Hyacinthe Rigaud (1659-1743)

Il fut baptisé le 20 juillet 1659 dans l'église cathédrale de Saint-Jean à Perpignan. Son père, Mathias Rigaud, était tailleur ; sa mère se nommait Marie Serra. Non loin de la maison qu'occupait sa famille, se trouvait un somptueux hôtel, habité alors par François de Ros. Esprit éclairé, ami des beaux-arts, celui-ci s'enorgueillissait de la protection qu'il accordait aux artistes, et sa demeure était pleine de tableaux des peintres les plus renommés et des objets précieux que peuvent procurer la fortune et le goût. Guerra le vieux peignait un jour le mur d'une terrasse de cet hôtel. Derrière lui, immobile, considérant attentivement le travail du peintre, se tenait un enfant. Fatigué de sa tâche, Guerra s'était absenté un instant. «Et moi aussi je veux être peintre !» s'écria l'enfant, et, profitant de ce moment d'absence, fiévreusement il se met à dessiner sur le pan du mur voisin. Tout entier à son oeuvre, il ne s'aperçoit pas de la venue de M. de Ros qui, étonné de tant d'audace, appelle à lui ses gens pour faire châtier comme il convient le jeune impertinent. Mais Guerra, à ses cris, aussi est accouru. Un coup d'oeil lui a suffi ; dans ce dessin que vient de tracer la main d'un enfant, il a reconnu l'artiste. «Arrêtez, dit-il à M. de Ros, ce dessin est bon, si bon, que je n'en suivrai point d'autre.» L'enfant était sauvé, et un artiste s'était révélé : c'était Hyacinthe Rigaud. François de Ros, qui avait déjà une grande amitié pour le petit Hyacinthe, à cause de sa gentillesse et de sa vivacité, lui voua dès lors une affection particulière, et, le prenant sous sa protection, le fit entrer dans l'atelier d'un peintre et pourvut à tous ses besoins.

H. Rigaud, Autoportrait au ruban (1698)
coll. musée des Beaux-Arts H. Rigaud
photo Ville de Perpignan

L'enfant était, dit aussi l'histoire, le fils d'une pauvre veuve employée dans la maison. A quatorze ans, Hyacinthe Rigaud quittait sa ville natale et venait s'installer à Montpellier, dans l'atelier du peintre Pezet. Artiste médiocre, dont il ne reste guère grand chose, Pezet possédait dans son atelier une superbe collection de tableaux dus aux pinceaux des grands maîtres. C'est en copiant ces diverses toiles, qu'Hyacinthe Rigaud commença à se perfectionner dans cet art, et à puiser, auprès de ces maîtres célèbres, le goût du beau, du vrai, du naturel, qui devait faire de lui, plus tard, le portraitiste le plus renommé de l'époque. Pendant son séjour à Montpellier, Rigaud reçut aussi les leçons d'un autre peintre nommé Verdier et de Ranc le vieux, artiste alors célèbre, qui, le premier, l'initia à la manière de Van Dyck. Son fils, Jean Ranc, qui mourut en 1735 à Madrid, peintre du roi d'Espagne, épousa plus tard la nièce de Rigaud, la fille de son frère Gaspard.

Jaloux des succès et des honneurs que la Cour prodiguait alors aux peintres célèbres, Hyacinthe Rigaud, sûr de son talent, voulut aussi aller conquérir sa part de gloire dans la capitale et déclara un jour son intention à Ranc, son maître. Ce n'est pas directement à Paris que se rendit Rigaud, mais bien à Lyon, où il passa quatre années encore, et de là, étape par étape, il arriva enfin à Paris, en 1681. Il avait alors vingt-deux ans. Un an après, il se présenta à un concours de l'Académie royale, dont le sujet était : Caïn bâtissant la ville d'Hénoch. Il eut le bonheur d'obtenir le prix.

Déjà, les brillantes qualités d'Hyacinthe Rigaud se manifestaient hautement. Le peintre le plus en vue à cette époque était Charles Lebrun. Les talents naissants s'inclinaient devant sa gloire, et recherchaient ardemment sa puissante protection. Hyacinthe Rigaud sut plaire à cet artiste. Il lui fit suivre les cours de l'Académie, lui fit prendre part à ses concours, et en 1685, Rigaud remportait le prix de Rome. Deux voies s'ouvraient alors devant, lui : ou partir pour Rome aux frais de l'Etat, aller s'inspirer des grands maîtres et des chefs-d'oeuvre du passé que renferme cette ville et s'adonner en entier à la peinture de l'histoire et des grandes compositions ; ou bien rester à Paris, où son talent, qui commençait déjà à s'imposer, semblait lui promettre un brillant avenir. Rigaud penchait pour le départ à Rome, dans le but d'étudier les chefs-d'oeuvre de l'antiquité, mais Lebrun, qui avait reconnu en lui les qualités d'un habile portraitiste, l'en dissuada, lui déclarant que cette étude lui serait plutôt dangereuse qu'utile. Hyacinthe Rigaud resta donc à Paris.

Ce fut en peignant de simples bourgeois, que Rigaud débuta dans sa carrière de portraitiste. Son premier portrait fut celui d'un nommé Materon, joaillier de Monsieur, frère du roi, qu'il peignit dans le genre de Van Dyck. Mais il apportait un tel soin à sa tâche, un tel souci de la ressemblance, un tel goût dans tout l'ensemble, que sa renommée, vite grandissante, attira les amateurs en nombre à son atelier de la rue Notre-Dame des Champs. En 1683, ce furent les traits du grand Corneille que son pinceau livra à l'admiration publique, puis le portrait de M. de Trobat, intendant du Roussillon, en 1686. Chaque portrait fut pour lui un triomphe nouveau. Lebrun, son protecteur, Mignard, Monsieur, frère du roi, viennent, en 1688, poser devant lui. En 1689, il peignit l'héroïne de la Fronde, déjà presque oubliée, la grande Mademoiselle, Anne-Marie-Louise d'Orléans. En 1690, il fit les portraits de plusieurs peintres et de plusieurs personnages célèbres. L'année suivante, ce furent les traits de François de Ros que son pinceau reproduisit avec art et reconnaissance, et l'oeuvre fut si admirable que le duc Anne-Jules de Noailles, maréchal de France, alors gouverneur du Roussillon, ne voulut pas d'autre peintre que lui. La même année, Colbert et le prince royal de Danemarck, roi plus tard sous le nom de Frédéric IV, posèrent devant son chevalet. Il fit, en 1692, le portrait du duc de Saint-Simon avec qui il était lié d'amitié, et encore, l'année suivante, un autre portrait du duc de Noailles. Rigaud était, à cette époque, dans la pleine maturité de son talent. Les plus grands du royaume, les personnages les plus illustres, artistes, comédiens et nobles seigneurs, tinrent à honneur de voir leurs traits reproduits par son pinceau. Successivement il peignit les sculpteurs Desjardins, Girardon, Coysevox. Nicolas Coustou ; les architectes Robert de Cotte et Mansart ; les peintres Sébastien Bourdon, Claude Halle, Lafosse, Louis de Boullonge ; l'acteur Baron ; le financier Gourville ; les poètes Regnard, Boileau. etc., en un mot tout ce que le siècle compta de grand ou d'illustre. Il ne s'oublia pas non plus, et quatre de ses portraits peints par lui-même dans des attitudes diverses, ont fait passer à la postérité les traits de cet artiste de génie.

Heureux de tous côtés, riche, entouré de gloire, Rigaud se souvint alors de ce pays natal, qu'il aimait tant. Il voulut revoir celle qui, la première, avait guidé ses pas, encouragé ses essais, fortifié sa vocation : cette mère pour qui son coeur conservait la plus affectueuse tendresse. Il voulut lui faire partager sa gloire et ses succès, et, en 1695, il prit le chemin du Roussillon. Voulant avoir toujours près de lui les traits de cette mère chérie, Rigaud en fit le portrait sous trois faces différentes, et jamais amour filial uni au talent d'artiste n'ont produit oeuvre plus belle. Cette toile est une de ses meilleures. Son ami Coysevox, le sculpteur, fit, d'après ces portraits, le buste en marbre de Marie Serra, qui orna jusqu'à la mort l'atelier de son fils obéissant et soumis. A sa mort, Rigaud le légua à Monseigneur le Dauphin, espérant que celui-ci le placerait dans une des galeries du château de Meudon ou de Versailles.

Mais ce buste et ces portraits ne suffisaient pas à son affection. Un an après, Rigaud refit le voyage du Roussillon, ramenant avec lui sa mère à Paris, pour la rendre témoin de son bonheur et de sa gloire. Il ne souffrit pas qu'elle échangeât, durant son séjour dans la capitale, ses humbles vêtements catalans contre de plus riches costumes, «ne voulant pas, disait-il, qu'on lui change sa mère». Mais Marie Serra ne put longtemps supporter le bruit et l'agitation de la grande ville. Heureuse de la renommée et de la gloire de ses deux fils, (car, à côté d'Hyacinthe, Gaspard, son frère, jouissait d'un certain renom), elle reprit le chemin de Perpignan où elle mourut dans un âge avancé.

Hyacinthe Rigaud épousa, en 1707, Elisabeth Gouy, veuve de M. Le Juge. Cette union fut heureuse, quoique sans postérité ; et l'attachement qu'il portait à sa femme était si grand, qu'il ne put survivre que quelques mois à sa perte. C'est à cette époque, et probablement lors de son deuxième voyage en Roussillon pour venir chercher sa mère, que Rigaud fit gratis, ainsi que le constatent ses livres, le portrait d'Etienue d'Albaret, intendant du Roussillon. La même année, il peignit Louis Dauphin de France, et, avant de partir pour ses Etats, le prince de Conti, nommé roi de Pologne, posa devant Rigaud. Dans le courant de quatre années, il peignit successivement : La Fontaine, Racine, Santeuil, le duc de Vendôme, de Villeroy, le duc de Cambrai, l'évêque de Troyes, l'évêque de Mirepoix, Fléchier, évêque de Nîmes. Rigaud peignit Jean Hervieu Bazan de Flamenville, évêque d'Elne, et lui fit présent de ce portrait. Il révéla une fois de plus les ressources inépuisables de son talent dans le portrait de Bossuet, véritable chef-d'oeuvre, où il nous montra celui qu'on avait surnommé l'Aigle de Meaux, revêtu de ses habits pontificaux, debout dans son cabinet, au milieu des ouvrages remarquables qu'il a composés.

L'Académie de peinture n'avait garde de laisser un talent aussi distingué en dehors de son sein, et, par lettre du 2 janvier 1700, elle l'appela à siéger parmi ses membres. A cette occasion, Rigaud fit don à l'illustre assemblée du portrait du sculpteur Martin Van den Bogaert (plus connu en France sous le nom de Desjardins) et du tableau représentant le martyre de saint André. Le portrait qu'avait fait Rigaud du prince de Conti, ainsi que son talent incontesté et sa haute réputation, avaient attiré sur lui les yeux de la Cour, et Louis XIV ne voulut pas qu'un autre peintre que lui reproduisit les traits de son petit-fils, le duc d'Anjou, avant son départ pour l'Espagne, où il allait régner sous le nom de Philippe V. Rigaud s'acquitta si bien de cette tâche que le monarque, enthousiasmé de son talent, lui confia le périlleux honneur de retracer ses traits (1701), voulant envoyer son portrait au roi d'Espagne, qui le lui avait demandé. Hyacinthe Rigaud sut se montrer digne de l'honneur qui lui avait été fait et peignit une oeuvre si parfaite que Louis XIV ne voulut point s'en séparer. Il ordonna d'en faire une copie qui fut envoyée au roi d'Espagne, et fit placer l'original à Versailles, dans la salle du trône. Après sa réception à l'Académie, Rigaud fit entre autres portraits ceux de Fontenelle et de Mansart, et, en 1703, celui du duc de Bourgogne. Le duc de Mantoue et sa femme honoraient, en 1704, de leur présence l'atelier du peintre roussillonnais, qui exécutait, la même année, les portraits de Boileau, de Vauban, de Villars, le héros de Denain, et, en 1708, celui du troisième fils légitime de Louis XIV et de Madame de Montespan, Louis-Alexandre de Bourbon, comte de Toulouse, amiral de France. Rigaud entrait alors dans sa quarante-neuvième année.

Volant de bouche en bouche à travers les provinces, sa gloire et sa renommée étaient arrivées aux oreilles de ses compatriotes, et, fière de son talent, Perpignan voulut honorer l'un des plus illustres de ses enfants. C'était un vieux privilège accordé par les rois d'Aragon, respecté et confirmé par les rois de France, lors de la réunion du Roussillon à la couronne, qu'avait la ville de Perpignan de créer des bourgeois ou citoyens nobles, et des mercadiers. Elus par le voeu des cinq consuls de la ville, auxquels venaient s'ajouter, au nombre de neuf, les anciens premiers consuls et anciens seconds consuls (ainsi que le voulait l'article 12 de l'ordonnance de la reine Dona Maria), ceux qui étaient investis de cet honneur étaient inscrits sur le livre de matricule. Ils ne pouvaient être rayés de ce livre, après leur inscription, que par délibération unanime du conseil général qui, seul, pouvait rétablir aussi dans ce titre ceux qui en avaient été déchus. «La très fidèle ville de Perpignan est la seule, dit une vieille chronique, qui jouisse en France de ce privilège». Par une lettre du 18 juin 1709, Perpignan créa Hyacinthe Rigaud bourgeois noble de la ville, et en 1710, l'Académie le nomma professeur. Trois années plus tard, Louis XIV confirmait ces titres et faisait inscrire Rigaud parmi les nobles du royaume.

Peintre du grand siècle de Louis XIV, Rigaud le fut aussi de tous ceux qui illustrèrent les commencements du XVIIIe siècle. C'est par le royal enfant qu'il commença, et, en 1715, il faisait de lui un portrait plein de grâce et de fraîcheur. Quelques années plus tard (1722), il faisait encore le portrait de Louis XV adolescent. La gloire et les honneurs n'empêchaient pas Rigaud de se livrer tout entier à son art, et, durant cette période de sa vie, on lui voit produire entre autres portraits remarquables, ceux du roi de Pologne, Auguste II, et de la princesse Palatine, mère du régent. Le roi avait pris Rigaud en affection particulière, et, outre les diverses pensions qu'il lui avait accordées, le 22 juillet 1727, à l'occasion du nouveau portrait qu'il venait de faire de lui, il le nomma chevalier de l'ordre de Saint-Michel, jusque-là exclusivement réservé à la noblesse. Reçu à l'Académie le 2 janvier 1700, adjoint au professeur le 24 juillet 1702, professeur le 27 septembre 1710, adjoint au recteur le 10 janvier 1733, Rigaud fut nommé recteur le 21 novembre de la même année. Cette distinction et sa juste renommée avaient attiré sur lui, non seulement l'attention de la Cour de France, mais encore celle des Cours voisines. Le grand duc de Toscane, Médicis, sollicita de lui son propre portrait, voulant qu'un peintre de cette valeur fut représenté dans sa galerie déjà célèbre. Il lui envoya en échange, comme présent, un superbe groupe en bronze représentant Laocoon et ses deux fils mordus par les serpents. Tout ce que la France comptait de grand et de célèbre tenait à avoir son portrait de la main de cet artiste, alors arrivé au faite de la gloire et de la renommée. Devant son chevalet défilèrent, tour à tour, et le cardinal de Rohan, grand aumônier de France, et le cardinal de Polignac, le ministre Law, Gaspard de Vintimille, archevêque de Paris, le diplomate Dubois, cardinal et ministre, Fleury, l'ancien précepteur du roi, ministre et cardinal aussi. Rigaud peignit la glorieuse figure de Maurice de Saxe, maréchal de France, et de la grande tragédienne Adrienne Lecouvreur.

Pour la dernière fois il fit, en 1736, le portrait de Louis XV, en buste seulement ; il le représenta couvert d'une cuirasse. Rigaud avait alors soixante-dix-sept ans. Il n'avait perdu aucune des qualités qui faisaient de lui le peintre le plus renommé et le plus estimé de l'époque. Il venait de finir son tableau de la Présentation au Temple, lorsqu'un coup terrible vint l'atteindre en 1742. élisabeth Gouy, sa femme, qu'il aimait passionnément, lui fut tout à coup ravie. Hyacinthe Rigaud ne put survivre longtemps à cette perte. Le 29 décembre 1743, il expira après une vie si noblement et si dignement remplie, à l'âge de quatre-vingt-quatre ans. Hyacinthe Rigaud ne laissa point de postérité.

Perpignan, sa ville natale, possède quatre tableaux de cet artiste célèbre : le portrait du cardinal de Bouillon, ouvrant la porte sainte, l'an du Jubilé séculaire, 1700 ; Rigaud peint par lui-même, à l'âge où il reçut le Cordon noir ; le portrait du cardinal Fleury et le Christ expirant. Le 20 juillet 1890, la ville de Perpignan éleva à Rigaud une statue en bronze sur une de ses places publiques. Ce monument, qui est l'oeuvre de Gabriel Faraill, fut inauguré par M. Léon Bourgeois, ministre de l'Instruction publique.

Crouchandeu, Catalogue raisonné des objets d'art du musée de Perpignan. - Joseph Tarbouriech, Biographie d'Hyacinthe Rigaud, Perpignan, 1889, in-12, 44 pages.

H. Rigaud, Autoportrait au cordon noir (1727)
coll. musée des Beaux-Arts H. Rigaud
photo Ville de Perpignan