Pierre de Luna (1334-1423)

Plus connu sous le nom de Benoît XIII, il naquit à Illueca, non loin de Calatayud (Espagne), en 1331. Il fit ses études à Salamanque et suivit la carrière des armes, qu'il abandonna bientôt pour les lettres et l'Eglise. Il professa le droit canonique à Montpellier. En Espagne, ses talents ne tardèrent pas à l'élever aux plus hauts emplois. Grégoire XI le créa cardinal le 13 décembre 1371. Il fut un des quatre légats envoyés par Clément VII pour travailler à la pacification de l'Eglise. L'origine du cardinal d'Aragon, ainsi qu'on le nommait, le désigna naturellement pour l'Espagne. Après ses succès en Castille, on pensait à utiliser ses talents diplomatiques pour réconcilier les deux cours de France et d'Angleterre ; il allait passer le détroit et peut-être aurait-il attiré l'Angleterre à l'obédience avignonnaise, si Clément VII ne l'eût retenu sur le continent. Quelques cardinaux l'accusaient de vouloir faire déposer les deux pontifes et se faire élire à leur place. En attendant, il revint dans son pays où la mort de Clément VII, le trouva, administrant le diocèse de Tarragone. Le 28 septembre 1394, les cardinaux d'Avignon l'élurent pape, tandis que ceux de Rome élisaient Boniface IX. Pierre de Luna pritle nom de Benoit XIII. Avant son élection, le cardinal d'Aragon avait promis de résigner la tiare si on l'exigeait. Une fois élevé à la papauté, Pierre de Luna oublia sa promesse. Il feignit d'abord de la ratifier ; c'était pour temporiser, et amuser Charles VI, roi de France, et divers princes de l'Europe. Il finit par déclarer qu'il gardait la tiare. Restait encore la voie de la cession. Elle fut tentée, mais inutilement. Dès lors en France et dans presque toute l'Europe, on le regarda comme un schismatique. On résolut de se soustraire à son obéissance et de s'emparer de sa personne. Charles VI le fit assiéger dans Avignon. Benoît réussit à s'évader dans la nuit du 12 mars 1403 et se refugia à Château-Renard, à quelque dista,t à se procurer l'auréole qui s'attache aux grands fugitifs, puis fixa sa résidence dans l'abbaye de Saint-Victor de Marseille, durant le mois de mai 1404. Pendant quatre ans, Pierre de Luna envoya des ambassadeurs auprès de ses rivaux successifs. Boniface IX, Innocent VII, Grégoire XII, à l'effet de trouver un moyen capable d'éteindre le schisme et de procurer l'unité à l'autorité de l'Eglise. Les diverses entrevues qui eurent lieu à cet effet n'aboutirent à aucun résultat. Le roi de France se disposant à prendre des mesures énergiques contre Pierre de Luna, celui-ci crut devoir s'abriter en lieu sûr. Il s'adressa à son beau-frère, Martin Ier roi d'Aragon, qui lui assigna pour résidence le château majeur de Perpignan (citadelle actuelle). Par une encyclique datée du 13 juin 1108, Benoît XIII annonça à l'univers la convocation, pour la Toussaint suivante, d'un concile général qui devait se tenir dans l'église de la Réal, à Perpignan. Le lendemain, il s'embarqua à Porto-Venere, port situé sur la côte de Gênes, suivi de sa cour qui montait six galères composant la flotte pontificale. Pierre de Luna aborda à Port Vendres, le 2 juillet 1408, vers les neuf heures du matin, et se transporta à Collioure dans la soirée de ce même jour. Le lendemain, 3 juillet, les cinq consuls de Perpignan, escortés d'un certain nombre de notables vinrent offrir au pontife leurs respectueuses salutations. Le 24 juillet, Benoît XIII fit son entrée à Perpignan où il fut reçu solennellement. Des tentures avaient été disposées de la porte d'Elne au château royal. Le 23 août, il reçut la visite du roi de Navarre, Charles III le Noble. Le 1er novembre 1408, jour de la Toussaint, Pierre de Luna célébra les saints mystères dans la chapelle du château royal, et le 15 de ce mois, qui était un jeudi, entre sept et huit heures du matin, il se rendit processionnellement et en grande pompe, à l'église de la Réal. Le chemin que suivit le cortège était tendu de draps d'or. Le dais sous lequel s'avançait le pontife fut porté par Bernard de Vilacorba, lieutenant du gouverneur, Raymond de Pérellos, vicomte de Roda et les consuls de Perpignan Jean Cômes et Jean Gravelada. A l'issue de la grand'nesse, on procéda à l'ouverture des sessions du concile. Les Pères du concile de la Réal tinrent quatorze réunions, à partir du 15 novembre 1408 jusqu'au 26 mars 1409. Les dignitaires de L'Eglise qui répondirent à l'appel de Pierre de Luna pour se rendre à Perpignan, vinrent de la Castille, de l'Aragon, de la Navarre, du pays de Foix, de l'Armagnac, de la Provence, de la Savoie et de la Lorraine. La liste des Pères du concile de la Réal qui contient trois cent quarante-neuf noms, comprend : sept cardinaux, trois patriarches, onze archevêques, trente-six évêques personnellement présents, onze titulaires d'évêchés qui se tirent représenter, quatre-vingt-trois abbés, quarante autres qui envoyèrent des procureurs, six chefs d'ordres militaires, sept chefs d'ordres religieux, trente-sept délégués d'églises cathédrales, quatre députés d'universités, etc. De cette assemblée, Benoît XIII attendait une issue favorable à ses vues. L'événement trompa ses espérances. La plupart des Pères du concile de la Réal s'étaient déjà retirés de Perpignan, dès le mois de janvier 1409, laissant à une commission composée de cardinaux et de prélats le soin de formuler une adresse. Rédigée le 1er février, cette adresse conseillait à Benoît XIII d'envoyer simultanément à Grégoire XII et aux cardinaux de Pise des ambassadeurs chargés de traiter du lieu, de l'époque et des conditions d'une abdication respective des deux papes. Après bien des atermoiements, Pierre de Luna déclara vouloir suivre l'avis du concile, mais la lenteur calculée qu'il apporta dans l'envoi de l'ambassade eut de fâcheuses conséquences. Le concile de Pise qui s'était réuni le 25 mars 1409 lança, le 5 juin suivant, une sentence d'excommunication contre les deux prétendants à la tiare. Benoît XIII demeura fixé au château royal de Perpignan, jusqu'aux derniers jours du mois de juillet 1409. Il quitta alors cette ville pour se rendre «a la torra del senyor rey appellada Bellesguart», située aux environs de Barcelone. Il y arriva le 8 août ; le dimanche 29 septembre, jour de saint Michel, il faisait son entrée triomphale dans la capitale de la Catalogne. De grandes fêtes furent données dans cette cité en son honneur. Après le concile de Perpignan, Benoît XIII choisit Tortose pour sa résidence habituelle. L'empereur d'Allemagne, Sigismond, pensant avec raison que l'entrevue de Pierre de Luna et du roi d'Aragon était le noeud de l'affaire du schisme d'Occident, proposa une rencontre pour le mois de juin 1415. Il avait d'abord été décidé qu'elle s'effectuerait à Nice. Mais Ferdinand étant tombé malade, il fut convenu que Perpignan serait le théâtre des conférences projetées. Perpignan vit alors une des plus imposantes assemblées que mentionne l'histoire. Durant deux mois, les trois cours du pape, de l'empereur d'Allemagne et du roi d'Aragon déployèrent leurs magnificences dans les salles du château et les rues de la ville. Ferdinand ler étant installé au château depuis le 31 août 1415, l'antipape demanda l'hospitalité aux Franciscains, tandis qu'un logement avait été préparé à L'empereur Sigismond dans le couvent des Grands-Carmes. Outre les trois cours, outre les comtes de Foix, de Savoie, de Lorraine et de Provence, il y eut, à Perpignan (septembre-novembre 1415) les ambassadeurs du concile de Constance, savoir : l'archevêque de Tours et les principaux légistes et docteurs, l'ambassade de France, composée de l'archevêque de Reims, de l'évêque de Carcassonne, du grand-maître de Rhodes, du Prévôt de l'Université de Paris et de trois docteurs de Sorbonne. L'Angleterre était représentée par l'évêque de Worcester et des docteurs ; le roi de Hongrie par son grand chancelier ; le roi de Navarre par son protonotaire ; la Castille par le célèbre archevêque de Burgos, Paul de Sainte-Marie, et par un nombre considérable de seigneurs et de maîtres en toutes les Facultés. Ce fut plus qu'un congrès européen. Sigismond voulut qu'un roi Maure captif y assistât. «Le lendemain de son arrivée à Perpignan, qui était le samedi 20 septembre 1415, raconte le chroniqueur don Fernand Perez de Gusman, l'empereur d'Allemagne, toute sa cour et les ambassadeurs des rois chrétiens allèrent voir Benoît XIII. Celui-ci les attendait dans son grand salon somptueusement paré. A côté de son trône, il y en avait un autre, un peu moins élevé sur lequel l'empereur devait s'asseoir. Quand Sigismond arriva, Pierre de Luna se leva et se découvrit la tête. Tous les deux se donnèrent la main et le baiser de paix. Cela se fit parce que l'empereur ne reconnaissait pas Benoît XIII pour vrai pape. Celui-ci voulut faire asseoir Sigismond le premier. L'empereur s'y refusa, tous les deux s'assirent en même temps. Sigismond lui dit qu'il venait avec un grand plaisir de le voir, d'abord pour connaître son excellente personne, ensuite pour travailler à la pacification de l'Eglise de Dieu, qui devait s'opérer en ne reconnaissant qu'un seul vicaire de Jésus-Christ. C'était dans ce but qu'il venait de si lointains pays, non sans grandes fatigues et dangers de sa personne, et qu'il le suppliait de ne pas s'opposer à cette paix, cela dépendant de lui plus que de tout autre, tant à cause de son âge que de son grand savoir. Il suffisait pour cela qu'il voulût bien renoncer à la dignité papale, comme l'avaient fait les papes Jean et Grégoire. Il rendrait par là grand honneur à Dieu et tirerait la chrétienté de troubles profonds. Le Saint-Père lui répondit que sa demande était fort juste et digne d'un prince très chrétien, comme il l'était ; qu'il avait grand plaisir à connaître personnellement un si illustre interlocuteur dont il avait toujours entendu vanter les grandes vertus, et qu'il était prêt à tout faire pour le service de Dieu. Pierre de Luna et Sigismond allèrent ensuite visiter Ferdinand 1er qui était gravement malade. L'empereur d' Allemagne piqué contre le roi d'Aragon qui n'avait pas mis, selon lui, toute l'ardeur possible à le seconder, partit brusquement de Perpignan sans prendre congé de Ferdinand, le 5 novembre 1415. Le roi d'Aragon, qui ne tenait pas à se brouiller ainsi avec Sigismond, insista si bien auprès de l'anti pape que celui-ci se décida à gagner Collioure où stationnaient ses galères. Ferdinand 1er adressa une suprême mais respectueuse sommation à Pierre de Luna, le 21 novembre. Celui-ci, loin d'obtempérer, se contenta de proférer cette phrase en mettant le pied sur son embarcation prête à lever l'ancre : «Dites à votre roi de ma part : Me qui te feci misisti in desertum ! Moi qui t'ai fait ce que tu es, tu me jettes au désert». L'obstiné vieillard quitta Collioure pour s'enfermer jusqu'à sa mort dans la forteresse de Peniscola, où il arriva le 1er décembre. L'heure d'agir était venue. Ferdinand d'Aragon convoqua une assemblée d'évêques et de docteurs auxquels se joignirent les ambassadeurs de Castille et de Navarre, ainsi que ceux des comtés d'Armagnac et de Foix, c'est-à-dire toute l'obédience avignonaise. Il fut décidé que Benoît pouvant rendre la paix à l'église et se refusant à la lui procurer, on était en droit de se soustraire à son autorité. Quant au vrai pape, on reconnaîtrait celui que le concile générai de Constance allait élire. Le 6 janvier 1416, saint Vincent Ferrier lut, dans la chapelle même du château royal où Benoît XIII avait célébré pontificalement quelques années auparavant, l'acte de renonciation à son obédience. Ce document était signé des rois de Castille, d'Aragon et de Navarre. Pierre de Luna fut déposé publiquement au concile de Constance, le 26 juillet 1417. Le 11 novembre suivant, l'unité était rendue à l'autorité de l'église par l'élévation de Martin V au Souverain Pontificat. Benoît XIII survécut six ans à sa déchéance. Il aimait à comparer le rocher de Peniscola, où il vivait abandonné, à l'arche de Noé qui portait le salut de l'humanité. C'est dans cette solitude qu'il mourut, le 23 mai 1423, à l'âge de quatre-vingt-dix ans.

P. Fages, Histoire de saint Vincent-Ferrier. - Noël Valois, La France et le grand schisme d'occident. Paris. Alphonse Picard, 1902, 4 vol. grand in-8° - Franz Erle, Martin de A1partils, Chronica actitatorum temporibus domini Benedicti XIII, Paderborn, 1906, grand in-4°. - Abbé J. Capeille, Concile de la Réal, Perpignan, Conet, 1908.