(Μονομάχος, Ὁπλομάχος), Gladiateur

  1. Développement de l'institution

    On a attribué aux Etrusques avec apparence de raison l'origine des combats de gladiateurs ; ils durent d'abord chez ce peuple faire partie des cérémonies destinées à honorer la mémoire des morts ; égorger des prisonniers et des esclaves ou les obliger à verser mutuellement leur sang auprès de la dépouille d'un personnage regretté semblait être la satisfaction la plus noble que l'on pût accorder à ses mânes. Les monuments mêmes des Etrusques nous montrent que les combats de gladiateurs furent chez eux une institution nationale ; leur goût pour ce genre de spectacles est attesté notamment par les scènes qui décorent leurs urnes funéraires.


    De l'Etrurie les combats de gladiateurs passèrent dans la Campanie, contrée qui fut à une époque reculée soumise à la domination des Etrusques ; au temps de Strabon, c'était chez les Campaniens une coutume déjà ancienne de faire lutter des gladiateurs pendant les festins pour divertir les convives. Enfin le Latium suivit l'exemple des pays voisins ; les historiens anciens ont eux-mêmes noté comme un fait nouveau l'apparition de ces jeux sanglants chez les Romains ; ce fut, suivant eux, en 264 av J.-C. qu'ils furent célébrés pour la première fois dans la ville de Rome ; cette année-là Brutus Pera étant mort, ses deux fils Marcus et Decimus firent combattre sur la place aux Boeufs, à l'occasion de ses funérailles, trois paires de gladiateurs. Ainsi cette institution chez les Romains ne remonte pas à une haute antiquité et elle fut empruntée à l'étranger, tandis que les courses de char au contraire [Circus] datent de l'époque royale ; il est même certain que longtemps encore après avoir fait grâce aux fils de Pera, ce modeste début, les combats de gladiateurs ne furent repris qu'à intervalles irréguliers, toujours à titre privé, et d'ordinaire pour rehausser l'éclat d'une cérémonie funèbre. Il est vrai que peu à peu pendant le IIIe et le IIe siècle le nombre des combattants que l'on met aux prises augmente d'une façon constante. Il est de vingt-deux paires en 216, de vingt-cinq en 200, de soixante en 183. Dans le cours de la seule année 174 il y eut plusieurs représentations, dont une en mémoire de Flamininus, qui dura trois jours. Le peuple une fois mis en goût se porta à ces spectacles avec une ardeur effrénée ; en 164, tandis qu'on donnait l'Hécyre de Térence, la nouvelle s'étant répandue que des gladiateurs allaient en venir aux mains, la pièce fut brusquement interrompue par un tumulte général. Enfin il arriva un moment où cette passion fut si forte que le sénat se vit obligé d'admettre les combats de gladiateurs au nombre des spectacles publics : en 103, deux magistrats furent autorisés pour la première fois à y convier la foule à titre officiel ; c'étaient les deux consuls P. Rutilius Rufus et C. Manlius. Il est probable que le sénat lui-même vit là un moyen de tremper les courages et de développer le goût des exercices militaires ; on suppose aussi qu'il songea à en tirer parti pour résister à l'influence des jeux grecs, que les Romains fidèles aux vieilles moeurs jugeaient ou frivoles ou funestes.

    Cette mesure nouvelle ne fit point cesser l'usage de donner des combats de gladiateurs dans les funérailles des personnes riches et haut placées. Jusqu'à la fin de l'Empire, munus est le terme propre qui les désigne spécialement par opposition aux jeux du théâtre et du cirque [Ludi] ; ainsi s'est perpétuée l'idée première qui avait présidé à leur institution : ils sont considérés avant tout comme faisant partie des devoirs que l'on rend aux morts : l'interprétation la plus vraisemblable du mot est celle qu'en donne Tertullien, lorsqu'il le définit officium mortuorum honori debitum. Sous le Bas-Empire munus et munera, dans ce sens particulier, sont quelquefois remplacés par ludus et ludi gladiatorii ; mais ludus désignant toute autre espèce de jeu, n'est jamais remplacé par munus. Souvent au combat de gladiateurs est joint le spectacle d'une chasse [Venatio] : mais à la bonne époque munus ne s'applique qu'au premier ; à la fin de l'Empire on l'étendit aussi à la venatio, quand les jeux de gladiateurs eurent été interdits. C'est par un munus funèbre (oplomachia epitaphios) que des hommes d'Etat, de grands capitaines, des magistrats occupant les premières fonctions de la république honorent encore la mémoire de leur père, César en 65, Q. Caecilius Metellus Scipio en 62, Faustus Sylla en 59, C. Curio en 52, Tibère en 34, Germanicus et Claude en l'an 7 ap. J.-C.16. Les historiens ont noté comme un fait nouveau digne d'une mention spéciale que César rendit le même hommage à sa fille Julia (45) ; c'était la première fois qu'on voyait une femme en être l'objet. En l'an 6 av. J.-C., Auguste fit combattre des gladiateurs dans une solennité consacrée à la mémoire de son gendre Agrippa. Ces munera de l'an 45 et de l'an 6 furent célébrés plusieurs années après la mort de la personne dont ils rappelaient le nom ; mais à l'origine le spectacle devait commencer aussitôt après le convoi, lorsque le corps avait été déposé sur le bûcher (bustum); d'où le nom de Bustuarius donné au gladiateur contraint d'y jouer sa vie. Dans un cas comme dans l'autre, les spectateurs devaient être, en signe de deuil, revêtus de la toge noire (toga pulla), ou du manteau à capuchon nommé Paenula. Les particuliers se mirent sans doute de bonne heure à suivre l'exemple que leur avaient donné de grands personnages, et il devint commun, non seulement à Rome mais dans les municipes, de voir des citoyens léguer les sommes nécessaires pour offrir au peuple des combats de gladiateurs, soit immédiatement après leurs funérailles, soit à l'anniversaire de leur mort (editiones legatariae). On prit si bien l'habitude de ces libéralités qu'il arriva au peuple de les exiger : un jour, dans une ville d'Italie, aux obsèques d'un centurion, la multitude assaillit le convoi et le retint jusqu'à ce qu'elle eût arraché aux héritiers de quoi payer un combat de gladiateurs. En général on allait au-devant de pareils désirs : un auteur rapporte même que certains esclaves, remarquables par leur beauté, furent désignés dans le testament de leur propre maître pour s'entretuer en public quand on lui rendrait les derniers devoirs ; mais cette fois le peuple, plus humain que le testateur, s'opposa à l'exécution de ses volontés.

    A partir de l'an 105 av. J.-C., lorsque les combats de gladiateurs eurent été admis au nombre des spectacles officiels, les magistrats rivalisèrent de zèle pour les multiplier et pour en augmenter l'éclat ; tous ceux qui aspiraient aux charges curules saisirent à l'envi ce moyen de conquérir les suffrages populaires. Unis le plus souvent aux chasses où l'on égorgeait des bêtes fauves [Venatio], ils devinrent un des plaisirs favoris des Romains. En quelques années ceux qui les organisaient y déployèrent une telle prodigalité que déjà en 52 Cicéron écrivait : « Tout le monde en est rassasié ». Mais il reconnaît ailleurs qu'aucun genre de spectacle n'avait autant d'attrait pour la multitude. Ce qui suffirait à le prouver, c'est la quantité de textes et de monuments qui s'y rapportent. Les combats de gladiateurs excitèrent chez les Romains une véritable passion, qui se propagea de proche en proche jusqu'aux frontières de l'empire et dura pendant plusieurs siècles.

  2. Extension

    De Rome ils passèrent dans les diverses parties de l'Italie qui ne les connaissaient pas encore, puis de là dans les provinces. Dès l'an 206, Scipion l'Africain donnait un munus à Carthagène en mémoire de son père et de son oncle ; il est vrai que ce fut un spectacle tout à fait unique ; on n'y vit en présence que des engagés volontaires, qui ne demandèrent aucune rétribution. En 140, les Lusitaniens rendirent le même honneur à la dépouille de Viriathe. En 63 av. J.-C. les habitants d'Arles pouvaient assister à un combat de gladiateurs. Les amphithéâtres dont il subsiste des ruines nous donnent la mesure du succès des munera ; il n'est guère de région autrefois comprise dans le monde romain où l'on n'ait signalé quelque vestige de ces édifices. Ils sont naturellement beaucoup plus communs dans le Midi que dans le Nord ; cependant c'est un fait très digne de remarque que les pays grecs n'ont pas eu, à beaucoup près, pour les combats de gladiateurs le même goût que l'Occident. Il est certain qu'à l'origine les Grecs, aussi bien que les Etrusques, ont dû pratiquer dans les funérailles l'usage barbare des sacrifices humains ; mais ils y renoncèrent de très bonne heure ; Hérodote, le retrouvant chez les Scythes, le signale comme un des traits singuliers des moeurs de ce peuple. Le génie propre de la race grecque lui inspira pour les combats de gladiateurs une répugnance qu'elle ne surmonta jamais complètement, même lorsque l'Orient eut aussi ses amphithéâtres. Antiochus Epiphane (174-164 av. J.-C.) fut le premier qui organisa des spectacles de ce genre dans Antioche, sa capitale ; Tite-Live dit expressément qu'il les emprunta aux Romains, et même qu'il fit venir de Rome les combattants dont il avait besoin. Ses sujets manifestèrent d'abord plus d'effroi que de plaisir ; il fallut, pour les empêcher de quitter la place, user de ménagements ; après avoir commencé par des combats où l'on s'arrêtait au premier sang, on multiplia les représentations jusqu'à ce qu'on les eût habitués à voir sans horreur des combats à mort. Corinthe, devenue colonie romaine, dut être la première ville de la Grèce propre où parurent des gladiateurs ; c'est aussi la seule dont on puisse affirmer qu'elle posséda un amphithéâtre, et encore ne fut-il pas construit avant le IIe siècle de notre ère. Vers la fin de la dynastie flavienne certaines villes, comme Rhodes, n'avaient pas encore pu vaincre leurs préventions. D'autres, et Athènes était du nombre, se laissèrent gagner un peu plus vite, mais à peine avaient-elles suivi l'exemple de la capitale que les écrivains grecs firent entendre de très vives protestations au nom de la morale et de l'humanité outragées. Aussi les combats de gladiateurs furent-ils dans cette partie du monde romain, plus que dans toute autre, abandonnés au petit peuple. Il faut cependant faire une exception pour l'Asie Mineure et pour l'Egypte ; depuis le temps d'Antiochus ils s'y étaient développés rapidement, grâce aux instincts naturellement sanguinaires des populations orientales qui s'y trouvaient en contact avec les Grecs. Sous Auguste il y avait déjà des amphithéâtres à Nysa en Carie, et à Alexandrie en Egypte. Un autre fut construit à Laodicée du Lycus en l'an 79 de notre ère.

  3. Législation

    L'organisation des combats de gladiateurs fut réglée par toute une série de mesures législatives dont l'ensemble constituait ce qu'on appelait les leges gladiatoriae. Sous ce nom il faut comprendre d'abord les lois votées à la fin de la République et dont les plus anciennes doivent remonter à l'époque où ces spectacles furent pour la première fois donnés à titre officiel (105 av. J.-C.). Puis vinrent les constitutions impériales et les sénatus-consultes qui en modifièrent peu à peu les dispositions ; et enfin il dut y avoir dans les municipes des règlements spéciaux établis pour l'usage des autorités locales. Ce que nous connaissons sur cette matière nous montre clairement que si les empereurs en général déployèrent le plus grand faste dans les munera qu'ils donnaient eux-mêmes pour entretenir leur popularité, ils ne furent pas moins jaloux d'alléger autant que possible les charges que la nécessité d'amuser la foule faisait peser sur les villes et sur les magistrats. C'est ce que nous voyons surtout par un document découvert en Espagne en 1888 ; il est gravé sur une table de bronze qui a dû être affichée dans l'amphithéâtre de la ville d'Italica, près de Séville. Il a été rédigé sous Marc-Aurèle entre 176 et 178 ; c'est un exemplaire d'un original dont un grand nombre de copies avaient dû être envoyées de Rome dans différentes villes de province. Il donnait le compte rendu d'une séance du sénat, où l'on avait décidé de réduire les frais des munera imposés aux flamines provinciaux. Le document reproduisait le discours (relatio) prononcé par l'empereur pour introduire l'affaire, puis ceux des divers orateurs qui avaient appuyé sa motion, et enfin le texte du sénatus-consulte. Nous avons perdu le commencement et la fin, mais il nous reste un assez long fragment d'un discours prononcé par un des sénateurs probablement originaire de la Gaule ; c'est un morceau du plus haut intérêt ; il nous éclaire non seulement sur l'objet principal de la discussion du jour, mais encore sur un grand nombre de questions relatives à l'histoire de la gladiature. Nous l'utiliserons donc dans ce qui suit, au fur et à mesure que l'ordre des matières nous en fournira l'occasion. Il importe seulement de retenir avant toutes choses que depuis le commencement jusqu'à la fin les munera sont restés absolument distincts des Ludi, c'est-à-dire des courses de char et des jeux scéniques ; ils en diffèrent par leur origine,leur caractère et leur organisation. Nous étudierons donc ici en détail tout ce qui les concerne spécialement.

  4. Haute surveillance administrative

    Le soin de veiller à l'exécution des leges gladiatoriae dans la ville de Rome dut appartenir d'abord aux consuls, puis au praefectus urbi ; mais la tâche de ce magistrat fut sans doute bien simplifiée à partir du principat des Flaviens, lorsqu'il eut été interdit aux particuliers d'entretenir des troupes de gladiateurs dans la capitale ; elle ne contint plus dès lors que des troupes impériales, placées dans une étroite dépendance et soumises à une hiérarchie de fonctionnaires savamment organisée. Il n'en allait pas de même dans le reste de l'Empire ; partout ailleurs que dans la ville de Rome un particulier avait le droit de recruter une troupe (familia gladiatoria) et de l'exploiter ; celui qui en prenait ainsi la direction s'appelait le lanista. On conçoit aisément quels devaient être les devoirs des représentants de l'Etat ; d'abord ils devaient veiller à ce que les munera imposés par la loi à certains dignitaires des provinces fussent régulièrement célébrés ; mais d'autre part ils étaient chargés aussi de protéger leurs intérêts en empêchant la spéculation de dépasser les bornes permises et en s'opposant à la rapacité des propriétaires de troupes ; ils devaient encore prévenir les dangers que pouvaient faire courir à la sécurité publique ces bandes d'hommes armés, enfin ordonner des enquêtes sur les infractions commises et châtier les coupables. Toutes ces attributions, à l'époque de Marc-Aurèle, étaient dévolues aux autorités suivantes.

    1. Provinces consulaires et prétoriennes. La haute surveillance appartient d'abord au gouverneur lui-même, puis aux magistrats placés sous ses ordres, à savoir : les legati pro praetore, les questeurs, les legati legionum, les juridici et enfin les intendants des finances appelés procurateurs.
    2. Provinces procuratoriennes. Le gouverneur lui-même, c'est-à-dire le procurator, est seul à connaître de ces sortes d'affaires.
    3. En Italie, la ville de Rome étant exceptée, elles regardent les praefecti alimentorum, ou, si leur service les a appelés à Rome, les curatores viarum, et, si ceux-ci étaient absents pour la même cause, les juridici, enfin les préfets des flottes de Misène et de Ravenne.

  5. Les organisateurs et les frais

    La dépense totale qu'entraînait un combat de gladiateurs était naturellement très variable ; elle dépendait du nombre des combattants, de leur réputation, de la richesse de leur équipement, et aussi, en grande partie, de l'habileté avec laquelle le lanista savait faire valoir ces divers éléments du succès. C'était une affaire à débattre entre lui et la personne qui couvrait les frais du spectacle, l'editor muneris.

    1. Munera payants (assiforana)
      D'abord la représentation pouvait être payante ; en pareil cas, ou bien le lanista était lui-même l'editor, et alors il percevait la totalité de la recette, ou bien un entrepreneur quelconque l'engageait à son service et, après lui avoir payé un prix convenu d'avance, gardait pour son bénéfice le surplus de la recette. De toutes manières c'était un champ ouvert à la spéculation et les inconvénients ne manquaient pas. En l'an 27 ap. J.-C., un affranchi nommé Atilius organisa à Fidène, dans le seul but de gagner de l'argent, un munus où l'on accourut en foule, même de Rome ; l'amphithéâtre en bois qu'il avait fait construire pour la circonstance s'écroula au milieu de la représentation ; ce fut un des plus grands désastres du temps : cinquante mille personnes furent estropiées ou écrasées. On exila Atilius et un sénatus-consulte défendit de donner désormais des combats de gladiateurs à moins d'avoir 100000 sesterces (108748 fr.) de revenu, et d'élever aucun amphithéâtre, que la solidité du terrain n'eût été constatée. Cette mesure sévère était fort propre à restreindre le nombre des entrepreneurs de munera payants ; mais il est douteux que le sénatusconsulte de l'an 27 ait été longtemps appliqué ; car bientôt nous voyons paraître des lanistae circum foranei, dont les frais sont très modestes. Sous Marc Aurèle la dépense moyenne d'un munus de ce genre est évaluée à 30000 sesterces (8156 fr.) : la raison en est sans doute qu'à cette époque il y avait presque partout des édifices plus ou moins propres à des combats de gladiateurs ; l'entrepreneur de passage n'avait plus à construire ; il lui suffisait de louer. Il est arrivé aussi que la représentation fût en partie gratuite et en partie payante. On distinguait alors deux catégories de places : celles qui étaient mises gracieusement par l'editor à la disposition du peuple, des autorités ou de ses amis personnels, et celles qu'il louait, soit pour rentrer dans ses déboursés, soit pour affecter la recette à un emploi d'utilité publique. Toutes ces combinaisons donnèrent de bonne heure naissance au commerce des revendeurs de billets : on les appelait locarii.

    2. Munera extraordinaires
      A l'origine les combats de gladiateurs, lorsqu'ils n'étaient encore que des spectacles funèbres organisés à titre privé, furent toujours offerts au peuple gratuitement, à des époques indéterminées, comme une libéralité purement bénévole de l'editor. Cette forme du munus, la plus ancienne de toutes, est toujours restée en usage, même quand une cérémonie funèbre n'en fut pas l'occasion.

      1. Simples particuliers. Ce n'étaient guère que les particuliers jouissant d'une certaine fortune qui pouvaient faire les frais d'un munus, et, comme généralement ils passaient à tour de rôle par les charges publiques, ils attendaient d'en être revêtus pour se résoudre à cette dépense. M. Mommsen conjecture qu'un particulier ne pouvait donner un munus sans y avoir été expressément autorisé dans la ville de Rome par un sénatusconsulte, dans un municipe par un décret des décurions ; car il devait être assimilé à un magistrat pendant tout le temps qu'il passait à l'organiser et à le présider. Aussi les affranchis durent-ils rarement être admis à cet honneur, si ce n'est quand ils faisaient partie du collège des seviri Augustales. A plusieurs reprises nous voyons la permission accordée par l'empereur lui-même, sans que l'on puisse déterminer exactement dans quel cas il était nécessaire de recourir à une si haute autorité ; on disait alors que le munus était offert ex indulgentia imperatoris, ou tout simplement ex indulgencia. Quelquefois aussi l'empereur contribuait à la dépense, lorsqu'il voulait favoriser l'editor. Aucune restriction, du reste, n'arrêtait la vanité des parvenus ; les poètes satiriques se sont moqués des cordonniers et des foulons enrichis qui se signalaient par ces largesses. Un même personnage est loué dans une inscription d'en avoir revendiqué la charge jusqu'à huit fois. Les munera extraordinaires étaient souvent demandés aux particuliers les plus riches d'une ville par leurs concitoyens ; dans ce cas ils les donnaient ex voluntate populi ou postulante populo. Les occasions que l'on choisissait généralement étaient les suivantes :

        • Anniversaire de la naissance de l'editor, ou d'un membre de sa famille; ainsi un jeune homme célèbre par un munus le début de sa vingtième année.
        • Dédicace d'un monument public, théâtre, amphithéâtre, thermes, basilique, bibliothèque, autel ou statue.
        • Voeux ou actions de grâces pour la conservation, la victoire ou le bonheur de l'empereur ou de sa famille, pro salute, victoria, beatitudine imperatoris, domus Augustae. On a noté comme un fait singulier que Claude refusa d'autoriser les munera qui lui seraient dédiés. Des citoyens poussèrent la flatterie jusqu'à faire voeu de combattre en personne comme gladiateurs pro salute principis. Il faut ajouter ici les munera que les magistrats municipaux célébraient quelquefois à titre privé en sortant de charge, post honorem ; ils n'y étaient obligés par aucun règlement, et c'était toujours de leur part un acte de libéralité exceptionnelle.


      2. Magistrats romains. Sous la République les munera furent toujours célébrés à intervalles irréguliers et par des magistrats d'ordre différent ; cependant depuis l'an 105 jusqu'à la chute de la liberté, les charges publiques furent l'objet d'une compétition si ardente que les grands personnages de l'Etat se montrèrent beaucoup plus disposés à multiplier les munera outre mesure qu'à en rejeter le fardeau ; aussi le sénat dut-il se préoccuper de modérer ce zèle inquiétant : une loi promulguée sous le consulat de Cicéron (63), et par son initiative, défendit aux candidats de donner des combats de gladiateurs pendant les deux années qui précéderaient l'élection, à moins que ce ne fût au jour prescrit par un testament pour une editio legataria. Mais pendant cette période aucune restriction ne semble avoir été apportée au droit des magistrats en fonctions, et ils en usaient largement. Auguste se hâta de le restreindre en l'attribuant aux seuls préteurs ; puis, comme nous le verrons bientôt, il passa définitivement aux questeurs et il y eut alors un service de munera périodiques régulièrement organisé. Du reste il est probable que les autres magistrats ne tenaient guère désormais à se signaler par des libéralités qui ne les menaient plus à rien, si ce n'est à se rendre suspects. En 57 Claude retira même aux gouverneurs de province le droit de donner des munera, parce qu'il le considérait, dit formellement Tacite, comme trop favorable à l'esprit d'intrigue. Cependant on ne saurait admettre qu'il ait été absolument interdit une fois pour toutes à tous les magistrats romains, autres que les questeurs, d'organiser des représentations, même extraordinaires. Ainsi, au mois de septembre de l'an 70, les deux consuls célébrèrent des munera magnifiques dans chaque quartier de Rome pour fêter l'anniversaire de la naissance de Vitellius ; plus tard encore, et jusqu'au IIIe siècle, nous voyons cet exemple suivi par d'autres magistrats curules. Ce qui paraît vraisemblable, c'est qu'ils continuèrent à jouir d'un droit qui était accordé à tout citoyen romain, pourvu qu'ils se soumissent aux conditions communes fixées par Auguste : il leur fallait chaque fois solliciter une autorisation spéciale, qui leur était accordée par un sénatus-consulte, et ils devaient s'engager à respecter la loi qui limitait la durée du spectacle et le nombre des combattants. Il est vrai que de plus en plus ils durent reculer devant une dépense désormais sans profit, et voilà pourquoi sans doute le cas s'est présenté si rarement depuis la chute de la République.

      3. Empereurs. Autant les empereurs s'appliquèrent à restreindre les frais des munera imposés à certains dignitaires, autant ils déployèrent de luxe dans ceux qu'ils donnaient eux-mêmes à intervalles irréguliers. Ici il n'y a pas de limites à la prodigalité. Auguste, suivant l'exemple de César, éblouit la population de Rome par l'éclat de ces fêtes sanglantes ; dans la récapitulation des actes de son principat, il rappelle comme un de ses titres de gloire qu'il a offert au peuple huit combats de gladiateurs, trois fois en son propre nom, cinq fois au nom de ses fils ou petit-fils (28, 27, 15, 11, 6, 1 av. J.-C., 7 ap. J.-C.), et que dix mille hommes environ y ont été présentés, ce qui donne une moyenne de 1250 hommes, soit 625 paires par munus. Celui de l'an 11 fut célébré pendant les Quinquatrus (20-23 mars) et il semble bien qu'il en fut ainsi de ceux qui suivirent jusqu'à la mort d'Auguste. S'il faut en croire Dion Cassius, Trajan éclipsa la magnificence d'Auguste ; en 107, après la conquête de la Dacie, il donna un munus dans lequel le combat de gladiateurs, joint à la Venatio, ne dura pas moins de cent vingt-trois jours ; pour cette seule célébration il aurait mis aux prises dix mille hommes, c'està-dire autant qu'Auguste dans tout son principat. Les empereurs firent en ce genre de véritables merveilles pour tenir en haleine la curiosité publique ; rien ne le montre mieux que les épigrammes de Martial, et notamment que son Livre des spectacles, où il exalte les munera de Domitien. Les circonstances qui fournissaient aux particuliers l'occasion de leurs munera extraordinaires étaient aussi celles que choisissaient généralement les empereurs pour ces solennités ; c'étaient notamment les grands anniversaires de leur famille et les dédicaces de monuments publics. Mais il faut ajouter que le prince en donnait volontiers lorsqu'on était à la veille d'entreprendre une expédition militaire, afin, dit un historien, d'exciter les courages ; d'autres fois, au contraire, elles relevaient l'éclat d'un triomphe. Les munera des empereurs étaient organisés soit par de simples affranchis de leur maison, choisis dans le personnel des bureaux, soit par des commissaires extraordinaires, de rang équestre, qui veillaient, sous la haute direction du prince, au détail de l'organisation ; on leur donnait le titre de curatores munerum. Cependant on trouve déjà sous Claude un procurator munerum, ou a muneribus, qui semble avoir été chargé de ce service d'une façon permanente ; il avait sous ses ordres un certain nombre de comptables (tabularii). Un fond spécial, toujours prêt à suffire aux besoins du prince, était confié à sa gestion (chrêmata monomachicha).


    3. Munera facultatifs ; Magistrats municipaux
      Une charte, rédigée en 44 av. J.-C. pour un municipe d'Espagne, oblige ses duumvirs et ses édiles à donner annuellement soit un combat de gladiateurs, soit une série de représentations scéniques, munus ludosve scaenicos. Par conséquent ils ont le droit de choisir entre ces deux catégories : en ce sens les munera sont pour eux facultatifs. De plus on exige qu'ils versent pour cet emploi une somme qui ne devra pas être inférieure à un minimum déterminé ; mais en même temps ils reçoivent une subvention fixe de la caisse municipale. C'est ce que montre le tableau suivant (les sommes sont indiquées en sesterces) :



      Les jeux des duumvirs doivent durer quatre jours ; il en est de même de ceux des édiles. Ces magistrats doivent, les uns comme les autres, dans les dix jours qui suivent leur entrée en fonctions, arrêter, de concert avec les décurions, la date où sera donnée la fête ; cette date est par conséquent tout à fait variable.

      Il n'est pas douteux que les chartes des autres municipes continssent des dispositions établies sur les mêmes bases, avec cette différence toutefois que la somme minima, exigée de chacun des magistrats, variait, comme de juste, en proportion de l'importance de la ville. Même dans de petites villes les magistrats ont dû souvent dépasser d'eux-mêmes ce minimum ; d'autre part les conseils municipaux, quoique obligés d'arrêter leur subvention au chiffre fixé par la charte locale, ont pu y ajouter parfois l'intérêt des capitaux que certains particuliers leur léguaient pour cette destination spéciale. Tels étaient les munera que les magistrats municipaux donnaient ob honorem, c'est-à-dire pour reconnaître l'honneur qu'on leur avait fait en les choisissant ; on les considérait toujours comme un effet de leur libéralité ; on les disait ex liberalitate edita. Quand une fois l'un d'eux s'était engagé à cette dépense, il prenait le titre de curator muneris publici, munerarius, munificus, munerator, munidator, qu'il ajoutait à celui de sa charge. Comme on le voit, ce qui distingue cette catégorie de spectacles, donnés pour l'entrée en fonctions des magistrats municipaux (editio processus) c'est que, par suite de la latitude laissée à l'editor, ils pouvaient fort bien ne revenir qu'à intervalles très irréguliers. Ainsi sous Auguste un citoyen de Pompéi, qui a été trois fois duumvir, a donné la première année une chasse, la seconde des gladiateurs, la troisième des représentations théâtrales. Mais il est probable qu'en général les magistrats des deux ordres s'entendaient entre eux pour compléter ces spectacles les uns par les autres et pour y mettre le plus de variété possible, de façon que toutes les catégories fussent représentées à tour de rôle dans le cours de chaque année. Il ne semble pas qu'aucun règlement du même genre ait jamais existé pour les prêtres municipaux. On voit bien que les magistri fanorum devaient donner des ludi circenses, mais il n'est pas question pour eux de munera. Les inscriptions mentionnent aussi des combats de gladiateurs, dont les frais ont été couverts par des personnages ayant exercé des fonctions sacerdotales ; mais elles ne disent pas qu'ils l'aient été ob honorem sacerdotii. I1 convient de faire la même réserve au sujet des munera donnés par les seviri Augustales, sur lesquels nous manquons de renseignements précis. Pour reconnaître la générosité des editores, le peuple décidait parfois de leur élever dans un lieu public une statue avec une inscription commémorative ; certaines villes allèrent jusqu'à les faire représenter debout sur un char à deux chevaux. Il est vrai que c'était souvent la personne même qui avait obtenu cette récompense honorifique, qui en payait encore les frais.

    4. Munera périodiques et obligatoires

      1. Ville de Rome. Il est très vraisemblable que le système d'option constamment appliqué aux magistrats municipaux l'avait été d'abord aux magistrats curules en fonctions dans la ville de Rome, et que sur ce point les lois de la République avaient servi de modèle aux chartes locales. Ce système étant fondé sur le principe invariable que les munera ne devaient jamais coïncider avec les Ludi, on s'explique aisément que depuis l'an 105, où ils furent reconnus comme jeux officiels, ils aient été célébrés pendant longtemps à des intervalles irréguliers et par des magistrats d'ordre différent. Les empereurs eux-mêmes furent beaucoup plus préoccupés de restreindre que d'étendre ce droit qui leur paraissait dangereux. Le premier, Auguste, en l'an 22, décida que les préteurs seuls pourraient en jouir, et encore qu'ils devraient y être autorisés chaque fois par un sénatus-consulte ; en même temps il leur fixa un maximum de frais qu'il leur défendit de dépasser ; en l'an 7 il leur retira même la subvention de l'Etat. Puis vint après sa mort une période de transition, pendant laquelle ses successeurs semblent avoir été partagés entre le désir de satisfaire la passion de la foule et la crainte de donner aux préteurs une trop grande influence. Caligula voulut sans doute les forcer à user plus souvent de leur droit, en désignant deux d'entre eux par la voie du sort pour faire les frais des munera (39 ap. J.-C ). Mais cette mesure fut rapportée par Claude (41). En 47, il enleva même les munera aux préteurs, pour les attribuer aux questeurs désignés, en leur interdisant de les remplacer par des ludi. En 54, Néron confirma cette attribution, mais il rendit aux questeurs désignés le droit d'option. Enfin un nouveau régime, qui subsista jusqu'à la fin de l'Empire, fut inauguré pour la ville de Rome par Domitien : les questeurs restèrent définitivement chargés des munera, avec l'obligation stricte de les donner périodiquement chaque année à date fixe ; ces jeux étaient célébrés en décembre et répartis en deux séries, dont la première remplissait les 2, 4, 5, 6 et 8 du mois, la seconde les 19, 20, 21, 23 et 24 ; leur début coïncidait avec le moment où les questeurs entraient en fonctions. Ces magistrats en supportaient entièrement les frais ; Domitien fit preuve d'une générosité exceptionnelle en ajoutant quelquefois, à la fin du spectacle, sur la demande spéciale du peuple, deux paires de gladiateurs tirées des troupes impériales ; en réalité le règlement n'obligeait pas le prince à contribuer à l'éclat de la fête. Cette charge fut d'abord imposée indistinctement à tous les questeurs ; mais Alexandre Sévère modifia sur ce point les dispositions prises par Domitien : une contribution personnelle ne fut exigée désormais que des questeurs dont la nomination appartenait au prince lui-même [Candidatus Caesaris] ; les autres recevaient du trésor public les sommes qui leur étaient nécessaires ; pour cette raison on les distinguait des premiers par le titre de quaestores arcarii ; les munera arcae étaient, paraît-il, moins brillants que les munera kandidae. Voici, d'après le calendrier de Philocalus, comment ils étaient distribués à la fin de l'Empire :



        La seconde série commençait deux jours après la principale fête des Saturnales (17 décembre). Ainsi, comme on voit, les combats de gladiateurs donnés périodiquement occupaient dix jours dans l'année : les jeux du cirque en occupaient soixante-quatre et les représentations dramatiques cent un. Alexandre Sévère eut un moment l'idée d'espacer les munera quaestoria par séries à différentes dates, de façon qu'il y en eût en tout pendant trente jours dans l'année ; mais ce projet ne fut jamais mis à exécution a.

      2. Italie et provinces. Le règlement institué pour les questeurs dans la ville de Rome s'applique exactement au flamine de chaque province et en Italie au flamine régional, puis, après 292, au flamine provincial. Ce prêtre est obligé de donner un munus pendant son année de fonctions, et il n'est pas plus libre que les questeurs d'y substituer des Ludi. Nous voyons quelquefois qu'il donne les deux catégories de spectacles. Il est probable qu'il en arrêtait la date d'un commun accord avec l'assemblée provinciale, mais que cette date, qui variait d'une province à l'autre, était invariable dans chacune d'elles à quelques jours près ; le munus devait toujours y suivre ou y précéder les Ludi qui faisaient partie de sa grande fête annuelle.

      Limitation des frais
      En créant pour les magistrats et les prêtres qui viennent d'être énumérés cette obligation inhérente à leur charge, l'Etat avait tout d'abord songé à assurer les plaisirs du peuple, et dans cette intention il avait fixé pour la contribution personnelle de chacun d'eux un minimum proportionné à leur rang et à l'importance de leur cité ; il n'est pas douteux que ce minimum ait été établi par des mesures spéciales aussi bien pour les questeurs romains et pour les flamines provinciaux qu'il le fut pour les magistrats des municipes, comme nous l'avons vu plus haut. Mais bientôt l'Etat dut se préoccuper, en sens inverse, des intérêts des magistrats et alléger pour eux cette charge, que rendaient toujours plus lourde les exigences populaires et l'exemple des fastueux spectacles donnés par l'empereur lui-même. Déjà Polybe estimait qu'un munus, pour peu qu'on voulût y mettre quelque magnificence, devait coûter une trentaine de talents, soit environ 175 000 francs de notre monnaie : Fabius, fils de Paul-Emile, aurait été dans l'impossibilité de réunir cette somme, si la libéralité de son frère Scipion Emilien ne l'y avait aidé. On peut juger par là de ce que devaient être les frais à la fin de la République. En 65, César, étant édile, célébra un munus funèbre en mémoire de son père ; le sénat, effrayé du nombre de gladiateurs qu'il se préparait à engager, publia un sénatus-consulte fixant un maximum qu'aucun citoyen ne pourrait dépasser, ce qui n'empêcha point César de faire paraître encore trois cents paires de combattants. Une fois maître du pouvoir, Auguste poursuivit la politique du sénat ; en 22 av. J.-C., il abaissa le maximum à cent vingt paires et défendit qu'on donnât, dans la ville de Rome, plus de deux munera par an. Tibère alla encore plus loin dans cette voie, où le souci de sa sécurité se trouvait d'accord avec la sollicitude que lui inspiraient les intérêts pécuniaires des magistrats ; cependant au début de l'Empire des munera de cent paires n'étaient pas chose rare. Dans la suite, de nouvelles mesures tendant à réduire encore les frais furent promulguées à plusieurs reprises, au fur et à mesure qu'augmenta dans la classe aisée le désir de se dérober aux charges publiques, et il est à remarquer que ce furent précisément les meilleurs princes qui attachèrent leur nom à ces réformes. On peut croire aussi que l'influence de la philosophie n'y fut pas étrangère, lorsqu'on les voit attribuées à un Antonin et à un Marc-Aurèle. On savait déjà que ce dernier, personnellement plein d'indifférence pour les combats de gladiateurs, avait fait en sorte de les rendre moins onéreux pour ceux qui devaient y contribuer de leur bourse. La lex Italicensis, découverte en 1888, nous en a apporté une preuve éclatante. L'orateur a proposé au sénat plusieurs mesures qui ont été adoptées et ont reçu force de loi sous la forme d'un sénatus-consulte. Il est à remarquer que la limitation des frais imposés aux magistrats ne porte pas sur le chiffre total de la somme déboursée ; il est prévu expressément qu'elle peut s'élever « à 200 000sesterces (543741 fr.) et au-dessus, et quidquid supra susum versum erit ». Il n'est pas davantage question du nombre annuel des munera, ni du maximum que pouvait atteindre le chiffre des combattants. Mais c'est évidemment que sur tous ces points les lois antérieures étaient suffisamment explicites ; il était inutile d'y revenir. Le législateur suppose donc que l'editor muneris a notifié officiellement la somme qu'il entend débourser ; une fois qu'on lui a donné acte de sa déclaration :

      1. il peut acheter toute formée la troupe de son prédécesseur ; c'est le procédé que l'empereur semble recommander aux flamines, de préférence à tout autre, parce qu'il leur épargne des marchandages avilissants ; le contrat se conclut entre deux hommes également soucieux de leur honneur ; cependant on ne croit pas inutile de leur rappeler que le flamine sortant doit revendre ses gladiateurs au prix coûtant ;
      2. l'editor recrute lui-même sa troupe ;
      3. il s'adresse à un lanista pour la recruter en totalité ou en partie ; dans ce dernier cas il s'agit de savoir sur quelles bases sera établi le contrat qui fait passer à l'editor tous les droits du lanista sur ses hommes ; tel est l'objet principal du règlement nouveau.


      L'impôt (vectigal gladiatorium)
      Jusque-là le fisc prélevait sur le commerce du lanista (laniena) un droit de 33,33, et de 25 pour 100. De ce chef il percevait, au temps de Marc-Aurèle, une somme annuelle de 20 millions et de 30 millions de sesterces (5 437400 fr. et 8156100 fr.). Naturellement le lanista se dédommageait de l'impôt énorme qu'il avait à payer en élevant ses prix en proportion, et même il s'en prévalait pour les élever au delà de toute mesure, de sorte qu'en définitive c'était sur l'editor que retombait cette charge, encore accrue par les prétentions exorbitantes du trafiquant. Comme le dit l'orateur, fiscus lanienae aliorum praetexebatur, ad licentiam foedae rapinae invitatus. Outre cet inconvénient, l'impôt en avait encore un autre aux yeux de Marc-Aurèle, celui de mêler le nom sacré du prince à des négociations qui mettaient en jeu des vies humaines ; c'est ce que l'orateur exprime ainsi avec une véritable noblesse : Omnis pecunia principum pura est, nulla cruoris humani adspergine contaminata, nullis sordibus foedi quaestus inquinata, et quae tam sancte paratur quam insumitur. Le remède, Marc-Aurèle l'a trouvé dans la suppression pure et simple de l'impôt. Au-moment de la promulgation du sénatus-consulte, le reste à recouvrer par le fisc s'élevait à 50 millions de sesterces (13593500 fr.). L'empereur fait remise d'une partie de cette somme aux lanistae, ut solacium ferant, et in posterum tanto pretio invitentur ad opsequium humanitatis. Le montant de la remise devait être déterminé exactement dans la relatio impériale, reproduite en tête du document, et que nous avons perdue. Il n'est pas douteux que cette réforme, qui privait l'Etat d'une ressource importante, dut être blâmée par beaucoup de gens comme préjudiciable aux intérêts publics ; il est d'autant plus honorable pour Marc-Aurèle et pour Commode, qui lui était alors associé, d'en avoir assumé la responsabilité. C'était au sénat, dit l'orateur, à réparer cette brèche par une sage économie.

      Prix d'achat
      Ce qui très souvent faisait monter les frais au delà de toute prévision, c'est que les gladiateurs en renom, ou leurs lanistae, vendaient leurs services à des prix fabuleux : l'editor qui tenait à sa popularité devenait alors leur proie ; Tibère dut un jour payer 100000 sesterces (27187 fr.) pour obtenir le rengagement de quelques sujets d'élite. Marc-Aurèle coupa court à ces spéculations éhontées en fixant un tarif maximum, proportionnel à la qualité des combattants. I1 établit d'abord deux catégories. La première comprend les gladiateurs de force ordinaire, promiscua multitudo, ou gregarii ; le minimum du prix d'achat doit être de 1000 sesterces (271 fr.), le maximum de 2000 (543 fr.). La seconde catégorie comprend les gladiateurs de choix, que distinguent leur force et leur beauté, meliores, summi, formonsi gladiatores ; ceux-là sont partagés generatim en plusieurs classes, ordines, classes, coetus, manipuli. Pour chacune d'elles le prix maximum est établi par tête de combattant d'après l'importance du munus auquel il prend part, comme l'indique le tableau suivant ; les chiffres sont ceux des sesterces :



      Comme on le voit, pour les summi gladiatores le maximum le plus bas est de 3000 sesterces, le plus élevé de 15 000. Mais il ne faut pas oublier que nous avons là des prix tels qu'on en établit dans un tarif ; il est fort possible que, même dans la suite, ils aient été souvent dépassés, lorsque des editores prodigues, traitant de gré à gré, voulaient s'assurer les services d'un gladiateur fameux, à n'importe quelles conditions.

      La lex Italicensis prévoit aussi que les lanistae pourront trouver une échappatoire ; les gregarii étant d'un prix bien inférieur, ils diront qu'ils n'en ont point dans leurs troupes, que tous leurs sujets sont des sujets de choix. Pour prévenir cette manoeuvre, la loi stipule que la moitié des combattants présentés dans chaque journée du munus devra se composer de gregarii, et si le lanista n'en a pas en nombre suffisant, il remplira les vides par des meliores, sans augmentation de frais pour l'editor. De plus, dans les munera donnés par les magistrats municipaux, le prix d'un gladiateur ne dépassera point 2000 sesterces (543 fr.), ce qui semble indiquer qu'on n'y devra faire combattre que des gregarii, ces spectacles étant moins brillants que ceux qui étaient donnés par les flamines des provinces ; et par conséquent on en peut conclure qu'à cette époque ils rentraient dans la catégorie de ceux dont les frais étaient inférieurs à 30000 sesterces (8156 fr.).

      Enfin une distinction est établie, d'après leur importance respective, entre les cités dans lesquelles se donne le munus provincial. Les plus peuplées et les plus riches, fortiores, forment un premier groupe ; c'est à elles seules que s'applique dans son entier le tableau ci-dessus ; en effet, c'était là surtout que les prix avaient atteint des proportions exagérées. Quelle que soit celle des quatre catégories dans laquelle rentre le munus du flamine, il devra faire paraître chaque jour des gregarii et des meliores, de telle sorte qu'ils soient des deux parts en nombre égal (numero pari) ; et en outre choisir un nombre égal de meliores dans chacune des classes indiquées par le tableau pour le munus correspondant. Ainsi un flamine donne un munus de la catégorie c, qui doit durer deux jours et comporte trente paires de gladiateurs :

      1. il devra présenter chaque jour quinze gladiateurs gregarii et quinze meliores ;
      2. les quinze meliores de chaque journée devront être choisis à raison de trois dans chacune des cinq classes de la catégorie c.

      Par là on évite que le lanista lui force la main en déclarant :

      1. qu'il ne peut lui livrer que trente meliores ;
      2. que les trente meliores obligatoires sont tous des sujets également remarquables, appartenant à la première, ou tout au plus à la seconde classe.

      Pour les cités de moindre importance (tenuiores) la loi ne descend point dans tant de détails. Elle fixe provisoirement comme type de leurs munera le tableau de la catégorie a, en désignant, pour y introduire les corrections nécessaires, les gouverneurs de provinces, et, en Italie, les magistrats qui en ont la compétence. Ils devront toujours respecter la division des gladiateurs en trois classes, mais ils pourront modifier les prix, en prenant pour base les comptes des munera, tant publics que privés, qui ont été célébrés dans la ville intéressée pendant les dix dernières années. Ce travail devra se faire immédiatement après la promulgation du sénatus-consulte.

      Frais des récompenses
      La récompense en argent, méritée par une victoire, peut rester la propriété du gladiateur, même s'il est esclave : nouvelle ressource pour le lanista prêt à exploiter l'editor ; car cette récompense, c'est l'editor qui la paye ; elle est fixée d'avance et comprise dans le contrat d'achat, sous le nom de préciput (praecipuum mercedis). Là encore Marc-Aurèle impose un maximum : il devra être proportionné au prix qu'a coûté le gladiateur victorieux ; il sera du cinquième pour un esclave, du quart pour un homme libre. Ces conditions s'appliquent sans aucun changement au gladiateur libéré, qui se rengage en traitant directement avec l'editor, sans recourir à l'intermédiaire du lanista.

      Appel
      Un magistrat ou un prêtre, chargé par la décision d'une assemblée de donner des spectacles, quels qu'ils fussent, avait toujours le droit d'en appeler à une autorité supérieure, s'il jugeait que ses moyens ne lui permettaient pas de suffire à la dépense prévue ; naturellement ce droit appartenait aussi aux catégories de dignitaires pour qui les munera étaient obligatoires, et même à ceux qui, les ayant choisis de préférence à des Ludi, en trouvaient encore les conditions trop lourdes. Il est probable qu'en Italie ce fut d'abord le praefectus urbi qui connaissait de ces sortes d'affaires et qu'elles revinrent plus tard aux Juridici institués par Marc-Aurèle. Dans les provinces il semble qu'elles devaient être attribuées au gouverneur. Cependant nous voyons qu'on pouvait en appeler au prince lui-même ; peut-être les flamines provinciaux en avaient-ils seuls le droit, comme ministres du culte de Rome et d'Auguste. L'appelant désignait pour le remplacer un de ses concitoyens qu'il déclarait être mieux en situation de faire face à la dépense, et en même temps il déposait comme caution une certaine somme d'argent ; il la perdait s'il était débouté, et en outre il devait restituer à son remplaçant une somme quadruple de celle qu'avait coûté le munus. S'il renonçait à l'appel avant que le jugement eût été prononcé, il n'en subissait pas moins la peine, sauf le cas où le juge lui en faisait remise (gratia appellationis). La lex Italicensis nous apprend qu'au moment où Marc-Aurèle promulgua son tarif, de nombreuses instances de ce genre avaient été introduites auprès de lui ; ce fut évidemment parce qu'il les trouvait justes et qu'il en était fatigué qu'il se décida à prendre cette mesure. A peine les appelants en furent-ils instruits, qu'ils renoncèrent d'eux-mêmes à poursuivre l'affaire et sollicitèrent leur gratia, en déclarant que désormais ils étaient prêts à accepter une charge que le règlement nouveau leur rendait facile. Pourtant le droit d'appel subsista toujours comme une garantie précieuse pour les organisateurs des munera officiels ; jointe à celle que leur offrait le tarif, elle opposa à la cupidité des lanistae une barrière qui n'a pu manquer d'être efficace.

    5. Munera fermés. Avant même que les combats de gladiateurs eussent été introduits à Rome, c'était chez les Campaniens une coutume nationale d'en faire un des divertissements de leurs festins. Ces combats à huis clos, où l'on n'admettait que ses amis, furent aussi adoptés par les Romains ; un auteur l'affirme, et on n'en saurait douter quand on voit de riches particuliers entretenir à leurs gages des bandes permanentes de gladiateurs en dehors même du temps où ils remplissaient de grandes charges ; c'était, il est vrai, un commerce comme un autre dont ils tiraient profit quelquefois ; mais c'était aussi une façon d'assurer leurs plaisirs particuliers. Au temps de l'Empire, lorsqu'on eut publié sur cette matière des lois restrictives, il est probable que les combats à domicile ou dans des salles louées pour la circonstance devinrent plus rares. Mais, en revanche, ils donnèrent naissance à un des services de la maison impériale. Ainsi les munera que Domitien fit célébrer chaque année aux Quinquatrus dans son palais d'Albanum durent être réservés aux amici principis et aux personnes qui avaient reçu une invitation spéciale. Les inscriptions mentionnent certains affranchis de la maison impériale qui ont été attachés à l'administration de ces spectacles ; ce sont les liberti a commentariis rationis vestium gladiatoriarum ; ils équipaient la troupe particulière du prince et en tenaient la comptabilité.


  6. Condition des gladiateurs

    La condition des gladiateurs donnait lieu aux distinctions suivantes :

    1. Criminels condamnés à mort (noxii ad gladium ludi damnati, kakourgoi, katadikoi)
      Il arrivait souvent que les représentants de l'autorité publique mettaient à la disposition des editores munerum des criminels condamnés à mort par les tribunaux. Les uns devaient être déchirés par la dent des bêtes féroces [Venatio], les autres périr sous le glaive ; la première peine était prononcée contre les esclaves et les affranchis ; la damnatio ad gladium, moins avilissante et moins terrible, frappait les criminels de naissance libre, ou ceux qui appartenaient à la classe des honestiores, comme les décurions, les vétérans et les fils de vétérans. En général ceux-ci avaient la tête tranchée dans la prison même, par la main du bourreau ; mais ils pouvaient aussi, à la suite d'une décision spéciale, être envoyés dans l'arène, pour y être exécutés au milieu des combats de la gladiature (ad gladium ludi deputari). Cependant cette sentence ne faisait point d'eux des gladiateurs et ce n'est que par un abus de langage que les modernes leur ont appliqué ce nom. D'abord on pouvait les livrer désarmés au fer de l'exécuteur ; ce n'était rien de plus qu'un égorgement. Sénèque a raconté avec indignation une scène de ce genre, à laquelle venait d'assister le peuple de Rome. Le matin avait eu lieu une venatio ; la journée devait se terminer par un munus ; à midi, dans l'intervalle entre les deux spectacles, dum vacabat arena, on amena une troupe de condamnés, et on désigna parmi eux une première paire, composée d'un homme armé et d'un homme désarmé : le premier devait tuer le second ; puis il passait l'épée à un autre qui le frappait à son tour, et ainsi de suite, jusqu'à ce qu'ils eussent tous rendu l'âme. Cette affreuse boucherie servait donc d'intermède ; elle n'en était pas moins publique ; car si l'arène était vide, au moment où elle commençait, les gradins ne l'étaient pas. Sénèque oppose avec horreur aux combats de la gladiature ces exécutions qu'il appelle mera homicidia. D'autres fois les noxii étaient tous également pourvus d'armes et en venaient aux prises avec des chances égales : tels furent ceux que Claude fit paraître, en 52, dans une naumachie, qui eut lieu sur le lac Fucin ; mais en ce cas il y avait entre eux et les gladiateurs une différence essentielle : c'est que les vainqueurs eux-mêmes ne devaient pas sortir vivants de l'arène ; si on leur donnait des armes, ce n'était pas pour les mettre en état d'en réchapper ; c'était simplement afin que l'exécution présentât quelque intérêt pour les spectateurs. Lorsqu'un condamné ainsi exposé revenait sain et sauf du combat, ou bien on le réservait pour une exécution prochaine, ou bien on l'égorgeait séance tenante ; car une sentence capitale devait avoir son effet dans le délai d'un an ; ni le public, ni le gouverneur de la province ne pouvaient l'annuler ; ce droit n'appartenait qu'à l'empereur seul. Les noxii condamnés à mort en Italie et dans les provinces devaient être souvent envoyés à Rome pour y subir leur peine dans l'amphithéâtre. Mais nous voyons aussi par les textes et par les inscriptions que, même en dehors de la capitale, les editores de toute catégorie se procuraient des noxii pour leurs munera ; ils devaient alors s'adresser au gouverneur de la province, qui donnait au personnel des prisons les ordres nécessaires ; en même temps ils déposaient entre les mains du procurator Augusti une caution, qui ne devait en aucun cas être inférieure à six aurei (155 fr.), et ils s'engageaient par serment à faire exécuter, sous leur propre responsabilité, la sentence de mort.

    2. Forçats
      Les criminels condamnés aux travaux forcés pouvaient être obligés à faire leur temps de peine comme gladiateurs. En ce cas il y avait entre eux et les précédents une différence considérable ; c'est que, s'ils couraient le risque de perdre la vie (discrimen, periculum vitae), elle ne leur était pas nécessairement ôtée, quelle que fût l'issue du combat. Leur sort était assimilable à celui des criminels que l'on condamnait au travail des mines [Metallum] ; les deux peines rentraient également dans la catégorie des poenae mediocres, et même la première, à ce qu'il semble, était considérée comme moins dure que la seconde. Le forçat destiné à la gladiature ne passait pas directement de la prison à l'amphithéâtre comme le condamné à mort ; mais on l'envoyait à l'école (in ludum dabatur), où on lui enseignait le maniement des armes, pour le mettre dans un état d'égalité parfaite avec ses adversaires. S'il sortait vainqueur de l'arène, le maître de la troupe ne perdait pas le droit de vie et de mort qu'il avait sur sa personne ; mais comme en général il avait intérêt à prolonger son existence, il faisait soigner ses blessures et veillait sur sa santé. Devenu impropre au service, le forçat pouvait être congédié, et, s'il était de condition servile, affranchi après un certain nombre d'épreuves heureuses. Des empereurs et certains personnages célèbres ont été accusés de n'avoir pas, en pareil cas, observé la coutume : des forçats vainqueurs auraient été égorgés par leur ordre ; la réprobation unanime qu'ils excitèrent montre bien qu'en usant d'un droit strict, ils avaient heurté le sentiment public. Au contraire Pline le Jeune cite des gouverneurs trop indulgents qui avaient transformé en gens de service, dans diverses administrations, des criminels condamnés par les tribunaux à être envoyés in ludum ; Trajan lui donne l'ordre d'y faire rentrer tous ceux qui avaient passé en jugement dans les dix dernières années, et d'employer les autres à des travaux de voirie. Les prisonniers de guerre furent souvent traités comme les forçats ; après la prise de Jérusalem, Titus envoya dans les carrières d'Egypte une partie des Juifs qu'il avait pris les armes à la main ; les autres furent répartis entre plusieurs villes de la Grèce pour y combattre sous les yeux du peuple assemblé.

    3. Esclaves
      Jusqu'au temps d'Hadrien, tout esclave, quel qu'il fût, pouvait être condamné par la seule volonté de son maître à exercer le métier de gladiateur (gladiatura) : ainsi Vitellius, mécontent de son favori Asiaticus, le vendit à un laniste ambulant. Hadrien décida que désormais le consentement de l'esclave serait nécessaire, à moins qu'il n'eût été reconnu coupable d'un méfait dûment constaté ; à dater de cette époque le maître qui, de son autorité privée, contraignait un de ses esclaves à entrer au ludus, fut probablement tenu de faire une déclaration devant un magistrat et d'indiquer les motifs de sa décision (causam praestare), d'où nous devons conclure qu'elle était cassée si elle paraissait trop sévère. D'autre part, l'amphithéâtre n'était en aucun cas un lieu d'asile pour l'esclave fugitif ; le maître avait le droit de l'en arracher. Dans les inscriptions, le nom du gladiateur esclave est généralement suivi de celui de son maître au génitif ; ainsi : OPTATVS SALVI(i) ; dans les inscriptions grecques son nom peut être accompagné de la mention doulos.

    4. Engagés volontaires (auctorati)
      1. Ingénus
        Tout ingénu peut s'engager volontairement pour combattre comme gladiateur moyennant salaire ; mais la loi y met une condition, au moins s'il est citoyen romain ; c'est qu'il fera auparavant une déclaration (profiteri ad dimicandum) devant un tribun de la plèbe ; ce magistrat devait lui en donner acte en présence du laniste, ou de l'editor, suivant le cas, et en même temps il enregistrait son nom, son âge et le chiffre de la somme promise (gladiatorium). Il est même probable que le tribun avait le droit de refuser l'enregistrement, si l'homme lui paraissait usé par l'âge (senior), ou naturellement trop débile (inabilior). La loi fixait le prix d'un premier engagement à 2000 sesterces (543 fr.) ; la somme est misérable, si l'on songe à ce que l'engagé offrait en échange ; mais on avait voulu empêcher par là que la tentation fût trop forte pour des hommes nés dans une condition honorable, que leurs malheurs ou leurs fautes avaient réduits aux abois. On dit du gladiateur ainsi engagé qu'il est, comme le soldat, auctoratus. Mais il n'y a du reste entre eux aucun rapport ; le gladiateur engagé rentre dans la catégorie des Infames ; il n'a plus droit ni au cheval de l'ordre équestre, ni aux places d'honneur qui lui sont réservées dans les spectacles ; il ne peut pas être décurion dans un municipe, ni se porter défenseur en justice, ni déposer dans un procès criminel ; s'il est surpris en flagrant délit d'adultère, le mari peut le tuer impunément ; enfin on lui refuse, comme aux suicidés, une sépulture honorable. L'engagement une fois reçu, l'auctoratus, pour devenir un gladiator legitimus, avait encore à prêter serment devant le magistrat d'après une formule traditionnelle ; il se déclarait prêt à être « brûlé, enchaîné, frappé et tué par le fer (uri, vinciri, verberari, ferroque necari) », ce qui revenait à dire qu'il reconnaissait à son nouveau maître droit de vie et de mort sur sa personne. Par conséquent, bien qu'il ne perdît pas en principe sa qualité d'homme libre, il était assimilé à l'esclave pendant toute la durée de son engagement. Ainsi dans le cas où on l'enlève frauduleusement à son maître, c'est au maître seul que compète l'action furti ; l'auctoratus est à ce point de vue dans la même situation que le débiteur incarcéré (judicatus). De telles dispositions constituent en réalité une dérogation formelle aux principes du droit romain ; mais elles montrent en même temps combien le législateur, tout en cédant à l'entraînement populaire, a été préoccupé d'en atténuer les effets ; plus il dégradait l'auctoratus et plus il pouvait espérer que les gens honorables reculeraient devant une pareille condition. L'histoire nous prouve qu'il n'en fut rien. Parfois de jeunes hommes s'engageaient pour subvenir aux besoins d'un ami, ou d'une personne de leur famille : c'était là un sujet de déclamations sentimentales, sur lequel on exerçait volontiers les élèves dans les écoles de rhétorique ; mais l'aventure a dû être aussi rare que le thème était commun. Assurément le plus grand nombre obéissait à des motifs moins nobles ; les uns, tombés dans la misère étaient encore heureux, même à ce prix, de trouver dans le ludus une table et un gîte ; les autres, plus ambitieux, plus capables, ou plus naïfs, espéraient bien arriver par là à la fortune. Quelquefois aussi les dangers même de la gladiature et la gloire spéciale qu'elle rapportait pouvaient exercer un certain attrait sur les natures audacieuses. On ne peut guère douter que les hommes ainsi recrutés fussent en général d'une moralité assez douteuse, si l'on songe à la flétrissure légale qu'ils devaient subir et au traitement qui les attendait dans le ludus. A peine les auctorati avaient-ils rempli les formalités d'usage, qu'ils devaient passer sous la férule ; c'était probablement une épreuve peu douloureuse, et plutôt symbolique, destinée à leur rappeler que la formule du serment n'était pas lettre morte ; mais pour en arriver là il leur fallait une certaine résignation, qui d'ordinaire s'allie mal avec le sentiment de l'honneur. Cependant on ne manqua jamais d'engagés volontaires. Au temps des guerres civiles, l'auctoratio attira autour des chefs de partis une foule d'aventuriers prêts à toutes les besognes ; puis, quand Auguste eut rétabli l'ordre, l'amphithéâtre leur resta encore comme une carrière à défaut d'autre. Un exemple cité par Dion Cassius montre avec quelle facilité on passait de l'armée à la gladiature : Septime Sévère ayant commencé à recruter la garde prétorienne en dehors de l'Italie, beaucoup de jeunes Italiens, qui n'y trouvaient plus d'emploi, se firent brigands ou gladiateurs. Les inscriptions mêmes, et quelques-unes datant des premiers temps de l'Empire, mentionnent un certain nombre d'hommes libres qui ont pris part à des munera. Il faut bien se figurer du reste que les chefs de troupes étaient à l'affût de ces vocations et qu'ils savaient au besoin les faire naître, comme les racoleurs de l'ancien régime, par de savantes manoeuvres. « Ils circonvenaient, dit Sénèque le père, les malheureux jeunes gens assez naïfs pour les croire, et jetaient dans leurs écoles les plus beaux hommes, les mieux faits pour le service militaire ». On vit des personnages d'ordre équestre ou sénatorial renoncer à leur rang pour descendre dans l'arène. Des dispositions législatives furent prises pour arrêter ce scandale ; il est probable qu'elles s'appliquaient aussi bien au cirque et au théâtre qu'à l'amphithéâtre et qu'elles visaient d'une façon générale tous les membres de la noblesse qui se dégradaient en remplissant un rôle actif dans des jeux, quels qu'ils fussent. Mais le retour fréquent de ces mesures suffirait à prouver combien elles furent impuissantes ; la cause en est dans l'indulgence que l'opinion publique réservait aux coupables, et plus encore dans les encouragements qu'ils reçurent de certains empereurs, très épris eux-mêmes de cet art cruel : « Ils employèrent l'or, dit Tacite, plus souvent la contrainte, pour faire descendre les nobles à cet abaissement, et la plupart des municipes et des colonies se faisaient une servile émulation d'y entraîner à prix d'argent leur jeunesse la plus corrompue ». Les inscriptions désignent les gladiateurs de condition libre soit par les tria nomina, soit par le prénom et le gentilice ; ainsi : Q. DUCENNIUS OPTATUS, ou Q. CLEPPIUS.

      2. Affranchis
        Si la sévérité des lois n'empêchait pas les ingénus d'entrer dans la gladiature, on peut penser que les affranchis y répugnaient encore moins ; en effet nous savons par Pétrone qu'il y en avait dans certaines troupes et que le public établissait entre eux et leurs camarades de condition servile une différence marquée ; le spectacle paraissait d'une classe plus relevée, lorsque figuraient au programme familia non lanisticia, sed plurimi liberti. Cette préférence s'explique fort bien ; l'affranchi, qui se proposait pour servir comme gladiateur moyennant salaire, pouvait avoir obtenu la liberté par l'exercice de toute autre profession ; dans ce cas, comme l'ingénu, il apportait déjà à l'amphithéâtre, où il entrait de plein gré, beaucoup plus de zèle que l'esclave, qui y était poussé par la volonté d'un maître. Mais en outre l'affranchi avait pu arriver à la liberté par la gladiature même ; le premier usage qu'il en faisait, c'était de s'engager, et comme il avait alors derrière lui plusieurs années de pratique, on conçoit qu'il l'emportait aisément, par son expérience des armes, sur ceux de ses compagnons qui n'étaient pas encore sortis de la condition d'esclave. Il est probable même que ce dernier cas devait être le plus commun, et que le gladiateur de la classe des liberti était en général un sujet d'élite, déjà libéré au moins une fois. Nous devons supposer aussi que le libertus qui s'engage pour l'arène est soumis aux mêmes formalités que l'ingénu, c'est-à-dire à la déclaration devant un tribun, et au serment d'usage. La dégradation est pour lui beaucoup moindre que pour l'ingénu, par la raison que ses droits antérieurs étaient plus restreints. Une fois qu'il est engagé, le patron à qui il doit sa liberté n'a rien à prétendre sur les bénéfices qu'il tire de l'amphithéâtre ; toute convention, que son patron lui aurait imposée, pour obtenir de lui ce genre de services (operae) après l'affranchissement, serait nulle de plein droit. Dans les inscriptions, le libertus gladiateur est nommé seulement par son nom servile, accompagné de la sigle L., LIB., LIBR., LIBER ; ainsi : MARTIALIS L., SEVERUS LIB. ; de même en grec : ΠΕΠΛΟΣ  ΕΛΕΥ(θερος).


    Toutes les catégories qui viennent d'être énumérées pouvaient se trouver réunies dans une même troupe. Les documents dont nous disposons nous permettent d'apprécier approximativement dans quelle proportion elles fournissaient des sujets à la gladiature. Il est évident que les esclaves y formaient la grande majorité. Ainsi sur cinquante-neuf tesserae gladiatoriae reconnues authentiques, il n'y en a que cinq qui portent des noms d'hommes libres. Dans un munus donné à Pompéi, sur seize combattants qui ont été mis en ligne on compte cinq hommes libres et onze esclaves : ailleurs les hommes libres sont dans la proportion de six sur vingt. M. Mau conjecture qu'entre ces deux classes de gladiateurs il y avait une grande différence : c'est que les esclaves étaient nécessairement enfermés au ludus, au lieu que les autres logeaient en ville dans leur ménage ; en effet nous en connaissons plusieurs qui ont été ensevelis par les soins de leur femme, à un âge où il semble bien qu'ils fussent encore en activité de service. Cette opinion peut être admise, à condition de n'être pas trop généralisée ; les hommes libres non mariés devaient trouver beaucoup plus d'avantage à être entretenus au ludus qu'à vivre au dehors ; il est probable qu'il y avait entre eux et le laniste diverses formes de contrat, qui comportaient beaucoup de nuances.

    Terme du service (liberatio)

    Un gladiateur, vainqueur ou non, peut sortir vivant non seulement d'un combat, mais d'une série de combats. Pendant combien de temps doit-il ses services au chef de troupe et combien de fois pendant cette période est-il tenu d'exposer sa vie, c'est ce qu'il est difficile de dire, d'autant plus que le nombre des épreuves et la durée du service devaient varier suivant la condition des individus. Il faut d'abord distinguer soigneusement l'école, le ludus, où le gladiateur habite et s'exerce, et l'amphithéâtre, qui est son champ de bataille. It est dispensé une fois pour toutes de l'obligation de jouer sa vie dans l'amphithéâtre le jour où on lui donne, comme un symbole de congé, une épée de bois (rudis), semblable à celle dont on se servait pour apprendre l'escrime ; mais tout gladiateur n'est pas libéré de l'école par le seul fait d'être rudiarius (αποταξαμενος). Ainsi nous savons que l'homme condamné à l'arène par jugement d'un tribunal, et devenu de ce chef servus poenae, peut être dispensé au bout de trois ans de l'obligation de combattre ; mais il doit rester encore enfermé au ludus pendant deux autres années avant de recevoir le bonnet de l'affranchi [pileus], qui le libère complètement. Il lui faut donc, au total, fournir cinq ans de service, et encore n'est-ce là qu'un minimum, qui devait être dans la pratique souvent dépassé. On voit quel avait été le but du législateur en imposant ce minimum : il avait voulu empêcher qu'un criminel, favorisé par la chance et par les spectateurs, ne fût trop vite rendu à la liberté, mesure d'autant plus nécessaire que les criminels, assassins ou autres, ne devaient pas faire les plus mauvais gladiateurs. Pour le gladiateur esclave, la volonté du maître était souveraine ; celui-ci avait seul le droit absolu de l'affranchir et il était libre d'en choisir le moment à sa convenance ; quelquefois, il est vrai, les instances du public étaient si pressantes que l'editor avait la main forcée et qu'il se laissait arracher une promesse ; mais la manumissio ex acclamatione populi fut toujours considérée comme un abus ; il y avait même un édit de Marc-Aurèle qui la déclarait nulle de plein droit, si le propriétaire de l'esclave établissait qu'il avait dû céder contre son gré aux sollicitations populaires : par conséquent l'esclave qui avait obtenu de ceindre l'épée de bois (rudem induere) pouvait attendre encore longtemps avant de coiffer le bonnet (pileari). Pour l'auctoratus il n'était pas question de gagner le bonnet, puisqu'il n'avait jamais perdu en principe sa qualité d'homme libre ; il pouvait même se racheter (se redimere) avant d'avoir combattu, s'il parvenait à réunir une somme suffisante pour rembourser au laniste le prix de son engagement et les frais d'entretien qu'il lui avait coûté ; les rhéteurs avaient imaginé sur cette donnée l'histoire d'un gladiateur que sa soeur avait plusieurs fois tiré de l'école ; à la fin, désespérant de venir à bout de ses mauvais instincts, elle lui avait coupé le pouce pendant qu'il dormait, pour le mettre hors d'état de tenir une arme. Mais tout dépendait des termes du contrat ; peut-être ce rachat n'était-il pas toujours possible ; peut-être aussi dans certains cas l'ingénu, qui avait obtenu la rudis, avait-il encore quelque temps à passer à l'école avant d'être exauctoratus. Ainsi il faut distinguer trois catégories de rudiarii :

    1. ceux qui en avaient fini une fois pour toutes, et sans esprit de retour, avec l'école et l'amphithéâtre ;
    2. ceux qui avaient été libérés de l'amphithéâtre, mais non de l'école et qui attendaient leur libération définitive ;
    3. les rengagés, qui retournaient volontairement et à l'école et à l'amphithéâtre, ou à l'amphithéâtre seul.

    Rengagement

    En effet tout gladiateur libéré, quelle qu'eût été sa condition, pouvait se rengager (instaurare discrimen), s'il était encore assez valide et si un propriétaire de troupe voulait bien le reprendre (revocare). Le gladiateur fatigué, qui ne cherchait qu'un gagne-pain, devait naturellement, à supposer qu'il trouvât preneur, accepter le prix le plus infime, fût-ce les 1000 sesterces (271 fr.) que l'on donnait au gregarius pour un premier engagement. Mais le rudiarius encore robuste, surtout celui qui s'était signalé par des victoires, avait de tout autres prétentions. Afin d'y mettre des bornes, la loi de Marc-Aurèle fixe le maximum du prix de rengagement, pour le gladiateur qui traite lui-même, à 12 000 sesterces (3262 fr.) ; ce qui n'empêchait pas le laniste d'y ajouter encore sa commission, si on avait eu recours à ses services, mais sans qu'il pût toutefois, commission comprise, dépasser le maximum de 15000 sesterces (4078 fr.)

    Location

    Jusqu'ici nous n'avons envisagé que le cas dans lequel le gladiateur se vend ou est vendu pour un temps indéterminé, sous la réserve du bon plaisir du public. Mais il y avait encore un autre cas : l'homme pouvait être loué pour un seul combat ; seulement il courait un tel risque que la location se faisait alors sous condition. Gaius donne un exemple d'un contrat de ce genre : on stipulait que le preneur, après le spectacle, payerait 20 deniers (21 fr. 75) pour chaque homme qui sortirait de l'amphithéâtre vivant et sans blessures graves (in singulos qui integri exierint) ; cette somme représente la rémunération de sa peine (pro sudore). Au contraire pour tout homme tué ou estropié le preneur s'engage à payer 1000 deniers (1087 fr.) ; c'est-à-dire qu'en réalité ceux-ci lui coûtent, comme le fait observer Gaius, ce qu'ils lui auraient coûté, s'il les avait achetés, et non loués. On voit néanmoins par ces prix que l'organisateur d'un munus, s'il n'était pas riche, pouvait encore trouver une combinaison qui lui permît de rester même au-dessous des frais prévus par la loi de Marc-Aurèle. Il n'est pas douteux que beaucoup de gens y recouraient avec empressement. Ainsi on pouvait louer un gladiateur pour 20 deniers, soit 80 sesterces, et comme les lanistes se faisaient concurrence les uns aux autres, il est possible même que ce prix fût encore abaissé quelquefois ; seulement les sujets à bon marché tâchaient de se faire le moins de mal possible. Pétrone a tracé le tableau d'un combat ridicule, dont on attendait des merveilles, et où parurent, au grand désappointement du public, des gladiateurs d'aspect lamentable, loués pour quelques sesterces par tête, des gladiatores sestertiarii : « Ils étaient si décrépits qu'un souffle les eût renversés. L'un était si lourd qu'il ne pouvait se traîner ; l'autre avait les pieds tortus ; un troisième était à moitié mort, car il avait eu déjà les nerfs coupés ; à la fin ils se firent tous quelque blessure pour terminer le combat ; c'étaient des gladiateurs à la douzaine, de véritables poltrons (fugae merae) ».

  7. Patries, races des gladiateurs

    Les gladiateurs se recrutant surtout dans la classe des esclaves, une même troupe pouvait réunir des hommes appartenant aux races les plus diverses ; elles devaient être très mêlées, notamment dans les écoles impériales, par suite de la facilité avec laquelle leurs administrateurs faisaient des échanges d'une province à l'autre. Mais il arrivait aussi dans des jeux d'une splendeur exceptionnelle que l'on montrait au peuple par grandes masses des prisonniers étrangers, comme on lui montrait des animaux rares à l'occasion des VENATIONES ; on comptait alors sur la singularité de leur aspect pour réveiller la curiosité des spectateurs blasés. Au temps de la République on avait vu paraître dans l'arène des Gaulois et des Thraces. Sous l'Empire, au fur et à mesure que s'étendit la conquête, on fit combattre dans la capitale des barbares amenés des contrées les plus lointaines : des Daces et des Suèves sous Auguste (28 av. J.-C.), des Bretons sous Claude (47) ; en 274 Aurélien, à la suite d'un triomphe, mit aux prises huit cents paires de gladiateurs choisis parmi les nations vaincues, Goths, Mains, Itoxolans, Sarmates, Francs, Suèves, Vandales et Germains. En 282, Probus condamna à la même peine des Plémyes venus de l'Ethiopie, des Germains, des Sarmates et des brigands Isauriens. Plus tard encore des Saxons furent envoyés à l'amphithéâtre. C'était déjà pour la foule un puissant attrait que la vue de ces barbares aux types si variés, qu'elle ne connaissait encore que par les bulletins des dernières campagnes ; mais ce qui ajoutait à l'intérêt du spectacle, c'est que les combattants conservaient dans l'arène le costume et les armes de leur patrie, et qu'ils appliquaient à cette lutte suprême le genre de manoeuvre qui leur était habituel. Toutefois ces grandes tueries ne peuvent pas être classées parmi les spectacles ordinaires de l'amphithéâtre ; comme on l'a déjà vu, les captifs étrangers n'étaient pas, à proprement parler, des gladiateurs ; sauf dans la période des origines, ils n'exercèrent aucune influence durable sur l'art particulier de la profession. Certains empereurs sont cités pour s'être livrés dans ce genre d'exhibitions à des fantaisies extraordinaires : Néron organisa à Pouzzoles, en l'honneur du roi des Parthes Tiridate, un munus où on ne vit paraître que des nègres ; Domitien fit combattre des nains ; on alla jusqu'à armer des femmes, dont quelques-unes de familles nobles, pour les mêler à ces jeux sanglants. En l'an 200 une troupe de femmes y déploya une ardeur si désordonnée qu'elle provoqua des troubles dans le public ; de là un édit de Septime Sévère qui interdit de recruter des femmes pour l'amphithéâtre.

  8. Les propriétaires et le trafic

    Dès le temps de la République beaucoup de personnages riches et puissants formèrent des bandes d'esclaves et d'engagés volontaires (familiae, φαμιλιαι), pour leur faire apprendre le métier de gladiateur. Ils voyaient d'abord un avantage considérable à avoir à leur entière discrétion un grand nombre d'hommes armés, toujours prêts à accourir à leur appel ; en outre ils pouvaient ainsi à tout moment subvenir aux besoins des munera organisés à leurs frais ; et enfin ces troupes constituaient un capital qu'ils exploitaient avec grand profit. Atticus ayant acheté une troupe très bien exercée, Cicéron lui écrit qu'il aurait dû la mettre tout de suite en location ; elle lui aurait, en deux représentations, rapporté ce qu'elle lui avait coûté. Ces bandes pouvaient faire courir à l'Etat de graves dangers ; on le vit bien pendant les guerres civiles et dans les révoltes d'esclaves ; Spartacus, Catilina, César en tirèrent des auxiliaires redoutables. Déjà cependant en 65, le sénat, suffisamment instruit par l'expérience, s'en était ému : un sénatus-consulte détermina le maximum du nombre de gladiateurs qu'un citoyen pourrait posséder dans la ville de Rome ; le chiffre qu'il fixa n'était cependant pas inférieur à trois cents paires ; Auguste l'abaissa à cent vingt paires, et Tibère se montra peut-être plus sévère encore. Caligula, au contraire, permit de dépasser la limite établie par ses prédécesseurs ; mais ce ne fut là sans doute qu'une complaisance exceptionnelle, qui ne changea rien à la législation. Ce furent les Flaviens, à ce qu'il semble, qui les premiers retirèrent aux particuliers le droit d'entretenir des troupes dans la ville de Rome, à dater du jour où ils y eurent fortement organisé les troupes impériales ; elles sont désormais les seules que l'on y trouve rassemblées à demeure. Mais on a assez vu, par tout ce qui précède, que ce même droit ne fut jamais retiré aux particuliers en dehors de la capitale. Peut-être même le gouvernement se montra-t-il disposé à remanier pour eux dans un sens plus libéral les règlements antérieurs, une fois qu'il se fut rendu seul maître des bandes casernées dans Rome ; sous Domitien en effet le sénat fut consulté de ampliando numero gladiatorum, ce qui doit s'entendre, suivant toute vraisemblance, des gladiateurs de l'Italie et des provinces. Après comme avant cette époque, les magistrats et les flamines, à qui incombe l'organisation des munera dans les municipes, peuvent entretenir des gladiateurs s'ils en ont les moyens. Ainsi font également les chefs d'armées ; au début du principat de Tibère, nous voyons Junius Blaesus, commandant supérieur des légions de Pannonie, entouré d'une bande de gladiateurs, qui lui sert de garde particulière et le protège contre ses soldats révoltés. Enfin tout particulier est libre de former une troupe pour en faire un objet de trafic, à la condition de se mettre en règle avec les leges gladiatoriae. Une inscription de l'île de Thasos mentionne plusieurs gladiateurs appartenant à une femme. Quelquefois une même troupe est exploitée par plusieurs associés (socii), ayant tous des droits égaux sur chacun de ses membres. Pour favoriser les transactions entre les propriétaires il y avait des marchés publics, où on mettait les gladiateurs aux enchères. Un jour on vit Caligula venir présider en personne à une vente sous la haste ; on avait rassemblé là un grand nombre d'hommes, sortis vivants des jeux publics (reliquiae), et qui se trouvaient compris dans la succession de magistrats ou de riches particuliers, morts depuis peu. L'empereur surenchérissait lui-même ; il fit monter les prix à des chiffres extraordinaires, abusant de la nécessité où se trouvaient alors les préteurs, chargés par son ordre de donner des munera à bref délai ; le fisc percevait un droit de 4 pour 100 sur la vente des esclaves. « C'est un fait notoire, dit Suétone, que, voyant Aponius Saturninus endormi sur les bancs, il avertit le crieur de ne pas oublier cet ancien préteur, qui ne cessait de lui faire signe de la tête ; et il ne mit fin aux enchères qu'après lui avoir fait adjuger, sans qu'il s'en doutât, treize gladiateurs pour 9 millions de sesterces » (2 446 83Q fr.), soit par homme 188 217 francs.

    Le lanista (loudotrophos, monomachotrophos, epistatês, monomachôn)

    Aucune réprobation ne s'attachait à la personne qui s'occupait de ce genre de négoce, si elle avait d'autres moyens d'existence ; des magistrats, des gens haut placés pouvaient y être obligés à l'occasion, et même ils ne dérogeaient pas en profitant de leur expérience pour tirer de là une source de revenus ; on avait des gladiateurs qu'on faisait valoir, comme on avait d'autres esclaves, ouvriers, pédagogues ou musiciens. Mais en revanche toute la sévérité de l'opinion retombait sur l'homme dont l'unique ressource consistait dans le commerce des gladiateurs, la laniena ou lanistatura. Le lanista, ou marchand de chair humaine était assimilé au LENO ; aussi bien que les malheureux dont il trafiquait, il était infamis ; la loi lui refusait le jus honorum. Bien qu'on pût se passer de ses services, c'était un intermédiaire fort utile pour les organisateurs de fêtes, qui n'avaient point de troupes en propre et que le temps pressait. En pareil cas, comme le dit l'orateur dans la loi de Marc-Aurèle, le laniste savait se rendre nécessaire, se etiam necessarium faciebat. Vente, achat et location rentraient également dans le cercle de ses affaires ; il était en relations constantes avec tous ceux qui avaient des hommes à vendre, notamment avec les pirates. Quelquefois aussi il prenait chez lui des esclaves, appartenant à plusieurs maîtres différents ; il les instruisait et les plaçait, en prélevant une part dans les bénéfices ; ainsi nous possédons une liste de gladiateurs, qui ont été enrôlés sous la direction d'un certain C. Salvius Capito ; sur dix-neuf esclaves qu'elle comprend, un seul lui appartient à lui-même, les autres lui ont été confiés par dix propriétaires différents. Certains lanistes avaient une maison de commerce où ils traitaient les affaires sur place : tels ceux qu'Auguste chassa de Rome, dans une année de disette, pour éloigner les bouches inutiles. Mais d'autres voyageaient (lanistae circumforanei), soit pour offrir ou recevoir la marchandise, soit pour donner des représentations à leur propre bénéfice. Ces personnages réalisaient quelquefois de belles fortunes ; leur profession était même une de celles qui conduisaient le plus sûrement à la richesse. Mais on conçoit qu'ils n'aimaient pas, surtout alors, à se parer de leur titre ; aussi l'un d'eux, dans une inscription, est-il appelé, par un habile euphémisme, negotiator familiae gladiatoriae.

  9. L'école (ludus, loudos, katagôgion monomachôn, monomachotropheion)

    Les écoles les plus anciennes que mentionne l'histoire sont celles de Capoue ; à la fin de la République cette ville était encore comme le quartier général de la gladiature ; c'était là que les plus riches propriétaires de Rome tenaient leurs bandes enfermées ; ainsi en 105 av. J.-C. nous y voyons installée celle d'un consulaire, Aurelius Scaurus ; en 73, celle de Cn. Lentulus Batiatus, où Spartacus prépara ses plans de révolte avec la complicité de deux cents de ses compagnons ; en 49, César avait à Capoue une troupe importante qui fut licenciée par les chefs du parti adverse ; au moment de passer le Rubicon, il étudiait les plans d'une école nouvelle, qu'il voulait faire construire à Ravenne. Il semble donc qu'à cette époque les bandes, qui avaient à combattre dans la ville de Rome, ne pouvaient y séjourner longtemps et qu'on évitait autant que possible de les y installer à demeure dans des édifices spécialement aménagés pour elles. Cependant, en 44, un ludus a pu exister dans les dépendances du théâtre de Pompée. Ce fut sans doute lorsque Statilius Taurus eut édifié dans la capitale (29 av. J.-C), un amphithéâtre de pierre que l'on sentit le besoin d'avoir, à proximité de l'arène, un bâtiment spécial, où l'on pût loger et exercer les gladiateurs ; on a conjecturé que ce bâtiment, de peu postérieur à l'amphithéâtre, pouvait être le Ludus Amititis, qui est mentionné sous Auguste. Caligula eut aussi un ludus, où il entretenait vingt paires de gladiateurs, sans doute pour ses spectacles privés. Ce que pouvait être un édifice de ce genre, nous le voyons clairement par celui qui a été découvert à Pompéi près du grand théâtre.


    Il s'étend en forme de quadrilatère autour d'une cour de 55 mètres de long sur 44 de large ; cet espace vide, où se faisaient les exercices, est bordé d'une colonnade, destinée à supporter le toit d'un portique. Sur les côtés s'ouvrent des cellules (cellae, οικοι), mesurant chacune 4 mètres de large, qui devaient être éclairées par une imposte. Des indices certains permettent d'affirmer que le bâtiment avait un étage au-dessus du rez-de-chaussée ; si le nombre des cellules était égal en haut et en bas, il y en avait en tout 66 ; en admettant qu'elles fussent habitées chacune par deux hommes, on arrive à un total de 122 gladiateurs, ce qui n'a rien d'excessif. Une chambre servait de prison, peut-être pour les criminels livrés par la justice ; on y a retrouvé, au milieu de fragments de chaînes, les squelettes de trois hommes, qui, n'ayant pu s'échapper au moment de l'éruption, ont été brûlés vivants. Une autre salle contenait encore des armes d'une grande beauté ; les murs étaient décorés de peintures représentant des trophées. Ces circonstances, jointes à la situation de la pièce, donnent à penser que ce pouvait être une salle d'honneur.

    Le logement du laniste se trouvait sans doute au premier étage, au-dessus du vestibule et de la cuisine. Les habitants du lieu y ont gravé un peu partout des figures et des inscriptions à la pointe ; le programme d'un combat était tracé à l'extérieur près d'une porte. Quelquefois on exerçait les gladiateurs dans des cryptes, d'où le nom de cryptarius donné au gardien du lieu.

    Ecoles municipales

    Si l'on excepte la capitale, certaines villes ont dû avoir des ludi au nombre de leurs établissements municipaux ; car nous voyons un magistrat de Préneste faire don à cette ville d'une école construite entièrement à ses frais et décorée pro nitore civitatis.

    Ecoles impériales

    Dans la ville de Rome il y avait à la fin des temps antiques quatre grandes écoles impériales. Nous n'avons rien à dire ici du Ludus matutinus, où étaient logés les bestiaires ; peut-être existait-il déjà sous Claude. Les trois autres furent probablement construits par Domitien, comme des dépendances du Colisée ; ce fut aussi ce prince, à ce qu'il semble, qui leur donna une organisation définitive. Le Ludus magnus était situé près du Colisée, dans la troisième région, mais sur la limite de la seconde. M. Lanciani en fixe l'emplacement au nord de la Via Labicana, à égale distance entre l'église de Saint-Clément et celle des Saints Pierre et Marcellin. Le Plan du temps des Sévères nous permet de nous faire une idée assez exacte de la partie principale de l'édifice ; il est impossible de ne pas être frappé de la ressemblance qu'il présente avec l'école de Pompéi.

    Ici aussi nous voyons une cour entourée d'un portique, sur lequel s'ouvrent les cellules des gladiateurs ; seulement il y a de plus qu'à Pompéi une arène en forme d'ellipse, qui remplit la plus grande partie de la cour intérieure ; ce devait être un mur semblable au podium de l'amphithéâtre, dans de plus petites proportions, avec des ouvertures ménagées à l'extrémité des deux axes : les gladiateurs que l'on exerçait là se trouvaient ainsi placés à peu près dans les mêmes conditions qu'au Colisée le jour du combat. A peu de distance s'élevaient un spoliarium, où on apportait les morts de l'amphithéâtre, et un samiarium, ou atelier pour la fabrication et la réparation des armes ; une inscription nous fait connaître un manicarius, c'està-dire un ouvrier qui a dû être employé dans cet atelier à la fabrication des brassards. Toutes les armes nécessaires à la gladiature étaient rassemblées dans un arsenal (armamentarium), d'où on ne les tirait que les jours de combat, et sur autorisation spéciale, pour les porter directement à l'amphithéâtre ; suivant M. Lanciani, cet arsenal devait occuper le terrain situé entre le Colisée et l'église de Saint-Clément. Au nord de la même église, de l'autre côté de la Via Labicana, se trouvait encore le Choragium, où l'on conservait des machines et des accessoires décoratifs, principalement nécessaires pour les théâtres, mais qui servaient aussi quelquefois dans les spectacles du Colisée. L'arsenal était placé sous la direction d'un praepositus, affranchi de l'empereur ; il est probable qu'il en était de même des autres sections. Tout le personnel du Ludus obéissait à un procurator (epitrophos), et à un subprocurator, tous deux de rang équestre ; au-dessous de ces personnages on trouve encore un économe (dispensator), esclave impérial, et un valet servant de piqueur (cursor), sans doute de même condition que le précédent. Le Ludus magnus était la plus grande des écoles affectées à la familia gladiatoria Caesaris ; c'était un avancement pour le procurator du Ludus matutinus de passer à la direction du Ludus magnus. On choisissait ce fonctionnaire parmi les tribuns de légion, ou parmi les administrateurs d'ordre financier, même parmi les intendants des provinces ; de là il pouvait passer aux plus hautes charges de la carrière des finances. Le Ludus Gallicus et le Ludus Dacicus, mentionnés comme ayant fait partie de la seconde région, à peu de distance du Ludus magnus, nous sont moins bien connus. M. Mommsen croit que les textes qui s'y rapportent sont altérés ; d'après lui ces ludi n'auraient rien de commun avec ceux que construisit Domitien, ni même avec les gladiateurs impériaux de la capitale. Si l'on accepte l'opinion commune, ces deux écoles devaient sans doute leur nom à l'origine des gladiateurs qu'on y avait logés tout d'abord, lorsqu'elles furent construites. Le nombre des gladiateurs que contenaient les écoles impériales de Rome était considérable ; en 69, Othon en prit deux mille pour les incorporer à son armée ; en 248, l'empereur Philippe en fit combattre autant, à l'occasion du millième anniversaire de la fondation de Rome. Sous d'autres princes on les voit figurer dans une seule série de fêtes au nombre de 1200, de 1600 et même de 10000. Mais il ne faut pas oublier que les ludi impériaux étaient en relations constantes les uns avec les autres et qu'ils pouvaient très facilement s'envoyer des gladiateurs, suivant les besoins du moment ; ainsi ces chiffres peuvent être les uns trop faibles, les autres trop forts. En Italie et dans les provinces il y avait en effet d'autres écoles impériales, organisées sur le modèle des écoles de Rome. Il y en avait probablement une par province ; mais comme elles ne contenaient chacune qu'un nombre d'hommes assez restreint, on avait placé les troupes de plusieurs provinces sous la même direction administrative. De là des groupes régionaux qui embrassaient une très vaste étendue de territoire. Les renseignements qui s'y rapportent datant d'époques différentes, il est assez difficile de déterminer exactement quand et comment ces groupes avaient été formés. Voici cependant ceux que nous connaissons :

    1. Italie. Des ludi impériaux étaient établis dans les villes de Capoue et de Ravenne.
    2. Transpadane.
    3. Asie, Bithynie, Galatie, Cappadoce, Lycie, Pamphylie, Cilicie, Chypre, Pont et Paphlagonie.
    4. Egypte. Il y avait au moins un ludus impérial à Alexandrie.
    5. Gaules, Bretagne, Espagne, Germanie et Rétie.

    Il faut supposer encore au moins deux groupes, l'un pour l'Afrique, l'autre pour les pays du Danube et l'Achaïe. Chaque groupe était placé sous la direction d'un procurator ; il avait sous ses ordres des employés chargés de la correspondance et de la comptabilité (tabularii), que l'on choisissait parmi les affranchis impériaux. Certains groupes étaient plus importants que d'autres ; ainsi un procurator trouvait avantage à passer d'Asie en Gaule avec le même titre. Ce personnage était généralement choisi, comme ses collègues de Rome, parmi les tribuns de légion ou les intendants des finances. Il devait avoir pour fonction spéciale de veiller au recrutement et à l'entretien des troupes de son ressort ; il ordonnançait les états de payement et prenait, d'accord avec les gouverneurs des provinces, les mesures nécessaires pour que le transport des gladiateurs et des armes ne fît courir aucun danger à la sécurité publique. Lorsqu'il avait sous sa dépendance plusieurs ludi impériaux, situés dans des villes différentes, il est à présumer que chacun d'eux était administré par un de ses subordonnés, peutêtre un subprocurator. Un poste de soldats (praesidium, phulassontes), placé à côté du ludus, était toujours prêt à accourir au premier appel et à réprimer toute tentative de révolte.

    Les gladiateurs impériaux (fiscales) ne servaient pas seulement aux munera donnés par le prince. Il pouvait, si tel était son bon plaisir, en mettre gratuitement quelques paires à la disposition des magistrats chargés des fêtes publiques. Mais, en outre, il est très probable qu'il exploitait cette partie de sa fortune comme tout citoyen avait le droit de le faire ; ses procuratores devaient être autorisés à louer ou à vendre aux particuliers un certain nombre de leurs hommes dans une proportion déterminée. En effet, nous voyons à Pompéi, dans des troupes privées, des gladiateurs dont le nom est suivi de la mention Julianus ou Neronianus. L'un d'eux s'appelle, par exemple, Faustus Itaci Neronianus ; comme le pense M. Mau, on n'a pu désigner par là qu'un gladiateur de condition servile, acheté par son maître Itacus à une école impériale fondée par Néron ; il est fort possible que ce ludus Neronianus se trouvât à Capoue, et qu'il y eût aussi dans la même ville un ludus Julianus, qui ne serait autre que celui de Jules César. Ces établissements étant les mieux montés et les mieux administrés, il est naturel que les gladiateurs qui en sortaient fussent très recherchés, et en effet on observe dans les inscriptions qu'ils sont toujours vainqueurs de leurs adversaires. C'était là pour le fisc une excellente source de revenus. Quand on voit Marc-Aurèle imposer un tarif aux lanistes, on est porté à croire que l'empereur philosophe a cédé au dégoût que lui inspirait leur commerce ; mais on peut aussi se demander si au fond son but n'était pas de centraliser de plus en plus ce commerce entre les mains de l'administration impériale, pour le plus grand avantage du public et du fisc lui-même.

    La discipline et les révoltes

    Quintilien, dans un exercice d'école d'un ton déclamatoire, a peint sous les couleurs les plus sombres la vie du ludus. Celle qu'on menait à l'ergastule, dit-il, était douce en comparaison ; il n'y avait pas de geôle plus affreuse ; les gladiateurs y étaient enfermés dans des cellules d'une saleté repoussante, et surveillés avec une extrême rigueur. Il est certain, en effet, que toutes les précautions avaient été prises pour contenir dans le devoir ces bandes redoutables. D'abord on ne laissait pas à leur disposition une seule arme de combat ; on ne mettait jamais entre leurs mains, pendant leur séjour à l'école, que des armes d'escrime. Ensuite aucun châtiment corporel ne paraissait trop dur pour des hommes de cette sorte, et en cas de désobéissance le chef de troupe avait bientôt fait d'appeler à son aide, dût la mort s'ensuivre, le fouet, le fer rouge et les autres instruments de supplice. La rigueur même de cette discipline eut souvent pour résultat d'exciter les révoltes au lieu de les prévenir : celle de Spartacus laissa dans la mémoire des Romains un souvenir qui les faisait encore trembler au bout d'un siècle. Cependant il faut bien reconnaître que ces tentatives devinrent extrêmement rares sous l'Empire, grâce à l'organisation nouvelle de la gladiature et à la vigilance de l'autorité : elles furent presque aussitôt déjouées que signalées. Ce qui fut plus commun à toutes les époques dans les écoles, ce furent les suicides. Les esclaves et les prisonniers que l'on y envoyait de force aimaient souvent mieux se donner la mort que de se préparer pour la lutte ; le regret de ce qu'ils avaient quitté s'ajoutant à l'horreur de leur situation présente ils n'attendaient même pas le moment de jouer leur vie dans l'amphithéâtre ; mais comme ils n'avaient point d'armes tranchantes et qu'ils étaient l'objet d'une surveillance continuelle, il leur fallait pour se tuer beaucoup d'ingéniosité ; on en cite qui se broyèrent la tête, en l'engageant dans une roue de la voiture qui les transportait ; d'autres se firent étrangler par leurs camarades.

    Le régime

    Mais heureusement pour les gladiateurs, leur propriétaire, quel qu'il fût, avait toujours le plus grand intérêt à atténuer de son mieux les misères de leur condition. Il fallait, pour augmenter leurs chances de succès, développer leurs muscles et leur donner cette apparence de force et de santé qui attirait sur eux dans l'arène l'attention du public : le formonsus gladiator avait une valeur marchande supérieure, que reconnaît même le tarif de Marc-Aurèle. Aussi choisissait-on toujours pour construire l'école l'emplacement le plus salubre. Chaque jour on servait aux gladiateurs une nourriture très substantielle, quoique grossière (sagina) : elle se composait en général de farineux, de fèves et surtout d'orge, d'où le surnom de hordearii, donné par dérision à ceux que leurs maîtres nourrissaient exclusivement de ces aliments à bon marché. On raillait la pâtée (miscellanea) de l'école ; elle passait pour faire des sujets plus bouffis que vigoureux ; mais beaucoup de jeunes gens dénués de toute ressource étaient encore bien heureux de trouver la ration soigneusement mesurée, qu'on leur offrait en échange d'un engagement. Il y avait autour d'eux, dans l'établissement même, tout un personnel de domestiques (ministri), entre autres des unctores, chargés de les oindre et de les frictionner régulièrement pour leur assouplir les membres. Quand ils avaient fini leurs exercices, on leur faisait avaler une décoction de cendres (cinis lixius) ; Varron assure que cet étrange breuvage avait sur leur santé des effets souverains. S'ils revenaient blessés de l'amphithéâtre, des médecins, spécialement attachés au ludus, pansaient leurs plaies et les soignaient jusqu'à complète guérison. Le fameux médecin grec Galien se montre très satisfait d'avoir été choisi par les grands prêtres d'Asie pour veiller sur la santé de leurs gladiateurs, lorsqu'il n'avait encore que vingt-neuf ans.

    L'escrime (batuale, skiamachia)

    Aujourd'hui nous ne voyons plus dans les combats de gladiateurs que leur issue sanglante, et c'en est assez pour qu'ils nous paraissent abominables. Il en était autrement aux yeux des Romains ; pour eux la gladiature était avant tout une institution destinée à encourager l'art de l'épée et les vertus guerrières qu'il développe. De là un point d'honneur spécial à la profession ; le gladiateur, quelle que soit l'abjection dans laquelle il est tombé, reçoit une sorte d'anoblissement par le fait de jouer sa vie les armes à la main ; puis il a appris patiemment, avec méthode, une théorie compliquée ; comme ceux qui l'ont instruit, comme ceux qui le contemplent, il a d'ordinaire une très haute idée de son rôle ; l'éducation a fait naître en lui des sentiments qui, à très peu d'exceptions près, lui cachent ce que son métier a d'horrible. Aussitôt entré à l'école, il est immatriculé dans une arme et confié à un instructeur (doctor, magister). Il y avait dans chaque troupe autant de doctores qu'il y avait d'armes. Ces personnages étaient d'ordinaire d'anciens gladiateurs ; mais probablement, comme les médecins, ils ne résidaient pas dans le ludus ; ils y venaient seulement pour les heures d'exercice.
    Les conscrits apprenaient l'escrime sous leur direction avec un fleuret de bois (rudis, sudis, rabdos, varthêx) ; ils tiraient sur un pieu (palus), fiché dans le sol ; comme celui dont on se servait dans l'armée pour le même usage, il devait avoir au-dessus de terre une longueur de six pieds ; le gladiateur, tenant d'une main la rudis et de l'autre un bouclier d'osier, faisait assaut contre ce pieu, visant tour à tour les points qui, suivant la hauteur, représentaient la tête ou la poitrine de l'adversaire, et il devait avoir le plus grand soin de ne jamais se découvrir. Se livrer à cet exercice s'appelait batuere, d'où le français battre ; on trouve aussi pour désigner l'exercice lui-même batuale, plur. batualia, d'où bataille. On voit dans plusieurs monuments un maître d'armes, qui, la rudis à la main, se jette entre deux gladiateurs pour les séparer.



    Quelquefois, au lieu d'armes légères, le gladiateur dans ses exercices en portait, au contraire, de plus lourdes que celles dont il devait être revêtu le jour du combat, afin de s'habituer à ne rien perdre de la vivacité de ses allures ; les belles armes que représente la figure ci-dessous ont été trouvées dans le ludus de Pompéi ; d'après leur poids on suppose qu'elles n'ont pu servir qu'à des exercices de ce genre.



    Il y avait, pour désigner les différents coups, tout un langage technique ; on en peut juger par ce passage de Quintilien : « Dans l'escrime des gladiateurs les attaques qu'on appelle de seconde main (manus quae secundae vocantur) deviennent de troisième main (fiunt tertiae), si la première n'était qu'une feinte, destinée à attirer l'adversaire (si prima ad evocandum adversarii ictum prolata erat) ; et même de quatrième, si on a provoqué deux fois (et quartae, si geminata captatio est), de manière qu'on ait eu à parer deux fois, comme on a attaqué deux fois (ut bis cavere, bis repetere oportuerit) ». Comme aujourd'hui dans nos salles d'armes, on s'exerçait à tirer de la main gauche ; quelques-uns même arrivaient à être assez habiles pour ne jamais tirer autrement : Commode par exemple était gaucher (scaeva, skaios, eparisteros) et s'en faisait gloire. Un assaut ou un combat, dans lequel deux gauchers étaient mis aux prises, s'appelait scaeva pugna. L'élève devait avant tout se familiariser avec la langue technique du métier, pour pouvoir comprendre les commandements (dictata) de l'instructeur. A force de voir et de fréquenter des gladiateurs, le public lui-même était arrivé à la connaître assez bien : les jours de combat, on entendait des spectateurs qui, emportés par leur ardeur, criaient les commandements d'usage à leurs favoris pour leur conseiller de bons coups, et il paraît que ceux-ci en effet s'en trouvèrent bien quelquefois. Il dut y avoir, du reste, des traités où était exposée la théorie (meditatio) ; elle passionnait encore sur leurs vieux jours les doctores en retraite.

    Les amateurs au ludus

    Il ne faut donc pas s'étonner de voir des personnages du plus haut rang fréquenter les écoles des gladiateurs ; déjà au temps du poète Lucilius il était de bon ton pour un jeune homme de s'escrimer en leur compagnie, pourvu que ce ne fût pas son unique occupation et qu'il ne perdît pas de vue les études libérales qui convenaient à un citoyen. Un complice de Catilina, C. Marcellus, voulant soulever les gladiateurs de Capoue, se jeta dans leurs écoles sous prétexte d'aller faire des armes avec eux. César confia l'instruction des siens à des chevaliers, et même à des membres du sénat, qui passaient pour de bons tireurs ; on avait de lui des lettres, où il leur recommandait de prendre chaque homme en particulier et de lui réciter la théorie eux-mêmes. Beaucoup d'empereurs partagèrent ce goût : Titus, Hadrien, Lucius Verus, Didius Julianus, Caracalla, Géta sont cités pour l'avoir poussé très loin. On assure même quo Caligula eut de véritables duels, où il parut avec des armes de combat. Au contraire, on a noté comme un des traits singuliers du caractère de Domitien qu'il n'aimait pas à manier l'épée. Le plus passionné de ces amateurs illustres fut Commode ; il était enrôlé dans l'arme des secutores et il avait sa chambre au Ludus magnus ; il y occupait la première cellule, dans le corps de logis qui leur était réservé. Enfin il n'était pas jusqu'aux femmes du monde qui ne fussent gagnées par l'engouement général. Elles venaient à l'école, et là, revêtues d'une armure, faisaient rage contre le poteau. Quelquefois, au lieu de se rendre chez les gladiateurs, on les mandait chez soi et on donnait à ses amis, au moment du souper, le spectacle d'une séance d'escrime. Ainsi nous savons que Lucius Verus et Hélagabale prenaient beaucoup de plaisir à voir, pendant leur repas, les gladiateurs de leur troupe privée faire assaut dans un endroit du palais appelé lusorium.

    Les gladiateurs et l'armée

    Si la gladiature jouit de tant de faveur, ce fut en grande partie parce qu'on la considérait comme dépositaire d'une tradition, dont le maintien importait essentiellement à la pratique de l'art et des vertus militaires. En 405 av. J.-C., P. Rutilius, un des deux consuls, fit venir d'une école de Capoue des doctores pour donner aux soldats, dans le maniement de l'épée, l'habitude d'un jeu plus souple et mieux raisonné. Il n'y a désormais aucune différence, au moins pour les armes qui leur sont communes, entre l'escrime de l'armée et celle de l'école ; la langue de l'une est celle de l'autre ; la gladiature est comme le conservatoire de cet art plein de finesses. Le gladiateur devait aussi au soldat l'exemple de la bravoure ; très souvent il le lui donnait avec orgueil et recevait le coup mortel sans faiblesse. On en cite même qui attendaient avec impatience le moment de paraître devant le public et qui se plaignaient quand on les laissait dans l'inaction. D'autres ont montré à l'égard de leurs maîtres une fidélité inaltérable, qui aurait pu faire honneur à des troupes régulières : ceux d'Antoine persistèrent à soutenir sa cause après Actium ; établis par lui à Cyzique, ils entreprirent d'aller le rejoindre à Alexandrie, en traversant toute l'Asie Mineure. Aussi chaque fois qu'il y eut des discordes civiles dans le monde romain, les chefs de partis incorporèrent des gladiateurs dans leurs armées, et en pareille circonstance, comme l'observe Tacite, « même des généraux sévères sur l'honneur ne dédaignèrent pas ce secours humiliant ». Marc-Aurèle eut l'idée de l'utiliser contre l'étranger ; au moment d'entrer en lutte avec les Marcomans, il emmena de Rome une troupe de gladiateurs qu'il appela Obsequentes. Du reste, il semble qu'il y en ait toujours eu dans les camps ; c'était pour le général une garde qui lui fut quelquefois précieuse au milieu des séditions militaires et lorsque tout était tranquille, on pensait que leurs exercices procuraient au soldat une distraction salutaire et instructive. Dans la ville de Rome il y avait un amphitheatrum castrense spécialement réservé aux cohortes prétoriennes et urbaines ; il est prouvé qu'il existait au temps de Septime-Sévère ; il en reste encore des ruines très importantes.

  10. Les différentes armes

    On distinguait parmi les gladiateurs plusieurs armes, dont chacune était désignée par un nom particulier, suivant son origine, son costume, son armement ou sa manière de combattre. Une troupe en état d'entrer en lice comprenait toujours des hommes de plusieurs armes différentes ; mais en dehors des ludi impériaux ou des ludi appartenant à de très riches particuliers, il devait être rare qu'elles fussent toutes représentées dans une seule troupe. En outre, il faut avoir soin d'observer que ces armes n'ont pas toutes été créées à la même époque, et que quelques-unes, transformées de bonne heure, ont été désignées sous des noms nouveaux. Un des mérites de M. Meier est d'avoir mis ce point important en pleine lumière ; nous ne ferons guère, dans ce qui suit, que résumer ses conclusions. Notons aussi que certaines pièces du costume étaient communes à toutes les armes, ou du moins pouvaient être portées également par des gladiateurs d'armes différentes ; telles sont par exemple les Fasciae, c'est-à-dire les bandes d'étoffe ou de cuir qui entouraient les jambes ; telle est la Manica, pièce d'armure destinée à protéger le bras ; elle consistait en un réseau de lanières, parfois garnies de lames de métal, qui pouvait se prolonger jusque sur la main. Tel est encore le pagne [Subligaculum], qui vient se rattacher au ceinturon [Balteus]. Enfin, quoiqu'il y ait eu sans aucun doute des détails de costume tout à fait distinctifs pour chaque catégorie de gladiateurs, il faut se rappeler qu'une même arme, telle que le casque [Galea] ou le bouclier, a pu, dans une seule et même catégorie, affecter des formes différentes suivant les temps et les lieux ; les monuments nous montrent que des exceptions sont toujours possibles, en partie parce qu'il y avait des munera plus riches que d'autres, en partie parce qu'on a pu, pour raviver l'intérêt du spectacle, imaginer de temps en temps des combinaisons qui n'ont eu ni précédents, ni suite. En général le principe dont s'inspirèrent les Romains, quand ils créèrent les différentes armes, quelles qu'elles fussent, semble avoir été, comme le remarque M. Meier, de découvrir le torse, où une blessure peut être mortelle : car la lutte, sauf le cas de grâce, doit nécessairement entraîner mort d'homme ; aussi d'ordinaire les gladiateurs ne portent-ils ni cuirasse, ni cotte de mailles, ni tunique.

    1. Samnite (samnes). L'arme des samnites est la plus ancienne de toutes. En 310 av. J.-C., les Romains infligèrent au peuple samnite une sanglante défaite ; les Campaniens, leurs alliés, se firent attribuer une partie des costumes et des armures abandonnés par les vaincus sur le champ de bataille, et rentrés chez eux ils en habillèrent des gladiateurs qui furent, pour cette raison, appelés samnites. Rome dut suivre cet exemple quelques années plus tard, c'est-à-dire vers le début du IIIe siècle, aussitôt qu'on y donna un munus (264 av. J.-C.). L'armure du fantassin samnite était pesante et magnifique ; elle comportait d'abord un scutum, ou bouclier long [Clipeus] ; la jambe gauche était protégée par une jambière en cuir [Ocrea, knêmis], peut-être garnie de métal ; sur la tête le samnite portait un casque [Galea], orné de plumes (pinnae) et d'un panache (crista) très élevé, qui grandissait sa taille et lui donnait un aspect imposant. Ces armes distinctives du soldat samnite furent attribuées au gladiateur ; il avait aussi l'épée [Gladius], quelquefois remplacée par une lance (hasta).



      La figure ci-dessus représente un bas-relief qui décore le tombeau de Scaurus à Pompéi ; on y peut observer plusieurs samnites, armés du bouclier long, de l'ocrea et du casque à panache. Il est très remarquable qu'il ne soit plus question de ces gladiateurs dans les écrivains postérieurs à Auguste. Ce fait, qui avait déjà frappé Juste Lipse, a été remis en lumière par M. Meier et il en a tiré des conclusions importantes. En réalité, l'arme des samnites n'a jamais été supprimée ; au moment même où leur nom disparaît, on en voit apparaître deux autres, ceux du secutor et de l'oplomachus ; d'où la conjecture très plausible que ces gladiateurs ne sont autres que des samnites, dont l'art s'est divisé en se perfectionnant. Ce qui a pu contribuer à faire abandonner l'ancienne appellation, c'est qu'on la considérait comme injurieuse pour une région de l'Italie contre laquelle Rome n'avait plus aucun motif de haine et qui lui donnait depuis longtemps de bons citoyens.

      Le secutor (sekoutôr) apparaît pour la première fois sous Caligula. C'est un samnite, dont la spécialité est de poursuivre le rétiaire ; de là son nom. Il a par conséquent les armes ordinaires du samnite, le grand casque, l'épée, le bouclier long et l'ocrea à la jambe gauche.



      Quelquefois le secutor a été désigné sous le nom de contraretiarius, qui se rencontre dans les inscriptions exprimé par la sigle RET.

      L'oplomachus (oplomachos) doit son nom au bouclier long (oplon) dont il se couvre ; ses armes étant celles du samnite, il ressemble au secutor ; mais son jeu est tout différent ; car il a en général pour adversaire un gladiateur de la catégorie des thraces, et l'escrime du thrace ne peut être comparée à celle du rétiaire.



      M. Meier pense même que le casque du secutor n'avait pas la même forme que celui de l'oplomachus ; ce dernier portait un casque très haut, orné d'aigrettes ou de plumes, et muni d'un rebord rabattu, qui en faisait entièrement le tour ; le casque du secutor devait être plus petit, plus bas et dépourvu de rebord ; autrement il aurait offert trop de prise au filet du rétiaire et le combat aurait été trop vite terminé. L'oplomachus apparaît, comme le secutor, au commencement de l'Empire ; il semble cependant qu'il soit de quelques années plus ancien.

    2. Le provocator (probokatôr) était déjà connu au temps de Cicéron ; son costume est déterminé par un monument du Musée du Capitole. Il porte les armes du samnite, le scutum et l'ocrea à la jambe gauche. Mais en quoi en diffère-t-il ? C'est ce que nous ne savons pas exactement ; on ne peut pas établir d'une façon certaine la véritable raison d'être de son nom. M. Meier a supposé que c'était un samnite, qui avait pour fonction propre de combattre les bêtes féroces dans les venationes ; mais il est difficile de l'admettre ; car le provocator à Rome est instruit dans le Ludus magnus et non, comme les bestiaires, dans le matutinus. Une inscription donne à la suite de son nom la sigle SPAT, qui doit se lire spat(arius). Aussi l'opinion la plus vraisemblable et la plus généralement admise est-elle que le provocator était armé de la spata ou spatha (spathê), épée plus longue que le gladius, et que c'était par là qu'il se distinguait des samnites.

    3. Le retiarius (rêtiarios)
      Il se reconnaît d'abord au filet, rete, jaculum, amphiblêstron linon, qu'il lance sur son adversaire pour l'envelopper ; il a encore pour l'attaque un trident, fascina, tridens (remplacé exceptionnellement par une lance dans une fresque de l'amphithéâtre de Pompéi, une épée ou un poignard. Il n'est pas douteux que l'équipement et la manoeuvre du pêcheur aient servi de modèle lorsqu'on organisa les premiers rétiaires. Longtemps auparavant on avait eu déjà chez les Grecs l'idée de ce genre de combat, mais d'une façon tout à fait exceptionnelle, et les rares exemples que nous fournit leur histoire ne peuvent pas être considérés, à proprement parler, comme ayant donné naissance à l'institution romaine.
      Les armes défensives du rétiaire sont celles des autres gladiateurs, le subligaculum, le ceinturon et le brassard, ou manica ; il est à remarquer seulement qu'il porte ce brassard, non sur le bras droit, mais sur le gauche, parce que la manoeuvre du filet l'obligeait sans doute à le découvrir davantage. Il y a dans son armure une pièce qui lui est tout à fait particulière ; c'est une sorte d'appendice en métal, fixé tout droit au-dessus de l'épaule gauche et montant assez haut pour pouvoir masquer complètement la tête ; on l'appelait le Galerus. Il était d'un grand secours pour le rétiaire, qui ne portait jamais de casque, et dont la tête n'était ceinte tout au plus que de courroies ou de bandes d'étoffes. Cependant le galerus n'était pas d'un usage constant ; on connaît des figures de rétiaires qui en sont dépourvues.

      On voit ici reproduit un galerus qui a été trouvé à Pompéi. La première figure de cette section montre comment cette pièce s'adaptait à l'épaule du gladiateur et comment elle pouvait le protéger. Le rétiaire était opposé soit au murmillo, soit, comme on l'a vu, au secutor. Sa tactique ordinaire consistait à maintenir autant que possible l'adversaire à distance et à le coiffer de loin avec son filet. Celui-ci se livrait à une manoeuvre absolument contraire ; ayant avantage à combattre de près à cause de la nature de ses armes, il cherchait sans cesse à en venir à un corps à corps. Au début de la lutte, le rétiaire tenait le trident de la main gauche, de la droite il lançait le filet ; mais s'il manquait son coup il ne pouvait songer à l'aller ramasser ; aussi l'avait-on pourvu d'une corde, enroulée autour du filet (spira), et dont une extrémité était attachée à son corps, peut-être à sa ceinture ; elle lui permettait, en cas d'insuccès, de tirer le filet jusqu'à lui pour recommencer sa manoeuvre.



      La figure ci-dessus représente, d'après une mosaïque de Rome, actuellement à Madrid, un secutor qui vient d'être enveloppé par le filet de son adversaire. Il est possible que cette arme ne fût pas en usage dans tous les combats où le rétiaire avait à paraître ; car elle est souvent absente sur les monuments figurés.


      Un bas-relief trouvé en Grèce nous offre l'image d'une scène tout à fait singulière : on y voit un rétiaire debout sur un échafaud (catasta), cherchant à repousser les attaques d'un secutor, placé au-dessous. Cette combinaison avait été imaginée sans doute pour donner à la foule le spectacle d'un assaut, dans lequel le combattant le plus légèrement armé avait pour lui la supériorité de la position. Le rétiaire semble avoir occupé dans la gladiature un rang tout à fait inférieur.

    4. Le thrace, thraex
      C'était un gladiateur auquel on avait attribué les armes du peuple thrace. Ce fut sans doute au temps de Sylla qu'il fit son apparition, lorsque les Romains eurent capturé des soldats de cette nation qui servaient dans les troupes de Mithridate ; le premier qui en parle est Cicéron. Le gladiateur appelé thrace porte un petit bouclier (parma, parmula), quelquefois rond, mais le plus souvent carré ; sur certains monuments il a la forme triangulaire. L'arme offensive du thrace est la sica, c'est-à-dire un sabre court à lame recourbée ; quelquefois au contraire la lame forme un coude vers le milieu de sa longueur. Le thrace a pour se garantir la manica au bras droit, le balteus et le subligaculum ; son casque affecte des formes assez diverses ; parfois c'est une simple calotte de métal pourvue d'un large rebord, mais sans visière ; d'autres fois au contraire le visage est complètement caché par une visière percée de trous, que surmonte un cimier très élevé. Enfin le thrace n'ayant pas, comme l'oplomachus et le secutor, un bouclier long, mais seulement une parma qui ne peut couvrir que sa poitrine, on lui a donné, non pas une ocrea, mais deux ; ces deux jambières sont un des signes auxquels on le reconnaît le plus sûrement ; souvent même les cuisses sont entourées de braies ou de fasciae, qu'on peut supposer en cuir, et qui ont pour effet d'amortir les coups que le bouclier n'arrête pas. La figure ci-jointe reproduit le bas-relief funéraire d'un thrace du temps de Trajan, M. Antonius Exochus ; on y retrouve, à peu de chose près, tous les détails qui viennent d'être décrits ; on remarquera notamment les deux jambières, la sica, et, en face, le casque à cimier.



      Sur la figure ci-dessus on voit deux Amours, qui, la sica à la main, se battent à la façon des thraces : les enfants chez les Romains jouaient au gladiateur, comme les nôtres jouent au soldat. Nous avons déjà dit que l'adversaire ordinaire du thrace, c'est l'oplomachus ; mais il peut être aussi opposé au murmillo. Les monuments nous montrent même qu'on mettait parfois aux prises deux thraces l'un avec l'autre, comme les deux Amours de cette figure. Enfin notons qu'on voit des thraces tenir, au lieu de la sica, une épée droite semblable à celle du samnite, et d'autres tenir une lance ; mais ce ne sont là que des exceptions.

    5. Le gaulois, gallus, aurait été, suivant quelques savants, introduit dans les jeux publics au temps de César, c'est-à-dire après la conquête de la Gaule ; mais on peut admettre avec M. Meier que l'origine de cette arme remonte plus haut ; elle est peut-être contemporaine des premières représentations de l'amphithéâtre; les Gaulois Cisalpins ont pu en fournir le type aux Etrusques, qui l'auront communiqué aux Campaniens, et par eux aux Romains. Toujours est-il qu'à la fin de la République on voit naître de cette arme une arme nouvelle, le murmillo (murmillôn), dont il est fréquemment question dans la suite. Cependant le gallus ne disparaît pas immédiatement et même dans un texte il est nommé à côté du murmillo ; de là une difficulté que nous ne sommes pas en état de résoudre. Le murmillo doit son nom à un poisson de mer, le morme (murma, mormuros, mormulos), dont il portait l'image sur son casque. Aussi s'explique-t-on aisément qu'il ait été opposé au rétiaire ; celui-ci, armé de son filet, est assimilé au pêcheur qui poursuit le poisson. Cependant après le Ier siècle il n'y a plus de témoignage d'une semblable lutte ; au contraire on voit encore le murmillo aux prises avec le thrace et avec le provocator. Peut-être aussi a-t-on fait combattre deux murmillones l'un contre l'autre. Il est certain que ce gladiateur portait l'armatura gallica, et notamment le scutum ; on ne peut pas douter non plus que le scutum murmillonicum, qui est cité dans un texte, fût distinct du scutum des samnites, puisqu'on lui avait donné un nom spécial. Mais ici s'arrêtent les renseignements positifs dont nous disposons et, somme toute, nous ne savons pas encore exactement en quoi consistait l'armure du murmillo. Les savants se sont partagés entre deux systèmes tout à fait opposés : les uns le rattachent aux armes pesantes, les autres aux armes légères. Tacite rapporte qu'en l'an 21 de notre ère, Sacrovir ayant soulevé contre les Romains le pays d'Autun, enrôla dans ses troupes « des esclaves destinés au métier de gladiateur, et que les Eduens appelaient cruppellarii ; une armure de fer (continuum ferri tegimen) les couvrait tout entiers suivant la coutume de cette nation (more gentico) et les rendait impénétrables aux coups, quoiqu'elle les gênât pour frapper eux-mêmes ». On invoqua aussi un passage où Ammien Marcellin établit un rapport entre les murmillones et les fantassins de l'armée parthe ; or on sait que les Parthes et d'autres nations de l'Orient faisaient usage d'une armure souple, composée d'écailles de fer qui couvraient entièrement le corps [Cataphracti] ; on peut même l'observer sur un bestiaire, dans un bas-relief trouvé à Rome. On a conclu de là que le murmillo et le cruppellarius étaient identiques. M. Meier est d'une opinion tout à fait contraire ; il récuse la valeur des témoignages que Juste Lipse avait allégués le premier ; pour lui le murmillo doit être assimilé au fantassin gaulois, qui, bien loin de se couvrir de fer, dédaignait, à l'exception du casque et du scutum, toutes les armes défensives en usage chez les Grecs et chez les Romains, telles que la cuirasse, les jambières, etc. Son bouclier même, quoique très long, devait être plus léger que celui du gladiateur samnite, étant fait, non de métal, mais de bois et de peau. Enfin M. Meier, suivant une indication d'Henzen, croit pouvoir reconnaître le type du murmillo dans une figure moulée sur une lampe en terre cuite :



      C'est le personnage que l'on voit ici représenté de face à côté d'un thrace ; il tient à la main un bouclier hexagonal tout à fait semblable à celui qui est généralement attribué aux Gaulois ; il est armé de l'épée et coiffé d'un casque de petites dimensions laissant le visage entièrement découvert ; on remarquera surtout qu'il ne porte point d'ocreae ; à part les fasciae qui entourent les chevilles, ses jambes sont entièrement nues. Ce serait là l'indice le plus sûr auquel on reconnaîtrait le murmillo.
      Tous les savants qui se sont occupés de la question ont négligé un bas-relief du musée de l'Ermitage, seul monument où la représentation du murmillo soit accompagnée de son titre. Il porte le subligaculum, le torse et les jambes sont nus, la main droite tient une épée ou une lance, l'objet posé sur la colonne paraît être un casque.

    6. Nous sommes encore plus mal renseignés sur le dimachaerus (dimachairos) ; d'après l'étymologie du mot, on doit supposer que ce gladiateur était armé de deux coutelas (machaira). On s'est trompé en croyant reconnaître son image sur quelques monuments.

    7. L'arme distinctive du veles était le javelot muni d'une courroie, la hasta amentata. Il devait offrir beaucoup de ressemblance avec les soldats des troupes légères appelés Velites.

    8. L'essedarius (essedarios) combattait du haut d'un char, à la manière des guerriers bretons ; il n'y a rien à ajouter à l'article spécial qui concerne cette catégorie de gladiateurs [Essedarius], si ce n'est qu'ils paraissent avoir été généralement opposés les uns aux autres deux par deux.

    9. L'eques (ippeus), ou gladiateur à cheval, a pour armes distinctives un casque à visière, une lance, un petit bouclier rond et un brassard sur le bras droit ; il est vêtu d'une tunique, et des fasciae protègent ses cuisses.


      Les equites se battaient entre eux. Ceux d'une même troupe formaient une turma.

    10. Le laquearius
      Il se rapproche du rétiaire ; comme lui il a la tête et les jambes nues ; comme lui il porte le galerus à l'épaule gauche. Son arme principale est un lazzo, qu'il lance sur l'adversaire de façon à l'étrangler et à le terrasser. Celui qu'on voit dans la figure ci-jointe tient en outre dans la main droite un bâton avec lequel sans doute ce gladiateur parait les coups qu'on lui portait.

    11. Sur le scissor nous ne savons absolument rien.

    12. L'andabata (andabatês) n'est mentionné dans aucune inscription. M. Meier conjecture que ce nom serait celui d'un peuple auquel on aurait emprunté une armure particulière. D'après les rares textes où il est question des andabatae on peut croire qu'ils portaient, comme les Cataphracti, une armure composée de mailles ou d'écailles de fer, qui couvrait la plus grande partie de leur corps et qu'ils combattaient les yeux bandés ou couverts par une visière sans trous. Il ne serait pas impossible que cette arme ait été supprimée à la fin de la République.

    13. Le sagittarius transperçait son adversaire à coups de flèches. Il avait pour défenses le ceinturon et le brassard. Il faut classer dans une catégorie tout à fait distincte des précédentes les paegniarii (paignion, jeu). Ils étaient pourvus d'armes qui ne pouvaient donner la mort. On les faisait paraître, en guise d'intermède, après la venatio, qui avait lieu le matin, et avant le combat de gladiateurs qui occupait la fin de la journée : de là le nom de ludus meridianus donné à cet intermède. Il est vraisemblable que la condition des paegniarii était assez différente de celle des combattants dont la vie était en jeu ; cependant ceux-ci les considéraient comme des camarades : ainsi à Rome il y avait des paegniarii dans la troupe impériale du Ludus magnus. C'est seulement à partir du temps de Caligula qu'il est question de leurs exercices. Cette partie du spectacle, destinée à reposer les sens de la foule entre deux tueries, pouvait avoir parfois un caractère plaisant, comme les scènes de comédie où l'on échange des coups de bâton. Les organisateurs s'attachaient sans doute à accentuer cette ressemblance : un jour Caligula imagina inopinément de donner pour adversaires aux paegniarii des pères de famille, gens honorables et connus, mais affligés de diverses infirmités physiques.



      La figure ci-dessus représente, d'après une mosaïque trouvée à Nennig (Prusse Rhénane), un groupe de deux paegniarii ; l'un tient un fouet, l'autre un bâton ; tous deux ont sur le bras gauche un bouclier cintré, qu'il faut supposer fixé par des courroies ; dans leur main gauche on voit un bâton recourbé du bout [Pedum] destiné à parer les coups. Il ne faut pas confondre les paegniarii avec les gladiateurs de la séance d'escrime (pugna lusoria), qui leur succédaient dans l'amphithéâtre ; ceux-ci en effet avaient des armes de bois, ou des armes émoussées, mais en tout semblables à celles des combats à mort, et leur jeu par conséquent était de tous points conforme aux règles propres de chaque spécialité.

    Il fallait assurément beaucoup d'exercice aux gladiateurs de ces diverses catégories pour exceller dans leur art ; cependant on vit quelquefois un même homme se distinguer dans plusieurs armes : Martial cite un gladiateur qui se rendit également redoutable comme samnite, comme rétiaire et comme vélite ; il était du reste omnibus eruditus armis ; on en connaît un autre qui fut à la fois dimachaerus et essedarius. Notons aussi que les gladiateurs de toutes les catégories pouvaient être employés avec leurs armes et leur costume ordinaire dans les combats contre les animaux féroces [Venatio], quoique ce fût plus particulièrement l'office des Bestiarii et des Venatores ; aussi les voit-on figurer assez souvent sur des monuments qui se rapportent à ce genre de spectacles. Naturellement le nombre des armes représentées dans un seul munus était proportionné à sa richesse et à son importance. Quelques listes de troupes, conservées sur la pierre, nous offrent des exemples intéressants ; un de ces documents, trouvé à Venouse, donne le résultat d'un munus où parurent des gladiateurs appartenant à onze armes différentes. Les armes qui dominent dans nos listes sont celles du thrace, du murmillo et de l'essedarius ; aussi peut-on s'étonner que nous soyons encore si mal renseignés sur la seconde et qu'il ne subsiste de la dernière aucun monument figuré. Lorsqu'une troupe était considérable, elle pouvait comprendre plusieurs sections (lacinia) ; il est probable qu'en pareil cas plusieurs armes étaient représentées dans chacune d'elles.

  11. Les grades

    Tout gladiateur qui n'a pas encore joué sa vie en public dans l'amphithéâtre est un simple conscrit, tiro ; s'il meurt à son premier combat, il meurt tiro, ce qui s'indique dans les inscriptions par la sigle T, ajoutée à son nom. Si au contraire il sort vivant de l'épreuve, il devient par le fait même veteranus, soit qu'il ait été vainqueur, soit qu'on l'ait gracié. On voit aussi des gladiateurs qui portent le titre de primus palus (protos palos) et de secundus palus (deuteros palos) ; il a été évidemment formé par analogie avec celui de primus pilus en usage dans l'armée, et il rappelle le poteau sur lequel on s'exerçait à l'escrime ; il devait désigner un instructeur qui, de temps en temps remplissait l'office de ce poteau, en faisant tirer les conscrits sur sa poitrine. Les pali devaient donc être des vétérans gradés, ayant une certaine autorité sur leurs camarades, et placés eux-mêmes sous la direction du doctor ; cependant ils étaient toujours en activité de service et comme tels pouvaient encore combattre dans l'arène ; on connaît un primus palus, qui est mort à vingt-deux ans, un autre à vingt-sept. Il est à présumer qu'il y avait dans chaque école et pour chaque arme un palus primus et un secundus ; Commode au Ludus magnus se faisait appeler primus palus secutorum, et il était très fier de ce titre.

    Les gladiateurs dits prima ou summa rudis, et secunda rudis, devaient être au contraire des retraités qui avaient mérité l'épée de bois, signe du congé définitif ; c'étaient par conséquent des rudiarii remarquables par leur force et leur adresse, et qu'on engageait dans l'école moyennant salaire pour y servir d'instructeurs ; nous avons conservé l'épitaphe d'un gladiateur summa rudis, mort à soixante ans. Ces gradés devaient assister le doctor ; peut-être pouvaient-ils devenir doctores à leur tour au bout d'un certain temps de service.

    Mais voici une question qui est encore pour nous remplie d'obscurité, bien qu'elle ait donné lieu à un grand nombre d'études érudites. On possède dans divers musées de petits parallélipipèdes en os ou en ivoire, généralement percés d'un trou à une de leurs extrémités, et portant une inscription sur chacune de leurs faces, quelquefois sur trois faces seulement. On y lit un nom d'homme, le plus souvent un nom d'esclave, suivi une date, indiquée d'ordinaire par le jour, le mois et l'année.



    Le bâtonnet, que représente la figure ci-dessus est le plus ancien de tous ceux de cette série qui portent une date certaine ; il est de l'an 93 av. J.-C. L'inscription doit se lire : s(ervus), spectavit, C. Val(erio), M. Her(ennio consulibus).



    Sur cet autre bâtonnet, qui est au contraire un des plus récents (74 ap. J.-C.), on lit : Maximus, Valeri(i) (servus), sp(ectavit) id(ibus) jan(uariis), T(ito) Caes(are), Aug(usti) f(ilio) tertium, (Ti. Plautio) Aelian(o) secundum (consulibus). En 1864, Ritschl avait publié une étude d'ensemble sur ces petits objets ; depuis (1877-1890), ils ont fourni matière à une discussion qui a eu au moins l'avantage de préciser quelques points douteux. Les résultats qu'on peut considérer comme acquis sont les suivants. D'abord tout le monde admet aujourd'hui que ces objets ont un rapport avec l'amphithéâtre et que les noms qui y sont gravés sont bien des noms de gladiateurs : on les appelle d'un commun accord tesserae gladiatoriae. Ces tessères ont été faites pour être suspendues ; les plus anciennes datent du temps de Sylla ; quelques-unes, qui ne portent pas de date, peuvent remonter jusqu'à l'an 105, où P. Rutilius Rufus donna un nouvel essor à l'art de la gladiature ; aucune n'est postérieure à Domitien. Parmi les esclaves dont les noms y sont gravés, il n'y en a pas un seul qui appartienne à une troupe impériale. On connaît actuellement une centaine de tessères ; presque toutes proviennent de l'Italie, notamment de Rome et de Capoue. Enfin Ritschl avait douté de la lecture spectavit ; il lisait sp(ectatus) en se fondant sur un vers bien connu d'Horace, et il admettait que chaque tessère avait été remise au gladiateur en même temps que la rudis ; or la lecture spectavit est aujourd'hui confirmée par six exemplaires où ce mot est gravé en toutes lettres, et dont l'authenticité ne peut faire aucun doute. Mais alors à quoi ont servi les tesserae gladiatoriae, quel sens faut-il donner à l'inscription gravée à la surface de chacune d'elles ? Qu'il nous suffise d'indiquer les principales hypothèses.

    1. Le gladiateur nommé sur la tessère serait un rudiarius, qui le jour de sa libération aurait été admis à prendre place sur les gradins de l'amphithéâtre parmi les spectateurs ;
    2. Il aurait eu dans l'école le droit de surveiller et d'examiner (spectare) les recrues ; il aurait porté sur lui, comme un insigne de son pouvoir et comme un souvenir d'une date importante de sa vie, la tessère inscrite à son nom.
    3. La tessère rappellerait la date d'un examen ; le nom qu'on y lit serait celui de l'examinateur, du doctor qui avait délivré la tessère ; mais celle-ci aurait été portée par l'examiné, et non par le doctor.

    Quelles que soient les objections que l'on peut encore opposer à ces hypothèses, il est difficile de ne pas admettre au moins que le gladiateur, qui spectavit, occupe un rang plus élevé que ses camarades ; car dans une liste de l'an 177 nous trouvons huit tirones, onze veterani, et deux personnages dont le nom est suivi de la sigle SP ; il n'est guère douteux qu'il faut lire sp(ectator). Les gladiateurs de cette liste appartiennent au Ludus magnus ; ainsi le spectator, si souvent nommé sur les tessères des troupes privées, aurait eu aussi son emploi dans les troupes impériales, au moins à partir du temps de Domitien, c'est-à-dire depuis le moment où il cessa d'y avoir des troupes privées dans la ville de Rome ; mais nous sommes hors d'état de décider quel est le rapport qui unit le spectator aux gradés de la gladiature, ni même s'il y a entre eux un rapport. Enfin dans la liste de l'an 177, quelques noms sont suivis de la sigle N, et une tessère d'Arles porte, après un nom de gladiateur, SPECTAT NM. M. Mommsen a proposé, sous toutes réserves, de lire spectat(or) num(erator) ; le second titre s'appliquerait à un contrôleur ou à un trésorier. L'ensemble des gradés du Ludus magnus est appelé pompeusement dans une inscription ordo potestatium.

  12. Collèges, cultes, superstitions

    Les gladiateurs d'une même école ne se considèrent pas nécessairement entre eux comme des ennemis. Les membres d'une même arme, qui sont plus rarement exposés à s'ôter mutuellement la vie dans l'amphithéâtre, se traitent de camarades (coarmius) ; lorsque l'un d'eux vient à mourir, ils lui élèvent un tombeau. Quelquefois ces liens fraternels rapprochent des compagnons ou des voisins de cellules (sugkellarios), même des gladiateurs d'armes différentes ; on voit un murmillo rendre les honneurs funèbres à la mémoire d'un rétiaire, son commensal (convictor). C'est que ces malheureux, mis au ban de la société, sont étroitement unis par un intérêt commun, dont elle n'a cure : aucun citoyen honorable ne leur accorderait une place dans son tombeau de famille. Il est vrai que certains propriétaires de troupes, après un munus, font ensevelir dans un même monument les victimes de la journée ; mais ceux-là songent beaucoup plus à perpétuer le souvenir de leurs largesses qu'à honorer leurs morts, et il est sage de ne pas compter sur tant de libéralité. Aussi voit-on des gladiateurs s'entendre entre eux pour assurer d'avance leur propre sépulture. On sait qu'en général cette idée a préoccupé au plus haut point les classes pauvres chez les Romains et que de là sont sortis les collèges funéraires que l'on voit pulluler au temps de l'Empire ; plus que personne les gladiateurs, dont la vie était exposée à un danger perpétuel, devaient avoir le souci de leur destinée future. Ils formèrent donc, eux aussi, des associations funéraires : une cotisation versée chaque mois leur donnait droit à une place dans un tombeau commun. Tel était, par exemple, un collège qui s'était fondé à Rome, au temps de Commode, sous la protection du dieu Silvain ; il se composait de trente-quatre membres, presque tous gladiateurs de la troupe impériale, appartenant à différentes armes ; ils étaient présidés par deux curatores, et divisés en quatre décuries ; les vétérans étaient inscrits dans la première.

    Mars était par excellence le dieu des gladiateurs ; c'était à lui que l'on consacrait les amphithéâtres ; c'était à lui que les editores adressaient leurs actions de grâces, lorsque le munus célébré sous leur présidence avait satisfait le public. Il est naturel que les gladiateurs aient eu la même dévotion pour Bellone et comme leurs combats furent quelquefois donnés en spectacle aux Quinquatrus, à l'occasion des fêtes de Minerve, on doit supposer que cette divinité recevait aussi leurs hommages, comme ayant dans ses attributions l'art de la guerre. Enfin ils honoraient Hercule, l'Hercules victor ou invictus, patron des exercices militaires ; c'était dans son temple qu'ils allaient suspendre leurs armes en guise d'ex-voto lorsqu'ils prenaient leur retraite. Le culte que nous les voyons rendre à Silvain s'explique par la parenté qui en Italie unissait ce dieu à Hercule.

    Les gladiateurs jouaient un certain rôle dans les superstitions populaires ; ainsi on croyait qu'un épileptique pouvait guérir de son mal, s'il buvait le sang encore chaud d'un gladiateur tué en combattant ; cette idée est repoussée avec horreur par plusieurs écrivains, notamment par Pline l'Ancien ; cependant il cite des ouvrages grecs, plus ou moins mêlés de fausse science, où l'on en pouvait trouver la justification. On croyait aussi qu'on obtenait le même effet salutaire en absorbant quelques morceaux du foie d'un de ces misérables. L'arme avec laquelle il avait été égorgé passait pour avoir une vertu magique ; on sait que les mariées devaient, le jour de leur noce, faire diviser leur chevelure avec la hasta coelibaris ; si ce trait avait été retiré du corps d'un gladiateur mortellement frappé, c'était un gage de bonheur assuré pour la jeune femme. L'image même d'un gladiateur était un préservatif contre le mauvais oeil [Fascinum]. Il faut se rappeler que les gladiateurs étaient infames, et qu'il y avait parmi eux des criminels ; ils périssaient de mort violente et, comme les suicidés, ils étaient ensevelis à part ; toutes les superstitions dont ils étaient l'objet semblent avoir été inspirées par ce sentiment mystérieux, mais encore vivant aujourd'hui, qui porte les gens du peuple à rechercher la corde de pendu pour s'en faire un talisman.

  13. L'amphithéâtre

    L'amphithéâtre est, depuis la fin de la République, le lieu ordinaire des combats de gladiateurs [Amphitheatrum] ; mais même à l'époque impériale on en a souvent offert au public dans des villes qui ne possédaient pas d'amphithéâtre en pierre ; une inscription du temps d'Antonin le Pieux parle d'une enceinte en bois (saepta lignea), construite pour un munus annuel dans une ville de l'Italie du Nord. Dans la ville de Rome c'était sur la place publique qu'avaient été donnés les premiers munera ; même après que l'amphithéâtre de Taurus et le Colisée eurent été construits, on revint dans certains cas à l'ancienne tradition, surtout lorsque l'arène de ces monuments, si vaste qu'elle fût, paraissait encore trop étroite ; ainsi jusque sous l'Empire il est arrivé qu'on fît combattre des gladiateurs dans le Cirque, au Forum, dans le Stade, ou dans l'enceinte des comices (saepta iulia) au Champ de Mars. C'est, à plus forte raison, ce qui a dû se passer souvent dans les villes moins peuplées et moins riches. Les inscriptions gravées à l'intérieur des amphithéâtres, notamment celles du Colisée, nous font connaître avec beaucoup de précision l'ordre dans lequel les différentes classes de la société étaient rangées sur les gradins. Les lois qui réglaient la distribution des places devaient établir une certaine distinction entre les munera et les ludi, puisque l'amphithéâtre n'avait point d'orchestre comme le théâtre, et qu'il avait des cunei qui manquaient au cirque. Cependant l'ordre des préséances dans les trois catégories d'édifices semble avoir été déterminé en même temps par les mêmes mesures législatives. Nous renvoyons donc à l'article Ludi tout ce que nous aurions à dire ici sur cette matière. Nous ne parlerons pas davantage des jetons d'entrée, ni du costume que l'on exigeait des spectateurs, ni des repas et des cadeaux qu'on leur offrait dans l'amphithéâtre ; les renseignements que nous pourrions réunir sur ces divers sujets s'appliquant également aux autres spectacles publics de l'époque romaine, nous renvoyons aux articles Ludi, Missile, Sparsio, Tessera.

  14. Le personnel de service (ministri, officiales)

    L'amphithéâtre était placé sous la surveillance d'un intendant (villicus), qui devait être chargé surtout du nettoyage et de l'entretien. L'amphithéâtre de Statilius Taurus, à Rome, était confié aux soins d'un gardien (custos), d'un sous-gardien (custos vicarius) et d'un portier (ostiarius), qui, longtemps après la mort du fondateur, étaient toujours choisis, en vertu d'un privilège héréditaire, parmi les affranchis et les esclaves de la famille Statilia. Les jours de spectacle, il est probable qu'il y avait au milieu de la foule, comme au théâtre, des huissiers (dissignatores) pour faire placer les spectateurs, et des licteurs pour maintenir l'ordre [Theatrum]. Dans l'arène se tenaient des agents de diverses catégories, auxquels semble convenir tout particulièrement le nom d'harenarii. Tels étaient par exemple ceux qui renouvelaient le sable, lorsqu'il avait été souillé de sang ; il paraît que cet emploi était parfois attribué à des nègres. Il y avait des hérauts (praecones) pour proclamer les noms des gladiateurs ;


    d'autres, comme le montre la figure ci-jointe, portaient des écriteaux, sur lesquels ces noms était inscrits en grosses lettres. On postait aussi dans l'arène des gens armés, qui avaient pour consigne d'exciter les récalcitrants et les lâches ; ils pouvaient se servir de l'épée, du fouet, des verges ou du fer rouge.



    Sur la mosaïque Borghèse, trouvée près de Tusculum, on voit au fond un personnage dans lequel il faut peut-être voir un lorarius ; comme d'autres sur le même monument, il a les cheveux longs, son costume se réduit à un ceinturon [Balteus] et à un manteau jeté sur le bras gauche ; il tient un fouet dans la main droite. Enfin il faut joindre à ce personnel les serviteurs qui enlevaient les blessés, donnaient le coup de grâce aux mourants et ensevelissaient les morts.

  15. Le programme (edictum)

    Lorsqu'un combat de gladiateurs allait avoir lieu, l'organisateur faisait tracer le programme sur les murs des maisons et des édifices publics, et même sur les tombeaux qui bordaient les grandes routes. Un grand nombre de programmes tracés au pinceau sur les murs de Pompéi sont parvenus jusqu'à nous. Voici les indications qu'on y trouve :

    1. Occasion du munus, pro salute domus Augustae, ob dedicationem aras, etc. ;
    2. Nom de l'editor, magistrat ou autre ;
    3. Nombre des paires de gladiateurs engagées ;
    4. Nom de la ville où doit être donné le spectacle ; ainsi à Pompéi on annonce expressément qu'il sera donné à Pompéi, ce qui prouve que le programme du même spectacle pouvait être publié à la fois dans plusieurs villes voisines ;
    5. Date des journées que remplira le munus ;
    6. Plaisirs variés qui l'accompagneront, venatio, sparsio, etc. Quelquefois on y a joint des acclamations, ou des indications complémentaires : vela erunt, on tendra des toiles pour abriter du soleil ; sine ulla dilatione, sans aucun délai ; qua dies patientur, quand le temps le permettra, etc... ; un munus est même appelé totius orbis desiderium.

    Mais aucun programme ne contient autant d'indications à la fois ; en général ils sont plus simples.



    Celui que l'on voit ici reproduit annonce un munus que doit offrir un édile le 31 mai : A(uli) Suetti(i) Certi aedilis familia gladiatoria pugnabit Pompeis pr(idie) k(alendas) Junias. Venatio et vela erunt. Il est douteux que les programmes peints sur les murs aient jamais donné une liste complète de la troupe ; tout au plus annonçaient-ils par leur nom des sujets de choix. L'editor faisait encore écrire son programme par des copistes sur des feuilles volantes, qui étaient répandues à un grand nombre d'exemplaires. Le libellus munerarius se vendait dans les rues et on le consultait pendant le spectacle. L'index qu'il portait à la connaissance du public contenait probablement tous les noms des gladiateurs de la troupe, avec leurs états de service.

  16. Cena libera

    La veille du combat, on offrait aux gladiateurs, qui devaient y prendre part, un repas copieux, la cena libera ; le public était admis à venir les voir manger. La bouillie ordinaire n'était pas oubliée ; mais lorsque l'editor tenait à sa popularité il avait soin que la table fût couverte de mets plus délicats ; c'était pour le forcer à faire largement les choses qu'on servait le repas en public. On voyait alors les malheureux convives s'abandonner sans retenue au plaisir de la bonne chère. Mais on en voyait aussi, dit Plutarque, qui, à cette heure solennelle, songeaient beaucoup plus à prendre leurs dernières dispositions : ils recommandaient leurs femmes à leurs amis, et quelquefois ceux d'entre eux qui étaient de condition libre affranchissaient leurs esclaves.

  17. Le combat



    1. Le défilé (pompa, diexodos). Le jour du combat, presque toujours dans l'après-midi, la troupe ou section de troupe désignée se rendait à l'amphithéâtre et elle y faisait son entrée en grande pompe. On admet en général que le bas-relief reproduit dans la figure ci-dessus, s'il ne représente pas précisément ce défilé, peut du moins en donner une idée. Le personnage du milieu semble être l'editor lui-même ; immédiatement devant lui marchent deux huissiers, dont l'un tient un écriteau, et l'autre une palme réservée au vainqueur. L'editor est suivi de deux serviteurs portant des armes ; c'est sur ce détail qu'on peut se fonder pour rapporter cette scène à la gladiature ; le reste ne diffère en rien des défilés usités dans les autres jeux. Pline l'Ancien parle de gladiateurs qu'on transportait dans des voitures magnifiquement ornées ; mais peut-être ce témoignage s'applique-t-il au trajet qu'ils avaient à faire de l'école à l'amphithéâtre. Ils arrivaient dans l'arène parés de riches vêtements (pompaliter ornati), tels que des chlamydes teintes de pourpre et brodées d'or.

    2. Le combat était souvent précédé d'une séance d'escrime (prolusio) donnée en public dans l'arène ; les gladiateurs y répétaient leurs exercices en se servant d'armes inoffensives (arma lusoria). Cette partie du spectacle, où on les voyait déployer toute leur ardeur sans péril pour leur vie (ventilare) leur permettait de s'entraîner, ou, comme ils disaient, de s'échauffer (calefieri). C'était aussi pour les amateurs une occasion de descendre dans l'arène et de donner à la foule une idée de leur talent. Ainsi Titus fit assaut en public à Réate, sa ville natale, contre un personnage nommé Allienus, qui est peut-être un des consuls de l'an 69. Commode voulut aussi que le peuple fût témoin de ses succès ; on le vit dans l'amphithéâtre se mesurer avec plusieurs adversaires, qu'il battit « naturellement », suivant le mot de Dion, les uns après les autres, tandis que la cour le saluait d'acclamations de commande. A ses côtés se tenaient le grand camérier et le préfet du prétoire ; aussitôt vainqueur, il les embrassait sans ôter son casque. On lui payait chaque jour pour sa peine 250 000 drachmes (263 500 fr.)

    3. Le moment du combat venu, on apportait les armes tranchantes avec lesquelles les gladiateurs devaient s'entretuer (arma pugnatoria, decretoria). On les soumettait à l'examen de l'editor, pour qu'il s'assurât de ses propres yeux qu'elles répondaient bien aux conditions réglementaires et qu'aucun des combattants n'avait cherché à échapper à la mort par des moyens frauduleux (probatio armorum). Drusus, fils de Tibère, s'acquittait, paraît-il, de son office avec une rigueur particulière, si bien qu'on avait attaché son nom à une sorte d'épée extrêmement redoutable. Domitien semble avoir établi de nouveaux règlements pour éclairer les présidents de munera sur cette partie de leurs devoirs. Marc-Aurèle ne donna jamais aux gladiateurs, dans la ville de Rome, que des armes émoussées (gladii hebetes, opla amblea), ou mouchetées (arma praepilata, esphairômena), c'est-à-dire qu'il réduisit le spectacle à une simple séance d'escrime ; mais il est impossible, surtout depuis la découverte de la lex Italicensis, de voir là une mesure d'ordre général ; car elle ne serait revenue à rien moins qu'à supprimer l'institution même de la gladiature ; ceci ne peut s'entendre que des munera que Marc-Aurèle donna en son propre nom, auxquels il présida en personne, et ils durent être fort rares. Les armes des gladiateurs étaient quelquefois d'une grande richesse ; on peut voir par les spécimens découverts à Pompéi ce que l'art avait su en faire.

      Souvent à la beauté de la décoration s'ajoutait le prix de la matière : Jules César équipa ses gladiateurs avec des armes d'argent ; ce fut de son temps une nouveauté ; mais on l'imita bientôt jusque dans les municipes. Après la mort de Commode, Pertinax fit vendre, parmi les objets provenant de sa succession, des armes de gladiateurs (arma gladiatoria), ornées d'or et de pierreries. Les casques étaient souvent ornés de plumes de paon ou d'autruche. Le vêtement de combat était nécessairement beaucoup moins ample que le vêtement de parade qui avait servi pour le défilé. On a même vu que la plupart du temps les gladiateurs n'en portaient aucun sous leurs armes ; cependant ils avaient parfois une tunique et des chaussures et, s'ils étaient equites, une chlamyde ; Juvénal parle d'une tunique de rétiaire brodée d'or. Les peintures et les mosaïques peuvent nous donner une idée du brillant effet que produisait la variété des couleurs dans le costume des gladiateurs et des gens de service.

      Les combattants étaient appariés par la voie du sort ; d'après ce qui se passait au cirque, on peut conjecturer que le tirage avait lieu en public dans l'amphithéâtre et que par conséquent ses résultats ne devaient pas figurer sur le programme ; c'était en effet une opération trop grave pour qu'elle ne fût pas exécutée au grand jour, sous les yeux de la foule ; comme la probatio armorum, elle avait pour but d'empêcher toute supercherie, toute combinaison concertée d'avance entre les acteurs de ces terribles drames ; il est vraisemblable que l'editor y procédait lui-même ostensiblement et que les noms des gladiateurs dont se composait chaque paire (par, zeugos) étaient proclamés au fur et à mesure par un crieur et inscrits sur une nouvelle liste ou sur un écriteau qu'on portait dans l'arène.

    4. Le son des instruments donnait le signal de la lutte ; il est probable qu'ils continuaient à jouer pendant toute la durée du spectacle. Voici ceux que nous font connaître les textes et les monuments figurés :

      • la trompette droite [Tuba] ;
      • le Lituus ou trompette à bout recourbé ;
      • le cor [Cornu] ; un cor de gladiateur trouvé à Pompéi n'a pas moins de 1m 20 de diamètre ;
      • la flûte [Tibia] ;
      • l'orgue [Hydraulus] est représenté sur plusieurs monuments où sont figurées des scènes de la gladiature ;



      • il semble aussi que l'on faisait entendre des chansons martiales et plaisantes, qui devaient s'accommoder aux airs joués par les instruments.


    5. Après un salut adressé à l'editor, les gladiateurs engageaient la lutte, paire par paire, assistés et encouragés par les doctores, présents à côté d'eux dans l'arène. La foule suivait les péripéties du combat avec une curiosité passionnée ; elle excitait les poltrons et appelait contre eux toutes les rigueurs des lorarii, en criant : Jugula, verbera, ure !. Comme au cirque, des paris (sponsio), s'engageaient entre les spectateurs. Quand un gladiateur avait été touché (deceptus) on entendait retentir de toutes parts les mots Habet, hoc habet ! il en a ! Dans le résultat final il faut distinguer plusieurs cas :

      • L'un des deux adversaires, frappé à mort, expirait sur-le-champ.

      • L'un des deux adversaires, mis en état d'infériorité manifeste, se voyait obligé de s'avouer vaincu. Souvent de valeureux champions, même grièvement blessés, refusaient d'en venir à cette extrémité et préféraient recevoir debout le coup mortel, en combattant jusqu'à leur dernier souffle. Ou bien, avant même que le combat commençât, l'editor avait pu décider qu'aucun des vaincus ne sortirait vivant de l'amphithéâtre : c'était un munus sine missione. Un jour que Domitius, grand-père de Néron, avait donné un spectacle de ce genre, où on avait égorgé un grand nombre d'hommes, Auguste révolté publia un édit pour supprimer à tout jamais cette coutume barbare. Mais il est évident qu'aux yeux de la foule un combat était d'autant plus brillant qu'il était plus meurtrier ; c'est que l'editor étant le propriétaire de ses hommes, plus il en épargne et plus il s'expose au reproche de vouloir faire des économies ; il en est de même, si, au lieu de les avoir achetés, il les a loués, sous condition de payer un surplus pour chaque homme tué. Son amour-propre et sa bourse ont donc deis intérêts opposés, et il est clair que bien souvent c'est son amour-propre qui l'emporte. Aussi l'édit d'Auguste dut-il être souvent violé, si même il lui survécut : en 249, un magistrat de Minturne se vante d'avoir, dans un spectacle donné à ses frais, fait tuer tous les vaincus, tous des premiers sujets (primores) de la Campanie. Il pouvait arriver aussi que le vainqueur ne laissât pas à son adversaire le temps de songer à son salut ; surtout s'il avait contre lui quelque motif d'animosité, il le blessait mortellement à la première occasion ; un gladiateur mentionné par une inscription se montra, paraît-il, plus généreux, et il eut à s'en repentir, car il fut, dans un combat postérieur, tué de la propre main de celui qu'il avait épargné ; son épitaphe lui fait dire : « Gardez-vous d'épargner un adversaire vaincu ». Mais en général l'humanité ne perdait pas absolument ses droits ; le gladiateur qui se sentait incapable de prolonger la lutte déposait ses armes (arma submittere), se couchait à terre (decumbere) et levait en signe de soumission la main gauche, ou un doigt de cette main (manum tollere), qui jusque-là avait tenu le bouclier ; par le même geste il demandait qu'on lui accordât la vie (mittere, apheinai).



        A partir de ce moment, il lui était interdit, quelle que fût la décision du public, de faire un mouvement pour reprendre l'avantage, s'il en trouvait le moyen : une pareille tentative était considérée comme une trahison déshonorante, même pour les assistants qui n'auraient pas su l'empêcher. Le droit de grâce (missio) appartenait à l'editor, et, autant qu'il semble, à lui seul ; aussi en réalité ne dit-on pas qu'il fait tuer les vaincus, mais qu'il les tue (occidit), le vainqueur n'étant que l'instrument de sa volonté ; cependant il est probable qu'en général il se conformait au désir exprimé par la foule. Si l'empereur entrait dans sa tribune au moment où le sort d'un vaincu était en suspens, celui-ci avait la vie sauve par le fait même. Les spectateurs qui souhaitaient qu'on accordât la grâce levaient un doigt en l'air, ou bien ils agitaient une pièce d'étoffe (mappa), en criant Missum ! Leur geste, répété par l'editor, donnait au vaincu le droit de sortir aussitôt de l'arène. Si au contraire sa prière était repoussée, les spectateurs, et après eux l'editor, baissaient le pouce vers la terre (vertere pollicem), en criant : Jugula ! Dès lors il n'avait plus qu'à tendre la gorge pour recevoir le coup mortel (ferrum recipere) de la main du vainqueur.

      • Mais un autre cas pouvait encore se présenter ; c'était celui où les deux adversaires, étant d'égale force, ne pouvaient, après plusieurs reprises, venir à bout l'un de l'autre ; en ce cas le public, soit qu'il partageât leur lassitude, soit qu'il les unît dans un même sentiment d'admiration, demandait qu'ils fussent graciés tous les deux. On disait alors qu'ils étaient stantes missi, ce qui signifiait qu'au moment où ils avaient obtenu la vie ils étaient encore debout dans l'attitude du combat, stantes in gradu, et non étendus à terre comme le gladiateur qui s'avoue vaincu. Tel est le cas de Xantus et d'Eros que l'on voit représentés sur la figure suivante. Quoique inférieur au titre de vainqueur, celui de stans missus était encore très honorable, les gladiateurs s'en paraient volontiers.

      • Enfin, même si un gladiateur était sorti vivant de l'épreuve, il se pouvait que tout ne fût pas encore fini pour lui. Quelquefois lorsqu'on appariait les gladiateurs, on en désignait par la voie du sort un certain nombre qui, provisoirement, ne faisaient partie d'aucune paire ; ceux-là formaient un groupe distinct ; on les réservait pour prendre la place des vaincus, tués ou graciés dans un premier combat ; de là leur nom de suppositicii (ephedroi) ; on les appelait encore tertiarii, parce que chacun d'eux venait s'ajouter comme troisième à l'une des paires de la liste. Ainsi lorsqu'un gladiateur avait vaincu un premier adversaire, il pouvait fort bien être obligé de défendre sa vie à nouveau contre un suppositicius, qui se présentait tout frais au combat. Dans quel cas et sous quelles conditions lui imposait-on cette seconde épreuve ? C'est ce que nous ne savons pas ; mais il est difficile de croire qu'on laissât au hasard le soin d'en décider ; il est plus vraisemblable qu'on n'opposait aux suppositicii que des hommes souillés des crimes les plus abominables, ou connus pour être doués d'une force exceptionnelle. On a reproché vivement à Caracalla, comme un trait de cruauté, d'avoir forcé un gladiateur à combattre trois fois de suite dans la même journée ; c'était un champion célèbre ; il n'en fut pas moins tué au troisième combat.

      Tous les gladiateurs inscrits au programme s'appelaient ordinarii. Parfois le public trouvait que le combat finissait trop tôt ; et en effet, bien que la durée en eût été calculée d'avance d'après le nombre des hommes engagés, elle pouvait tromper toutes les prévisions. Alors les spectateurs demandaient que, pour occuper le reste de la journée, on fît venir un nombre proportionnel de gladiateurs supplémentaires ; on les appelait postulaticii. Les empereurs n'étaient jamais à court, lorsqu'il s'agissait de faire face à ces exigences ; ils avaient toujours à leur disposition, et à peu de distance, des écoles toutes pleines. Les editores de spectacles plus modestes pouvaient être plus embarrassés ; mais en général ils s'arrangeaient d'avance pour tenir en réserve quelques paires de postulaticii, qui ne figuraient pas sur le programme et qui ne paraissaient dans l'arène qu'en cas de nécessité. Quelquefois, au lieu de combats singuliers, on donnait dans l'arène des combats, où deux troupes égales en nombre étaient opposées l'une à l'autre ; on disait alors que les gladiateurs étaient mis aux prises gregatim (antitaxis kata plêthos) ; ainsi, sous Caligula, cinq rétiaires se mesurèrent simultanément avec cinq secutores.
      Les deux thraces que représente la figure ci-jointe semblent, d'après la manière dont ils sont groupés, avoir pris part à un combat de ce genre. Quand les deux troupes ne comptaient qu'un petit nombre d'hommes, l'action s'engageait, suivant l'usage, dans l'amphithéâtre ; mais il y eut aussi des fêtes d'une splendeur exceptionnelle, où cet édifice, si vaste qu'il fût, ne pouvait suffire à contenir tous les combattants qui devaient paraître à la fois. Les auteurs parlent d'un munus donné par César, dans lequel on vit s'entre-choquer cinq cents fantassins, trois cents cavaliers et vingt éléphants portant des tours remplies d'hommes armés ; une autre fois les deux troupes en présence comprenaient jusqu'à sept cents gladiateurs de chaque côté ; Claude fit représenter par de grandes masses de prisonniers le siège et la prise d'une ville de la Grande-Bretagne.
      En pareil cas la consummatio gladiatorum avait lieu soit au cirque, soit dans un champ clos choisi pour la circonstance dans quelque vaste espace découvert. Lorsqu'un gladiateur avait succombé, des serviteurs, portant le costume et les attributs de Charon ou de Mercure Psychopompe, venaient chercher son corps ; ils s'assuraient, en le touchant avec un fer rouge, qu'il ne simulait pas la mort pour préparer une évasion ; puis ils le plaçaient sur une civière. Il y avait toujours tout prêt pour cet usage un matériel funèbre (libitina, tori libitinae) ; à un munus donné par Néron toutes les civières étaient ornées d'ambre ; d'autres fois on faisait traîner les cadavres par un croc [Uncus], fixé à une corde que tirait un cheval. Le cortège passait sous une porte spéciale qu'on appelait la porte de Libitina, et il déposait son fardeau dans le spoliarium. Si par hasard le gladiateur avait donné encore quelque signe de vie, on avait soin de l'achever. Puis on mettait les cadavres en terre sans honneurs, à moins qu'ils ne fussent réclamés par la famille, par un collège funéraire, par un propriétaire de troupe, ou même par un ami ou un admirateur (amator), qui se chargeait de leur donner la sépulture. Les vaincus graciés sortaient de l'amphithéâtre par une porte que le peuple appelait sanavivaria.


  18. Récompenses

    L'insigne et la récompense de la victoire pour le gladiateur, c'était par excellence la palme ; aussitôt que le président la lui avait remise, il faisait au pas de course, en l'agitant dans sa main, le tour de l'arène (discurrere) ; chaque victoire donnait droit à une palme, de telle sorte que le gladiateur comptait ses victoires par les palmes reçues ; on disait gladiator plurimarum palmarum ou, par exemple, V, X, XX palmarum ; aussi la palme est-elle souvent représentée sur les monuments relatifs à la gladiature. Ailleurs, surtout dans les pays grecs, elle est remplacée par la couronne, et quelquefois la couronne se joint à la palme. Mais outre ces récompenses officielles dont les gladiateurs se faisaient honneur comme d'un titre, il y avait celles qui les enrichissaient ; bien que leurs épitaphes n'en parlent pas, ce ne sont pas celles auxquelles ils tenaient le moins. On donnait aux vainqueurs des sommes quelquefois considérables, qui leur étaient payées aux frais de l'editor, au milieu même de l'amphithéâtre ; les spectateurs, le bras gauche tendu en avant, comptaient les pièces d'or avec leurs doigts au fur et à mesure que le gladiateur les recevait.
    Elles étaient offertes sur des plats de métal [Disci, Lances], qui étaient eux-mêmes d'un grand prix et restaient la propriété du vainqueur. Néron fit de véritables folies pour récompenser ceux qui avaient su lui plaire : il leur donna « le patrimoine et les maisons d'hommes qui avaient obtenu les honneurs du triomphe ». Peut-être aussi distribuait-on des armes richement ornées, et des bracelets comme ceux qui servaient de décoration dans l'armée [Torques].
    La figure ci-jointe représente, d'après un trophée qui réunit plusieurs des récompenses ordinaires, la couronne, la palme et des armes de gladiateur. D'ordinaire le combat se terminait à l'entrée de la nuit ; cependant il pouvait se prolonger assez avant dans la soirée pour qu'il fût nécessaire d'éclairer l'amphithéâtre ; c'est ce qui devait arriver fréquemment aux munera quaestoria, célébrés à Rome en décembre pendant les jours les plus courts de l'année ; en pareil cas des lustres chargés de lampes permettaient d'aller jusqu'au bout du programme de la journée. Les représentations données tout entières de nuit ont toujours dû être une exception.

  19. Le compte-rendu

    On avait coutume d'insérer dans les Acta diurna un compte rendu des munera de la capitale. Il reproduisait sans doute la liste des gladiateurs, classés par paires, en indiquant, à côté du nom de chacun d'eux, quel avait été pour lui le résultat de la journée. Nous pouvons nous faire une idée de cette publication, grâce surtout à une inscription tracée à la pointe sur un mur de Pompéi, et qui paraît être un état de troupe dressé par un laniste à la suite d'un combat. Les hommes y sont groupés par paires, dans l'ordre où ils ont été mis aux prises, avec l'indication de l'arme à laquelle ils appartiennent ; le résultat est indiqué à la gauche de chaque nom, par une des trois sigles P(eriit), M(issus), V(icit). Ainsi deux Juliani, c'est-à-dire deux gladiateurs d'une troupe impériale, probablement de Capoue, l'un o(plomachus), l'autre t(rex), ont été mis aux prises ; le second a été gracié :



    Dans une autre paire, composée d'un t(rex) et d'un m(urmillo), il y a eu un mort :



    Les monuments figurés eux-mêmes portent quelquefois, à côté de l'image des gladiateurs, ces notes explicatives, qui semblent avoir été identiques à celles dont on faisait usage dans les états de troupes dressés par l'administration de l'armée. Mais au lieu de la sigle P on trouve aussi le theta nigrum ou mortiferum, initiale du mot Th(avôs), ou bien l'0 barré, initiale du mot 0(biit).



    La figure ci-dessus représente, d'après la mosaïque Borghèse, le secutor Astivus étendu sur l'arène ; à côté de lui se lit la sigle funèbre. Si nous possédions un grand nombre de listes, il serait intéressant de rechercher quelle fut, pour chacun des munera connus, la proportion des gladiateurs tués. Dans la liste de Pompéi nous voyons que, sur huit vaincus, trois ont été tués. Il est peu probable que dans les municipes le compte rendu fût publié comme à Rome ; mais on le conservait certainement dans les archives locales, surtout parce qu'il importait pour le règlement des comptes que le résultat définitif du munus fût soigneusement constaté et enregistré.

  20. Etats de services

    Lorsqu'un gladiateur, sorti vivant de l'arène, continuait à exercer le métier, on dressait pour lui des états de services, qui allaient toujours s'enrichissant, au fur et à mesure qu'il prenait part avec succès à de nouveaux combats. Généralement dans les inscriptions on donne à ce sujet les indications suivantes :

    1. Nombre total des combats que le gladiateur a livrés ; ainsi : LYCVS PVGNA (rum) IV ; mais souvent aussi ce nombre est représenté seulement par un chiffre, sans sigle d'aucune sorte ; ainsi SEVERVS LIB XXXXV signifiera Severus lib(ertus), XXXXV (pugnarum).
    2. Nombre des victoires indiqué par un chiffre, précédé du mot palmarum, ou coronarum, ou de la sigle C c'est-à-dire de l'initiale de C(oronarum), quelquefois retournée ; ainsi FAVSTVS C XXXVII. Cependant il semble que toute victoire n'était pas nécessairement récompensée par une couronne, et que celle-ci était le symbole d'une victoire plus éclatante ; car on voit dans des inscriptions grecques qu'un même personnage peut être qualifié à la fois de ni(kêsas) et de st(ephanôtheis), et que le chiffre de ses couronnes peut être inférieur à celui de ses victoires. Il y a là une difficulté que nous ne sommes pas encore en état de résoudre.
    3. Nombre des combats où le gladiateur a été gracié sans avoir eu le dessous (stans missus).
    4. Nombre des combats où il a été vaincu et gracié (missus).

    Il est rare que toutes ces indications se trouvent réunies après le nom d'un même personnage ; en général les deux dernières sont absentes. Cependant une inscription nous apprend ces détails sur un certain Flamma : PVGNAT. XXXIII. VICIT. XXI. STANS. VIII. MIS. IIII. Il pouvait arriver qu'on eût à dresser les états de services, non d'un gladiateur encore vivant, mais d'un gladiateur mort ; le cas se présentait fréquemment, lorsqu'on rédigeait des épitaphes ; s'il avait été tué dans l'arène, on indiquait quelquefois à part, après le nombre total de ses combats, celui où il avait perdu la vie. Ces inscriptions, qu'on pourrait appeler des cursus de gladiateurs, sont singulièrement instructives pour l'histoire de leurs moeurs. Ainsi Flamma, mort à trente ans, avait combattu trente-quatre fois ; tel autre, mort à vingt-deux ans, treize fois, après sept ans de mariage ; un autre, mort à vingt-quatre ans, cinq fois, après cinq ans de mariage ; un autre encore, mort à vingt et un ans, cinq fois, après quatre ans d'école. Mais ces chiffres ne sont rien à côté de ceux des combats livrés par Commode ; dans son existence, qui dura trente et un ans, il se serait mesuré avec plus de mille adversaires. Il est probable que les acta diurna donnaient les états de services des gladiateurs, lorsqu'il rendait compte des munera où ils avaient paru, et on peut supposer qu'il en était de même dans les libelli ; car c'était un moyen d'attirer l'attention de la foule ; ni les editores ni les lanistae ne devaient le négliger.

  21. Gladiateurs célèbres

    Les gladiateurs qui avaient remporté de nombreuses victoires jouissaient d'une popularité extraordinaire. Certains noms qui reviennent à plusieurs reprises dans les fastes de la gladiature semblent avoir été illustrés d'abord par quelques-uns de ces héros de l'amphithéâtre, puis repris après eux, comme il est arrivé pour les pantomimes, par des successeurs jaloux de les égaler. Tels sont par exemple Triumphus, Carpophorus, Philodamus, Philargurus, Antiochus, Hermes et Petraites. On a assez vu par ce qui précède quels encouragements ces virtuoses trouvèrent jusque dans la plus haute société de Rome. Sans parler des princes qui leur accordèrent la protection la plus flatteuse, ceux mêmes qui n'eurent qu'un goût médiocre pour leurs exercices furent obligés par politique de paraître s'y intéresser. On assure que quelques gladiateurs eurent des maîtresses de noble condition. Faustine, femme de Marc Aurèle, aurait entretenu, dit-on, avec l'un d'eux des relations coupables, auxquelles Commode aurait dû le jour. On a trouvé récemment sur un mur de Pompéi des inscriptions à la pointe mentionnant un thrace, qui est appelé puellarum decus et suspirium puellarum ; ces mots peuvent être rapprochés d'un vers où Martial célèbre les conquêtes d'un certain Hermes, cura laborque ludiarum. Les gladiateurs qui comptaient à leur actif un certain nombre de victoires pouvaient arriver à la richesse pour peu qu'ils s'entendissent à exploiter la faveur publique ; on en voyait qui, après fortune faite, se retiraient à la campagne ; d'autres laissaient un assez bel héritage pour que leurs fils pussent justifier du cens équestre et passer dans la classe des chevaliers. Caligula enrôla d'anciens gladiateurs parmi ses gardes du corps, en leur donnant des grades élevés ; on prétendait que l'empereur Macrin avait été lui-même gladiateur. Mais à côté de ces parvenus, il ne faut pas oublier non plus les pauvres hères qui traînaient au sortir de l'école une existence misérable ; ils étaient quelquefois réduits à chercher un refuge parmi les prêtres de Bellone et à parcourir les rues avec eux en demandant l'aumône aux passants.

  22. Les partis

    Il n'y eut jamais à l'amphithéâtre des partis aussi nombreux, aussi puissants et aussi bien organisés qu'au cirque. Les auteurs anciens n'en citent que deux ; l'un, celui des scutarii (skoutarioi) favorisait les grands boucliers (scuta), c'est-à-dire les oplomachi, secutores, etc. ; l'autre favorisait les petits boucliers, c'est-à-dire les thraces ; on appelait ses membres parmularii (parmoularioi). Domitien s'était déclaré pour le premier, Caligula et Titus pour le second ; Trajan et Marc-Aurèle voulurent rester neutres ; mais il est assez probable que sous le secutor Commode, les grands boucliers reprirent l'avantage. On a conservé l'épitaphe d'un marchand d'huile, qui exerçait son commerce à Rome : son épitaphe mentionne qu'il fut parmularius.

  23. Suppression

    Nous n'avons pas à retracer ici l'histoire du mouvement d'opinion qui amena la suppression des combats de gladiateurs. Ils étaient l'objet d'une faveur si générale, que les esprits les plus éclairés, tels que Cicéron ou Pline le Jeune, trouvaient des raisons pour les justifier ; tout au plus allaient-ils jusqu'à souhaiter qu'on y mît plus de variété et qu'on y fût moins prodigue de vies humaines. Cependant dès le début de l'Empire les écoles de rhétorique et de philosophie durent insister sur le caractère barbare de ces spectacles ; Sénèque a été l'interprète le plus convaincu et le plus éloquent de leurs protestations. On sait avec quelle ardeur passionnée les Pères de l'Eglise achevèrent l'oeuvre commencée au nom de l'humanité par les philosophes. Le 1er octobre de l'an 326, Constantin, se trouvant à Béryte, publia un édit par lequel il étendait la peine des travaux forcés dans les mines à tous les cas qui pouvaient entraîner auparavant la damnatio ad ludum ; c'était enlever à l'amphithéâtre une bonne partie de ses recrues. Mais Constantin ne songea point à supprimer tout à fait l'institution ; car un peu plus tard il imposait aux prêtres provinciaux de l'Italie l'obligation de donner annuellement des combats de gladiateurs. La réforme même qu'on lui attribue ne visait peut-être que les provinces d'Asie ; en tout cas, si elle eut une portée plus générale, elle ne lui survécut pas longtemps ; en 365, Valentinien défendit seulement de condamner des chrétiens au ludus. Cependant la cause de la gladiature était perdue ; la suppression définitive commença probablement par l'Orient. Puis en 399 on ferma partout les écoles impériales ; en 404, à la suite d'une échauffourée qui se produisit à Rome dans l'amphithéâtre, Honorius interdit formellement les combats de gladiateurs. Ils ont pu reparaître encore pendant quelques années, mais isolément et sans éclat. Désormais le nom de munus s'applique uniquement aux venationes, qui, moins faciles à condamner au nom de la morale, se sont perpétuées au moins jusqu'au milieu du VIe siècle.

  24. L'art

    Rien ne montre mieux à quel point les Romains ont aimé les combats de gladiateurs que la quantité prodigieuse de monuments figurés qui s'y rapportent : aucun sujet n'a été plus en faveur au temps de l'Empire, surtout dans l'art populaire. Il en faut probablement chercher le prototype dans les fresques ou les tableaux, qui décoraient les murs des édifices publics, et que les editores faisaient exécuter pour perpétuer le souvenir des jeux célébrés à leurs frais. Cette coutume remonte au moins au commencement du IIe siècle avant notre ère : vers cette époque un personnage nommé C. Terentius Lucanus donna sur le Forum romain, en l'honneur de son aïeul, un munus commémoratif, où parurent trente paires de gladiateurs, et il fit ensuite représenter ce combat dans un tableau qui servit à la décoration du temple de Diane. Un grand nombre de peintures semblables furent exécutées depuis, non seulement à Rome mais dans les municipes, par ordre des empereurs, des magistrats et des riches particuliers. Telle était celle que l'on voyait sous un portique à Antium, et qui représentait un munus célébré au nom de Néron ; toutes les figures des gladiateurs et des gens de service étaient des portraits. Une fresque de ce genre couvre le mur d'un portique, chez le Trimalchion de Pétrone. Une inscription de Bénévent mentionne deux munera donnés à cinq ans d'intervalle par un magistrat ; il les avait fait reproduire sur deux tableaux, placés l'un dans la basilique, l'autre sous un portique de la ville. C'était là l'art des hautes classes ; de nombreuses fresques de Pompéi, quoique déjà beaucoup plus modestes, peuvent nous en donner une idée. Mais il y avait aussi les dessins grossiers, tracés à la couleur rouge ou au charbon, que les lanistes exposaient en public pour faire valoir leurs hommes ; c'était un sujet d'admiration toujours nouveau pour les esclaves et le menu peuple. Les produits de l'art industriel, surtout les poteries à bon marché, ont multiplié à l'infini ces images, dont l'amphithéâtre fournissait les modèles, et il n'est pas une province de l'ancien monde romain où on n'en ait recueilli des exemplaires. Dans l'art des premiers chrétiens la figure du gladiateur est devenue un symbole ; elle représente l'homme juste et pieux, qui, fidèle aux enseignements de l'Eglise, est toujours prêt à affronter avec courage les luttes de la vie et à subir la mort, pour mériter la couronne réservée aux élus.

Article de Georges Lafaye.