu l'oublier si longtemps ? N'ai-je pas eu l'air de le fuir ? Oh ! que je lui rende enfin justice ! C'est à moi, la plus proche parente du défunt, d'attester que je suis convaincue de son innocence. Vite, vite, volons ! que j'adoucisse sa peine, que je le soutienne, que je l'entoure de soins ! S'ils refusent de me croire, si je ne puis les persuader, s'ils le condamnent à l'exil, à la mort, que je partage au moins son destin ! »

Elle pressait le pas instinctivement, confuse, éperdue, sans trop savoir où elle allait, tantôt ayant dessein de se rendre chez le préteur, tantôt de courir auprès de Glaucus. Elle s'élança... elle traversa la porte de la cité... elle était entrée dans la longue rue qui conduit à la ville... Les maisons étaient ouvertes, mais il n'y avait encore aucun mouvement dans les rues. La cité s'éveillait à peine à la vie, lorsqu'elle se trouva tout à coup en face d'un groupe d'hommes qui se tenaient à côté d'une litière couverte. Une grande figure sortit du groupe, et Ione poussa un cri en reconnaissant Arbacès.

«Belle Ione, dit-il avec douceur et sans paraître remarquer sa frayeur, ma pupille, mon élève ! pardonnez-moi si j'interromps votre pieux chagrin ; mais le préteur, jaloux de votre honneur, désire que vous ne soyez pas imprudemment impliquée dans le procès qui va s'ouvrir. Connaissant l'étrange embarras de votre position (puisqu'il s'agit pour vous de demander justice au nom d'un frère, tout en craignant le châtiment pour votre fiancé), plein de sympathie également pour l'état d'abandon où vous vous trouvez, pensant enfin que personne ne vous protège et qu'il y aurait de la cruauté à vous laisser sans guide, livrée à vos larmes solitaires, le préteur vous a sagement et paternellement confiée à votre gardien légal. Voici l'écrit qui vous remet à ma discrétion.

- Sombre Egyptien, s'écria Ione en se reculant avec fierté, retire-toi, c'est toi qui as tué mon frère : c'est à tes soins, à tes mains, rouges encore de son sang, qu'on remettrait sa soeur ! Ah ! tu pâlis, ta conscience se trouble ; tu trembles en songeant aux foudres d'un Dieu vengeur ! Passe ton chemin, et laisse-moi à ma douleur.

- Ta douleur te fait perdre la raison, Ione, dit Arbacès en essayant de prendre le ton calme qui lui était habituel : je te pardonne ; tu me trouveras, comme toujours, ton meilleur ami. Mais la voie publique n'est pas un lieu convenable pour notre conférence... pour les consolations que j'ai à t'offrir. Esclaves, approchez. Allons, ma douce pupille, la litière vous attend.»

Les femmes qui accompagnaient Ione, surprises et terrifiées, entourèrent l'Egyptien et s'attachèrent à ses genoux.

«Arbacès, dit la plus âgée des femmes, tu outrepasses à coup sûr la loi. N'est-il pas écrit que, durant les neuf jours qui suivront les funérailles, les parents du mort ne seront pas troublés dans leur maison ni interrompus dans leur douleur ?

- Femme, répliqua Arbacès en étendant impérieusement la main, placer une pupille sous le toit de son tuteur n'est pas contrevenir aux lois des funérailles. Je te dis que j'ai l'autorisation du préteur. Ce débat est inconcevable. Qu'on la place dans la litière ! ...»

En parlant ainsi, il passa son bras autour de la taille tremblante d'Ione. Elle recula, regarda fixement son visage, et puis s'écria, avec un éclat de rire convulsif :

«Ah ! ah ! c'est bien... très bien ! excellent tuteur ! loi paternelle... ah ! ah ! » Et puis, effrayée elle-même de l'écho de ce rire terrible, elle tomba sans connaissance à terre... Un moment après, Arbacès l'avait placée dans la litière, les porteurs s'étaient mis en marche... et l'infortunée Ione disparut bientôt aux regards de ses femmes éplorées.


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