Michel-Jean-Joseph Brial, dit Dom Brial (1743-1828)

Né à Perpignan le 26 du mois de mai 1743, d'Ignace Brial et de Thérèse Roig, son épouse, baptisé le 29 dudit mois de mai dans l'église de la Réal. Tonsuré le 28 mars 1762 par messire Charles-François-Alexandre de Cardevac de Gouy d'Avrincourt. Reçu à la profession religieuse dans la congrégation de Saint-Maur, au monastère de Notre-Dame de la Daurade, à Toulouse, le 15 mai 1764 par D. Jean-Baptiste Utéza, prieur, et D. François Bonnefoi, maître des novices. Promu aux ordres mineurs à Carcassonne le 13 juin 1767 par messire Armand Bazin de Bésons. Ordonné sous-diacre à Carcassonne par le même prélat, le 19 mars 1768. Ordonné diacre à Bazas le 22 septembre 1770 et prêtre au même lieu le 22 décembre de la même année par messire Jean-Baptiste Amédée de Grégoire de Saint-Sauveur. A célébré la première messe à Bordeaux dans l'église de Sainte-Croix, le 6 janvier 1771. Est arrivé à Paris le 10 octobre 1771 et est allé demeurer au monastère des Blancs-Manteaux pour y travailler conjointement avec D. Clément à la continuation du Recueil des Historiens de France, dans lequel monastère il a fait sa résidence jusqu'au mois d'octobre 1790, époque où la dite maison ayant été supprimée, il a été transféré avec d'autres religieux à l'abbaye Saint-Germain des Prés. (Autobiographie par D. Brial parue dans le XXXIXe volume de la Société Agricole, Scientifique et Littéraire des Pyrénées-Orientales).

On a tout lieu de présumer qu'en donnant des leçons de philosophie scolastique, D. Brial s'était livré à des études plus positives et plus sérieuses ; car on lui ouvrit aussitôt la carrière des plus graves travaux littéraires et des recherches historiques les plus profondes, en lui assignant une des douze places de Littérateurs en titre, établies dans sa congrégation. Il l'a remplie pendant dix ans, dans le monastère des Blancs-Manteaux, auquel appartenaient six de ces places.

C'était là que dom Clément, qui avait interrompu depuis 1763 la publication de l'Histoire littéraire de la France, s'occupait de la continuation du Recueil des Historiens, et préparait en même temps une troisième édition de l'Art de vérifier les dates. Dom Brial eut quelque part à ce dernier travail, et contribua plus d'une fois à rectifier les inexactitudes et à réparer les omissions que Dautine et Clément avaient laissées dans les éditions de 1750 et de 1770. Mais il coopérait de préférence à continuer, de l'an 1060 à 1180, la collection historique de dom Bouquet. Pour prendre une idée précise des accroissements qu'elle doit à ses soins, il est à propos de se retracer l'état où il l'a trouvée. Elle n'avait encore que onze volumes, qui comprenaient sept séries d'annales et de monuments. La première contenue dans le tome Ier, imprimé en 1737, contenait l'histoire des Gaules avant Clovis ; la deuxième remplissait les trois volumes suivants et correspondait à la dynastie mérovingienne. Au lieu de rassembler pareillement en un seul et même corps les chroniques et les pièces relatives aux règnes carlovingiens, Bouquet les avait distribuées, peut-être avec plus de peine que de fruit, en quatre séries distinctes, savoir : Pépin et Charlemagne au tome V, Louis-le-Débonnaire au tome VI, puis au tome VII, Charles-le-Chauve, de 840 à 877, et, dans les deux volumes qui suivent, Louis-le-Bègue et ses successeurs jusqu'en 987. C'est jusque-là que Bouquet a conduit l'ouvrage, avec quelque coopération de dom Dautine, et des frères Jean-Baptiste et Charles Haudiquier. La septième série, qui occupe les tomes X et XI publiés en 1760 et 1767, a pour objet ce qui s'est passé en France sous les trois premiers rois capétiens, Hugues, Robert et Henri : elle est due aux soins des deux Haudiquier, puis de leurs confrères Rousseau, Précieux et Poirier. Il s'agissait donc, en 1771, d'entamer une huitième série, dont les règnes de Philippe Ier, de Louis VI et de Louis VII allaient fournir la matière. Clément et son associé Brial, après avoir employé plusieurs années à la préparer, en imprimèrent, en 1781 et 1786, les deux premiers volumes, qui sont le XIIe et le XIIIe du recueil.

Des ordonnances royales, rendues depuis 1759 jusqu'en 1786, avaient établi un dépôt de chartes et un comité chargé de rechercher, recueillir et employer les monuments de l'histoire et du droit public de la monarchie française. Différentes causes ont empêché cette institution de produire tous les fruits qu'on en pouvait espérer. Il parait surtout que le garde du dépôt n'avait pas été fort heureusement choisi : il eut quelques démêlés avec des collaborateurs plus habiles, particulièrcrnent avec l'académicien de Bréquigny. Mais on comptait au nombre des membres de ce comité les bénédictins Labat, Poirier, Clément, Brial ; et l'utile coopération de ce dernier nous est attestée par des registres où se lisent, à la Bibliothèque du roi, les procès-verbaux des conférences qui se tenaient sous la présidence du Garde des Sceaux.

D'orageux événements, qui bouleversèrent tous les établissements publics et toutes les conditions privées, suspendirent à peine le cours des paisibles études du solitaire et laborieux Brial. Forcé de sortir de sa retraite monastique, il eut le bonheur de s'ensevelir dans une autre qui pouvait même sembler plus profonde. Ses habitudes littéraires et l'austère modestie de ses moeurs religieuses le tinrent aussi caché qu'il avait besoin de l'être pour conserver en un pareil temps quelque tranquillité. Etranger à tout genre d'intrigues politiques, il traversa presque sans péril des années désastreuses où d'immenses catastrophes atteignaient autour de lui tant de victimes. Quoiqu'il eut alors peu d'espoir de publier jamais les deux ou trois volumes qui devaient compléter la huitième série des historiens de France, sa plus douce occupation avait été d'en rechercher les matériaux, et il persévérait à les préparer, quand il se vit expressément chargé de les mettre en oeuvre, par une délibération de l'institut, dont il n'était point encore membre. Cette société savante, établie à la fin de 1795, résolut, dès le 4 mai 1796, de continuer ce grand Recueil, et invita Brial à reprendre efficacement ce travail : elle ne pouvait le confier à des mains plus fidèles et plus exercées.

Dans sa nouvelle solitude, il avait entretenu des relations amicales avec plusieurs de ses anciens confrères, surtout avec dom Labat, qui mourut en 1803, et dont il publia l'éloge. Cet opuscule se recommande par une franchise énergique : on ne pouvait rendre un plus sincère hommage à un zélé défenseur des règles cénobitiques de saint Benoît et de la doctrine théologique de saint Augustin. Dom Brial a lui-même constamment professé cette doctrine et toujours aussi il est resté fidèle aux honorables maximes de l'Eglise de France. Il conservait dans ses écrits commue dans ses moeurs le dépôt des traditions religieuses, littéraires et civiques, dont il avait été imbu dès sa jeunesse au sein de sa congrégation. On voyait en lui l'un des derniers et le plus précieux débris de cette Société si justement célèbre par les services qu'elle a rendus aux lettres, par les vives lumières qu'elle a répandues sur plusieurs branches des études ecclésiastiques et profanes, spécialement par son zèle et son habileté à recueillir tous les monuments de nos anciennes Annales françaises.

Le 17 mai 1805, Brial fut élu membre de l'Institut : il y succédait, dans la classe d'histoire et de littérature ancienne, à Villoison, qui mourait à cinquante-cinq ans avec la réputation de l'un des plus savants hellénistes de ces derniers temps, plus renommé néanmoins par l'immense étendue de son érudition que par un goût pur et une logique sévère. Brial, aussi versé dans la littérature du moyen-âge que Villoison dans celle de l'antiquité, entraità l'Académie, à l'âge de soixante-deux ans, ayant contracté pendant plus de trente, l'habitude des recherches exactes et des travaux méthodiques. Il avait acquis une connaissance immédiate et, pour ainsi dire, personnelle de tous les hommes remarqués ou aperçus, au XIIe siècle et au XIIIe, dans la carrière des lettres, dans l'Eglise, dans les armées, dans les fonctions politiques. Des renommées, aujourd'hui presque éteintes, brillaient ou luisaient encore à ses regards ; et l'on eût mieux appris de lui les détails biographiques et chronologiques de cette ancienne partie de nos annales que celles des époques, pourtant non moins mémorables, où il a vécu lui-même. On doit le féliciter d'avoir eu cette prédilection pour des souvenirs lointains et paisibles : il en a mieux rempli la tâche à laquelle il s'était dévoué ; car pour reproduire une image fidèle et instructive d'un âge passé, il faut, s'il se peut, vivre beaucoup plus qu'au milieu des discordes et des passions de ses propres contemporains.

Cette huitième série d'historiens de France que Brial avait commencée avec dom Clément, il l'a seul poursuivie et complétée par trois volumes publiés en 1806, 1808 et 1814. Les documents authentiques qu'il a rassemblés sont au nombre de plus de deux mille. Brial achevait ainsi de rassembler toutes les sources de la partie de nos annales comprise entre les années 1060 et 1180. Pendant qu'on imprimait ces trois tomes, XIVe, XVe et XVIe de la collection, il en préparait trois autres qui allaient correspondre aux deux règnes de Philippe Auguste et de Louis VIII, depuis 1180 jusqu'en 1226 ; matière plus circonscrite, mais non moins riche, qui devait, occuper les dernières années de sa vie. Le tome XVII, le premier de cette neuvième série, parut en 1818.

Diverses chroniques rédigées soit en Angleterre, soit dans les provinces de France longtemps soumises à la domination anglaise ; les annales particulières de la Flandre et de la Lorraine ; celles du Vermandois, de Picardie, du Soissonnais, de la Champagne et de la Bourgogne, ont fourni les matériaux du tome XVIII, qui a vu le jour en 1822. On y compte quatre-vingt-six morceaux historiques.

Au milieu de tous ces opuscules, se distingue un ouvrage d'une très haute importante, celui de Villehardoin. Jusqu'alors on avait écarté du Recueil des Historiens de France ceux des Croisades, parce qu'on se proposait d'en former une collection spéciale. Voyant que ce projet ne s'exécutait point, et considérant d'ailleurs que les conquérants de Constantinople, quoique croisés pour la Terre-Sainte, n'ont pris aucune part aux guerres contre les Musulmans en Syrie, dom Brial s'est déterminé à insérer dans ce tome XVIII un livre qui est à la fois la relation la plus originale de cette conquête, et l'un des plus vieux monuments de la langue française. Il y a joint une continuation qui était encore inédite, et enfin il a mis sous presse le tome XIX.

Il résulte des détails que l'on vient de parcourir, que dom Brial est, après dom Bouquet, celui à qui la France demeure redevable de la plus grande partie de ce Recueil, puisqu'il en a seul établi six volumes après avoir coopéré à deux autres. S'il est dans les divers genres de littérature des travaux plus brillants que les siens, il en est peu d'aussi durables, peu surtout qui aient au même degré le caractère de services : à jamais il sera le meilleur guide de tous ceux qui voudront étudier, enseigner, écrire sérieusement l'histoire de ce qui s'est fait en France depuis l'avènement de Philippe Ier, en 1060, jusqu'à celui de saint Louis en 1226. Peut-être n'avait-on pas toujours porté dans le travail relatif aux règnes antérieurs une critique aussi éclairée, une exactitude aussi scrupuleuse et, s'il était vrai, comme des savants étrangers l'ont quelquefois reconnu, que de toutes les collections du même genre imprimées en divers pays, aucune encore n'eut été conçue ni exécutée avec autant de méthode et de sagacité, dom Brial pourrait sembler l'homme qui a le mieux assuré à cette branche de notre littérature une si honorable distinction.

Il avait été chargé, avec trois de ses collègues de l'institut, de continuer l'Histoire littéraire de la France, commencée par dom Rivet. Il a eu part aux volumes XIII à XVI de cet ouvrage, ainsi qu'aux Notices et extraits des manuscrits de la bibliothèque du roi, et à la nouvelle série des Mémoires de l'Académie. Il a, en outre, publié l'Eloge historique de P. Daniel Label, Paris. 1803, in-8°. Il a donné encore, dans les Notices et extraits des manuscrits de le bibliothèque du roi, la Notice des lettres à Etienne, abbé de Saint-Euvert d'Orléans, puis de Sainte-Geneviève à Paris et enfin évèque de Tournay, t. X, p. 66 ; Sur les poésies de Serlon, chanoine de Bayeux au XIIe siècle, t. II, p. 165 ; dans la nouvelle série du Recueil de l'Académie des inscriptions, tome III, p. 57, Recherches historiques pour parvenir à l'intelligence de la cinquième lettre d'Yves de Chartres ; Recherches sur l'origine et l'antiquité des colonnes ou croix qu'on voyait de nos jours sur le chemin de Paris à Saint-Denis, ibid., p. 71 ; Nouvelle interprétation du nom de Capet donné au chef de la troisième race de nos rois, ibid., p. 77 ; Recherches historiques et diplomatiques sur la véritable époque de l'association de Louis le Gros au trône, avec le titre de roi désigné, ibid., tome VI p. 489 ; Mémoire sur la véritable époque d'une assemblée tenue à Chartres relativement à la croisade de Louis le Jeune, ibid., p. 508 ; Recherches sur l'objet d'un concile tenu à Chartres en 1124, ibid., p. 530 ; Recherches sur la légitimité ou non légitimité d'une fille de Louis le Gros, dont la mère est inconnue, t. V, p. 94, 1ere partie ; Examen critique des historiens qui ont parlé du différend survenu l'an 1141 entre le roi Louis le Jeune et le pape Innocent II, tome VI. p. 560 ; Examen d'un passage de l'abbé Suger relatif à l'historique du Berry, t. VII, p. 129, 1ere partie ; Notice relative à la découverte d'un tombeau à l'abbaye de Saint-Denis qu'on croit être celui du roi Pépin, Paris, 1818, in-8°. Il a été aussi l'éditeur des Oeuvres posthumes du P. Laberthonie, avec un supplément, 1810-1811, 2 vol. in-8°.

Les ouvrages proprement dits de dom Brial, séparés de ses travaux d'éditeur, se recommanderaient comme eux, dit Daunou, par la profondeur des recherches, par la sagacité des aperçus, par la franchise des opinions et même aussi par une diction pure, toujours claire et précise. S'il dédaigne les ornements, il évite encore plus les négligences. Il avait contracté l'habitude de ne s'en permettre d'aucun genre.

Une instruction littéraire très étendue, mais spécialement appliquée et pour ainsi dire consacrée à l'histoire de France ou même à deux ou trois siècles de cette histoire ; une solitude studieuse, presque inaccessible à toute distraction ; une santé ferme, entretenue par des moeurs simples et austères : telles sont les causes qui ont soutenu dom Brial dans sa longue carrière, et rendu ses travaux aussi profitables que persévérants et paisibles. Jusqu'à l'âge de quatre-vingt-un ans, il a conservé toutes ses forces, sans autre dommage qu'un commencement de surdité, plus préjudiciable à ses confrères qu'à lui-même : sa retraite en devenait plus profonde, et le dépôt déjà si vaste de ses connaissances historiques s'accroissait à mesure qu'il pouvait moins communiquer par des entretiens. Mais en 1824, il éprouva des accidents graves qui affaiblirent ses facultés, et ne lui laissèrent, pour continuer à terminer son dernier ouvrage, que le zèle ardent qui l'avait toujours animé. Quand on le regrettait déjà, quand on l'avait presque déjà perdu, il travaillait encore, et avec une activité de plus en plus inquiète, à ce XIXe volume, dont il ne devait pas voir la publication. Il ne la pouvait réellement plus accélérer, et ne sentait point assez le besoin de réclamer des coopérateurs. Il assistait encore, mais avec moins d'assiduité, aux séances de l'Académie qui, par une délibération extraordinaire, déclara qu'elle le tiendrait toujours pour présent, comme si elle eut craint de commencer, avant le temps, à ne plus le posséder.

Les souvenirs de son ancienne congrégation religieuse lui étaient restés si chers, qu'il voulut qu'on lui en rendit le costume, au moins en peinture, dans le portrait qu'on fit de lui, en 1825. Ses regards se portaient aussi vers son pays natal qu'il avait pourtant fort peu habité. Il fonda, en 1826, des écoles gratuites pour les enfants de l'un et l'autre sexe des deux communes où étaient nés son père et sa mère, Baixas et Pia, aux environs de Rivesaltes. Une partie des fruits, assez considérables, de ses longs travaux, lui servit à doter chacune de ces communes d'une rente perpétuelle de 600 francs, destinée à l'entretien des instituteurs à condition qu'ils enseigneraient à leurs élèves la langue française, et qu'ils les mettraient ainsi en état d'acquérir, dans la suite, une instruction plus étendue. C'était le plus digne et le précieux legs que put faire un vieillard qui devait aux études de son jeune âge les habitudes honorables et le bonheur de sa vie entière. Dom Brial mourut, âgé de 85 ans moins deux jours, le 24 mai 1828.

Notice sur Dom Brial, en tête du t.XIX du Recueil des Historiens de France. - Revue encyclopédique, année 1828, t.III - Hoefer, Nouvelle biographie générale.