A l'origine, il y a l'enfance, marquée par la fréquentation des artistes d'avant-garde, et le peu de goût pour les parcours académiques, scolaires et normalisés. Ce sont les marginaux qui intéressent Claude Massé, les autodidactes comme lui, qui ignorent les règles de la «culture».

Mais comment exister à l'ombre du père ? Comment trouver sa place dans un univers où les mots semblent a priori un domaine réservé ? Ce seront d'abord les arts plastiques. Et la collection des oeuvres d'autrui, avant le grand saut dans la création personnelle.

Plusieurs rencontres décisives ont préparé le terrain.

 

Cassette VHS réalisée par Pierre Guy
coll. Mémoires du Languedoc-Roussillon
Les films de la Caverne, Palavas

La première chronologiquement est celle de Jean Dubuffet, que Ludovic Massé fréquente pendant la guerre. Mais c'est plus tard que Claude découvrira que Dubuffet est le prospecteur de l'«art brut», de ces «productions artistiques dues à des personnes obscures et présentant un caractère spécial d'invention personnelle, de spontanéité, de liberté à l'égard des conventions et habitudes reçues» (Dubuffet, Prospectus et tous écrits suivants). Quand Claude trouvera sa voie, dans les années soixante, c'est Dubuffet qui l'encouragera et l'épaulera : de mars 1968 à 1985, date de la mort de Dubuffet, les deux quêteurs d'art des marges échangeront une correspondance régulière et fructueuse.

 

La deuxième rencontre importante est celle, en 1945, d'Elise Palaudoux, dite Nataska. «J'ai toujours gardé un regard très ému de Nataska, mais ce qui m'attirait, c'était le personnage, pas son dessin. J'ignorais également qu'à cette même époque Jean Dubuffet, Joan Miro ou Max Ernst s'intéressaient à ce même type de travaux».

 

Elise Palaudoux, dite Nataska - Aquarelle offerte à Claude Massé en 1945

Le troisième événement déclencheur est probablement la visite à Barcelone en 1951, au cours de laquelle Claude découvre l'univers de Gaudi.

Après un exil parisien de dix ans, Claude rejoint la Catalogne : ses multiples contacts avec le monde de l'art lui ont permis de savoir ce qui à présent l'intéresse vraiment : c'est le début de l'exploration.

En 1963, nouvelle rencontre décisive, celle de Jean Pous, qui lui offre un galet gravé. Claude lui consacrera en 1971, à Céret, une première exposition.

 

Jean Pous - 1970

Dès lors, Claude devient en Catalogne le «pionnier» de la prospection des artistes en marge. Sa collection s'enrichit rapidement de milliers d'oeuvres singulières, et encouragé par Dubuffet, il multiplie les expositions, les articles de journaux, les conférences. Il devient ainsi le «Dubuffet du midi».

Joseph Saguès - Village - 1968

 

Joseph Vignes - 1980

Mario Chichorro - Dessin - 1976

J.J. Sanfourche - Pierre - 1976

 

Patrick Petrovitch - 1974

En 1985, la collection s'interrompt : la mort de Dubuffet y est pour beaucoup, mais n'explique pas tout. Ludovic est mort aussi, l'horizon artistique s'élargit pour Claude. Il a d'ailleurs déjà commencé à voler de ses propres ailes. Le temps est venu d'autres conquêtes.

Mais il reste à décider du sort de ces milliers d'oeuvres qui ont été rassemblées au fil des ans. Les projets de constitution d'un musée en Catalogne ne débouchent pas : ce sera finalement le Musée de la Création franche de Bègles qui, de 1989 à 1999, héritera du précieux butin.


Au total, qu'est-ce que l'Art Autre, et qu'est-ce qui le différencie de l'Art Brut et de l'Art Naïf ?

«Pour ce qui est de l'Art Brut, ce sont des gens qui travaillent avec des matériaux non traditionnels, qui cachent leur travail, ce qui implique qu'on les tire de leur nid. Ils ne s'intéressent pas à l'histoire de l'art. De plus, ce sont des gens avec des vécus souvent pathétiques. Les gens du naïf sont socialement intégrés, avec un comportement psychologique équilibré et une attitude sociale plus ou moins agréable. Leur travail s'inspire souvent des journaux. Un naïf, par exemple, verra sur le journal une photographie représentant des chevaux dans un paysage. Il découpera cette illustration, cette image et en extraira un tableau qui n'en sera pas le décalque mais où l'on observera des réminiscences du cheval, du paysage...Le naïf a besoin d'un support visuel. Le brut, lui, a plutôt besoin d'un délire. A l'image de ce personnage qui durant cinquante ans, oui cinquante ans, écrivit, répéta le mot rhinocéros. Ce serait une erreur de placer les artistes d'Art Autre entre l'art brut et l'art naïf, mais, bien sûr, j'entends le souligner, d'une certaine manière ils touchent à l'un et à l'autre.

Cet Art Autre, si nous sommes obligés de lui donner un sens, serait pour nous tout ce qui se présente comme une expression authentique et différente, non pas étrange, non pas exotique, non pas pittoresque, non pas populaire mais, en employant les expressions que l'anthropologue roumain Mikhail Pop applique à la culture orale, rurale et traditionnelle, non officielle, non grammaticalisée.» (Claude Massé)