ELEGIE I
A MECENE

Vous demandez pourquoi l'Amour a mes faveurs,
Et pourquoi mes doux vers charment tant de lecteurs.
Nulle muse ne vient échauffer mon génie ;
L'Apollon qui m'inspire est ma seule Cynthie.
Dans les tissus de Cos paraÏt-elle à mes yeux.
J'écris sur ces tissus un livre gracieux ;
Vois-je de ses cheveux flotter libres les tresses,
Son orgueil dans mes vers puise d'autres ivresses ;
Entends-je résonner la lyre sous sa main,
Je l'admire, ébahi, fou de son art divin ;
Quand, cédant au sommeil, s'abaisse sa paupière,
De rêves amoureux quelle riche matière !
J'écris une Iliade, mais c'est surtout alors
Que dans de gais ébats j'ai vu nu son beau corps.
Finalement d'un rien je fais un long poème ;
Un geste me suffit, une parole même.

Si je tenais du ciel un génie assez grand
Pour dire les héros aux grands combats marchant,
Je ne chanterais point les Titans en colère,
Sur les monts entassés s'ouvrant une carrière,
Ni Thèbes, ni les murs d'Ilion, ni ce pont
Qui réunit la Perse aux bords de l'Hellespont,
Ni Rome à son berceau, ni Carthage la fière,
Ni Marius du Cimbre abattant l'âme altière.
Je dirais de César la gloire et les hauts faits,
Et Mécène à son tour le suivrait de très près.
Si je chantais la fin de la guerre civile,
Ou Modène, ou la flotte écrasée en Sicile,
Ou l'antique Etrurie éteinte sous ses murs,
Ou du phare captif les rivages peu sûrs,
Ou l'Egypte, ou le Nil sous un nouvel empire
Etendant ses sept bras, oui ! si je pouvais dire
Ces nombreux rois soumis, couverts d'or ou d'argent,
Le butin d'Actium à Rome s'étalant ;
Mécène, en temps de paix comme en guerre aussi juste
Serait toujours vivant dans la gloire d'Auguste.

Callimaque n'a pas le souffle assez puissant
Pour chanter Jupiter ou l'Etna vomissant,
Et je ne saurais point dans un poème épique
Associer Auguste à sa famille antique.
Chacun s'enferme en l'art que sa muse chérit ;
Je chante mes combats sur un modeste lit,
Le laboureur ses champs, le soldat ses blessures,
Le berger ses brebis, le marin ses mâtures.
En aimant il est beau de vivre et de mourir,
Et d'un coeur, sans rival, de pouvoir seul jouir.
C'est mon but. Je suis sûr de Cynthie, et sa haine
De tout coeur infidèle apparaît contre Hélène.

Les philtres que jadis la fille de Minos
Essaya vainement sur le coeur d'un héros,
Les poisons de Circé, les charmes de Médée
Ne pourraient m'arracher à ma Cynthie aimée ;
Elle a su captiver et mon coeur et mes sens.
Le trépas mettra fin à nos embrassements.

L'homme applique aux douleurs l'art de la médecine,
Mais l'amour se complaît dans le mal qui le mine,
Philoctète marcha, guéri par Machaon ;
Phénix revit le jour grâce aux soins de Chiron ;
En empruntant aux fleurs leur vertu salutaire,
Esculape rendit Androgée à son père,
Et Télèphe trouva, par des secrets nouveaux,
Dans l'arme meurtrière un remède à ses maux.
Ceiui-là guérira ma blessure fatale
Qui maintiendra le fruit dans la main de Tantale,
Ou qui, vous remplaçant, filles de Danaüs,
Remplira le tonneau dont l'eau ne fuira plus,
Ou qui, de Prométhée arrêtant la souffrance,
Du vautour dévorant vaincra la résistance.

Quand la mort, de ma vie en arrêtant le cours,
Sous un marbre léger m'étendra pour toujours,
O vous, le doux espoir de toute ma jeunesse,
Ma gloire, en quelque lieu que le destin me presse,
Mécène, si jamais votre char vous conduit
Dans les lieux où mon corps dormira loin du bruit,
Dites, en essuyant une larme qui tombe :
Les rigueurs d'une femme ont creusé cette tombe.

ELEGIE II
ELOGE DE CYNTHIE

Libre, je voulais seul vivre en mon lit. Vain rêve !
Car l'Amour de lui-même a rompu toute trêve.
Pourquoi, chère beauté, n'es-tu pas dans les Cieux !
Comprend-on les larcins du plus puissant des dieux
Devant tes cheveux blonds, ton corps plein de souplesse
Tes beaux doigts effilés et ton port de déesse !
Telle parut la soeur du puissant roi des dieux,
Ou Pallas sous l'égide aux serpents tortueux,
Voyant Dulichio, le temple où l'on l'adore,
Ou Proserpine offrant son flanc tout vierge encore ;
Telle était Deidamie, au milieu d'un festin,
Des Centaures jaloux provoquant le larcin...
Renoncez à la palme et rendez-lui les armes,
Déesses dont Pâris parcourut tous les charmes !
Ah ! puisse la vieillesse épargner ta beauté !
Un temps même très long fut-il par toi compté !

ELEGIE III
A LUI-MEME

Je croyais de l'Amour n'avoir plus rien à craindre,
Mais déjà ses filets sont revenus m'étreindre,
Et mon faible courage, à peine un mois passé,
Dans un livre nouveau se trouve embarrassé.
Je cherchais au poisson le bonheur sur le sable !
Au sanglier dans la mer un séjour agréable,
A moi les longs soucis de pénibles travaux.
Distrayez-vous. L'Amour vous poursuitsans repos.

Ses beaux traits n'ont pas seuls captivé ma jeunesse.
(Car le lis est moins blanc que ma belle maîtresse,
Et son teint réunit, dans un merveilleux ton,
La fraîche rose au lait, la neige au vermillon.)
Ce ne sont pas ses yeux, mes étoiles brillantes,
Ni ses cheveux couvrant ses épaules charmantes,
Ni les tissus légers révélant ses contours.
(Des chimères jamais n'enflamment mes amours !)
Lorsque son pied s'agite en des danses bruyantes,
Je crois voir Ariadne au milieu des bacchantes ;
Quand sa lyre résonne et vibre sous sa main,
De l'égaler Corinne essayerait, mais en vain.
C'est la Muse entraînant dans ses vers ; avec elle
Erynna ne pourrait entrer en parallèle.

De quels grands biens l'Amour entoura ton berceau !
Le jour que tu naquis, quel prodige nouveau !
Les dieux t'ont départi leur faveur la plus chère ;
Tes charmes ne sont pas un présent de ta mère.
Elle a pu dix grands mois te porter dans son sein ;
Mais tous ces biens dans toi sont d'un être divin.
Des Romaines, un jour, la gloire la plus belle,
Tu t'en iras jouir de la couche immortelle
Du puissant Jupiter, et tu dois aux destins
D'avoir, après Hélène, étonné les humains.
Pour brûler il suffit un instant qu'on te voie.
Mieux qu'Hélène Cynthie aurait embrasé Troie !

Que l'Europe et l'Asie eussent eu des combats
Pour Hélène, mon coeur ne le comprenait pas.
Mais Ménélas fit bien de vouloir la reprendre ;
Pâris fit sagement, refusant de la rendre.
Il n'eût pas été trop de voir pour ta beauté
Achille avec Priam par la mort emporté.

De nos peintres fameux pour surpasser l'adresse,
Sur la toile peignez, comme elle est, ma maîtresse,
Et vous enflammerez, la montrant tour à tour,
Les endroits où finit, où commence le jour.
Puisse une mort cruelle anéantir mon âme,
Si jamais je brûlais d'une nouvelle flamme !

Indocile d'abord, à la fin, le taureau,
Du joug qui le gênait, s'habitue au fardeau.
De même le jeune homme, au dieu d'amour rebelle,
Insensible se plie aux rigueurs d'une belle.
Mélampe supporta le poids des fers honteux
Pour avoir d'Iphiclus osé ravir les boeufs.
Péro de ce larcin fut la cause première,
La même qu'épousa de Mélampe le frère.

ELEGIE IV
A UN AMI

Qu'il nous faut essuyer de mépris, de dédains ;
Dans notre ardeur, ronger nos ongles et nos mains,
Frapper du pied, en proie au désir qui nous presse,
Pour avoir les faveurs d'une dure maîtresse !
En vain vous arrosez de parfums vos cheveux,
Vous avancez en vain gravement. Tristes jeux !
Cherchez contre l'Amour ou de Périmédée
Les magiques boissons, ou celles de Médée.
Rien ne peut prévenir un ennemi trompeur
Dont les traits déguisés vous atteignent au coeur ;
Lit moelleux, changement de climat, médecine,
Rien n'arrête le cours du mal qui vous domine.
Le mal d'amour partout vous poursuit pas à pas,
Et votre ami surpris apprend votre trépas.
Combien de faux devins m'ont eu pour tributaire !
Que de fois dans mon songea fouillé la sorcière !

Qu'une maîtresse échoie à des gens ennemis,
D'un enfant la tendresse à ceux que je chéris.
A peine si le sang attendrit une belle.
Un mot touche le coeur de cet ami fidèle ;
Vous pourrez avec lui, calme, suivre le cours
D'un fleuve peu profond,sans danger pour vos jours.

ELEGIE V
A CYNTHIE

C'est avéré, Cynthie est la fable de Rome !
Ta conduite en ces lieux n'est cachée à nul homme,
Cet outrage sans nom aura son châtiment !
L'Aquilon à son tour détruira mon serment.
Ne trouverai-je pas dans les femmes volages
Un coeur qui, de mes vers goûtant les avantages,
En me vengeant de toi, me payera de retour !
Ah ! tu regretteras, ingrate, mon amour...

Fuyons tant que je suis en proie à la colère,
Car, le dépit calmé, l'Amour la ferait taire.
La mer gonfle ou s'abaisse au gré de l'aquilon ;
A son gré le Notus obscurcit l'horizon ;
Mais plus vite un amant le cède à sa maîtresse.
Nous pouvons nous soustraire au dur joug qui nous blesse,
Fuyons donc ; nos tourments dureront une nuit ;
Nous domptons, en souffrant, l'Amour qui nous poursuit.

De grâce, par Junon, témoin de nos promesses,
Evite le regret de honteuses faiblesses.

Le taureau pour sévira des cornes au front ;
La brebis peut aussi se venger d'un affront.
Pour moi, je n'irai pas, pour punir ton injure,
Déchirer tes habits ou briser ta clôture ;
Tu ne me verras pas, arrachant tes cheveux,
Sur tes traits imprimer un stigmate odieux.
Pareils excès ne sont dignes que d'un poète
Dont le laurier jamais ne couronna la tête.
J'écrirai dans des vers victorieux du temps
Que ta rare beauté changeait toujours d'amants,
Et malgré tes mépris pour l'honneur, sois-en sûre,
La pâleur de tes traits avouera ton parjure.

ELEGIE VI
A CYNTHIE

Dans Corinthe, jadis, la Grèce tout entière
Assiégeait de Laïs la maison princière,
Et Thaïs, que Ménandre a chantée en ses vers,
De l'Attique reçut les hommages divers ;
Ils sont bien plus nombreux sous le nom de parents,
Tous ceux dont tu reçois les vifs embrassements ;
Ces portraits et ces noms me donnent de l'ombrage.
Que dis-je ? un faible enfant chez toi cause ma rage !
Oui, ta mère et ta soeur par leurs tendres baisers,
Ta compagne, pour moi sont des traits meurtriers,
Et, pardonne aux terreurs de mon âme impuissante,
Je crois voir un rival sous ta robe flottante.

L'Amour, nous le savons, causa bien des combats.
C'est lui qui d'Ilion prépara le trépas ;
L'Amour, en un festin, arma, dans sa furie,
Contre Pirithoüs une main ennemie.
Pourquoi citer des Grecs les exemples fameux ?
Nourrisson d'une louve, à Rome, à tes neveux
Quelle triste leçon de malsaines doctrines
Tu donnas, en faisant enlever les Sabines !

Alceste, Pénélope, et vous qui, sur leurs pas,
Sous le toit d'un époux enfermiez vos appas,
Pourquoi de la Pudeur honorer la déesse,
Si l'hymen donne droit d'aimer ce qui la blesse ?
Celui qui le premier, souillant de purs regards,
Dans d'obscènes tableaux prostitua les arts,
Détruisit la candeur de la vierge timide,
Et du vice odieux fut le père et le guide,
Qu'il périsse à jamais, ce génie infernal,
Auteur des faux plaisirs qui récèlent le mal !
Ce n'était pas ainsi qu'aux murs de nos vieux pères
S'étalaient au grand jour des scènes adultères.
Mais l'araignée aussi pend sa toile aux autels
Etl'herbe pousse aux pieds de nos dieux immortels.

Pour éloigner de toi toute atteinte étrangère,
Quels gardes inventer ou bien quelle barrière ?
Rien ne peut retenir la femme sans pudeur,
Mais celle-là vaincra que garde son honneur.

Loin de moi de l'hymen la chaîne trop pesante !
Tu me tiendras lieu, seule, et d'épouse et d'amante.

ELEGIE VII
A CYNTHIE

Non, cette loi, l'objet de toutes nos frayeurs,
Sois heureuse ! jamais ne disjoindra nos coeurs.
Elle n'est plus. César, dans sa force suprême,
Pouvait-il ce qu'un dieu n'aurait pas fait lui-même !

César vainc sur la terre et la mer tour à tour,
Mais son bras ne saurait triompher de l'amour.
Que la cruelle mort fasse tomber ma tête
Plutôt que de l'hymen de me voir la conquête !
Nouveau mari, les pleurs inonderaient mes yeux
En passant près d'un seuil clos à mes anciens feux,
Et ma flûte et mes chants seraient aussi funèbres
Que le clairon glacé des suprêmes ténèbres.

Nul soldat de mon sang ne sortira jamais,
Nul héros qui de Rome augmente les hauts faits.
Le coursier de Castor, aux camps de ma maîtresse,
A peine suffirait seul à ma hardiesse.
Jusques au Borysthène, aux pays des frimas,
La renommée a dit ma gloire et mes combats.
Mon coeur n'aime que toi. L'amour seul de Cynthie
Me sied mieux que d'enfants une longue série.

ELEGIE VIII
A UN AMI

Tu condamnes des pleurs qui montrent ma tristesse,
Quand on vient me ravir ma charmante maîtresse !
L'Amour seul fait surgir le plus mordant chagrin.
Je le haïrais moins d'être mon assassin !...

Puis-je la voir ainsi dans les bras d'un autre homme ?
Elle ne sera plus ma Cynthia ! hélas ! comme
L'Amour est inconstant, vient et fuit tour à tour !
Vaincre ou périr, telle est la devise en amour...
Qu'il a trahi de rois d'une illustre origine !
Ilion ne vit plus et Thèbe est en ruine...

Insensé que j'étais ! Comment aussi longtemps
Ai-je pu supporter ses propos et ses gens !
Malgré mes dons, mes vers et mon ardeur extrême,
Jamais je n'entendis ces mots d'elle : «Je t'aime !»
Et toujours sous le joug, de son regard hautain
Je voyais retomber sur moi tout le dédain.

Puisqu'il nous faut mourir à la fleur de notre âge,
Mourons, et que la joie éclate en son visage...
Qu'elle foule à ses pieds mon cadavre, et que, sombre,
Elle insulte à ma cendre et poursuive mon ombre...
Quoi ! d'Antigone Hémon, en vengeant le trépas,
Sous son fer meurtrier ne succomba-t-il pas ?
En confondant ses os avec ceux d'une amante,
De Thèbe il éteignit la famille régnante.

Tu mourras ; et la main qui versera mon sang,
Pour le mêler au mien, t'ira percer le flanc
Nos neveux blâmeront un acte de la sorte.
C'est la honte. Tant pis ! pourvu que tu sois morte !

Achille, désolé de perdre Briséis,
Sous son toit déposa les armes ; ni les cris,
Ni la fuite des Grecs errant sur le rivage,
Ni leurs vaisseaux brûlés ne calmèrent sa rage,
Ni Patrocle lui-même étendu mort, meurtri,
Les cheveux tout souillés, par les Troyens flétri ;
Rien ne put remplacer sa brillante captive,
Tant perdre une maîtresse est une douleur vive !
Mais, Briséis rendue, il reprit son essor
Pour traîner à son char le corps sanglant d'Hector.

Eh ! pourrai-je à l'Amour disputer la victoire,
Moi qui d'Achille n'ai la force ni la gloire !

ELEGIE IX
A CYNTHIE, CONTRE UN RIVAL

Je fus plus d'une fois ce qu'il est maintenant ;
Mais bientôt tu prendras,sans doute, un autre amant.

Quand elle eût pu choisir dans leur foule pressante,
Durant deux fois dix ans, Pénélope constante
Elude des amants l'ardeur qui la poursuit,
Détruisant son travail du jour pendant la nuit,
Et, sans espoir de voir l'objet de sa tendresse,
Fidèle, en son palais elle attend la vieillesse ;
Briséis en ses bras tient Achille expiré ;
Sa main caresse encor son front décoloré ;
Aux eaux du Simoïs cette triste captive
Lave un maître sanglant abattu sur la rive,
Et du plus grand héros les os sont recueillis
Par sa débile main, car Pélée et Thétis
Ainsi que Deidamie étaient loin. Sous les armes,
La Grèce à la pudeur trouvait alors des charmes.

Pour toi, pas une nuit et pas même un seul jour,
Parjure, tu ne peux chasser un fol amour.
Peut-être en une orgie, ivre, dans ton délire,
De mes feux et de moi tu te plais à médire.

Mais te voilà rendue à son perfide coeur,
Puisses-tu savourer un si rare bonheur !...
Ah ! sont-ce là les voeux qu'en des jours de tristesse
Je faisais, quand le Styx réclamait ma maîtresse,
Et qu'auprès de ton lit, nous répandions des pleurs !
Et, lui, fut-il sensible, ingrate, à tes douleurs ?
Qu'aurais-tu fait, dis-moi, si très longtemps la guerre
M'eût retenu dans l'Inde ou bien sur l'onde amère !

L'ouragan, de la mer creuse les profondeurs ;
Le Notus, des forêts agite les hauteurs ;
Le mensonge et la fraude ainsi que l'imposture
Sont l'art où de la femme excelle la nature.
Plus que la mer ses flots, leurs feuilles les forêts,
La femme, sans propos, change amours et projets.

Mais puisqu'ainsi le veut et l'ordonne Cynthie,
De vos flèches, Amours, exterminez ma vie.
A l'envi, sous vos traits, disposez de mon sort.
Vous trouverez, Amours, grand honneur dans ma mort.

Froid piquant du matin, astres, porte discrète,
A mon amour ardent qui t'entr'ouvrais muette,
Vous le savez, Cynthie avait seule mon coeur ;
Elle l'aura toujours, malgré haine et froideur.
Désormais en mon lit, sans aucune maîtresse,
Je reposerai seul, puisqu'elle me délaisse.
Mais si j'eus du respect pour eux, puissent les dieux
Faire de mon rival un marbre dans ses feux !

Les deux frères thébains s'occirent de colère,
Dans leur soifdu pouvoir, sous les yeux de leur mère.
Sois ainsi devant nous, et, dans ce cas je veux
Le combattre avec rage et mourir sous tes yeux.

ELEGIE X
A SA MUSE

Muse, sur l'Hélicon suivons d'autres sentiers ;
Maintenant d'Hémonie attelons les coursiers.
Je veux de nos soldats célébrer le courage,
La gloire d'un héros qui les guide au carnage.
Si ma lyre ne peut égaler leur valeur,
De l'avoir entrepris j'aurai du moins l'honneur.
Que la jeunesse chante une amante parfaite,
Mais c'est à l'âge mûr d'entonner la trompette,
Et je veux désormais, prenant des tons plus hauts,
Par Calliope instruit, dire d'autres travaux.
Laissons là le hautbois ; dans votre ardeur guerrière,
Muses, accordez-moi votre aide tout entière.

Le Parthe, déplorant les échecs de Crassus,
Gémit dans un pays qui ne le défend plus ;
L'Inde courbe le front pour recevoir des chaînes,
Et l'Arabe insoumis tremble en ses libres plaines.
Il n'est point de pays en ce grand univers
Qui d'Auguste vainqueur ne redoute les fers.
A dire ses exploits je trouverai la gloire.
Me conserve le ciel pour chanter sa victoire !

Mais, ne pouvant des dieux atteindre les hauteurs,
Nous plaçons à leurs pieds nos couronnes de fleurs.
Impuissants à traiter des actions si grandes,
Nous offrons à César de modestes offrandes.
Aussi bien du Permesse élevé sur les bords,
Nous n'avons à l'Ascrée emprunté ses accords.

ELEGIE XI
A CYNTHIE

Que règne autour de toi le bruit ou le silence,
C'est sur un sol pierreux répandre la semence
Que de louer Cynthie. Ah ! ne t'y trompe pas,
Le dernier jour venu détruira tes appas.
Le voyageur, troublant le repos de ta cendre,
Ne dira point : «Ci-gît docte fille au coeur tendre».

ELEGIE XII
SUR L'AMOUR

Sans nul doute ce fut un artiste excellent
Qui figura l'Amour sous les traits d'un enfant
Le premier il comprit que, prodiguant leur vie.
Les amants aux vrais biens préfèrent leur folie.
Il fit bien de donner des ailes à ce dieu
Dont le coeur, quoique humain, ne s'arrête en nul lieu,
Faisant voir que, jouet d'une onde fugitive,
L'homme ne peut jamais se fixer sur la rive.
Il mit avec raison des flèches dans ses mains,
Plus un double carquois au-dessus de ses reins,
Indiquant qu'invisible et toujours intraitable,
L'Amour surprend et fait une plaie incurable.

Oh ! l'Amour a perdu ses ailes ; car ses traits,
Son image, ses yeux ne me quittent jamais.
Contre moi, sans repos, s'exerce son empire ;
Son combat incessant défend que je respire...
Quel plaisir de m'avoir comme ton but toujour !
Dirige ailleurs tes coups ; va, trop cruel Amour,
Contre un coeur insensible essayer ta puissance.
Je ne suis plus qu'une ombre, une ruine immense.
Quoique faibles, mes vers ont de puissants effets.
Si je meurs, qui pourra célébrer désormais
La tête, les yeux noirs, les doigts de ma maîtresse,
Son pied mignon portant son corps plein de souplesse.

ELEGIE XIII
A CYNTHIE

L'Amour contre mon coeur a lancé plus de traits
Que les Parthes chez eux n'en portèrent jamais.
C'est sous lui que, d'Ascrée à l'ombragé rivage,
Des vers tendres et doux je fis l'apprentissage.
Mes chants n'attirent point les chênes des forêts,
Ni les hôtes d'Ismare au sein de nos guérets.
Mais s'ils peuvent du moins convenir à Cynthie,
Je croirai surpasser Linus en poésie.

La beauté d'une femme ou ses nobles aïeux
Ne charme point mon coeur, n'allume point mes feux
Mais, penché sur le sein d'une docte maîtresse,
Lire des vers qu'approuve un goût sûr, je confesse
Que c'est là mon plaisir et que son jugement
Me vaut, mieux que celui du peuple applaudissant.
Cynthie à les louer peut-elle se résoudre,
Du puissant Jupiter je braverai la foudre.

Quand la mort pour jamais m'aura fermé les yeux,
Comme suprême honneur voici ce que je veux :
Des bustes orgueilleux qu'on m'épargne le nombre
Et du clairon plaintif le son lugubre et sombre,
Que mon corps ne soit point déposé sous un dais
Orné de beaux tissus ou de soie ou d'or, mais
Que mon convoi, tout simple et d'aspect ordinaire,
Ne présente aux regards aucun thuriféraire ;
Qu'on porte seulement mes trois livres d'amours,
Comme offre à Proserpine aux ténébreux séjours.
Toi, la poitrine nue, en te frappant sans cesse,
Tu suivras, répétant mon nom avec tristesse.
Quand du nard syrien l'on viendra m'arroser,
Ma lèvre doit frémir sous ton dernier baiser ;
Puis, en un vase étroit dépose, sans attendre,
Mes restes que la flamme aura réduits en cendre,
Et les plaçant après sous d'humbles lauriers verts,
Sur mon léger tombeau fais graver ces deux vers :
«Ci-gît un peu de cendre, autrefois âme ardente,
Esclave de l'Amour et d'une seule amante».
Ces vers me placeront en aussi digne rang
Qu'Achille en son tombeau tout arrosé de sang.

Quand le destin tardif réclamera ta vie,
Vers ce marbre reviens me rejoindre, Cynthie !
Jusque-là souviens-toi des mânes d'un amant ;
Les morts ont sous la terre encor du sentiment.

Plût aux dieux que la Parque eût de mon existence,
Au sein de mon berceau, terminé ma souffrance !
Pourquoi rêver des jours l'avenir incertain !
Trois siècles de Nestor fixèrent le destin ;
Mais si, sous Ilion, victime de la guerre,
Il avait prévenu cette longue carrière,
Il n'eût point vu son fils expirer sous ses yeux
Ni blâmé de la mort le retard odieux.
Tu plaindras quelquefois l'âme qui te fut chère ;
On ne doit oublier ceux qui laissent la terre.
Que de pleurs fit verser la perte d'Adonis,
Quand ilfut sur les monts par un sanglier surpris !
Pleurant, au désespoir, près de sa sépulture,
Vénus laissait au vent flotter sa chevelure...
Vainement tu voudras de nouveau voir mes traits,
Et mes os resteront toujours froids et muets.

ELEGIE XIV
A CYNTHIE

Jamais Agamemnon, à la chute de Troie,
Riche de ses trésors, n'éprouva tant de joie ;
Jamais après vingt ans, avec de tels transports,
Ulysse ne revit son Ithaque et ses ports ;
Jamais plaisir si vif n'exista pour Electre
En revoyant vivant Oreste au lieu d'un spectre ;
Pour avoir à Thésée offert le fil sauveur,
La fille de Minos n'eut pas tant de bonheur
Que j'en ai dans tes bras goûté la nuit dernière
Une autre m'enverrait dans la céleste sphère !

Autrefois j'avançais, triste, le front baissé,
Méprisé comme un lac que les eaux ont laissé.
Aujourd'hui tu n'as plus ton dédain inflexible ;
Tu ne peux à mes feux te montrer insensible.
Ah ! que n'ai-je plus tôt connu tant de bonheur !
Maintenant c'est d'un mort réchauffer la froideur.
Cependant à mes pas la voie était ouverte,
Qui toujours vers l'Amour marcha d'un pied alerte !
Le succès bien souvent, c'est d'user de mépris ;
Un coeur luttait hier qu'aujourd'hui l'on a pris.

Lorsque d'autres amants trouvent la porte close,
Ma maîtresse en mes bras languissamment repose.
Non, les Parthes vaincus à côté ne sont rien ;
Voilà mes rois captifs, mes trésors, tout mon bien
Je chargerai, Vénus, tes autels de guirlandes ;
On y lira ces vers auprès de mes offrandes :
«Des faveurs d'une nuit reconnaissant le prix,
Properce offre ces dons à la belle Cypris».

Ordonne, et mon vaisseau touchera le rivage,
Ou fléchira brisé sous les coups de l'orage ;
Mais si par tes mépris tu dois changer mon sort,
Ma Cynthie, à ton seuil plutôt que je sois mort !

ELEGIE XV
PROPERCE RACONTE SES PLAISIRS

0 ravissante nuit ! nuit pleine de douceur !
O lit, témoin heureux de mon propre bonheur !
Que de mots échangés à ta clarté tremblante,
Lampe ! quels doux ébats lorsque tu fus absente...
Tantôt elle luttait en découvrant le sein ;
Elle opposait tantôt sa tunique à ma main.
Et quand sous le sommeil s'abaissa ma paupière,
Sa lèvre l'entr'ouvrit : «Tu dors», dit sa voix chère.
Nos bras s'entrelacaient en mille noeuds charmants ;
Mes baisers s'arrêtaient, sur sa bouche, brûlants.
Que les jeux de l'amour perdent dans la nuit noire !
L'oeil guide nos transports,le jour, tu peux m'en croire
Pâris des plus grands feux ne s'embrasa-t-il pas
Lorsque d'Hélène nue il surprit les appas ?
Endymion charma la soeur d'Apollon même,
Qui, nue aussi, s'endort près du mortel qu'elle aime.
Si tu prétends cacher tes attraits à mes yeux,
Ma main déchirera tes voiles odieux,
Et si par tes refus m'emporte la colère,
Tu pourras en montrer les traces à ta mère.
Livre donc à nos jeux ces deux globes charmants,
Droits, faisant rougir ceux qu'ont sucés des enfants.
Savourons les amours que le destin nous laisse :
Vers l'éternelle nuit le temps cruel nous presse.
Puissions-nous dans nos bras être enlacés toujours,
Sans que de nos ardeurs rien n'arrête le cours !
Pour modèles prenons ces tendres tourterelles,
Couple heureux, que l'Amour ne voit point infidèles.

L'ardente passion ne doit point s'affaiblir.
Quand il est vrai, l'amour ne doit jamais finir.
On verra la moisson à sa graine étrangère ;
La Nuit s'avancera sur un char de lumière ;
Les fleuves refluant ramèneront leurs flots ;
Le poisson périra dans l'abîme sans eaux,
Avant que mon amour pour une autre t'oublie.
Mort ou vif, j'appartiens pour toujours à Cynthie.
Pour être dans tes bras heureux comme je suis,
Un an serait trop long pour de semblables nuits.
Prodigue-les : j'acquiers une gloire divine
Tout mortel devient dieu, placé sur ta poitrine.
Si tous voulaient ainsi couler des jours heureux,
Ou borner à Bacchus leurs plaisirs et leurs voeux,
Ni le fer meurtrier ni les vaisseaux de guerre
Ne pousseraient nos corps au sein de l'onde amère,
Et Rome, tant de fois succombant par ses mains,
N'aurait point de ses fils à pleurer les destins.
Mais pour moi, nos neveux m'accorderont, je pense,
Qu'à nul dieu mes festins n'ont fait aucune offense.
Savoure le plaisir quand le permet le temps ;
Donne tous tes baisers, tous tes embrassements !
Ainsi qu'on voit la fleur à sa tige arrachée
Sur nos coupes tomber par le vent desséchée,
Peut-être verrons-nous, amants présomptueux,
La carrière, demain, se fermer à nos jeux!

ELEGIE XVI
A CYNTHIE

Des bords illyriens le voilà de retour,
Ton préteur, mes tourments, l'objet de ton amour.
Que de présents ma main eût offerts à Neptune,
S'il avait pu sombrer ainsi que sa fortune !

Sans moi, dans ta maison que de festins bruyants !
A tous, excepté moi, s'ouvrent tes deux battants.
L'occasion sourit pour une ample récolte ;
Tonds-le bien, sans remords,sans crainte de révolte,
Et puis, quand tu tiendras son argent et son or,
Qu'il aille pressurer des provinces encor !
Cynthie à la fortune accorde son estime ;
Les faisceaux ne sont rien ; c'est l'argent qui les prime...
O Vénus, venge-moi de cet affront fatal ;
Que l'abus du plaisir énerve mon rival !

De l'amour pour de l'or ! Quelle étrange folie !
Jupiter ! A ce point la femme est avilie !
Pour elle il faut chercher la perle au fond des mers,
Et demander à Tyr ses tissus les plus chers.
Ah ! si la pauvreté régnait dans Rome entière,
Si son chef habitait dans une humble chaumière,
Sans y perdre son coeur par l'argent acheté,
La femme y vieillirait avec sa pureté !...

Cc ne sont pas sept nuits qu'oublieuse tu passes
Au bras d'un vil mortel, lui prodiguant tes grâces,
Ou l'infidélité que j'attaque, mais c'est
Ta perfidie unie à ce front si parfait.
De mouvements lascifs, sur un lit où respire
Mon amour, un barbare a souillé mon empire.
D'Eriphyle du moins rappelle-toi la mort,
Et le feu qui finit de Créuse le sort.

L'outrage ne saurait terminer ma souffrance ;
Rien ne peut à mes maux porter une allégeance.
Depuis longtemps, hélas ! insensible, j'entends
Les jeux du champ de Mars, et la muse et les chants.
Ah ! je devrais rougir, mais l'âme est paresseuse,
Quand domine dans nous la passion honteuse.
Antoine, sur la mer, vit les flots étonnés
Plier sous des soldats par Rome condamnés ;
Le déshonneur lui fit livrer sa flotte à l'onde
Pour suivre l'infamie aux limites du monde.
Mais gloire au grand César dont le bras tout-puissant
Sut vaincre et déposer le glaive menaçant !

Puissent-ils dans les airs ou la terre profonde
Disparaître à jamais, ou dans le sein de l'onde,
Les présents de ses mains, tes riches vêtements,
L'émeraude et l'opale aux reflets si brillants !

Jupiter bien souvent se venge du parjure,
Et, sourd, il n'entend plus la voix de l'imposture.
As-tu vu quelquefois la foudre, dans les cieux
S'irritant, éclater sur un toit odieux !
Ce n'est point l'Orion qui l'a toujours formée ;
Sans raison sur la terre elle n'est point tombée.
Jupiter en courroux contre un sexe trompeur
Punit ainsi souvent les faussetés d'un coeur.
Crains donc, malgré de Tyr tout le riche étalage,
Quand le ciel nébuleux annonce quelque orage.

ELEGIE XVII
A CYNTHIE

Promettre à son amant une nuit, l'en frustrer,
C'est d'un sang généreux sans honte se souiller.
Voilà le seul refrain dans ma dure insomnie,
Quand sur mon lit je roule éloigné de Cynthie.
Qu'on soit touché du sort de Tantale, en ses eaux
Demandant, mais en vain, à sa soif un repos ;
Que l'effort de Sisyphe à son tour vous étonne,
Avec son roc toujours retombant ; rien ne donne
Une idée, un tableau, des douleurs d'un amant.
Que l'homme sage évite avec soin le tourment !

De mes succès naguère on vantait l'avantage...
Un jour sur dix, voilà maintenant mon partage.
Je n'ai plus qu'à choisir, dans mon malheureux sort,
Ou poison ou rocher pour me donner la mort,
Puisque vers toi ma plainte est sans effet lancée,
Et qu'à ton seuil je dors par une nuit glacée.
Toutefois je ne puis te haïr un instant,
Et ma constance un jour causera ton tourment.

ELEGIE XVIII
A CYNTHIE

Que d'amants par la plainte aux femmes odieux !
Souvent le froid silence en triompherait mieux.
Soyez témoins discrets des fautes d'une amante ;
Dissimulez toujours l'ennui qui vous tourmente.

Mais comment supporter qu'on me traite céans
Comme un homme ridé couvert de cheveux blancs
Non, jamais de Tithon méprisant la vieillesse,
L'Aurore du vieillard ne trahit la faiblesse.
Laissant son char, avant de baigner ses coursiers,
Elle le réchauffait par ses tendres baisers.
Quand aux rives de l'Inde, aux bras de la déesse
Il reposait, l'Aurore, accusant la vitesse
Du temps, blâmait les dieux, au fort de son amour.
De ce qu'elle annonçait trop promptement le jour,
Et Tithon, sur son sein, lui donnait plus de joie
Que de regrets la mort de Memnon devant Troie.
Près de lui, dans sa couche, elle se reposait,
Fière des cheveux blancs que sa bouche baisait...
Je suis jeune, et je vois mes ardeurs condamnées
Par toi qui vas plier sous le faix des années.

Je ris de tes mépris, en pensant que l'Amour
A sur les coeurs ingrats plus d'un cruel retour.

Du Breton se fardant tu marches sur la trace ;
Maintenant ta folie est de peindre ta face.
Crois-moi, la beauté vraie est dans le naturel ;
Une tête romaine est mal hors du réel ;
Que les tourments d'enfer la poursuivent sous terre,
La femme qui teignit ses cheveux la première.
Rends-moi souvent heureux, ma Cynthie ; à ce prix
De ta beauté toujours tu me verras épris ;
Mais offrir de l'azur la couleur la plus pure,
Cela n'embellira jamais une figure.

Je veux être ton frère ou ton fils tour à tour,
Et de leur tendre coeur avoir pour toi l'amour ;
Mais sur un lit témoin de ta chaste nature
Garde-toi de montrer une vaine parure.
J'en crois la renommée. Ah ! crains de t'y fier,
Car sa voix se répand dans l'univers entier.

ELEGIE XIX
A CYNTHIE

Tu fuis Rome ; pourtant je suis heureux, Cynthie,
De penser qu'en nos champs tu vas couler ta vie.
Dans ces lieux innocents nul jeune corrupteur
Qui vienne, en ses discours, attaquer ta pudeur ;
Sous ta fenêtre close aucun cri téméraire
N'interrompra jamais ton sommeil solitaire.
Là, tu devras aux prés, aux monts, à leurs troupeaux,
Au pauvre agriculteur des spectacles nouveaux.
Point de lubriques jeux, de temples où tu puisses
Troubler par tes propos les divins sacrifices,
Mais de forts boeufs traçant un pénible sillon,
Ou le cep s'abattant sous l'adroit vigneron.
Quelquefois, immolant un chevreau domestique,
Tu brûleras l'encens sur un autel rustique,
Et, simple en ton cothurne, en conduisant des choeurs
Tu seras à l'abri des hommes séducteurs.
Moi, je suivrai les pas de la chaste déesse ;
Vénus aura mes voeux, Diane ma tendresse.
L'animal des forêts tombera sous ma main ;
Je mettrai sa dépouille à la cime d'un pin ;
J'exciterai mes chiens ; cependant mon audace
Du sanglier, du lion, ne suivra pas la trace.
Mais je puis dans ces lieux où, dans ces belles eaux,
Le Clitumne blanchit la robe des taureaux,
Poursuivre de mes traits ou le lièvre timide,
Ou l'oiseau, dans les airs, de ma flèche rapide.
Si pourtant le désir aiguillonne tes sens,
Souviens-toi que j'arrive à tes appels pressants.
Toutefois les forêts, le ruisseau qui chemine
Mollement à travers la mousse et la colline,
N'entendront prononcer ton nom dans mon amour.
De crainte d'indiscrets prévenant mon retour.

ELEGIE XX
A CYNTHIE

Pourquoi m'accuses-tu d'avoir manqué de foi,
Ou d'un lâche abandon bien indigne de moi ?
Briséis loin d'Achille, Andromaque captive,
Elevaient moins que toi leur voix triste et plaintive.
Dans les bois de Cécrops, Philomèle éplorée
Etait, pendant la nuit, moins que toi désolée,
Et, sur le Sipylus, Niobé, sans enfants,
Jamais ne répandit des pleurs plus abondants.
Quand des chaînes d'airain, dans une tour profonde,
Ainsi que Danaé, m'écarteraient du monde,
Pour accourir vers toi, nul lien, nulle tour,
Ne pourrait, un instant, arrêter mon amour.
Le mal qu'on dit de toi n'affecte pas mon âme,
Et Cynthie a pourtant des doutes sur ma flamme !
Oui, j'en prends à témoin les os de mes parents
(Puissent m'anéantir leurs mânes, si je mens !),
Je t'aimerai toujours, et Properce et Cynthie
Cesseront de s'aimer quand finira leur vie.

Si je n'étais soumis aux charmes que je vois,
La douceur de ton joug me tiendrait sous tes lois.
Sept fois l'astre des nuits a fourni sa carrière,
Et sans cesse de nous s'entretient Rome entière,
Depuis qu'un libre accès m'amène à tes faveurs
Et qu'un seul lit reçoit nos communes ardeurs.
Ce n'est pas aux présents, aux offres gracieuses,
Mais à toi que je dois ces nuits délicieuses ;
Ton coeur m'a seul choisi parmi tant d'aspirants.
Eh ! pourrais-je oublier des bienfaits aussi grands !
Si je deviens ingrat, poursuivez-moi, Furies ;
Du juge des enfers Haines inassouvies,
Faites-moi dévorer par un autre vautour ;
Que sans trêve je roule un rocher à mon tour.
Cynthie, et sans descendre à cette humble prière,
La première en mon coeur y vivra la dernière,
Car j'ai seul un mérite et je l'aurai toujours
C'est d'aimer mûrement et d'aimer sans retour.

ELEGIE XXI
A CYNTHIE

Pour m'avoir accusé sans raison, que Panthus
Supporte justement le courroux de Vénus.

Ah ! crois-tu que Dodone ait un meilleur augure ?
Ton favori charmant te joue et se parjure ;
Il prend femme, oubliant le bonheur de tes nuits...
Crédule coeur, eh bien ! dévore tes ennuis,
Solitaire, pendant qu'auprès d'elle il se vante
De t'avoir, malgré lui, possédée en amante.
Tous tes adorateurs, de tes feux peu jaloux,
Te cherchent pour leur gloire, ainsi que cet époux.
Tel autrefois, fuyant un abri dont il use,
Jason laisse Médée et vole vers Créuse ;
Tel Ulysse, poussant sa nef vers d'autres ports,
Fuit l'île où Calypso déplore ses transports.
Instruites du mépris que l'on fait de vos charmes,
Trop faciles beautés, ne cédez point les armes...

Mais déjà ton coeur rêve un autre adorateur !
Ne peux-tu fuir, trompée, une nouvelle erreur ?
Pour moi, sois en santé, souffre de maladie,
En tous temps, en tous lieux, j'appartiens à Cynthie.

ELEGIE XXII
A DEMOPHOON

Plusieurs belles, hier, me plurent à la fois.
Tous mes maux cependant, ami, je les leur dois ;
Mais jamais à mes yeux la place ou le théâtre
Ne m'offre un beau minois que je ne l'idolâtre.
Qu'à ma vue un acteur étale un bras charmant ;
Qu'il ait l'art de toucher par la douceur du chant ;
Qu'une femme découvre un sein blanc comme neige ;
De cheveux vagabonds que son chef soit le siège,
Richement rehaussés de perles au sommet,
Mes yeux cherchent toujours le coup qui les soumet,
Et si l'espoir fléchit sous un regard sévère,
Une froide sueur m'inonde jusqu'à terre.

Devant tant de beautés je frissonne. Pourquoi ?
Tu l'ignores ! Chacun a son faible dans soi.
Sans pouvoir expliquer les passions humaines,
Tel se meurtrit au son des flûtes phrygiennes,
Sous les couteaux sacrés faisant couler son sang.
Moi, l'Amour me poursuit et s'attache à mon flanc.
Et quand de Thamyris j'aurais le sort horrible,
Mon coeur pour la beauté ne peut être insensible.

Peut-être trouves-tu mes membres sans vigueur.
Mais avec moi Vénus ignore la lenteur !
Sache-le ; car je puis dans la nuit, sans faiblesse,
Fournir tous les combats qu'exige ma maîtresse.
Alcmène à ses côtés eut le maître des dieux ;
Par deux nuits Jupiter fut éloigné des cieux,
Et pour lancer la foudre eut-il moins de puissance !
L'amour ne s'éteint pas par excès de vaillance.
Des bras de Briséis en dégageant les siens,
Achille faisait fuir les bataillons troyens,
Et lorsque Hector quittait la couche d'Andromaque,
Les Grecs craignaient-ils moins sa vigoureuse attaque ?
L'un et l'autre brûlaient et détruisaient encor.
Moi, je suis en amour un Achille, un Hector.

Phoebé fuit ; le soleil alors commence à luire.
Une maîtresse ainsi ne me saurait suffire.
A mes voeux enflammés si l'une ne vient pas,
Qu'une autre me réchauffe et me tienne en ses bras ;
Qu'elle n'ignore pas, rejetant mon message,
Qu'aussitôt sa rivale accepte mon hommage.
Deux ancres près du bord fixent mieux les vaisseaux ;
La mère avec deux fils redoute moins les maux.

Qu'une femme, à son gré, m'accepte ou me refuse,
Mais que jamais de moi sa fausseté n'abuse,
Car je ne connais pas de chagrin plus cuisant
Que la déception qui fond sur un amant.
Qu'il pousse de soupirs sur son lit solitaire !
Il la croit voir aux bras d'un autre qui la serre,
Il tremble de savoir. Hélas ! le malheureux,
Il cherche des secrets dont il craint les aveux.

ELEGIE XXIII
SUR LES FEMMES

Loin de fuir les chemins du vulgaire grossier,
Je cherche maintenant l'eau sale du bourbier.
L'homme bien né doit-il d'une épouse fidèle
Gagner les serviteurs pour arriver près d'elle ;
Savoir d'eux quel endroit elle foule à présent ;
Le lieu qui la reçoit,à quelle heure et comment ?..
Elle écrit. Ces travaux d'Hercule, dont la fable
Entretient, offrent-ils un succès raisonnable !
D'un farouche gardien le regard vous poursuit ;
Surpris, on peut gagner un immonde réduit.
C'est le prix d'une nuit dans une année entière.
Malheur à qui se peut dans ces obstacles plaire !

La femme court-vêtue à mon coeur sied bien mieux,
Qui, libre, va, revient, sans nul garde ennuyeux.
La fange du chemin de son pied prend la trace,
Mais à tout postulant elle s'offre avec grâce,
Et ne demande pas dans son empressement
Ce que d'un père avare on obtient rarement.
Elle ne dira pas : «J'ai peur, je t'en supplie,
Mon époux va rentrer ; pars vite, je te prie».
Je fuirai les larcins d'un lit trop vertueux.
Les filles de l'Euphrate auront seules mes voeux,
Puisqu'il n'est aux amants d'autre liberté pleine,
Et que vouloir aimer, c'est se mettre à la chaîne.

ELEGIE XXIV
A LUI-MEME

Quoi ! tu poursuis encore alors que tes écrits
Sur ta maîtresse et toi font pleuvoir le mépris !
Qui devait tes aveux retiendrait sa colère ?
On doit dans ses amours être honnête et se taire.

Je ne me verrais pas taxé de déshonneur ;
De mes désirs brûlants je cacherais l'auteur ;
Nul ne m'accuserait pour mon libertinage
Si Cynthie à mes feux n'opposait point l'outrage.
Aux vulgaires beautés si j'arrête mon choix,
Elles coûtent moins cher. La raison a son poids.
Mais à Cynthie il faut, contre mon humeur noire,
La dépouille d'un paon, des osselets d'ivoire,
Le cristal dans sa main conservant la fraîcheur,
De la Via sacra mille riens. Ah ! malheur !
Si je fuis la dépense ou connais l'avarice !
Mais je veux n'être plus soumis à son caprice.

ELEGIE XXV
A CYNTHIE

C'était là ce bonheur près de moi si vanté !
Eh quoi ! tant d'inconstance avec tant de beauté !
Ce lit de nos ébats, tu veux que je le laisse
Lorsqu'à peine deux nuits t'ont prouvé ma tendresse.
Naguère tu vantais, tu récitais mes vers,
Et ton amour s'envole et fend déjà les airs...
Qu'il vienne disputer et d'art et de génie,
Apprendre qu'un amour doit suffire en la vie ;
Qu'il lutte contre l'hydre, amant obséquieux ;
Qu'il arrache au dragon les fruits d'or, si tu veux ;
Qu'il boive les poisons ; affronte les naufrages ;
De tout malheur humain qu'il brave les orages...
Mais si tu me soumets à ces fameux travaux,
Cet homme deviendra le plus vil des rivaux.

Tes faveurs font l'orgueil d'un amant, mais sois sûre
Que l'année en son cours verra votre rupture.
Pour moi, ni les travaux d'Hercule, ni les ans,
Ni la mort, rien ne peut changer mes sentiments.
Hélas ! peut-être un jour, en recueillant ma cendre,
Tristement tu diras : «De Properce si tendre,
Voilà tout ce qui reste ; il fut seul en ses feux
Fidèle, quoique pauvre et sans riches aïeux».

Non, rien ne peut agir sur mon âme constante,
Et je puis tout souffrir de la part d'une amante.
Combien belle figure a perdu d'amoureux !
Combien elle en a peu vu fixes dans leurs voeux !
L'ingrat Démophoon, l'infidèle Thésée
Quittèrent, sans tarder, une amante abusée ;
Médée, en son amour, le sauveur de Jason,
Déplora, tu le sais, un cruel abandon.

Partager son amour et feindre la tendresse,
C'est le rôle menteur d'une indigne maîtresse.
Ne me compare pas aux nobles, aux puissants.
Seul je te resterai dans les derniers moments ;
Mais puisses-tu plutôt, à celte heure venue,
Me pleurer, les cheveux sur ta poitrine nue !

ELEGIE XXVI
A CYNTHIE

Unique et tendre objet d'un amour malheureux,
Si le sort me retient, viens partager mes feux.
Vous, Catulle et Gallus, souffrez ma hardiesse,
Quand au-dessus de tout je place ma maîtresse.

Le soldat, loin des camps, vieux, trouve le repos.
Par l'âge appesanti, le boeuf fuit les travaux ;
La vétusté retient l'esquif sur le rivage
Et le temple reçoit le bouclier hors d'usage.
Mais verrai-je les ans de Tithon, de Nestor,
Que pour toi mon amour existerait encor.
Oh ! non, la dureté du tyran d'Agrigente,
Son taureau monstrueux, Gorgo pétrifiante,
Les vautours du Caucase unis tous pour ma mort,
Non, rien n'est plus cruel que mon malheureux sort.
La rouille, de l'acier prépare la ruine ;
Goutte à goutte en tombantsur le roc, l'eau le mine.
Seul mon amour résiste, et, sans être altéré,
Supporte cri, menace, affront réitéré,
Et, revenant toujours, aux paroles altières,
Aux blâmes il oppose excuses et prières...

Amant qui t'applaudis de goûter des faveurs,
La femme peu de temps entretient ses ardeurs.
Le nocher remplit-il ses voeux pendant l'orage ?
Souvent l'esquif brisé flotte près du rivage.
Celui-là dans le cirque est couronné vainqueur
Dont le char par sept fois touche au but sans malheur.
C'est pour mieux nous tromper qu'Amour semble sourire,
Mais pour venir plus tard le désastre en est pire...
Sans doute tu ne peux éprouver de rigueur,
Pourtant garde ta joie enfermée en ton coeur,
Car toujours en amour une langue indiscrète
Prépare, je ne sais comment, une défaite.
Ne te prodigue pas, quoique appelé souvent,
Les désirs provoqués résistent rarement.

Si les antiques moeurs avaient encor des charmes,
Loin d'un rival, du temps je craindrais peu les armes ;
Mais ni temps ni rival ne changera mon coeur.
Qu'à sa guise chacun caresse son erreur ;
Pourtant vous qui brûlez d'amour pour plusieurs belles,
Que vous cherchez de pleurs et de douleurs cruelles !
Esclaves des couleurs, chaque teint vous sourit ;
Si la blonde vous plaît, la brune vous séduit.
De chaque forme épris, vous admettez sans peine.
Avec égale ardeur, la Grecque ou la Romaine.
Mais qu'elle ait robe simple ou de pourpre de Tyr,
Chacune, de ses traits peut vous faire périr.
Pourquoi plusieurs amours s'élèvent-ils dans l'âme,
Quand pour tous les malheurs il suffit d'une femme !

ELEGIE XXVII
A CYNTHIE

Dans un rêve j'ai vu se briser ton vaisseau,
Tes mains, sans nul espoir, se débattre sur l'eau,
Tes cheveux disparaître en la liquide plaine,
Et ta bouche avouer tes parjures, sans peine.
Telle autrefois Hellé, sur un bélier brillant,
Fut le triste jouet du flot resplendissant.
Que j'ai craint que ce lieu n'eût le nom de Cynthie,
Que le marin un jour n'y pleurât sur ta vie !
Que j'adressais de voeux à Neptune, à Castor !
Combien Ino, Pollux en recevaient encor !
Tes mains de l'onde à peine excédaient la surface ;
Dans ce pressant danger, seul, mon nom trouvait place.
Si Glaucus eût joui du charme de tes yeux,
Déjà tu régnerais dans ses humides lieux.
Leurs nymphes, mais en vain, vanteraient Cymothée,
Et tu l'emporterais sur la blonde Nisée.
J'allais du haut d'un roc m'élancer quand, soudain,
A ton secours j'ai vu se hâter un dauphin,
Le sauveur d'Orion, je présume, et ma peine
A banni la douleur dont mon âme était pleine.

ELEGIE XXVIII
A CYNTHIE

On s'étonne que j'aie aussi belle maîtresse,
C'est pourquoi l'on me croit une grande richesse.
Les trésors de Cambyse et tout l'or de Crésus
Ne lui feraient point dire : «En mon lit ne viens plus».
Les vers que j'écris sont un culte pour Cynthie ;
Elle hait les honneurs devant ma poésie.
La constance et la foi sont des preuves d'amour,
Mais le riche est changeant et n'aime pas toujour.
Si tu penses des mers franchir le vaste espace,
Poussé par mêmes vents, je viendrai sur ta trace ;
Nous verrons mêmes lieux ; sous même arbre vivant,
Nos lèvres puiseront l'eau du même courant.
A la proue, à la poupe, en notre course errante,
Même lit recevra Properce et son amante.
Avec toi de l'Eurus affronter les fureurs ;
Sous l'Auster, de la mer braver les profondeurs ;
D'Ulysse, sur les flots supporter les tempêtes,
Ou celles qui des Grecs menacèrent les têtes ;
Voir deux rocs rapprochés comme, autrefois, Argus
Dans sa marche guidé par l'oiseau de Vénus,
Tout sourit à mon coeur pourvu que je te voie,
Dût mon vaisseau du feu plus tard être la proie.
Puissions-nous tous deux nus toucher aux mêmes bords,
Mais que je reste aux flots, si la terre a ton corps.

Neptune à notre amour ne peut être contraire,
Car, en amour, ce dieu le dispute à son frère.
Amymone le prouve, elle qui, dans les champs,
Dut la source de Lerne à ses embrassements,
Et vit ce même dieu, d'une main généreuse,
D'une eau sacrée emplir son urne précieuse.
Orithye à Borée a pu plaire autrefois,
Lui qui soumet la terre et la mer à ses lois.
La cruelle Scylla devant nous sera tendre ;
Charybde cessera d'engloutir et de rendre ;
Les astres, dans le ciel, ne s'obscurciront plus ;
L'Orion sera pur, et pur sera l'Haedus.
Mais pour sauver tes jours, quand je perdrais la vie,
Je trouve que ma mort serait digne d'envie.

ELEGIE XXIX
L'INCERTITUDE DE LA MORT

Vous voulez dela mort savoir l'heure incertaine :
Quel chemin la conduit frapper la race humaine ;
Vous voulez, attachant vos yeux au ciel serein,
Reconnaître l'étoile où luit votre destin.
Poursuivez le Breton ou le Parthe indocile,
Le danger est sur terre et sur la mer mobile.
Vous pleurez en bravant les hasards des combats,
Car les guerriers sont tous sous les coups du trépas :
Pour vos toits vous craignez la flamme ou la ruine,
Et pour vous qu'un poison imprévu ne vous mine.

L'amant seul peut savoir quand il meurt et comment,
Sans crainte de Borée ou de Mars menaçant ;
Quand il serait assis sur le triste rivage,
Attendant le nocher de l'éternel passage,
Si d'une amante alors le rappelait la voix,
Il pourrait voir la vie une seconde fois.

ELEGIE XXX
A JUPITER

Jupiter, prends pitié des maux de ma maîtresse.
Elle est belle ; et sa mort t'accuserait sans cesse.

L'air s'embrase déjà des brûlantes chaleurs
Et de la canicule éprouve les ardeurs.
N'accusons ni ses feux ni le ciel, ma Cynthie,
Mais ton peu de respect des dieux, pendant ta vie.
Voilà ce qui vous perd, femmes, car vos serments
Ou tombent dans les eaux, ou partent sur les vents.

De la comparaison Vénus s'irrite-t-elle,
Jalouse de te voir auprès d'elle encor belle ?
Des temples de Junon ne te moquais-tu pas ?
Rendais-tu les honneurs aux beaux yeux de Pallas ?
Fière de ses attraits, on dit plus qu'on ne pense.
Indiscrète beauté, voilà ta récompense.
Mais peut-être tes jours, qu'assaille le malheur,
Se termineront-ils par un destin meilleur.

Sous une forme étrange, Io, dans sa jeunesse,
Vint s'abreuver au Nil dont elle est la déesse ;
Leucothoé sur terre erra ses premiers ans ;
On l'invoque aujourd'hui sur les flots menaçants :
Aux monstres furieux victime destinée,
Andromède devint l'épouse de Persée,
Et Callisto, changée en ourse, sur les flots,
Par ses feux, dans la nuit, guide les matelots.

Peut-être, si le ciel hâte l'instant suprême,
Tu trouveras l'honneur dans le trépas lui-même.
Sémélé te croira, rappelant ses douleurs,
Lorsque de la beauté tu diras les malheurs,
Et parmi les grands noms célébrés par Homère,
Sans opposition tu seras la première.
Maintenant de ton mieux obéis au destin.
Le temps passe et les dieux se calment à la fin.
Jupiter, sauve-la... Ne crains point la colère
De Junon qu'une vierge, en son trépas, fait taire.

Le rhombe, sans tourner, d'impuissance est atteint ;
Le laurier crie en vain dans le feu qui s'éteint,
Et la lune, du ciel refuse de descendre ;
Seul, le chant du corbeau fatal se fait entendre.
Eh bien ! la même barque emportant deux amants
Fera voile avec eux loin des lieux des vivants.
De nous deux prends pitié, dieu cruel pour Cynthie.
Je mourrai de sa mort, je vivrai de sa vie.
Sauve-nous, et pour prix je chanterai toujours :
«Jupiter a sauvé Cynthie et nos amours».
Elle-même, à tes pieds, d'un long voile couverte,
Dira que ta main seule a détourné sa perte.

La bonté, Proserpine, est faite pour ton coeur ;
0 Pluton, pourrais-tu montrer plus de rigueur !
L'enfer aux sombres lieux tant de beautés enserre
Qu'il peut en laisser une au moins sur cette terre
Pasiphaé, Typo, la fille d'Eurytus
Et celle d'Agénor aux noirs bords sont venues ;
Ce qu'avaient de parfait Priam, la Grèce et Troie,
De l'avide bûcher est devenu la proie,
Et Rome a vu descendre en la nuit du tombeau
Ce qu'elle possédait de plus grand, de plus beau.
Ou plus tôt ou plus tard, une route commune
Mène vers le néant la beauté, la fortune.
Puisque loin du danger maintenant tu te vois,
Viens à Diane offrir l'encens que tu lui dois ;
Donne une nuit de veille à la vache déesse,
A moi dix de bonheur, fidèle à ta promesse.

ELEGIE XXXI
A CYNTHIE

J'errais à l'aventure, au sortir d'une orgie,
Sans être accompagné, l'autre nuit, ô ma vie,
Quand de nombreux enfants m'assaillent tous en choeur.
Je ne pus les compter, aveuglé par la peur.
De torches et de traits ils avaient les mains pleines,
Et, nus, semblaient vouloir me charger de leurs chaînes.
«Saisissez-le ! s'écrie l'un d'eux, le plus ardent ;
Ah ! je le reconnais, c'est ce perfide amant
Qu'abandonne à nos coups sa maîtresse en colère».
Et déjà leur lacet autour du cou me serre.
Un autre veut soudain que j'aille au milieu d'eux :
«Qu'il meure, puisqu'il n'a pu voir en nous des dieux,
Dit un troisième ; eh ! quoi, quand elle est dans l'attente,
Ingrat aimé, tu cours après une autre amante,
Quand elle eut dénoué ses rubans précieux,
Et chassé pour te voir le sommeil de ses yeux :
Tu pouvais t'enivrer de la douce ambroisie,
Du parfum de l'amour, qu'ignore l'Arabie !
Epargnons-le pourtant, mes frères ; désormais
Il promet d'être sage, et nous voici tout près».
Il me rend aussitôt mon manteau, puis ajoute :
«Vois l'endroit : garde-toi de suivre une autre route».

Le jour naissait à peine, et je voulus savoir
Si Cynthie était seule en sa couche, et la voir.
Douce extase ! jamais, introduit auprès d'elle,
Dans ses riches habits, je ne la vis si belle.
Pouvoir de la beauté ! sans aucun appareil,
Elle était ravissante au sortir du sommeil !
Un rêve la troublait ; pour elle et pour moi-même,
Elle allait à Vesta conter sa peine extrême.

«Viens-tu pour m'épier, si matin, en ces lieux ?
Dit-elle ; sur les tiens tu juges de mes feux.
Je ne suis point volage ; et toute âme constante,
Un autre ou toi, dans moi trouve fidèle amante.
Observe bien mon lit, cherche de tout côté
La trace de deux corps, preuve de volupté !
Mon maintien ni mon air, mon souffle ni ma bouche,
Ne t'en offre pas plus que n'en offre ma couche».

A ces mots, de sa main repoussant tout baiser,
Elle chausse son pied du cothurne léger,
Me laisse, et, pour avoir cru qu'elle était trompeuse,
Je n'ai joui depuis d'aucune nuit heureuse.

ELEGIE XXXII
A CYNTHIE

Folles prétentions ! c'est en vain que tu fuis !
L'Amour te poursuivrait aux bords du Tanaïs.
Contre ses cruautés tu ne serais point sûre,
Ton pied fût-il armé des ailes de Mercure ;
Quand le cheval Pégase, au-dessus de l'éther,
Dans son rapide vol te devrait emporter.
L'Amour de tout son poids pèse sur sa conquête ;
Sans cesse des amants il fait plier la tête.
Surveillant intraitable, il poursuit en tous lieux ;
Nul captif devant lui ne peut lever les yeux.
Ce n'est pas cependant qu'il soit inexorable,
Pourvu qu'on se repente aussitôt que coupable.

Que la vieillesse austère accuse nos plaisirs !
Poursuivons notre route, au gré de nos désirs.
De ses antiques moeurs qu'elle vive contente ;
Nous, faisons résonner cette flûte savante
Que Pallas n'eût point dû jeter dans un marais
Parce qu'en la gonflant elle altérait ses traits.

Dans ta froide rigueur, veux-tu de la Phrygie
Braver encor les eaux et gagner l'Hyrcanie,
Et, de nos dieux communs désertant les autels,
Rentrer de sang souillée aux foyers paternels ?
Quoi ! je serais honteux d'une seule maîtresse !
Si c'est un crime, eh bien ! à l'Amour je le laisse.
Qu'on ne m'accuse pas. Viens, ma Cynthie, allons
Fouler la mousse verte ou la rosée, aux monts.
Les Muses dans ces lieux, leur séjour ordinaire,
Chantent les doux larcins de Jupiter leur père,
Ses feux pour Sémélé, pour Io tour à tour,
Comment, aigle rapide, il montra son amour.
Si nul de Cupidon n'a pu vaincre les armes,
Pourquoi m'accuser seul de céder à ses charmes ?
Ta présence ne peut troubler les chastes Soeurs,
Car autrefois ce dieu s'est glissé dans leurs choeurs.
Dans les antres de Thrace une d'elles fut chère
Au dieu de l'Oeagrus, et par lui devint mère.
Aux danses que Bacchus guide, le thyrse en main,
Toutes avec honneur t'accueilleront soudain.
Le lierre alors ceindra mes tempes, ma Cynthie,
Car sans toi rien ne peut sortir de mon génie.

ELEGIE XXXIII
A CYNTHIE

Sur mon retard vers toi tu veux que je m'explique ?
César vient d'Apollon d'ouvrir le beau portique.
Le marbre le plus riche en soutient le contour ;
Les homicides soeurs s'y montrent tout autour ;
Un dieu charmant y tient la lyre dont il touche,
Et pour s'accompagner paraît ouvrir la bouche.
Quatre taureaux sculptés, d'un effet naturel,
Ouvrage de Myron, environnent l'autel.
Le temple qu'on admire, Apollon le préfère
A tout autre ; à ce dieu sa patrie est moins chère.
Sur le faite, en or pur est le char de Phébus.
Sur la porte, gravés dans l'ivoire, sont vus,
D'un côté, les Gaulois renversés du Parnasse ;
D'un autre, Niobé que la froide mort glace ;
Enfin, entre sa mère et Diane, sa soeur,
Apollon de sa voix fait vibrer la douceur.

ELEGIE XXXIV
A CYNTHIE

Si ta vue alimente et fait naître des feux
Que ton absence éteint, c'est la faute à tes yeux.

Aux murs de Télégon, réponds, que vas-tu faire ?
Tout oracle à Préneste offre un conseil contraire !
Quel motif à Tibur conduit ton char roulant ?
Sur la voie Appienne où cours-tu fréquemment ?
Plaise au ciel qu'en ces lieux tu sois toujours, Cynthie !
Mais, quand dévotement dans le bois d'Aricie,
Au milieu des flambeaux, tu veux montrer ta foi,
La foule me défend ta confiance en toi.
Tu vois avec dédain les somptueux portiques,
Les colonnes de prix, les tapis magnifiques,
Les arbres alignés, d'une égale hauteur,
Ces jets près de Maron répandant la fraîcheur,
Ces ondes qu'un triton épanche avec usure,
Quand dans Rome elles ont promené leur murmure.
Vaine erreur, si tu crois déguiser tes amours,
Ou te soustraire à moi par tes nombreux détours !
En efforts impuissants tu consumes ton âme,
Car tu tends des filets dont je connais la trame.

Ce qui me touche est peu, mais je vois ton honneur
D'un blâme général mériter la rigueur.
Par des récits fâcheux mon oreille surprise
M'apprend qu'en tout endroit Cynthie est compromise.

Mais, Properce, dois-tu croire de faux discours
Que contre la beauté la haine tient toujours !
Le soleil, je le sais, te rend ce témoignage
Que tu n'as préparé nul funeste breuvage,
Et quand tu passerais deux nuits à de longs jeux,
Pour d'aussi légers griefs en rien je ne m'émeus.
Pour suivre un étranger jadis s'enfuit Hélène
Et revint sous son toit sans subir nulle peine.
De Mars, jadis Vénus connut les tendres soins.
L'Olympe pour ce fait l'en honora-t-il moins ?
Eprise d'un berger dont la beauté la touche,
Elle chercha Pâris et partagea sa couche.
Les Silènes pourtant, les nymphes des forêts
Et Bacchus sont témoins de ses ébats secrets ;
Leur foule dans la grotte autour d'elle se presse
Et lui jette des fruits que revoit la déesse.

S'enquiert-on, dans ce temps de vicieux transports,
Comment, par qui la femme a gagné ses trésors !
0 Rome, tu serais ville digne d'envie
Si tu devais rougir de la seule Cynthie ;
Mais Lesbie, avant elle, avait impunément,
Plus coupable, failli, sans nul antécédent.
Vous pouvez, ignorant nos moeurs plus que légères,
Chercher des Tatius, des Sabines sévères ;
Mais c'est vouloir des mers tarir les vastes eaux,
Ou ravir de ses mains les célestes flambeaux,
Que d'exiger du sexe une conduite sage.
La chasteté peut-être était-elle en usage
Lorsque régnait Saturne, en ce temps de revers
Où, sous Deucalion, l'eau couvrit l'univers.
Mais vous ne citerez ni déesse ni femme
Qui ne brûle jamais d'une impudique flamme.
D'un farouche taureau l'éclatante blancheur
Enflamme de Minos la femme sans pudeur ;
Malgré des murs d'airain et la tour qui l'enserre,
Danaé plie et cède au maître du tonnerre.

De Rome et de la Grèce imite les beautés
Tu n'auras point par moi tes désirs arrêtés.

ELEGIE XXXV
SUR LES FETES D'ISIS

Voici déjà venir d'Isis la triste fête,
Et depuis ces dix nuits Cynthie est en retraite.
Du tiède Nil pourquoi, laissant la région,
Io vint-elle ici par sa religion
Imposer aux amants une étrange coutume ?
Quels que soient ses bienfaits, j'en maudis l'amertume
Au temps où Jupiter t'aima secrètement,
Tu sentis la rigueur d'un long isolement,
Io, lorsque Junon, par un jaloux caprice,
Changea ton corps, ta voix et te rendit génisse.
Combien de fois le chêne à ta bouche nuisit !
Dans l'étable souvent sa feuille te nourrit.
Si Jupiter t'ôta cette forme trompeuse,
Pour cela devais-tu devenir orgueilleuse ?
Garde l'Egyptien basané, mais pourquoi
Viens-tu dans Rome, ici, nous imposer ta loi,
Et veux-tu que la femme ait des nuits de veuvage ?
De tes cornes, crois-moi, tu reprendras l'usage,
Et nous te bannirons, cruelle, car est-il
Quelque lien qui joigne et le Tibre et le Nil ?

Puisque durant ces nuits je n'ai vu ton visage,
Livrons-nous par trois fois à l'amoureux voyage.
Cynthie est sans oreille et je la prie en vain,
Et le char lent d'Icare arrive à son déclin.
Tu bois avec ardeur, et toujours sur la table
Ta main lance les dés, rapide, infatigable.
Périsse qui tira du raisin enivrant
Le suc dont il souilla le liquide élément !

En tombant sous les coups des Athéniens, Icare,
Tu sentis les effets de la liqueur barbare.
Elle devint pour toi funeste, Eurytion ;
Tu cédas, Polyphème, à ce fatal poison.
Le vin détruit beauté, purs sentiments, jeunesse,
Jusqu'à la connaissance aux yeux d'une maîtresse.

Mais tes charmes en rien ne tombent sous Bacchus,
Ta beauté reste ; bois, bois toujours, toujours plus.
Sur ta coupe je veux voir tes guirlandes pendre,
T'écouter récitant mes vers d'une voix tendre !
Que le falerne coule et dans la coupe d'or
Que l'écume pétille et couronne le bord !

Nulle femme en son lit n'aime la solitude,
Sans chercher un remède à son inquiétude.
L'absence d'un amant aiguillonne l'amour.
Le plaisir est moins vif quand il revient toujours.

ELEGIE XXXVI
AU POETE LYNCEE

Qui, même à l'amitié, confierait son amie
Lorsque naguère on m'a presque enlevé Cynthie ?
Je suis certain qu'il n'est point d'amis en amour,
Et qu'en fait de beautés on songe à soi toujour.
De l'amitié, du sang, l'amour brise la chaîne ;
Il bannit la concorde et provoque la haine.
Un hôte méconnut l'accueil de Ménélas.
Médée à l'étranger ne céda-t-elle pas ?

Si la constance eût pu délaisser ma Cynthie,
Tu te serais souillé d'une telle infamie,
Lyncée, et tu n'as point senti tomber tes mains
Quand l'objet de mes soins entrait dans tes desseins !
Que le poison subtil, qu'une lame traîtresse
Me tue. Ah ! j'y consens. Respecte ma maîtresse !
Dispose de mes jours, de moi, je le veux bien ;
Regarde comme à toi tout ce que j'ai de bien ;
Mais grâce pour Cynthie et grâce pour sa couche.
Je brave Jupiter si jamais il y touche !
Mon ombre, ce n'est rien : pourtant j'en suis jaloux
Et je tremble devant d'imaginaires coups.

Une seule raison plaide pour ta défense :
Ta bouche avait puisé dans le vin la démence.
Je crains d'un front ridé la sévère rigueur.
Tout le monde enfin sait de l'amour la douceur !
Mon cher Lyncée est pris lui-même du délire ;
Seul auprès de mes dieux je le vois qui soupire.
Aux livres de Platon, de ce vaste univers
Pourquoi vas-tu chercher tous les secrets divers ?
Et des vers de Lucrèce à quoi bon la lecture ?
Un remède à l'amour est-il dans Epicure ?
Suis plutôt Philétas, l'ami des doctes Soeurs,
Ou Callimaque avec ses doux propos rêveurs.
Quand de l'Achéloüs tu peindrais la défaite,
Lui faisant regagner tristement sa retraite ;
Le Méandre, en Phrygie, égaré dans son cours,
Ne se connaissant plus dans ces nombreux détours ;
Arion triomphant au tombeau d'Archémore,
Et doué de la voix ; quand tu dirais encore
Jupiter foudroyant Capanée, et sa mort ;
Quand d'Amphiaraüs tu tracerais le sort,
Que t'importe ! Renonce au cothurne d'Eschyle ;
Sache plier ton corps à la danse facile ;
Prends dans un cercle étroit un ton moins sérieux,
Et, poète sévère, exhale-nous tes feux.
Laisse le genre aussi d'Antimaque et d'Homère.
Les dieux à nos beautés à peine sauraient plaire.

Avant de se plier sous le joug, le taureau
A des liens serrés supporté le fardeau.
Pour endurer aussi l'amoureux esclavage,
Apprends à triompher de ton humeur sauvage.
Jamais belle n'a su les lois de l'univers ;
Pourquoi la lune fuit les lumineux coursiers ;
S'il est une autre vie au delà de la tombe
Ou si le hasard seul fait que la foudre tombe.
Jette les yeux sur moi ; mes biens sont peu nombreux ;
Aucun char triomphal ne porta mes aïeux ;
Dans un choeur de beautés pourtant coule ma vie,
Et malgré tes dédains, je le dois au génie.
Sans relâche je puis reposer sur des fleurs,
Moi que le tendre Amour perça de traits vainqueurs.

Virgile d'Actium peut chanter le rivage,
Phébus de nos vaisseaux écartant l'abordage,
Réveiller les combats des héros d'Ilion
Et relever ses murs dans le Lavinium.

Ah ! silence, Romains, vous aussi, Grecs, silence !
Il naît une oeuvre qui l'Iliade devance.
O poète divin, tu célèbres Thyrsis,
A l'ombre du Galèse, et les chants de Daphnis.
Dix pommes, dans tes vers, sont le prix d'une belle,
Avec le gai chevreau soustrait à la mamelle.
Son berger est heureux au prix de tels présents !
Et l'ingrate est encor célébrée en ses chants.
Corydon d'Alexis tente de faire un traître,
D'Alexis le bonheur de son rustique maître,
Et quand les chalumeaux dans sa main sont muets,
On l'entend l'applaudir les nymphes des forêts.
Tu redis les legons du poète d'Ascrée,
Virgile. Dans tes chants la campagne est dorée !
Quand tu verdis le pampre ou jaunis la moisson,
On dirait sous tes doigts la lyre d'Apollon.
Nul ne voit tes bergers avec indifférence,
Qu'il ait du tendre amour le culte ou l'ignorance,
Ton génie est égal, et, dans tes tons moins hauts,
C'est le cygne imposant silence aux vils rivaux.

Varron ne borna pas à Jason son génie.
Sa passion dicta des vers pour Leucadie.
Lesbie autant qu'Hélène est connue en tous lieux,
Grâce aux doctes écrits de Catulle amoureux ;
Calvus pour Quintilie a montré sa tendresse,
Dans des chants où son coeur s'épanche avec tristesse ;
Et, mort pour Lycoris, Gallus, dans les enfers,
Lave en les eaux du Styx la trace de ses fers.
Cynthie aussi vivra par mes vers, si la gloire
Avec tous ces grands noms me garde pour l'histoire.


Traduction en vers de M. de la Roche-Aymon (1885)
Dessins de Besnier, gravures de Méaulle