(Μονομάχος,
Ὁπλομάχος),
Gladiateur
-
Développement de l'institution
On a attribué aux Etrusques avec apparence de
raison l'origine des combats de gladiateurs ; ils durent
d'abord chez ce peuple faire partie des
cérémonies destinées à
honorer la mémoire des morts ; égorger des
prisonniers et des esclaves ou les obliger à
verser mutuellement leur sang auprès de la
dépouille d'un personnage regretté semblait
être la satisfaction la plus noble que l'on
pût accorder à ses mânes. Les
monuments mêmes des Etrusques nous montrent que les
combats de gladiateurs furent chez eux une institution
nationale ; leur goût pour ce genre de spectacles
est attesté notamment par les scènes qui
décorent leurs urnes funéraires.
De l'Etrurie les combats de gladiateurs passèrent
dans la Campanie, contrée qui fut à une
époque reculée soumise à la
domination des Etrusques ; au temps de Strabon,
c'était chez les Campaniens une coutume
déjà ancienne de faire lutter des
gladiateurs pendant les festins pour divertir les
convives. Enfin le Latium suivit l'exemple des pays
voisins ; les historiens anciens ont eux-mêmes
noté comme un fait nouveau l'apparition de ces
jeux sanglants chez les Romains ; ce fut, suivant eux, en
264 av J.-C. qu'ils furent célébrés
pour la première fois dans la ville de Rome ;
cette année-là Brutus Pera étant
mort, ses deux fils Marcus et Decimus firent combattre
sur la place aux Boeufs, à l'occasion de ses
funérailles, trois paires de gladiateurs. Ainsi
cette institution chez les Romains ne remonte pas
à une haute antiquité et elle fut
empruntée à l'étranger, tandis que
les courses de char au contraire [Circus] datent
de l'époque royale ; il est même certain que
longtemps encore après avoir fait grâce aux
fils de Pera, ce modeste début, les combats de
gladiateurs ne furent repris qu'à intervalles
irréguliers, toujours à titre privé,
et d'ordinaire pour rehausser l'éclat d'une
cérémonie funèbre. Il est vrai que
peu à peu pendant le IIIe et le IIe siècle
le nombre des combattants que l'on met aux prises
augmente d'une façon constante. Il est de
vingt-deux paires en 216, de vingt-cinq en 200, de
soixante en 183. Dans le cours de la seule année
174 il y eut plusieurs représentations, dont une
en mémoire de Flamininus, qui dura trois jours. Le
peuple une fois mis en goût se porta à ces
spectacles avec une ardeur effrénée ; en
164, tandis qu'on donnait l'Hécyre de
Térence, la nouvelle s'étant
répandue que des gladiateurs allaient en venir aux
mains, la pièce fut brusquement interrompue par un
tumulte général. Enfin il arriva un moment
où cette passion fut si forte que le sénat
se vit obligé d'admettre les combats de
gladiateurs au nombre des spectacles publics : en 103,
deux magistrats furent autorisés pour la
première fois à y convier la foule à
titre officiel ; c'étaient les deux consuls P.
Rutilius Rufus et C. Manlius. Il est probable que le
sénat lui-même vit là un moyen de
tremper les courages et de développer le
goût des exercices militaires ; on suppose aussi
qu'il songea à en tirer parti pour résister
à l'influence des jeux grecs, que les Romains
fidèles aux vieilles moeurs jugeaient ou frivoles
ou funestes.
Cette mesure nouvelle ne fit point cesser l'usage de
donner des combats de gladiateurs dans les
funérailles des personnes riches et haut
placées. Jusqu'à la fin de l'Empire,
munus est le terme propre qui les désigne
spécialement par opposition aux jeux du
théâtre et du cirque [Ludi] ; ainsi
s'est perpétuée l'idée
première qui avait présidé à
leur institution : ils sont considérés
avant tout comme faisant partie des devoirs que l'on rend
aux morts : l'interprétation la plus vraisemblable
du mot est celle qu'en donne Tertullien, lorsqu'il le
définit officium mortuorum honori debitum.
Sous le Bas-Empire munus et munera, dans ce
sens particulier, sont quelquefois remplacés par
ludus et ludi gladiatorii ; mais
ludus désignant toute autre espèce
de jeu, n'est jamais remplacé par munus.
Souvent au combat de gladiateurs est joint le spectacle
d'une chasse [Venatio] : mais à la bonne
époque munus ne s'applique qu'au premier ;
à la fin de l'Empire on l'étendit aussi
à la venatio, quand les jeux de gladiateurs
eurent été interdits. C'est par un munus
funèbre (oplomachia epitaphios) que des
hommes d'Etat, de grands capitaines, des magistrats
occupant les premières fonctions de la
république honorent encore la mémoire de
leur père, César en 65, Q. Caecilius
Metellus Scipio en 62, Faustus Sylla en 59, C. Curio en
52, Tibère en 34, Germanicus et Claude en l'an 7
ap. J.-C.16. Les historiens ont noté comme un fait
nouveau digne d'une mention spéciale que
César rendit le même hommage à sa
fille Julia (45) ; c'était la première fois
qu'on voyait une femme en être l'objet. En l'an 6
av. J.-C., Auguste fit combattre des gladiateurs dans une
solennité consacrée à la
mémoire de son gendre Agrippa. Ces munera
de l'an 45 et de l'an 6 furent
célébrés plusieurs années
après la mort de la personne dont ils rappelaient
le nom ; mais à l'origine le spectacle devait
commencer aussitôt après le convoi, lorsque
le corps avait été déposé sur
le bûcher (bustum); d'où le nom de
Bustuarius
donné au gladiateur contraint d'y jouer sa vie.
Dans un cas comme dans l'autre, les spectateurs devaient
être, en signe de deuil, revêtus de la toge
noire (toga pulla), ou du manteau à
capuchon nommé Paenula. Les particuliers se
mirent sans doute de bonne heure à suivre
l'exemple que leur avaient donné de grands
personnages, et il devint commun, non seulement à
Rome mais dans les municipes, de voir des citoyens
léguer les sommes nécessaires pour offrir
au peuple des combats de gladiateurs, soit
immédiatement après leurs
funérailles, soit à l'anniversaire de leur
mort (editiones legatariae). On prit si bien
l'habitude de ces libéralités qu'il arriva
au peuple de les exiger : un jour, dans une ville
d'Italie, aux obsèques d'un centurion, la
multitude assaillit le convoi et le retint jusqu'à
ce qu'elle eût arraché aux héritiers
de quoi payer un combat de gladiateurs. En
général on allait au-devant de pareils
désirs : un auteur rapporte même que
certains esclaves, remarquables par leur beauté,
furent désignés dans le testament de leur
propre maître pour s'entretuer en public quand on
lui rendrait les derniers devoirs ; mais cette fois le
peuple, plus humain que le testateur, s'opposa à
l'exécution de ses volontés.
A partir de l'an 105 av. J.-C., lorsque les combats de
gladiateurs eurent été admis au nombre des
spectacles officiels, les magistrats rivalisèrent
de zèle pour les multiplier et pour en augmenter
l'éclat ; tous ceux qui aspiraient aux charges
curules saisirent à l'envi ce moyen de
conquérir les suffrages populaires. Unis le plus
souvent aux chasses où l'on égorgeait des
bêtes fauves [Venatio], ils devinrent un des
plaisirs favoris des Romains. En quelques années
ceux qui les organisaient y déployèrent une
telle prodigalité que déjà en 52
Cicéron écrivait : « Tout le
monde en est rassasié ». Mais il
reconnaît ailleurs qu'aucun genre de spectacle
n'avait autant d'attrait pour la multitude. Ce qui
suffirait à le prouver, c'est la quantité
de textes et de monuments qui s'y rapportent. Les combats
de gladiateurs excitèrent chez les Romains une
véritable passion, qui se propagea de proche en
proche jusqu'aux frontières de l'empire et dura
pendant plusieurs siècles.
- Extension
De Rome ils passèrent dans les diverses parties de
l'Italie qui ne les connaissaient pas encore, puis de
là dans les provinces. Dès l'an 206, Scipion
l'Africain donnait un munus à
Carthagène en mémoire de son père et
de son oncle ; il est vrai que ce fut un spectacle tout
à fait unique ; on n'y vit en présence que
des engagés volontaires, qui ne demandèrent
aucune rétribution. En 140, les Lusitaniens
rendirent le même honneur à la
dépouille de Viriathe. En 63 av. J.-C. les habitants
d'Arles pouvaient assister à un combat de
gladiateurs. Les amphithéâtres dont il
subsiste des ruines nous donnent la mesure du succès
des munera ; il n'est guère de région
autrefois comprise dans le monde romain où l'on
n'ait signalé quelque vestige de ces
édifices. Ils sont naturellement beaucoup plus
communs dans le Midi que dans le Nord ; cependant c'est un
fait très digne de remarque que les pays grecs n'ont
pas eu, à beaucoup près, pour les combats de
gladiateurs le même goût que l'Occident. Il est
certain qu'à l'origine les Grecs, aussi bien que les
Etrusques, ont dû pratiquer dans les
funérailles l'usage barbare des sacrifices humains ;
mais ils y renoncèrent de très bonne heure ;
Hérodote, le retrouvant chez les Scythes, le signale
comme un des traits singuliers des moeurs de ce peuple. Le
génie propre de la race grecque lui inspira pour les
combats de gladiateurs une répugnance qu'elle ne
surmonta jamais complètement, même lorsque
l'Orient eut aussi ses amphithéâtres.
Antiochus Epiphane (174-164 av. J.-C.) fut le premier qui
organisa des spectacles de ce genre dans Antioche, sa
capitale ; Tite-Live dit expressément qu'il les
emprunta aux Romains, et même qu'il fit venir de Rome
les combattants dont il avait besoin. Ses sujets
manifestèrent d'abord plus d'effroi que de plaisir ;
il fallut, pour les empêcher de quitter la place,
user de ménagements ; après avoir
commencé par des combats où l'on
s'arrêtait au premier sang, on multiplia les
représentations jusqu'à ce qu'on les
eût habitués à voir sans horreur des
combats à mort. Corinthe, devenue colonie romaine,
dut être la première ville de la Grèce
propre où parurent des gladiateurs ; c'est aussi la
seule dont on puisse affirmer qu'elle posséda un
amphithéâtre, et encore ne fut-il pas
construit avant le IIe siècle de notre ère.
Vers la fin de la dynastie flavienne certaines villes,
comme Rhodes, n'avaient pas encore pu vaincre leurs
préventions. D'autres, et Athènes
était du nombre, se laissèrent gagner un peu
plus vite, mais à peine avaient-elles suivi
l'exemple de la capitale que les écrivains grecs
firent entendre de très vives protestations au nom
de la morale et de l'humanité outragées.
Aussi les combats de gladiateurs furent-ils dans cette
partie du monde romain, plus que dans toute autre,
abandonnés au petit peuple. Il faut cependant faire
une exception pour l'Asie Mineure et pour l'Egypte ; depuis
le temps d'Antiochus ils s'y étaient
développés rapidement, grâce aux
instincts naturellement sanguinaires des populations
orientales qui s'y trouvaient en contact avec les Grecs.
Sous Auguste il y avait déjà des
amphithéâtres à Nysa en Carie, et
à Alexandrie en Egypte. Un autre fut construit
à Laodicée du Lycus en l'an 79 de notre
ère.
- Législation
L'organisation des combats de gladiateurs fut
réglée par toute une série de mesures
législatives dont l'ensemble constituait ce qu'on
appelait les leges gladiatoriae. Sous ce nom il faut
comprendre d'abord les lois votées à la fin
de la République et dont les plus anciennes doivent
remonter à l'époque où ces spectacles
furent pour la première fois donnés à
titre officiel (105 av. J.-C.). Puis vinrent les
constitutions impériales et les
sénatus-consultes qui en modifièrent peu
à peu les dispositions ; et enfin il dut y avoir
dans les municipes des règlements spéciaux
établis pour l'usage des autorités locales.
Ce que nous connaissons sur cette matière nous
montre clairement que si les empereurs en
général déployèrent le plus
grand faste dans les munera qu'ils donnaient
eux-mêmes pour entretenir leur popularité, ils
ne furent pas moins jaloux d'alléger autant que
possible les charges que la nécessité
d'amuser la foule faisait peser sur les villes et sur les
magistrats. C'est ce que nous voyons surtout par un
document découvert en Espagne en 1888 ; il est
gravé sur une table de bronze qui a dû
être affichée dans l'amphithéâtre
de la ville d'Italica, près de Séville. Il a
été rédigé sous
Marc-Aurèle entre 176 et 178 ; c'est un exemplaire
d'un original dont un grand nombre de copies avaient
dû être envoyées de Rome dans
différentes villes de province. Il donnait le compte
rendu d'une séance du sénat, où l'on
avait décidé de réduire les frais des
munera imposés aux flamines provinciaux. Le
document reproduisait le discours (relatio)
prononcé par l'empereur pour introduire l'affaire,
puis ceux des divers orateurs qui avaient appuyé sa
motion, et enfin le texte du sénatus-consulte. Nous
avons perdu le commencement et la fin, mais il nous reste
un assez long fragment d'un discours prononcé par un
des sénateurs probablement originaire de la Gaule ;
c'est un morceau du plus haut intérêt ; il
nous éclaire non seulement sur l'objet principal de
la discussion du jour, mais encore sur un grand nombre de
questions relatives à l'histoire de la gladiature.
Nous l'utiliserons donc dans ce qui suit, au fur et
à mesure que l'ordre des matières nous en
fournira l'occasion. Il importe seulement de retenir avant
toutes choses que depuis le commencement jusqu'à la
fin les munera sont restés absolument
distincts des Ludi, c'est-à-dire des courses
de char et des jeux scéniques ; ils en
diffèrent par leur origine,leur caractère et
leur organisation. Nous étudierons donc ici en
détail tout ce qui les concerne
spécialement.
-
Haute surveillance administrative
Le soin de veiller à l'exécution des
leges gladiatoriae dans la ville de Rome dut
appartenir d'abord aux consuls, puis au praefectus
urbi ; mais la tâche de ce magistrat fut sans
doute bien simplifiée à partir du principat
des Flaviens, lorsqu'il eut été interdit
aux particuliers d'entretenir des troupes de gladiateurs
dans la capitale ; elle ne contint plus dès lors
que des troupes impériales, placées dans
une étroite dépendance et soumises à
une hiérarchie de fonctionnaires savamment
organisée. Il n'en allait pas de même dans
le reste de l'Empire ; partout ailleurs que dans la ville
de Rome un particulier avait le droit de recruter une
troupe (familia gladiatoria) et de l'exploiter ;
celui qui en prenait ainsi la direction s'appelait le
lanista. On conçoit aisément quels
devaient être les devoirs des représentants
de l'Etat ; d'abord ils devaient veiller à ce que
les munera imposés par la loi à
certains dignitaires des provinces fussent
régulièrement célébrés
; mais d'autre part ils étaient chargés
aussi de protéger leurs intérêts en
empêchant la spéculation de dépasser
les bornes permises et en s'opposant à la
rapacité des propriétaires de troupes ; ils
devaient encore prévenir les dangers que pouvaient
faire courir à la sécurité publique
ces bandes d'hommes armés, enfin ordonner des
enquêtes sur les infractions commises et
châtier les coupables. Toutes ces attributions,
à l'époque de Marc-Aurèle,
étaient dévolues aux autorités
suivantes.
- Provinces consulaires et
prétoriennes. La haute surveillance
appartient d'abord au gouverneur lui-même, puis
aux magistrats placés sous ses ordres, à
savoir : les legati pro praetore, les questeurs,
les legati legionum, les juridici et
enfin les intendants des finances appelés
procurateurs.
- Provinces procuratoriennes. Le gouverneur
lui-même, c'est-à-dire le
procurator, est seul à connaître de
ces sortes d'affaires.
- En Italie, la ville de Rome étant
exceptée, elles regardent les praefecti
alimentorum, ou, si leur service les a
appelés à Rome, les curatores
viarum, et, si ceux-ci étaient absents pour
la même cause, les juridici, enfin les
préfets des flottes de Misène et de
Ravenne.
-
Les organisateurs et les frais
La dépense totale qu'entraînait un combat de
gladiateurs était naturellement très
variable ; elle dépendait du nombre des
combattants, de leur réputation, de la richesse de
leur équipement, et aussi, en grande partie, de
l'habileté avec laquelle le lanista savait
faire valoir ces divers éléments du
succès. C'était une affaire à
débattre entre lui et la personne qui couvrait les
frais du spectacle, l'editor muneris.
- Munera payants (assiforana)
D'abord la représentation pouvait être
payante ; en pareil cas, ou bien le lanista
était lui-même l'editor, et alors
il percevait la totalité de la recette, ou bien
un entrepreneur quelconque l'engageait à son
service et, après lui avoir payé un prix
convenu d'avance, gardait pour son
bénéfice le surplus de la recette. De
toutes manières c'était un champ ouvert
à la spéculation et les
inconvénients ne manquaient pas. En l'an 27 ap.
J.-C., un affranchi nommé Atilius organisa
à Fidène, dans le seul but de gagner de
l'argent, un munus où l'on accourut en
foule, même de Rome ; l'amphithéâtre
en bois qu'il avait fait construire pour la
circonstance s'écroula au milieu de la
représentation ; ce fut un des plus grands
désastres du temps : cinquante mille personnes
furent estropiées ou écrasées. On
exila Atilius et un sénatus-consulte
défendit de donner désormais des combats
de gladiateurs à moins d'avoir 100000 sesterces
(108748 fr.) de revenu, et d'élever aucun
amphithéâtre, que la solidité du
terrain n'eût été constatée.
Cette mesure sévère était fort
propre à restreindre le nombre des entrepreneurs
de munera payants ; mais il est douteux que le
sénatusconsulte de l'an 27 ait été
longtemps appliqué ; car bientôt nous
voyons paraître des lanistae circum
foranei, dont les frais sont très modestes.
Sous Marc Aurèle la dépense moyenne d'un
munus de ce genre est évaluée
à 30000 sesterces (8156 fr.) : la raison en est
sans doute qu'à cette époque il y avait
presque partout des édifices plus ou moins
propres à des combats de gladiateurs ;
l'entrepreneur de passage n'avait plus à
construire ; il lui suffisait de louer. Il est
arrivé aussi que la représentation
fût en partie gratuite et en partie payante. On
distinguait alors deux catégories de places :
celles qui étaient mises gracieusement par
l'editor à la disposition du peuple, des
autorités ou de ses amis personnels, et celles
qu'il louait, soit pour rentrer dans ses
déboursés, soit pour affecter la recette
à un emploi d'utilité publique. Toutes
ces combinaisons donnèrent de bonne heure
naissance au commerce des revendeurs de billets : on
les appelait locarii.
-
Munera extraordinaires
A l'origine les combats de gladiateurs, lorsqu'ils
n'étaient encore que des spectacles
funèbres organisés à titre
privé, furent toujours offerts au peuple
gratuitement, à des époques
indéterminées, comme une
libéralité purement
bénévole de l'editor. Cette
forme du munus, la plus ancienne de toutes,
est toujours restée en usage, même quand
une cérémonie funèbre n'en fut
pas l'occasion.
-
Simples particuliers. Ce n'étaient
guère que les particuliers jouissant d'une
certaine fortune qui pouvaient faire les frais
d'un munus, et, comme
généralement ils passaient à
tour de rôle par les charges publiques, ils
attendaient d'en être revêtus pour se
résoudre à cette dépense. M.
Mommsen conjecture qu'un particulier ne pouvait
donner un munus sans y avoir
été expressément
autorisé dans la ville de Rome par un
sénatusconsulte, dans un municipe par un
décret des décurions ; car il
devait être assimilé à un
magistrat pendant tout le temps qu'il passait
à l'organiser et à le
présider. Aussi les affranchis durent-ils
rarement être admis à cet honneur,
si ce n'est quand ils faisaient partie du
collège des seviri Augustales. A
plusieurs reprises nous voyons la permission
accordée par l'empereur lui-même,
sans que l'on puisse déterminer exactement
dans quel cas il était nécessaire
de recourir à une si haute autorité
; on disait alors que le munus
était offert ex indulgentia
imperatoris, ou tout simplement ex
indulgencia. Quelquefois aussi l'empereur
contribuait à la dépense, lorsqu'il
voulait favoriser l'editor. Aucune
restriction, du reste, n'arrêtait la
vanité des parvenus ; les poètes
satiriques se sont moqués des cordonniers
et des foulons enrichis qui se signalaient par
ces largesses. Un même personnage est
loué dans une inscription d'en avoir
revendiqué la charge jusqu'à huit
fois. Les munera extraordinaires
étaient souvent demandés aux
particuliers les plus riches d'une ville par
leurs concitoyens ; dans ce cas ils les donnaient
ex voluntate populi ou postulante
populo. Les occasions que l'on choisissait
généralement étaient les
suivantes :
- Anniversaire de la naissance de
l'editor, ou d'un membre de sa famille;
ainsi un jeune homme célèbre par
un munus le début de sa vingtième
année.
- Dédicace d'un monument public,
théâtre,
amphithéâtre, thermes, basilique,
bibliothèque, autel ou statue.
- Voeux ou actions de grâces pour la
conservation, la victoire ou le bonheur de
l'empereur ou de sa famille, pro salute,
victoria, beatitudine imperatoris, domus
Augustae. On a noté comme un fait
singulier que Claude refusa d'autoriser les
munera qui lui seraient
dédiés. Des citoyens
poussèrent la flatterie jusqu'à
faire voeu de combattre en personne comme
gladiateurs pro salute principis. Il
faut ajouter ici les munera que les
magistrats municipaux célébraient
quelquefois à titre privé en
sortant de charge, post honorem ; ils
n'y étaient obligés par aucun
règlement, et c'était toujours de
leur part un acte de libéralité
exceptionnelle.
- Magistrats romains. Sous la
République les munera furent toujours
célébrés à intervalles
irréguliers et par des magistrats d'ordre
différent ; cependant depuis l'an 105
jusqu'à la chute de la liberté, les
charges publiques furent l'objet d'une
compétition si ardente que les grands
personnages de l'Etat se montrèrent beaucoup
plus disposés à multiplier les
munera outre mesure qu'à en rejeter
le fardeau ; aussi le sénat dut-il se
préoccuper de modérer ce zèle
inquiétant : une loi promulguée sous
le consulat de Cicéron (63), et par son
initiative, défendit aux candidats de donner
des combats de gladiateurs pendant les deux
années qui précéderaient
l'élection, à moins que ce ne
fût au jour prescrit par un testament pour
une editio legataria. Mais pendant cette
période aucune restriction ne semble avoir
été apportée au droit des
magistrats en fonctions, et ils en usaient
largement. Auguste se hâta de le restreindre
en l'attribuant aux seuls préteurs ; puis,
comme nous le verrons bientôt, il passa
définitivement aux questeurs et il y eut
alors un service de munera
périodiques régulièrement
organisé. Du reste il est probable que les
autres magistrats ne tenaient guère
désormais à se signaler par des
libéralités qui ne les menaient plus
à rien, si ce n'est à se rendre
suspects. En 57 Claude retira même aux
gouverneurs de province le droit de donner des
munera, parce qu'il le considérait,
dit formellement Tacite, comme trop favorable
à l'esprit d'intrigue. Cependant on ne
saurait admettre qu'il ait été
absolument interdit une fois pour toutes à
tous les magistrats romains, autres que les
questeurs, d'organiser des représentations,
même extraordinaires. Ainsi, au mois de
septembre de l'an 70, les deux consuls
célébrèrent des munera
magnifiques dans chaque quartier de Rome pour
fêter l'anniversaire de la naissance de
Vitellius ; plus tard encore, et jusqu'au IIIe
siècle, nous voyons cet exemple suivi par
d'autres magistrats curules. Ce qui paraît
vraisemblable, c'est qu'ils continuèrent
à jouir d'un droit qui était
accordé à tout citoyen romain, pourvu
qu'ils se soumissent aux conditions communes
fixées par Auguste : il leur fallait chaque
fois solliciter une autorisation spéciale,
qui leur était accordée par un
sénatus-consulte, et ils devaient s'engager
à respecter la loi qui limitait la
durée du spectacle et le nombre des
combattants. Il est vrai que de plus en plus ils
durent reculer devant une dépense
désormais sans profit, et voilà
pourquoi sans doute le cas s'est
présenté si rarement depuis la chute
de la République.
- Empereurs. Autant les empereurs
s'appliquèrent à restreindre les
frais des munera imposés à
certains dignitaires, autant ils
déployèrent de luxe dans ceux qu'ils
donnaient eux-mêmes à intervalles
irréguliers. Ici il n'y a pas de limites
à la prodigalité. Auguste, suivant
l'exemple de César, éblouit la
population de Rome par l'éclat de ces
fêtes sanglantes ; dans la
récapitulation des actes de son principat,
il rappelle comme un de ses titres de gloire qu'il
a offert au peuple huit combats de gladiateurs,
trois fois en son propre nom, cinq fois au nom de
ses fils ou petit-fils (28, 27, 15, 11, 6, 1 av.
J.-C., 7 ap. J.-C.), et que dix mille hommes
environ y ont été
présentés, ce qui donne une moyenne
de 1250 hommes, soit 625 paires par munus.
Celui de l'an 11 fut célébré
pendant les Quinquatrus (20-23 mars) et il semble
bien qu'il en fut ainsi de ceux qui suivirent
jusqu'à la mort d'Auguste. S'il faut en
croire Dion Cassius, Trajan éclipsa la
magnificence d'Auguste ; en 107, après la
conquête de la Dacie, il donna un
munus dans lequel le combat de gladiateurs,
joint à la Venatio, ne dura pas moins
de cent vingt-trois jours ; pour cette seule
célébration il aurait mis aux prises
dix mille hommes, c'està-dire autant
qu'Auguste dans tout son principat. Les empereurs
firent en ce genre de véritables merveilles
pour tenir en haleine la curiosité publique
; rien ne le montre mieux que les épigrammes
de Martial, et notamment que son Livre des spectacles,
où il exalte les munera de Domitien.
Les circonstances qui fournissaient aux
particuliers l'occasion de leurs munera
extraordinaires étaient aussi celles que
choisissaient généralement les
empereurs pour ces solennités ;
c'étaient notamment les grands anniversaires
de leur famille et les dédicaces de
monuments publics. Mais il faut ajouter que le
prince en donnait volontiers lorsqu'on était
à la veille d'entreprendre une
expédition militaire, afin, dit un
historien, d'exciter les courages ; d'autres fois,
au contraire, elles relevaient l'éclat d'un
triomphe. Les munera des empereurs
étaient organisés soit par de simples
affranchis de leur maison, choisis dans le
personnel des bureaux, soit par des commissaires
extraordinaires, de rang équestre, qui
veillaient, sous la haute direction du prince, au
détail de l'organisation ; on leur donnait
le titre de curatores munerum. Cependant on
trouve déjà sous Claude un
procurator munerum, ou a muneribus,
qui semble avoir été chargé de
ce service d'une façon permanente ; il avait
sous ses ordres un certain nombre de comptables
(tabularii). Un fond spécial,
toujours prêt à suffire aux besoins du
prince, était confié à sa
gestion (chrêmata monomachicha).
-
Munera facultatifs ; Magistrats
municipaux
Une charte, rédigée en 44 av. J.-C.
pour un municipe d'Espagne, oblige ses duumvirs et
ses édiles à donner annuellement soit
un combat de gladiateurs, soit une série de
représentations scéniques, munus
ludosve scaenicos. Par conséquent ils ont
le droit de choisir entre ces deux catégories
: en ce sens les munera sont pour eux
facultatifs. De plus on exige qu'ils versent pour cet
emploi une somme qui ne devra pas être
inférieure à un minimum
déterminé ; mais en même temps
ils reçoivent une subvention fixe de la caisse
municipale. C'est ce que montre le tableau suivant
(les sommes sont indiquées en sesterces)
:
Les jeux des duumvirs doivent durer quatre jours ; il
en est de même de ceux des édiles. Ces
magistrats doivent, les uns comme les autres, dans
les dix jours qui suivent leur entrée en
fonctions, arrêter, de concert avec les
décurions, la date où sera
donnée la fête ; cette date est par
conséquent tout à fait variable.
Il n'est pas douteux que les chartes des autres
municipes continssent des dispositions
établies sur les mêmes bases, avec cette
différence toutefois que la somme minima,
exigée de chacun des magistrats, variait,
comme de juste, en proportion de l'importance de la
ville. Même dans de petites villes les
magistrats ont dû souvent dépasser
d'eux-mêmes ce minimum ; d'autre part les
conseils municipaux, quoique obligés
d'arrêter leur subvention au chiffre
fixé par la charte locale, ont pu y ajouter
parfois l'intérêt des capitaux que
certains particuliers leur léguaient pour
cette destination spéciale. Tels
étaient les munera que les magistrats
municipaux donnaient ob honorem,
c'est-à-dire pour reconnaître l'honneur
qu'on leur avait fait en les choisissant ; on les
considérait toujours comme un effet de leur
libéralité ; on les disait ex
liberalitate edita. Quand une fois l'un d'eux
s'était engagé à cette
dépense, il prenait le titre de curator
muneris publici, munerarius, munificus, munerator,
munidator, qu'il ajoutait à celui de sa
charge. Comme on le voit, ce qui distingue cette
catégorie de spectacles, donnés pour
l'entrée en fonctions des magistrats
municipaux (editio processus) c'est que, par
suite de la latitude laissée à
l'editor, ils pouvaient fort bien ne revenir
qu'à intervalles très
irréguliers. Ainsi sous Auguste un citoyen de
Pompéi, qui a été trois fois
duumvir, a donné la première
année une chasse, la seconde des gladiateurs,
la troisième des représentations
théâtrales. Mais il est probable qu'en
général les magistrats des deux ordres
s'entendaient entre eux pour compléter ces
spectacles les uns par les autres et pour y mettre le
plus de variété possible, de
façon que toutes les catégories fussent
représentées à tour de
rôle dans le cours de chaque année. Il
ne semble pas qu'aucun règlement du même
genre ait jamais existé pour les prêtres
municipaux. On voit bien que les magistri
fanorum devaient donner des ludi
circenses, mais il n'est pas question pour eux de
munera. Les inscriptions mentionnent aussi des
combats de gladiateurs, dont les frais ont
été couverts par des personnages ayant
exercé des fonctions sacerdotales ; mais elles
ne disent pas qu'ils l'aient été ob
honorem sacerdotii. I1 convient de faire la
même réserve au sujet des munera
donnés par les seviri Augustales, sur
lesquels nous manquons de renseignements
précis. Pour reconnaître la
générosité des editores,
le peuple décidait parfois de leur
élever dans un lieu public une statue avec une
inscription commémorative ; certaines villes
allèrent jusqu'à les faire
représenter debout sur un char à deux
chevaux. Il est vrai que c'était souvent la
personne même qui avait obtenu cette
récompense honorifique, qui en payait encore
les frais.
-
Munera périodiques et
obligatoires
-
Ville de Rome. Il est très
vraisemblable que le système d'option
constamment appliqué aux magistrats
municipaux l'avait été d'abord aux
magistrats curules en fonctions dans la ville de
Rome, et que sur ce point les lois de la
République avaient servi de modèle
aux chartes locales. Ce système
étant fondé sur le principe
invariable que les munera ne devaient
jamais coïncider avec les Ludi, on
s'explique aisément que depuis l'an 105,
où ils furent reconnus comme jeux
officiels, ils aient été
célébrés pendant longtemps
à des intervalles irréguliers et
par des magistrats d'ordre différent. Les
empereurs eux-mêmes furent beaucoup plus
préoccupés de restreindre que
d'étendre ce droit qui leur paraissait
dangereux. Le premier, Auguste, en l'an 22,
décida que les préteurs seuls
pourraient en jouir, et encore qu'ils devraient y
être autorisés chaque fois par un
sénatus-consulte ; en même temps il
leur fixa un maximum de frais qu'il leur
défendit de dépasser ; en l'an 7 il
leur retira même la subvention de l'Etat.
Puis vint après sa mort une période
de transition, pendant laquelle ses successeurs
semblent avoir été partagés
entre le désir de satisfaire la passion de
la foule et la crainte de donner aux
préteurs une trop grande influence.
Caligula voulut sans doute les forcer à
user plus souvent de leur droit, en
désignant deux d'entre eux par la voie du
sort pour faire les frais des munera (39
ap. J.-C ). Mais cette mesure fut
rapportée par Claude (41). En 47, il
enleva même les munera aux
préteurs, pour les attribuer aux questeurs
désignés, en leur interdisant de
les remplacer par des ludi. En 54,
Néron confirma cette attribution, mais il
rendit aux questeurs désignés le
droit d'option. Enfin un nouveau régime,
qui subsista jusqu'à la fin de l'Empire,
fut inauguré pour la ville de Rome par
Domitien : les questeurs restèrent
définitivement chargés des
munera, avec l'obligation stricte de les
donner périodiquement chaque année
à date fixe ; ces jeux étaient
célébrés en décembre
et répartis en deux séries, dont la
première remplissait les 2, 4, 5, 6 et 8
du mois, la seconde les 19, 20, 21, 23 et 24 ;
leur début coïncidait avec le moment
où les questeurs entraient en fonctions.
Ces magistrats en supportaient entièrement
les frais ; Domitien fit preuve d'une
générosité exceptionnelle en
ajoutant quelquefois, à la fin du
spectacle, sur la demande spéciale du
peuple, deux paires de gladiateurs tirées
des troupes impériales ; en
réalité le règlement
n'obligeait pas le prince à contribuer
à l'éclat de la fête. Cette
charge fut d'abord imposée indistinctement
à tous les questeurs ; mais Alexandre
Sévère modifia sur ce point les
dispositions prises par Domitien : une
contribution personnelle ne fut exigée
désormais que des questeurs dont la
nomination appartenait au prince lui-même
[Candidatus Caesaris] ; les autres
recevaient du trésor public les sommes qui
leur étaient nécessaires ; pour
cette raison on les distinguait des premiers par
le titre de quaestores arcarii ; les
munera arcae étaient,
paraît-il, moins brillants que les
munera kandidae. Voici, d'après le
calendrier de Philocalus, comment ils
étaient distribués à la fin
de l'Empire :
La seconde série commençait deux
jours après la principale fête des
Saturnales (17 décembre). Ainsi, comme on
voit, les combats de gladiateurs donnés
périodiquement occupaient dix jours dans
l'année : les jeux du cirque en occupaient
soixante-quatre et les représentations
dramatiques cent un. Alexandre
Sévère eut un moment l'idée
d'espacer les munera quaestoria par
séries à différentes dates,
de façon qu'il y en eût en tout
pendant trente jours dans l'année ; mais
ce projet ne fut jamais mis à
exécution a.
- Italie et provinces. Le règlement
institué pour les questeurs dans la ville de
Rome s'applique exactement au flamine de chaque
province et en Italie au flamine régional,
puis, après 292, au flamine provincial. Ce
prêtre est obligé de donner un
munus pendant son année de fonctions,
et il n'est pas plus libre que les questeurs d'y
substituer des Ludi. Nous voyons quelquefois
qu'il donne les deux catégories de
spectacles. Il est probable qu'il en arrêtait
la date d'un commun accord avec l'assemblée
provinciale, mais que cette date, qui variait d'une
province à l'autre, était invariable
dans chacune d'elles à quelques jours
près ; le munus devait toujours y
suivre ou y précéder les Ludi
qui faisaient partie de sa grande fête
annuelle.
Limitation des frais
En créant pour les magistrats et les
prêtres qui viennent d'être
énumérés cette obligation
inhérente à leur charge, l'Etat avait
tout d'abord songé à assurer les
plaisirs du peuple, et dans cette intention il avait
fixé pour la contribution personnelle de
chacun d'eux un minimum proportionné à
leur rang et à l'importance de leur
cité ; il n'est pas douteux que ce minimum ait
été établi par des mesures
spéciales aussi bien pour les questeurs
romains et pour les flamines provinciaux qu'il le fut
pour les magistrats des municipes, comme nous l'avons
vu plus haut. Mais bientôt l'Etat dut se
préoccuper, en sens inverse, des
intérêts des magistrats et
alléger pour eux cette charge, que rendaient
toujours plus lourde les exigences populaires et
l'exemple des fastueux spectacles donnés par
l'empereur lui-même. Déjà Polybe
estimait qu'un munus, pour peu qu'on
voulût y mettre quelque magnificence, devait
coûter une trentaine de talents, soit environ
175 000 francs de notre monnaie : Fabius, fils de
Paul-Emile, aurait été dans
l'impossibilité de réunir cette somme,
si la libéralité de son frère
Scipion Emilien ne l'y avait aidé. On peut
juger par là de ce que devaient être les
frais à la fin de la République. En 65,
César, étant édile,
célébra un munus funèbre
en mémoire de son père ; le
sénat, effrayé du nombre de gladiateurs
qu'il se préparait à engager, publia un
sénatus-consulte fixant un maximum qu'aucun
citoyen ne pourrait dépasser, ce qui
n'empêcha point César de faire
paraître encore trois cents paires de
combattants. Une fois maître du pouvoir,
Auguste poursuivit la politique du sénat ; en
22 av. J.-C., il abaissa le maximum à cent
vingt paires et défendit qu'on donnât,
dans la ville de Rome, plus de deux munera par
an. Tibère alla encore plus loin dans cette
voie, où le souci de sa sécurité
se trouvait d'accord avec la sollicitude que lui
inspiraient les intérêts
pécuniaires des magistrats ; cependant au
début de l'Empire des munera de cent
paires n'étaient pas chose rare. Dans la
suite, de nouvelles mesures tendant à
réduire encore les frais furent
promulguées à plusieurs reprises, au
fur et à mesure qu'augmenta dans la classe
aisée le désir de se dérober aux
charges publiques, et il est à remarquer que
ce furent précisément les meilleurs
princes qui attachèrent leur nom à ces
réformes. On peut croire aussi que l'influence
de la philosophie n'y fut pas
étrangère, lorsqu'on les voit
attribuées à un Antonin et à un
Marc-Aurèle. On savait déjà que
ce dernier, personnellement plein
d'indifférence pour les combats de
gladiateurs, avait fait en sorte de les rendre moins
onéreux pour ceux qui devaient y contribuer de
leur bourse. La lex Italicensis,
découverte en 1888, nous en a apporté
une preuve éclatante. L'orateur a
proposé au sénat plusieurs mesures qui
ont été adoptées et ont
reçu force de loi sous la forme d'un
sénatus-consulte. Il est à remarquer
que la limitation des frais imposés aux
magistrats ne porte pas sur le chiffre total de la
somme déboursée ; il est prévu
expressément qu'elle peut s'élever
« à 200 000sesterces (543741 fr.)
et au-dessus, et quidquid supra susum versum
erit ». Il n'est pas davantage
question du nombre annuel des munera, ni du
maximum que pouvait atteindre le chiffre des
combattants. Mais c'est évidemment que sur
tous ces points les lois antérieures
étaient suffisamment explicites ; il
était inutile d'y revenir. Le
législateur suppose donc que l'editor
muneris a notifié officiellement la somme
qu'il entend débourser ; une fois qu'on lui a
donné acte de sa déclaration :
- il peut acheter toute formée la troupe
de son prédécesseur ; c'est le
procédé que l'empereur semble
recommander aux flamines, de
préférence à tout autre, parce
qu'il leur épargne des marchandages
avilissants ; le contrat se conclut entre deux
hommes également soucieux de leur honneur ;
cependant on ne croit pas inutile de leur rappeler
que le flamine sortant doit revendre ses
gladiateurs au prix coûtant ;
- l'editor recrute lui-même sa
troupe ;
- il s'adresse à un lanista pour la
recruter en totalité ou en partie ; dans ce
dernier cas il s'agit de savoir sur quelles bases
sera établi le contrat qui fait passer
à l'editor tous les droits du
lanista sur ses hommes ; tel est l'objet
principal du règlement nouveau.
L'impôt (vectigal gladiatorium)
Jusque-là le fisc prélevait sur le
commerce du lanista (laniena) un droit de
33,33, et de 25 pour 100. De ce chef il percevait, au
temps de Marc-Aurèle, une somme annuelle de 20
millions et de 30 millions de sesterces (5 437400 fr.
et 8156100 fr.). Naturellement le lanista se
dédommageait de l'impôt énorme
qu'il avait à payer en élevant ses prix
en proportion, et même il s'en prévalait
pour les élever au delà de toute
mesure, de sorte qu'en définitive
c'était sur l'editor que retombait
cette charge, encore accrue par les
prétentions exorbitantes du trafiquant. Comme
le dit l'orateur, fiscus lanienae aliorum
praetexebatur, ad licentiam foedae rapinae
invitatus. Outre cet inconvénient,
l'impôt en avait encore un autre aux yeux de
Marc-Aurèle, celui de mêler le nom
sacré du prince à des
négociations qui mettaient en jeu des vies
humaines ; c'est ce que l'orateur exprime ainsi avec
une véritable noblesse : Omnis pecunia
principum pura est, nulla cruoris humani adspergine
contaminata, nullis sordibus foedi quaestus
inquinata, et quae tam sancte paratur quam
insumitur. Le remède, Marc-Aurèle
l'a trouvé dans la suppression pure et simple
de l'impôt. Au-moment de la promulgation du
sénatus-consulte, le reste à recouvrer
par le fisc s'élevait à 50 millions de
sesterces (13593500 fr.). L'empereur fait remise
d'une partie de cette somme aux lanistae,
ut solacium ferant, et in posterum tanto pretio
invitentur ad opsequium humanitatis. Le montant
de la remise devait être
déterminé exactement dans la
relatio impériale, reproduite en
tête du document, et que nous avons perdue. Il
n'est pas douteux que cette réforme, qui
privait l'Etat d'une ressource importante, dut
être blâmée par beaucoup de gens
comme préjudiciable aux intérêts
publics ; il est d'autant plus honorable pour
Marc-Aurèle et pour Commode, qui lui
était alors associé, d'en avoir
assumé la responsabilité.
C'était au sénat, dit l'orateur,
à réparer cette brèche par une
sage économie.
Prix d'achat
Ce qui très souvent faisait monter les frais
au delà de toute prévision, c'est que
les gladiateurs en renom, ou leurs lanistae,
vendaient leurs services à des prix fabuleux :
l'editor qui tenait à sa
popularité devenait alors leur proie ;
Tibère dut un jour payer 100000 sesterces
(27187 fr.) pour obtenir le rengagement de quelques
sujets d'élite. Marc-Aurèle coupa court
à ces spéculations
éhontées en fixant un tarif maximum,
proportionnel à la qualité des
combattants. I1 établit d'abord deux
catégories. La première comprend les
gladiateurs de force ordinaire, promiscua
multitudo, ou gregarii ; le minimum du
prix d'achat doit être de 1000 sesterces (271
fr.), le maximum de 2000 (543 fr.). La seconde
catégorie comprend les gladiateurs de choix,
que distinguent leur force et leur beauté,
meliores, summi, formonsi gladiatores ;
ceux-là sont partagés generatim
en plusieurs classes, ordines, classes, coetus,
manipuli. Pour chacune d'elles le prix maximum
est établi par tête de combattant
d'après l'importance du munus auquel il
prend part, comme l'indique le tableau suivant ; les
chiffres sont ceux des sesterces :
Comme on le voit, pour les summi gladiatores
le maximum le plus bas est de 3000 sesterces, le plus
élevé de 15 000. Mais il ne faut pas
oublier que nous avons là des prix tels qu'on
en établit dans un tarif ; il est fort
possible que, même dans la suite, ils aient
été souvent dépassés,
lorsque des editores prodigues, traitant de
gré à gré, voulaient s'assurer
les services d'un gladiateur fameux, à
n'importe quelles conditions.
La lex Italicensis prévoit aussi que
les lanistae pourront trouver une
échappatoire ; les gregarii
étant d'un prix bien inférieur, ils
diront qu'ils n'en ont point dans leurs troupes, que
tous leurs sujets sont des sujets de choix. Pour
prévenir cette manoeuvre, la loi stipule que
la moitié des combattants
présentés dans chaque journée du
munus devra se composer de gregarii, et
si le lanista n'en a pas en nombre suffisant,
il remplira les vides par des meliores, sans
augmentation de frais pour l'editor. De plus,
dans les munera donnés par les
magistrats municipaux, le prix d'un gladiateur ne
dépassera point 2000 sesterces (543 fr.), ce
qui semble indiquer qu'on n'y devra faire combattre
que des gregarii, ces spectacles étant
moins brillants que ceux qui étaient
donnés par les flamines des provinces ; et par
conséquent on en peut conclure qu'à
cette époque ils rentraient dans la
catégorie de ceux dont les frais
étaient inférieurs à 30000
sesterces (8156 fr.).
Enfin une distinction est établie,
d'après leur importance respective, entre les
cités dans lesquelles se donne le munus
provincial. Les plus peuplées et les plus
riches, fortiores, forment un premier groupe ;
c'est à elles seules que s'applique dans son
entier le tableau ci-dessus ; en effet,
c'était là surtout que les prix avaient
atteint des proportions exagérées.
Quelle que soit celle des quatre catégories
dans laquelle rentre le munus du flamine, il
devra faire paraître chaque jour des
gregarii et des meliores, de telle
sorte qu'ils soient des deux parts en nombre
égal (numero pari) ; et en outre
choisir un nombre égal de meliores dans
chacune des classes indiquées par le tableau
pour le munus correspondant. Ainsi un flamine
donne un munus de la catégorie c, qui
doit durer deux jours et comporte trente paires de
gladiateurs :
- il devra présenter chaque jour quinze
gladiateurs gregarii et quinze
meliores ;
- les quinze meliores de chaque
journée devront être choisis à
raison de trois dans chacune des cinq classes de la
catégorie c.
Par là on évite que le
lanista lui force la main en déclarant
:
- qu'il ne peut lui livrer que trente
meliores ;
- que les trente meliores obligatoires
sont tous des sujets également remarquables,
appartenant à la première, ou tout au
plus à la seconde classe.
Pour les cités de moindre importance
(tenuiores) la loi ne descend point dans tant
de détails. Elle fixe provisoirement comme
type de leurs munera le tableau de la
catégorie a, en désignant, pour y
introduire les corrections nécessaires, les
gouverneurs de provinces, et, en Italie, les
magistrats qui en ont la compétence. Ils
devront toujours respecter la division des
gladiateurs en trois classes, mais ils pourront
modifier les prix, en prenant pour base les comptes
des munera, tant publics que privés,
qui ont été
célébrés dans la ville
intéressée pendant les dix
dernières années. Ce travail devra se
faire immédiatement après la
promulgation du sénatus-consulte.
Frais des récompenses
La récompense en argent, méritée
par une victoire, peut rester la
propriété du gladiateur, même
s'il est esclave : nouvelle ressource pour le
lanista prêt à exploiter
l'editor ; car cette récompense, c'est
l'editor qui la paye ; elle est fixée
d'avance et comprise dans le contrat d'achat, sous le
nom de préciput (praecipuum mercedis).
Là encore Marc-Aurèle impose un maximum
: il devra être proportionné au prix
qu'a coûté le gladiateur victorieux ; il
sera du cinquième pour un esclave, du quart
pour un homme libre. Ces conditions s'appliquent sans
aucun changement au gladiateur libéré,
qui se rengage en traitant directement avec
l'editor, sans recourir à
l'intermédiaire du lanista.
Appel
Un magistrat ou un prêtre, chargé par la
décision d'une assemblée de donner des
spectacles, quels qu'ils fussent, avait toujours le
droit d'en appeler à une autorité
supérieure, s'il jugeait que ses moyens ne lui
permettaient pas de suffire à la
dépense prévue ; naturellement ce droit
appartenait aussi aux catégories de
dignitaires pour qui les munera étaient
obligatoires, et même à ceux qui, les
ayant choisis de préférence à
des Ludi, en trouvaient encore les conditions
trop lourdes. Il est probable qu'en Italie ce fut
d'abord le praefectus urbi qui connaissait de
ces sortes d'affaires et qu'elles revinrent plus tard
aux Juridici institués par
Marc-Aurèle. Dans les provinces il semble
qu'elles devaient être attribuées au
gouverneur. Cependant nous voyons qu'on pouvait en
appeler au prince lui-même ; peut-être
les flamines provinciaux en avaient-ils seuls le
droit, comme ministres du culte de Rome et d'Auguste.
L'appelant désignait pour le remplacer un de
ses concitoyens qu'il déclarait être
mieux en situation de faire face à la
dépense, et en même temps il
déposait comme caution une certaine somme
d'argent ; il la perdait s'il était
débouté, et en outre il devait
restituer à son remplaçant une somme
quadruple de celle qu'avait coûté le
munus. S'il renonçait à l'appel
avant que le jugement eût été
prononcé, il n'en subissait pas moins la
peine, sauf le cas où le juge lui en faisait
remise (gratia appellationis). La lex
Italicensis nous apprend qu'au moment où
Marc-Aurèle promulgua son tarif, de nombreuses
instances de ce genre avaient été
introduites auprès de lui ; ce fut
évidemment parce qu'il les trouvait justes et
qu'il en était fatigué qu'il se
décida à prendre cette mesure. A peine
les appelants en furent-ils instruits, qu'ils
renoncèrent d'eux-mêmes à
poursuivre l'affaire et sollicitèrent leur
gratia, en déclarant que
désormais ils étaient prêts
à accepter une charge que le règlement
nouveau leur rendait facile. Pourtant le droit
d'appel subsista toujours comme une garantie
précieuse pour les organisateurs des
munera officiels ; jointe à celle que
leur offrait le tarif, elle opposa à la
cupidité des lanistae une
barrière qui n'a pu manquer d'être
efficace.
- Munera fermés. Avant même que
les combats de gladiateurs eussent été
introduits à Rome, c'était chez les
Campaniens une coutume nationale d'en faire un des
divertissements de leurs festins. Ces combats à
huis clos, où l'on n'admettait que ses amis,
furent aussi adoptés par les Romains ; un auteur
l'affirme, et on n'en saurait douter quand on voit de
riches particuliers entretenir à leurs gages des
bandes permanentes de gladiateurs en dehors même
du temps où ils remplissaient de grandes charges
; c'était, il est vrai, un commerce comme un
autre dont ils tiraient profit quelquefois ; mais
c'était aussi une façon d'assurer leurs
plaisirs particuliers. Au temps de l'Empire, lorsqu'on
eut publié sur cette matière des lois
restrictives, il est probable que les combats à
domicile ou dans des salles louées pour la
circonstance devinrent plus rares. Mais, en revanche,
ils donnèrent naissance à un des services
de la maison impériale. Ainsi les munera
que Domitien fit célébrer chaque
année aux Quinquatrus dans son palais d'Albanum
durent être réservés aux amici
principis et aux personnes qui avaient reçu
une invitation spéciale. Les inscriptions
mentionnent certains affranchis de la maison
impériale qui ont été
attachés à l'administration de ces
spectacles ; ce sont les liberti a commentariis
rationis vestium gladiatoriarum ; ils
équipaient la troupe particulière du
prince et en tenaient la comptabilité.
-
Condition des gladiateurs
La condition des gladiateurs donnait lieu aux
distinctions suivantes :
- Criminels condamnés à mort
(noxii ad gladium ludi damnati, kakourgoi,
katadikoi)
Il arrivait souvent que les représentants de
l'autorité publique mettaient à la
disposition des editores munerum des criminels
condamnés à mort par les tribunaux. Les
uns devaient être déchirés par la
dent des bêtes féroces [Venatio],
les autres périr sous le glaive ; la
première peine était prononcée
contre les esclaves et les affranchis ; la damnatio
ad gladium, moins avilissante et moins terrible,
frappait les criminels de naissance libre, ou ceux qui
appartenaient à la classe des
honestiores, comme les décurions, les
vétérans et les fils de
vétérans. En général
ceux-ci avaient la tête tranchée dans la
prison même, par la main du bourreau ; mais ils
pouvaient aussi, à la suite d'une
décision spéciale, être
envoyés dans l'arène, pour y être
exécutés au milieu des combats de la
gladiature (ad gladium ludi deputari). Cependant
cette sentence ne faisait point d'eux des gladiateurs
et ce n'est que par un abus de langage que les modernes
leur ont appliqué ce nom. D'abord on pouvait les
livrer désarmés au fer de
l'exécuteur ; ce n'était rien de plus
qu'un égorgement. Sénèque a
raconté avec indignation une scène de ce
genre, à laquelle venait d'assister le peuple de
Rome. Le matin avait eu lieu une venatio ; la
journée devait se terminer par un munus ;
à midi, dans l'intervalle entre les deux
spectacles, dum vacabat arena, on amena une
troupe de condamnés, et on désigna parmi
eux une première paire, composée d'un
homme armé et d'un homme désarmé :
le premier devait tuer le second ; puis il passait
l'épée à un autre qui le frappait
à son tour, et ainsi de suite, jusqu'à ce
qu'ils eussent tous rendu l'âme. Cette affreuse
boucherie servait donc d'intermède ; elle n'en
était pas moins publique ; car si l'arène
était vide, au moment où elle
commençait, les gradins ne l'étaient pas.
Sénèque oppose avec horreur aux combats
de la gladiature ces exécutions qu'il appelle
mera homicidia. D'autres fois les noxii
étaient tous également pourvus d'armes et
en venaient aux prises avec des chances égales :
tels furent ceux que Claude fit paraître, en 52,
dans une naumachie, qui eut lieu sur le lac Fucin ;
mais en ce cas il y avait entre eux et les gladiateurs
une différence essentielle : c'est que les
vainqueurs eux-mêmes ne devaient pas sortir
vivants de l'arène ; si on leur donnait des
armes, ce n'était pas pour les mettre en
état d'en réchapper ; c'était
simplement afin que l'exécution
présentât quelque intérêt
pour les spectateurs. Lorsqu'un condamné ainsi
exposé revenait sain et sauf du combat, ou bien
on le réservait pour une exécution
prochaine, ou bien on l'égorgeait séance
tenante ; car une sentence capitale devait avoir son
effet dans le délai d'un an ; ni le public, ni
le gouverneur de la province ne pouvaient l'annuler ;
ce droit n'appartenait qu'à l'empereur seul. Les
noxii condamnés à mort en Italie
et dans les provinces devaient être souvent
envoyés à Rome pour y subir leur peine
dans l'amphithéâtre. Mais nous voyons
aussi par les textes et par les inscriptions que,
même en dehors de la capitale, les
editores de toute catégorie se
procuraient des noxii pour leurs munera ;
ils devaient alors s'adresser au gouverneur de la
province, qui donnait au personnel des prisons les
ordres nécessaires ; en même temps ils
déposaient entre les mains du procurator
Augusti une caution, qui ne devait en aucun cas
être inférieure à six aurei
(155 fr.), et ils s'engageaient par serment à
faire exécuter, sous leur propre
responsabilité, la sentence de mort.
- Forçats
Les criminels condamnés aux travaux
forcés pouvaient être obligés
à faire leur temps de peine comme gladiateurs.
En ce cas il y avait entre eux et les
précédents une différence
considérable ; c'est que, s'ils couraient le
risque de perdre la vie (discrimen, periculum
vitae), elle ne leur était pas
nécessairement ôtée, quelle que
fût l'issue du combat. Leur sort était
assimilable à celui des criminels que l'on
condamnait au travail des mines [Metallum] ; les
deux peines rentraient également dans la
catégorie des poenae mediocres, et
même la première, à ce qu'il
semble, était considérée comme
moins dure que la seconde. Le forçat
destiné à la gladiature ne passait pas
directement de la prison à
l'amphithéâtre comme le condamné
à mort ; mais on l'envoyait à
l'école (in ludum dabatur), où on
lui enseignait le maniement des armes, pour le mettre
dans un état d'égalité parfaite
avec ses adversaires. S'il sortait vainqueur de
l'arène, le maître de la troupe ne perdait
pas le droit de vie et de mort qu'il avait sur sa
personne ; mais comme en général il avait
intérêt à prolonger son existence,
il faisait soigner ses blessures et veillait sur sa
santé. Devenu impropre au service, le
forçat pouvait être
congédié, et, s'il était de
condition servile, affranchi après un certain
nombre d'épreuves heureuses. Des empereurs et
certains personnages célèbres ont
été accusés de n'avoir pas, en
pareil cas, observé la coutume : des
forçats vainqueurs auraient été
égorgés par leur ordre ; la
réprobation unanime qu'ils excitèrent
montre bien qu'en usant d'un droit strict, ils avaient
heurté le sentiment public. Au contraire Pline
le Jeune cite des gouverneurs trop indulgents qui
avaient transformé en gens de service, dans
diverses administrations, des criminels
condamnés par les tribunaux à être
envoyés in ludum ; Trajan lui donne
l'ordre d'y faire rentrer tous ceux qui avaient
passé en jugement dans les dix dernières
années, et d'employer les autres à des
travaux de voirie. Les prisonniers de guerre furent
souvent traités comme les forçats ;
après la prise de Jérusalem, Titus envoya
dans les carrières d'Egypte une partie des Juifs
qu'il avait pris les armes à la main ; les
autres furent répartis entre plusieurs villes de
la Grèce pour y combattre sous les yeux du
peuple assemblé.
- Esclaves
Jusqu'au temps d'Hadrien, tout esclave, quel qu'il
fût, pouvait être condamné par la
seule volonté de son maître à
exercer le métier de gladiateur
(gladiatura) : ainsi Vitellius, mécontent
de son favori Asiaticus, le vendit à un laniste
ambulant. Hadrien décida que désormais le
consentement de l'esclave serait nécessaire,
à moins qu'il n'eût été
reconnu coupable d'un méfait dûment
constaté ; à dater de cette époque
le maître qui, de son autorité
privée, contraignait un de ses esclaves à
entrer au ludus, fut probablement tenu de faire
une déclaration devant un magistrat et
d'indiquer les motifs de sa décision (causam
praestare), d'où nous devons conclure
qu'elle était cassée si elle paraissait
trop sévère. D'autre part,
l'amphithéâtre n'était en aucun cas
un lieu d'asile pour l'esclave fugitif ; le
maître avait le droit de l'en arracher. Dans les
inscriptions, le nom du gladiateur esclave est
généralement suivi de celui de son
maître au génitif ; ainsi : OPTATVS
SALVI(i) ; dans les inscriptions grecques son nom peut
être accompagné de la mention
doulos.
-
Engagés volontaires
(auctorati)
- Ingénus
Tout ingénu peut s'engager volontairement
pour combattre comme gladiateur moyennant salaire ;
mais la loi y met une condition, au moins s'il est
citoyen romain ; c'est qu'il fera auparavant une
déclaration (profiteri ad dimicandum)
devant un tribun de la plèbe ; ce magistrat
devait lui en donner acte en présence du
laniste, ou de l'editor, suivant le cas, et
en même temps il enregistrait son nom, son
âge et le chiffre de la somme promise
(gladiatorium). Il est même probable
que le tribun avait le droit de refuser
l'enregistrement, si l'homme lui paraissait
usé par l'âge (senior), ou
naturellement trop débile
(inabilior). La loi fixait le prix d'un
premier engagement à 2000 sesterces (543
fr.) ; la somme est misérable, si l'on songe
à ce que l'engagé offrait en
échange ; mais on avait voulu empêcher
par là que la tentation fût trop forte
pour des hommes nés dans une condition
honorable, que leurs malheurs ou leurs fautes
avaient réduits aux abois. On dit du
gladiateur ainsi engagé qu'il est, comme le
soldat, auctoratus. Mais il n'y a du reste
entre eux aucun rapport ; le gladiateur
engagé rentre dans la catégorie des
Infames ; il n'a plus droit ni au cheval de
l'ordre équestre, ni aux places d'honneur
qui lui sont réservées dans les
spectacles ; il ne peut pas être
décurion dans un municipe, ni se porter
défenseur en justice, ni déposer dans
un procès criminel ; s'il est surpris en
flagrant délit d'adultère, le mari
peut le tuer impunément ; enfin on lui
refuse, comme aux suicidés, une
sépulture honorable. L'engagement une fois
reçu, l'auctoratus, pour devenir un
gladiator legitimus, avait encore à
prêter serment devant le magistrat
d'après une formule traditionnelle ; il se
déclarait prêt à être
« brûlé,
enchaîné, frappé et tué
par le fer (uri, vinciri, verberari, ferroque
necari) », ce qui revenait à
dire qu'il reconnaissait à son nouveau
maître droit de vie et de mort sur sa
personne. Par conséquent, bien qu'il ne
perdît pas en principe sa qualité
d'homme libre, il était assimilé
à l'esclave pendant toute la durée de
son engagement. Ainsi dans le cas où on
l'enlève frauduleusement à son
maître, c'est au maître seul que
compète l'action furti ;
l'auctoratus est à ce point de vue
dans la même situation que le débiteur
incarcéré (judicatus). De
telles dispositions constituent en
réalité une dérogation
formelle aux principes du droit romain ; mais elles
montrent en même temps combien le
législateur, tout en cédant à
l'entraînement populaire, a été
préoccupé d'en atténuer les
effets ; plus il dégradait
l'auctoratus et plus il pouvait
espérer que les gens honorables reculeraient
devant une pareille condition. L'histoire nous
prouve qu'il n'en fut rien. Parfois de jeunes
hommes s'engageaient pour subvenir aux besoins d'un
ami, ou d'une personne de leur famille :
c'était là un sujet de
déclamations sentimentales, sur lequel on
exerçait volontiers les élèves
dans les écoles de rhétorique ; mais
l'aventure a dû être aussi rare que le
thème était commun. Assurément
le plus grand nombre obéissait à des
motifs moins nobles ; les uns, tombés dans
la misère étaient encore heureux,
même à ce prix, de trouver dans le
ludus une table et un gîte ; les
autres, plus ambitieux, plus capables, ou plus
naïfs, espéraient bien arriver par
là à la fortune. Quelquefois aussi
les dangers même de la gladiature et la
gloire spéciale qu'elle rapportait pouvaient
exercer un certain attrait sur les natures
audacieuses. On ne peut guère douter que les
hommes ainsi recrutés fussent en
général d'une moralité assez
douteuse, si l'on songe à la
flétrissure légale qu'ils devaient
subir et au traitement qui les attendait dans le
ludus. A peine les auctorati
avaient-ils rempli les formalités d'usage,
qu'ils devaient passer sous la férule ;
c'était probablement une épreuve peu
douloureuse, et plutôt symbolique,
destinée à leur rappeler que la
formule du serment n'était pas lettre morte
; mais pour en arriver là il leur fallait
une certaine résignation, qui d'ordinaire
s'allie mal avec le sentiment de l'honneur.
Cependant on ne manqua jamais d'engagés
volontaires. Au temps des guerres civiles,
l'auctoratio attira autour des chefs de
partis une foule d'aventuriers prêts à
toutes les besognes ; puis, quand Auguste eut
rétabli l'ordre, l'amphithéâtre
leur resta encore comme une carrière
à défaut d'autre. Un exemple
cité par Dion Cassius montre avec quelle
facilité on passait de l'armée
à la gladiature : Septime
Sévère ayant commencé à
recruter la garde prétorienne en dehors de
l'Italie, beaucoup de jeunes Italiens, qui n'y
trouvaient plus d'emploi, se firent brigands ou
gladiateurs. Les inscriptions mêmes, et
quelques-unes datant des premiers temps de
l'Empire, mentionnent un certain nombre d'hommes
libres qui ont pris part à des
munera. Il faut bien se figurer du reste que
les chefs de troupes étaient à
l'affût de ces vocations et qu'ils savaient
au besoin les faire naître, comme les
racoleurs de l'ancien régime, par de
savantes manoeuvres. « Ils
circonvenaient, dit Sénèque le
père, les malheureux jeunes gens assez
naïfs pour les croire, et jetaient dans leurs
écoles les plus beaux hommes, les mieux
faits pour le service militaire ». On
vit des personnages d'ordre équestre ou
sénatorial renoncer à leur rang pour
descendre dans l'arène. Des dispositions
législatives furent prises pour
arrêter ce scandale ; il est probable
qu'elles s'appliquaient aussi bien au cirque et au
théâtre qu'à
l'amphithéâtre et qu'elles visaient
d'une façon générale tous les
membres de la noblesse qui se dégradaient en
remplissant un rôle actif dans des jeux,
quels qu'ils fussent. Mais le retour
fréquent de ces mesures suffirait à
prouver combien elles furent impuissantes ; la
cause en est dans l'indulgence que l'opinion
publique réservait aux coupables, et plus
encore dans les encouragements qu'ils
reçurent de certains empereurs, très
épris eux-mêmes de cet art cruel :
« Ils employèrent l'or, dit
Tacite, plus souvent la contrainte, pour faire
descendre les nobles à cet abaissement, et
la plupart des municipes et des colonies se
faisaient une servile émulation d'y
entraîner à prix d'argent leur
jeunesse la plus corrompue ». Les
inscriptions désignent les gladiateurs de
condition libre soit par les tria nomina,
soit par le prénom et le gentilice ; ainsi :
Q. DUCENNIUS OPTATUS, ou Q. CLEPPIUS.
- Affranchis
Si la sévérité des lois
n'empêchait pas les ingénus d'entrer
dans la gladiature, on peut penser que les
affranchis y répugnaient encore moins ; en
effet nous savons par Pétrone qu'il y en
avait dans certaines troupes et que le public
établissait entre eux et leurs camarades de
condition servile une différence
marquée ; le spectacle paraissait d'une
classe plus relevée, lorsque figuraient au
programme familia non lanisticia, sed plurimi
liberti. Cette préférence
s'explique fort bien ; l'affranchi, qui se
proposait pour servir comme gladiateur moyennant
salaire, pouvait avoir obtenu la liberté par
l'exercice de toute autre profession ; dans ce cas,
comme l'ingénu, il apportait
déjà à
l'amphithéâtre, où il entrait
de plein gré, beaucoup plus de zèle
que l'esclave, qui y était poussé par
la volonté d'un maître. Mais en outre
l'affranchi avait pu arriver à la
liberté par la gladiature même ; le
premier usage qu'il en faisait, c'était de
s'engager, et comme il avait alors derrière
lui plusieurs années de pratique, on
conçoit qu'il l'emportait aisément,
par son expérience des armes, sur ceux de
ses compagnons qui n'étaient pas encore
sortis de la condition d'esclave. Il est probable
même que ce dernier cas devait être le
plus commun, et que le gladiateur de la classe des
liberti était en
général un sujet d'élite,
déjà libéré au moins
une fois. Nous devons supposer aussi que le
libertus qui s'engage pour l'arène
est soumis aux mêmes formalités que
l'ingénu, c'est-à-dire à la
déclaration devant un tribun, et au serment
d'usage. La dégradation est pour lui
beaucoup moindre que pour l'ingénu, par la
raison que ses droits antérieurs
étaient plus restreints. Une fois qu'il est
engagé, le patron à qui il doit sa
liberté n'a rien à prétendre
sur les bénéfices qu'il tire de
l'amphithéâtre ; toute convention, que
son patron lui aurait imposée, pour obtenir
de lui ce genre de services (operae)
après l'affranchissement, serait nulle de
plein droit. Dans les inscriptions, le
libertus gladiateur est nommé
seulement par son nom servile, accompagné de
la sigle L., LIB., LIBR., LIBER ; ainsi : MARTIALIS
L., SEVERUS LIB. ; de même en grec :
ΠΕΠΛΟΣ ΕΛΕΥ(θερος).
Toutes les catégories qui viennent
d'être énumérées pouvaient se
trouver réunies dans une même troupe. Les
documents dont nous disposons nous permettent
d'apprécier approximativement dans quelle
proportion elles fournissaient des sujets à la
gladiature. Il est évident que les esclaves y
formaient la grande majorité. Ainsi sur
cinquante-neuf tesserae gladiatoriae reconnues
authentiques, il n'y en a que cinq qui portent des noms
d'hommes libres. Dans un munus donné
à Pompéi, sur seize combattants qui ont
été mis en ligne on compte cinq hommes
libres et onze esclaves : ailleurs les hommes libres sont
dans la proportion de six sur vingt. M. Mau conjecture
qu'entre ces deux classes de gladiateurs il y avait une
grande différence : c'est que les esclaves
étaient nécessairement enfermés au
ludus, au lieu que les autres logeaient en ville
dans leur ménage ; en effet nous en connaissons
plusieurs qui ont été ensevelis par les
soins de leur femme, à un âge où il
semble bien qu'ils fussent encore en activité de
service. Cette opinion peut être admise, à
condition de n'être pas trop
généralisée ; les hommes libres non
mariés devaient trouver beaucoup plus d'avantage
à être entretenus au ludus
qu'à vivre au dehors ; il est probable qu'il y
avait entre eux et le laniste diverses formes de contrat,
qui comportaient beaucoup de nuances.
Terme du service (liberatio)
Un gladiateur, vainqueur ou non, peut sortir vivant non
seulement d'un combat, mais d'une série de
combats. Pendant combien de temps doit-il ses services au
chef de troupe et combien de fois pendant cette
période est-il tenu d'exposer sa vie, c'est ce
qu'il est difficile de dire, d'autant plus que le nombre
des épreuves et la durée du service
devaient varier suivant la condition des individus. Il
faut d'abord distinguer soigneusement l'école, le
ludus, où le gladiateur habite et s'exerce,
et l'amphithéâtre, qui est son champ de
bataille. It est dispensé une fois pour toutes de
l'obligation de jouer sa vie dans
l'amphithéâtre le jour où on lui
donne, comme un symbole de congé, une
épée de bois (rudis), semblable
à celle dont on se servait pour apprendre
l'escrime ; mais tout gladiateur n'est pas
libéré de l'école par le seul fait
d'être rudiarius
(αποταξαμενος).
Ainsi nous savons que l'homme condamné à
l'arène par jugement d'un tribunal, et devenu de
ce chef servus poenae, peut être
dispensé au bout de trois ans de l'obligation de
combattre ; mais il doit rester encore enfermé au
ludus pendant deux autres années avant de
recevoir le bonnet de l'affranchi [pileus], qui le
libère complètement. Il lui faut donc, au
total, fournir cinq ans de service, et encore n'est-ce
là qu'un minimum, qui devait être dans la
pratique souvent dépassé. On voit quel
avait été le but du législateur en
imposant ce minimum : il avait voulu empêcher qu'un
criminel, favorisé par la chance et par les
spectateurs, ne fût trop vite rendu à la
liberté, mesure d'autant plus nécessaire
que les criminels, assassins ou autres, ne devaient pas
faire les plus mauvais gladiateurs. Pour le gladiateur
esclave, la volonté du maître était
souveraine ; celui-ci avait seul le droit absolu de
l'affranchir et il était libre d'en choisir le
moment à sa convenance ; quelquefois, il est vrai,
les instances du public étaient si pressantes que
l'editor avait la main forcée et qu'il se
laissait arracher une promesse ; mais la manumissio ex
acclamatione populi fut toujours
considérée comme un abus ; il y avait
même un édit de Marc-Aurèle qui la
déclarait nulle de plein droit, si le
propriétaire de l'esclave établissait qu'il
avait dû céder contre son gré aux
sollicitations populaires : par conséquent
l'esclave qui avait obtenu de ceindre
l'épée de bois (rudem induere)
pouvait attendre encore longtemps avant de coiffer le
bonnet (pileari). Pour l'auctoratus il
n'était pas question de gagner le bonnet,
puisqu'il n'avait jamais perdu en principe sa
qualité d'homme libre ; il pouvait même se
racheter (se redimere) avant d'avoir combattu,
s'il parvenait à réunir une somme
suffisante pour rembourser au laniste le prix de son
engagement et les frais d'entretien qu'il lui avait
coûté ; les rhéteurs avaient
imaginé sur cette donnée l'histoire d'un
gladiateur que sa soeur avait plusieurs fois tiré
de l'école ; à la fin,
désespérant de venir à bout de ses
mauvais instincts, elle lui avait coupé le pouce
pendant qu'il dormait, pour le mettre hors d'état
de tenir une arme. Mais tout dépendait des termes
du contrat ; peut-être ce rachat n'était-il
pas toujours possible ; peut-être aussi dans
certains cas l'ingénu, qui avait obtenu la
rudis, avait-il encore quelque temps à
passer à l'école avant d'être
exauctoratus. Ainsi il faut distinguer trois
catégories de rudiarii :
- ceux qui en avaient fini une fois pour toutes, et
sans esprit de retour, avec l'école et
l'amphithéâtre ;
- ceux qui avaient été
libérés de l'amphithéâtre,
mais non de l'école et qui attendaient leur
libération définitive ;
- les rengagés, qui retournaient
volontairement et à l'école et à
l'amphithéâtre, ou à
l'amphithéâtre seul.
Rengagement
En effet tout gladiateur libéré, quelle
qu'eût été sa condition, pouvait se
rengager (instaurare discrimen), s'il était
encore assez valide et si un propriétaire de
troupe voulait bien le reprendre (revocare). Le
gladiateur fatigué, qui ne cherchait qu'un
gagne-pain, devait naturellement, à supposer qu'il
trouvât preneur, accepter le prix le plus infime,
fût-ce les 1000 sesterces (271 fr.) que l'on
donnait au gregarius pour un premier engagement.
Mais le rudiarius encore robuste, surtout celui
qui s'était signalé par des victoires,
avait de tout autres prétentions. Afin d'y mettre
des bornes, la loi de Marc-Aurèle fixe le maximum
du prix de rengagement, pour le gladiateur qui traite
lui-même, à 12 000 sesterces (3262 fr.) ; ce
qui n'empêchait pas le laniste d'y ajouter encore
sa commission, si on avait eu recours à ses
services, mais sans qu'il pût toutefois, commission
comprise, dépasser le maximum de 15000 sesterces
(4078 fr.)
Location
Jusqu'ici nous n'avons envisagé que le cas dans
lequel le gladiateur se vend ou est vendu pour un temps
indéterminé, sous la réserve du bon
plaisir du public. Mais il y avait encore un autre cas :
l'homme pouvait être loué pour un seul
combat ; seulement il courait un tel risque que la
location se faisait alors sous condition. Gaius donne un
exemple d'un contrat de ce genre : on stipulait que le
preneur, après le spectacle, payerait 20 deniers
(21 fr. 75) pour chaque homme qui sortirait de
l'amphithéâtre vivant et sans blessures
graves (in singulos qui integri exierint) ; cette
somme représente la rémunération de
sa peine (pro sudore). Au contraire pour tout
homme tué ou estropié le preneur s'engage
à payer 1000 deniers (1087 fr.) ;
c'est-à-dire qu'en réalité ceux-ci
lui coûtent, comme le fait observer Gaius, ce
qu'ils lui auraient coûté, s'il les avait
achetés, et non loués. On voit
néanmoins par ces prix que l'organisateur d'un
munus, s'il n'était pas riche, pouvait
encore trouver une combinaison qui lui permît de
rester même au-dessous des frais prévus par
la loi de Marc-Aurèle. Il n'est pas douteux que
beaucoup de gens y recouraient avec empressement. Ainsi
on pouvait louer un gladiateur pour 20 deniers, soit 80
sesterces, et comme les lanistes se faisaient concurrence
les uns aux autres, il est possible même que ce
prix fût encore abaissé quelquefois ;
seulement les sujets à bon marché
tâchaient de se faire le moins de mal possible.
Pétrone a tracé le tableau d'un combat
ridicule, dont on attendait des merveilles, et où
parurent, au grand désappointement du public, des
gladiateurs d'aspect lamentable, loués pour
quelques sesterces par tête, des gladiatores
sestertiarii : « Ils étaient si
décrépits qu'un souffle les eût
renversés. L'un était si lourd qu'il ne
pouvait se traîner ; l'autre avait les pieds tortus
; un troisième était à moitié
mort, car il avait eu déjà les nerfs
coupés ; à la fin ils se firent tous
quelque blessure pour terminer le combat ;
c'étaient des gladiateurs à la douzaine, de
véritables poltrons (fugae
merae) ».
- Patries, races des gladiateurs
Les gladiateurs se recrutant surtout dans la classe des
esclaves, une même troupe pouvait réunir des
hommes appartenant aux races les plus diverses ; elles
devaient être très mêlées,
notamment dans les écoles impériales, par
suite de la facilité avec laquelle leurs
administrateurs faisaient des échanges d'une
province à l'autre. Mais il arrivait aussi dans des
jeux d'une splendeur exceptionnelle que l'on montrait au
peuple par grandes masses des prisonniers étrangers,
comme on lui montrait des animaux rares à l'occasion
des VENATIONES ; on comptait alors sur la
singularité de leur aspect pour réveiller la
curiosité des spectateurs blasés. Au temps de
la République on avait vu paraître dans
l'arène des Gaulois et des Thraces. Sous l'Empire,
au fur et à mesure que s'étendit la
conquête, on fit combattre dans la capitale des
barbares amenés des contrées les plus
lointaines : des Daces et des Suèves sous Auguste
(28 av. J.-C.), des Bretons sous Claude (47) ; en 274
Aurélien, à la suite d'un triomphe, mit aux
prises huit cents paires de gladiateurs choisis parmi les
nations vaincues, Goths, Mains, Itoxolans, Sarmates,
Francs, Suèves, Vandales et Germains. En 282, Probus
condamna à la même peine des Plémyes
venus de l'Ethiopie, des Germains, des Sarmates et des
brigands Isauriens. Plus tard encore des Saxons furent
envoyés à l'amphithéâtre.
C'était déjà pour la foule un puissant
attrait que la vue de ces barbares aux types si
variés, qu'elle ne connaissait encore que par les
bulletins des dernières campagnes ; mais ce qui
ajoutait à l'intérêt du spectacle,
c'est que les combattants conservaient dans l'arène
le costume et les armes de leur patrie, et qu'ils
appliquaient à cette lutte suprême le genre de
manoeuvre qui leur était habituel. Toutefois ces
grandes tueries ne peuvent pas être classées
parmi les spectacles ordinaires de
l'amphithéâtre ; comme on l'a
déjà vu, les captifs étrangers
n'étaient pas, à proprement parler, des
gladiateurs ; sauf dans la période des origines, ils
n'exercèrent aucune influence durable sur l'art
particulier de la profession. Certains empereurs sont
cités pour s'être livrés dans ce genre
d'exhibitions à des fantaisies extraordinaires :
Néron organisa à Pouzzoles, en l'honneur du
roi des Parthes Tiridate, un munus où on ne
vit paraître que des nègres ; Domitien fit
combattre des nains ; on alla jusqu'à armer des
femmes, dont quelques-unes de familles nobles, pour les
mêler à ces jeux sanglants. En l'an 200 une
troupe de femmes y déploya une ardeur si
désordonnée qu'elle provoqua des troubles
dans le public ; de là un édit de Septime
Sévère qui interdit de recruter des femmes
pour l'amphithéâtre.
- Les propriétaires et le trafic
Dès le temps de la République beaucoup de
personnages riches et puissants formèrent des bandes
d'esclaves et d'engagés volontaires (familiae,
φαμιλιαι), pour
leur faire apprendre le métier de gladiateur. Ils
voyaient d'abord un avantage considérable à
avoir à leur entière discrétion un
grand nombre d'hommes armés, toujours prêts
à accourir à leur appel ; en outre ils
pouvaient ainsi à tout moment subvenir aux besoins
des munera organisés à leurs frais ;
et enfin ces troupes constituaient un capital qu'ils
exploitaient avec grand profit. Atticus ayant acheté
une troupe très bien exercée, Cicéron
lui écrit qu'il aurait dû la mettre tout de
suite en location ; elle lui aurait, en deux
représentations, rapporté ce qu'elle lui
avait coûté. Ces bandes pouvaient faire courir
à l'Etat de graves dangers ; on le vit bien pendant
les guerres civiles et dans les révoltes d'esclaves
; Spartacus, Catilina, César en tirèrent des
auxiliaires redoutables. Déjà cependant en
65, le sénat, suffisamment instruit par
l'expérience, s'en était ému : un
sénatus-consulte détermina le maximum du
nombre de gladiateurs qu'un citoyen pourrait
posséder dans la ville de Rome ; le chiffre qu'il
fixa n'était cependant pas inférieur à
trois cents paires ; Auguste l'abaissa à cent vingt
paires, et Tibère se montra peut-être plus
sévère encore. Caligula, au contraire, permit
de dépasser la limite établie par ses
prédécesseurs ; mais ce ne fut là sans
doute qu'une complaisance exceptionnelle, qui ne changea
rien à la législation. Ce furent les
Flaviens, à ce qu'il semble, qui les premiers
retirèrent aux particuliers le droit d'entretenir
des troupes dans la ville de Rome, à dater du jour
où ils y eurent fortement organisé les
troupes impériales ; elles sont désormais les
seules que l'on y trouve rassemblées à
demeure. Mais on a assez vu, par tout ce qui
précède, que ce même droit ne fut
jamais retiré aux particuliers en dehors de la
capitale. Peut-être même le gouvernement se
montra-t-il disposé à remanier pour eux dans
un sens plus libéral les règlements
antérieurs, une fois qu'il se fut rendu seul
maître des bandes casernées dans Rome ; sous
Domitien en effet le sénat fut consulté de
ampliando numero gladiatorum, ce qui doit s'entendre,
suivant toute vraisemblance, des gladiateurs de l'Italie et
des provinces. Après comme avant cette
époque, les magistrats et les flamines, à qui
incombe l'organisation des munera dans les
municipes, peuvent entretenir des gladiateurs s'ils en ont
les moyens. Ainsi font également les chefs
d'armées ; au début du principat de
Tibère, nous voyons Junius Blaesus, commandant
supérieur des légions de Pannonie,
entouré d'une bande de gladiateurs, qui lui sert de
garde particulière et le protège contre ses
soldats révoltés. Enfin tout particulier est
libre de former une troupe pour en faire un objet de
trafic, à la condition de se mettre en règle
avec les leges gladiatoriae. Une inscription de
l'île de Thasos mentionne plusieurs gladiateurs
appartenant à une femme. Quelquefois une même
troupe est exploitée par plusieurs associés
(socii), ayant tous des droits égaux sur
chacun de ses membres. Pour favoriser les transactions
entre les propriétaires il y avait des
marchés publics, où on mettait les
gladiateurs aux enchères. Un jour on vit Caligula
venir présider en personne à une vente sous
la haste ; on avait rassemblé là un grand
nombre d'hommes, sortis vivants des jeux publics
(reliquiae), et qui se trouvaient compris dans la
succession de magistrats ou de riches particuliers, morts
depuis peu. L'empereur surenchérissait
lui-même ; il fit monter les prix à des
chiffres extraordinaires, abusant de la
nécessité où se trouvaient alors les
préteurs, chargés par son ordre de donner des
munera à bref délai ; le fisc
percevait un droit de 4 pour 100 sur la vente des esclaves.
« C'est un fait notoire, dit Suétone,
que, voyant Aponius Saturninus endormi sur les bancs, il
avertit le crieur de ne pas oublier cet ancien
préteur, qui ne cessait de lui faire signe de la
tête ; et il ne mit fin aux enchères
qu'après lui avoir fait adjuger, sans qu'il s'en
doutât, treize gladiateurs pour 9 millions de
sesterces » (2 446 83Q fr.), soit par homme 188
217 francs.
Le lanista (loudotrophos, monomachotrophos,
epistatês, monomachôn)
Aucune réprobation ne s'attachait à la
personne qui s'occupait de ce genre de négoce, si
elle avait d'autres moyens d'existence ; des magistrats,
des gens haut placés pouvaient y être
obligés à l'occasion, et même ils ne
dérogeaient pas en profitant de leur
expérience pour tirer de là une source de
revenus ; on avait des gladiateurs qu'on faisait valoir,
comme on avait d'autres esclaves, ouvriers,
pédagogues ou musiciens. Mais en revanche toute la
sévérité de l'opinion retombait sur
l'homme dont l'unique ressource consistait dans le commerce
des gladiateurs, la laniena ou lanistatura.
Le lanista, ou marchand de chair humaine
était assimilé au LENO ; aussi bien que les
malheureux dont il trafiquait, il était
infamis ; la loi lui refusait le jus honorum.
Bien qu'on pût se passer de ses services,
c'était un intermédiaire fort utile pour les
organisateurs de fêtes, qui n'avaient point de
troupes en propre et que le temps pressait. En pareil cas,
comme le dit l'orateur dans la loi de Marc-Aurèle,
le laniste savait se rendre nécessaire, se etiam
necessarium faciebat. Vente, achat et location
rentraient également dans le cercle de ses affaires
; il était en relations constantes avec tous ceux
qui avaient des hommes à vendre, notamment avec les
pirates. Quelquefois aussi il prenait chez lui des
esclaves, appartenant à plusieurs maîtres
différents ; il les instruisait et les
plaçait, en prélevant une part dans les
bénéfices ; ainsi nous possédons une
liste de gladiateurs, qui ont été
enrôlés sous la direction d'un certain C.
Salvius Capito ; sur dix-neuf esclaves qu'elle comprend, un
seul lui appartient à lui-même, les autres lui
ont été confiés par dix
propriétaires différents. Certains lanistes
avaient une maison de commerce où ils traitaient les
affaires sur place : tels ceux qu'Auguste chassa de Rome,
dans une année de disette, pour éloigner les
bouches inutiles. Mais d'autres voyageaient (lanistae
circumforanei), soit pour offrir ou recevoir la
marchandise, soit pour donner des représentations
à leur propre bénéfice. Ces
personnages réalisaient quelquefois de belles
fortunes ; leur profession était même une de
celles qui conduisaient le plus sûrement à la
richesse. Mais on conçoit qu'ils n'aimaient pas,
surtout alors, à se parer de leur titre ; aussi l'un
d'eux, dans une inscription, est-il appelé, par un
habile euphémisme, negotiator familiae
gladiatoriae.
-
L'école (ludus, loudos, katagôgion
monomachôn, monomachotropheion)
Les écoles les plus anciennes que mentionne
l'histoire sont celles de Capoue ; à la fin de la
République cette ville était encore comme
le quartier général de la gladiature ;
c'était là que les plus riches
propriétaires de Rome tenaient leurs bandes
enfermées ; ainsi en 105 av. J.-C. nous y voyons
installée celle d'un consulaire, Aurelius Scaurus
; en 73, celle de Cn. Lentulus Batiatus, où
Spartacus prépara ses plans de révolte avec
la complicité de deux cents de ses compagnons ; en
49, César avait à Capoue une troupe
importante qui fut licenciée par les chefs du
parti adverse ; au moment de passer le Rubicon, il
étudiait les plans d'une école nouvelle,
qu'il voulait faire construire à Ravenne. Il
semble donc qu'à cette époque les bandes,
qui avaient à combattre dans la ville de Rome, ne
pouvaient y séjourner longtemps et qu'on
évitait autant que possible de les y installer
à demeure dans des édifices
spécialement aménagés pour elles.
Cependant, en 44, un ludus a pu exister dans les
dépendances du théâtre de
Pompée. Ce fut sans doute lorsque Statilius Taurus
eut édifié dans la capitale (29 av. J.-C),
un amphithéâtre de pierre que l'on sentit le
besoin d'avoir, à proximité de
l'arène, un bâtiment spécial,
où l'on pût loger et exercer les gladiateurs
; on a conjecturé que ce bâtiment, de peu
postérieur à l'amphithéâtre,
pouvait être le Ludus Amititis, qui est
mentionné sous Auguste. Caligula eut aussi un
ludus, où il entretenait vingt paires de
gladiateurs, sans doute pour ses spectacles
privés. Ce que pouvait être un
édifice de ce genre, nous le voyons clairement par
celui qui a été découvert
à Pompéi près du grand
théâtre.
 |
Il s'étend en forme de quadrilatère
autour d'une cour de 55 mètres de long sur 44
de large ; cet espace vide, où se faisaient
les exercices, est bordé d'une colonnade,
destinée à supporter le toit d'un
portique. Sur les côtés s'ouvrent des
cellules (cellae,
οικοι),
mesurant chacune 4 mètres de large, qui
devaient être éclairées par une
imposte. Des indices certains permettent d'affirmer
que le bâtiment avait un étage au-dessus
du rez-de-chaussée ; si le nombre des cellules
était égal en haut et en bas, il y en
avait en tout 66 ; en admettant qu'elles fussent
habitées chacune par deux hommes, on arrive
à un total de 122 gladiateurs, ce qui n'a rien
d'excessif. Une chambre servait de prison,
peut-être pour les criminels livrés par
la justice ; on y a retrouvé, au milieu de
fragments de chaînes, les squelettes de trois
hommes, qui, n'ayant pu s'échapper au moment
de l'éruption, ont été
brûlés vivants. Une autre salle
contenait encore des armes d'une grande beauté
; les murs étaient décorés de
peintures représentant des
trophées. Ces circonstances, jointes
à la situation de la pièce, donnent
à penser que ce pouvait être une salle
d'honneur.
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Le logement du laniste se trouvait sans doute au
premier étage, au-dessus du vestibule et de la
cuisine. Les habitants du lieu y ont gravé un peu
partout des figures et des inscriptions à la
pointe ; le programme d'un combat était
tracé à l'extérieur près
d'une porte. Quelquefois on exerçait les
gladiateurs dans des cryptes, d'où le nom de
cryptarius donné au gardien du lieu.
Ecoles municipales
Si l'on excepte la capitale, certaines villes ont
dû avoir des ludi au nombre de leurs
établissements municipaux ; car nous voyons un
magistrat de Préneste faire don à cette
ville d'une école construite entièrement
à ses frais et décorée pro nitore
civitatis.
Ecoles impériales
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Dans la ville de Rome il y avait à la fin
des temps antiques quatre grandes écoles
impériales. Nous n'avons rien à dire
ici du Ludus matutinus, où
étaient logés les bestiaires ;
peut-être existait-il déjà sous
Claude. Les trois autres furent probablement
construits par Domitien, comme des dépendances
du Colisée ; ce fut aussi ce prince, à
ce qu'il semble, qui leur donna une organisation
définitive. Le Ludus magnus
était situé près du
Colisée, dans la troisième
région, mais sur la limite de la seconde. M.
Lanciani en fixe l'emplacement au nord de la Via
Labicana, à égale distance entre
l'église de Saint-Clément et celle des
Saints Pierre et Marcellin. Le Plan du temps des
Sévères nous permet de nous faire une
idée assez exacte de la partie principale de
l'édifice ; il est impossible de ne pas
être frappé de la ressemblance qu'il
présente avec l'école de
Pompéi.
|
Ici aussi nous voyons une cour entourée
d'un portique, sur lequel s'ouvrent les cellules des
gladiateurs ; seulement il y a de plus qu'à
Pompéi une arène en forme d'ellipse, qui
remplit la plus grande partie de la cour
intérieure ; ce devait être un mur semblable
au podium de l'amphithéâtre, dans de plus
petites proportions, avec des ouvertures
ménagées à l'extrémité
des deux axes : les gladiateurs que l'on exerçait
là se trouvaient ainsi placés à peu
près dans les mêmes conditions qu'au
Colisée le jour du combat. A peu de distance
s'élevaient un spoliarium, où on
apportait les morts de l'amphithéâtre, et un
samiarium, ou atelier pour la fabrication et la
réparation des armes ; une inscription nous fait
connaître un manicarius, c'està-dire
un ouvrier qui a dû être employé dans
cet atelier à la fabrication des brassards. Toutes
les armes nécessaires à la gladiature
étaient rassemblées dans un arsenal
(armamentarium), d'où on ne les tirait que
les jours de combat, et sur autorisation spéciale,
pour les porter directement à
l'amphithéâtre ; suivant M. Lanciani, cet
arsenal devait occuper le terrain situé entre le
Colisée et l'église de
Saint-Clément. Au nord de la même
église, de l'autre côté de la Via
Labicana, se trouvait encore le Choragium,
où l'on conservait des machines et des accessoires
décoratifs, principalement nécessaires pour
les théâtres, mais qui servaient aussi
quelquefois dans les spectacles du Colisée.
L'arsenal était placé sous la direction
d'un praepositus, affranchi de l'empereur ; il est
probable qu'il en était de même des autres
sections. Tout le personnel du Ludus obéissait
à un procurator (epitrophos), et à
un subprocurator, tous deux de rang
équestre ; au-dessous de ces personnages on trouve
encore un économe (dispensator), esclave
impérial, et un valet servant de piqueur
(cursor), sans doute de même condition que
le précédent. Le Ludus magnus
était la plus grande des écoles
affectées à la familia gladiatoria
Caesaris ; c'était un avancement pour le
procurator du Ludus matutinus de passer à
la direction du Ludus magnus. On choisissait ce
fonctionnaire parmi les tribuns de légion, ou
parmi les administrateurs d'ordre financier, même
parmi les intendants des provinces ; de là il
pouvait passer aux plus hautes charges de la
carrière des finances. Le Ludus Gallicus et
le Ludus Dacicus, mentionnés comme ayant
fait partie de la seconde région, à peu de
distance du Ludus magnus, nous sont moins bien
connus. M. Mommsen croit que les textes qui s'y
rapportent sont altérés ; d'après
lui ces ludi n'auraient rien de commun avec ceux
que construisit Domitien, ni même avec les
gladiateurs impériaux de la capitale. Si l'on
accepte l'opinion commune, ces deux écoles
devaient sans doute leur nom à l'origine des
gladiateurs qu'on y avait logés tout d'abord,
lorsqu'elles furent construites. Le nombre des
gladiateurs que contenaient les écoles
impériales de Rome était
considérable ; en 69, Othon en prit deux mille
pour les incorporer à son armée ; en 248,
l'empereur Philippe en fit combattre autant, à
l'occasion du millième anniversaire de la
fondation de Rome. Sous d'autres princes on les voit
figurer dans une seule série de fêtes au
nombre de 1200, de 1600 et même de 10000. Mais il
ne faut pas oublier que les ludi impériaux
étaient en relations constantes les uns avec les
autres et qu'ils pouvaient très facilement
s'envoyer des gladiateurs, suivant les besoins du moment
; ainsi ces chiffres peuvent être les uns trop
faibles, les autres trop forts. En Italie et dans les
provinces il y avait en effet d'autres écoles
impériales, organisées sur le modèle
des écoles de Rome. Il y en avait probablement une
par province ; mais comme elles ne contenaient chacune
qu'un nombre d'hommes assez restreint, on avait
placé les troupes de plusieurs provinces sous la
même direction administrative. De là des
groupes régionaux qui embrassaient une très
vaste étendue de territoire. Les renseignements
qui s'y rapportent datant d'époques
différentes, il est assez difficile de
déterminer exactement quand et comment ces groupes
avaient été formés. Voici cependant
ceux que nous connaissons :
- Italie. Des ludi impériaux
étaient établis dans les villes de Capoue
et de Ravenne.
- Transpadane.
- Asie, Bithynie, Galatie, Cappadoce, Lycie,
Pamphylie, Cilicie, Chypre, Pont et Paphlagonie.
- Egypte. Il y avait au moins un ludus
impérial à Alexandrie.
- Gaules, Bretagne, Espagne, Germanie et
Rétie.
Il faut supposer encore au moins deux groupes, l'un
pour l'Afrique, l'autre pour les pays du Danube et
l'Achaïe. Chaque groupe était placé
sous la direction d'un procurator ; il avait sous
ses ordres des employés chargés de la
correspondance et de la comptabilité
(tabularii), que l'on choisissait parmi les
affranchis impériaux. Certains groupes
étaient plus importants que d'autres ; ainsi un
procurator trouvait avantage à passer d'Asie en
Gaule avec le même titre. Ce personnage
était généralement choisi, comme ses
collègues de Rome, parmi les tribuns de
légion ou les intendants des finances. Il devait
avoir pour fonction spéciale de veiller au
recrutement et à l'entretien des troupes de son
ressort ; il ordonnançait les états de
payement et prenait, d'accord avec les gouverneurs des
provinces, les mesures nécessaires pour que le
transport des gladiateurs et des armes ne fît
courir aucun danger à la sécurité
publique. Lorsqu'il avait sous sa dépendance
plusieurs ludi impériaux, situés
dans des villes différentes, il est à
présumer que chacun d'eux était
administré par un de ses subordonnés,
peutêtre un subprocurator. Un poste de
soldats (praesidium, phulassontes), placé
à côté du ludus, était
toujours prêt à accourir au premier appel et
à réprimer toute tentative de
révolte.
Les gladiateurs impériaux (fiscales) ne
servaient pas seulement aux munera donnés
par le prince. Il pouvait, si tel était son bon
plaisir, en mettre gratuitement quelques paires à
la disposition des magistrats chargés des
fêtes publiques. Mais, en outre, il est très
probable qu'il exploitait cette partie de sa fortune
comme tout citoyen avait le droit de le faire ; ses
procuratores devaient être autorisés
à louer ou à vendre aux particuliers un
certain nombre de leurs hommes dans une proportion
déterminée. En effet, nous voyons à
Pompéi, dans des troupes privées, des
gladiateurs dont le nom est suivi de la mention
Julianus ou Neronianus. L'un d'eux
s'appelle, par exemple, Faustus Itaci Neronianus ; comme
le pense M. Mau, on n'a pu désigner par là
qu'un gladiateur de condition servile, acheté par
son maître Itacus à une école
impériale fondée par Néron ; il est
fort possible que ce ludus Neronianus se
trouvât à Capoue, et qu'il y eût aussi
dans la même ville un ludus Julianus, qui ne
serait autre que celui de Jules César. Ces
établissements étant les mieux
montés et les mieux administrés, il est
naturel que les gladiateurs qui en sortaient fussent
très recherchés, et en effet on observe
dans les inscriptions qu'ils sont toujours vainqueurs de
leurs adversaires. C'était là pour le fisc
une excellente source de revenus. Quand on voit
Marc-Aurèle imposer un tarif aux lanistes, on est
porté à croire que l'empereur philosophe a
cédé au dégoût que lui
inspirait leur commerce ; mais on peut aussi se demander
si au fond son but n'était pas de centraliser de
plus en plus ce commerce entre les mains de
l'administration impériale, pour le plus grand
avantage du public et du fisc lui-même.
La discipline et les révoltes
Quintilien, dans un exercice d'école d'un ton
déclamatoire, a peint sous les couleurs les plus
sombres la vie du ludus. Celle qu'on menait
à l'ergastule, dit-il, était douce en
comparaison ; il n'y avait pas de geôle plus
affreuse ; les gladiateurs y étaient
enfermés dans des cellules d'une saleté
repoussante, et surveillés avec une extrême
rigueur. Il est certain, en effet, que toutes les
précautions avaient été prises pour
contenir dans le devoir ces bandes redoutables. D'abord
on ne laissait pas à leur disposition une seule
arme de combat ; on ne mettait jamais entre leurs mains,
pendant leur séjour à l'école, que
des armes d'escrime. Ensuite aucun châtiment
corporel ne paraissait trop dur pour des hommes de cette
sorte, et en cas de désobéissance le chef
de troupe avait bientôt fait d'appeler à son
aide, dût la mort s'ensuivre, le fouet, le fer
rouge et les autres instruments de supplice. La rigueur
même de cette discipline eut souvent pour
résultat d'exciter les révoltes au lieu de
les prévenir : celle de Spartacus laissa dans la
mémoire des Romains un souvenir qui les faisait
encore trembler au bout d'un siècle. Cependant il
faut bien reconnaître que ces tentatives devinrent
extrêmement rares sous l'Empire, grâce
à l'organisation nouvelle de la gladiature et
à la vigilance de l'autorité : elles furent
presque aussitôt déjouées que
signalées. Ce qui fut plus commun à toutes
les époques dans les écoles, ce furent les
suicides. Les esclaves et les prisonniers que l'on y
envoyait de force aimaient souvent mieux se donner la
mort que de se préparer pour la lutte ; le regret
de ce qu'ils avaient quitté s'ajoutant à
l'horreur de leur situation présente ils
n'attendaient même pas le moment de jouer leur vie
dans l'amphithéâtre ; mais comme ils
n'avaient point d'armes tranchantes et qu'ils
étaient l'objet d'une surveillance continuelle, il
leur fallait pour se tuer beaucoup
d'ingéniosité ; on en cite qui se
broyèrent la tête, en l'engageant dans une
roue de la voiture qui les transportait ; d'autres se
firent étrangler par leurs camarades.
Le régime
Mais heureusement pour les gladiateurs, leur
propriétaire, quel qu'il fût, avait toujours
le plus grand intérêt à
atténuer de son mieux les misères de leur
condition. Il fallait, pour augmenter leurs chances de
succès, développer leurs muscles et leur
donner cette apparence de force et de santé qui
attirait sur eux dans l'arène l'attention du
public : le formonsus gladiator avait une valeur
marchande supérieure, que reconnaît
même le tarif de Marc-Aurèle. Aussi
choisissait-on toujours pour construire l'école
l'emplacement le plus salubre. Chaque jour on servait aux
gladiateurs une nourriture très substantielle,
quoique grossière (sagina) : elle se
composait en général de farineux, de
fèves et surtout d'orge, d'où le surnom de
hordearii, donné par dérision
à ceux que leurs maîtres nourrissaient
exclusivement de ces aliments à bon marché.
On raillait la pâtée (miscellanea) de
l'école ; elle passait pour faire des sujets plus
bouffis que vigoureux ; mais beaucoup de jeunes gens
dénués de toute ressource étaient
encore bien heureux de trouver la ration soigneusement
mesurée, qu'on leur offrait en échange d'un
engagement. Il y avait autour d'eux, dans
l'établissement même, tout un personnel de
domestiques (ministri), entre autres des
unctores, chargés de les oindre et de les
frictionner régulièrement pour leur
assouplir les membres. Quand ils avaient fini leurs
exercices, on leur faisait avaler une décoction de
cendres (cinis lixius) ; Varron assure que cet
étrange breuvage avait sur leur santé des
effets souverains. S'ils revenaient blessés de
l'amphithéâtre, des médecins,
spécialement attachés au ludus,
pansaient leurs plaies et les soignaient jusqu'à
complète guérison. Le fameux médecin
grec Galien se montre très satisfait d'avoir
été choisi par les grands prêtres
d'Asie pour veiller sur la santé de leurs
gladiateurs, lorsqu'il n'avait encore que vingt-neuf
ans.
L'escrime (batuale, skiamachia)
Aujourd'hui nous ne voyons plus dans les combats de
gladiateurs que leur issue sanglante, et c'en est assez
pour qu'ils nous paraissent abominables. Il en
était autrement aux yeux des Romains ; pour eux la
gladiature était avant tout une institution
destinée à encourager l'art de
l'épée et les vertus guerrières
qu'il développe. De là un point d'honneur
spécial à la profession ; le gladiateur,
quelle que soit l'abjection dans laquelle il est
tombé, reçoit une sorte d'anoblissement par
le fait de jouer sa vie les armes à la main ; puis
il a appris patiemment, avec méthode, une
théorie compliquée ; comme ceux qui l'ont
instruit, comme ceux qui le contemplent, il a d'ordinaire
une très haute idée de son rôle ;
l'éducation a fait naître en lui des
sentiments qui, à très peu d'exceptions
près, lui cachent ce que son métier a
d'horrible. Aussitôt entré à
l'école, il est immatriculé dans une arme
et confié à un instructeur (doctor,
magister). Il y avait dans chaque troupe autant de
doctores qu'il y avait d'armes. Ces personnages
étaient d'ordinaire d'anciens gladiateurs ; mais
probablement, comme les médecins, ils ne
résidaient pas dans le ludus ; ils y
venaient seulement pour les heures d'exercice.
Les conscrits apprenaient l'escrime sous leur
direction avec un fleuret de bois (rudis, sudis,
rabdos, varthêx) ; ils tiraient sur un
pieu (palus), fiché dans le sol ;
comme celui dont on se servait dans l'armée
pour le même usage, il devait avoir au-dessus
de terre une longueur de six pieds ; le gladiateur,
tenant d'une main la rudis et de l'autre un
bouclier d'osier, faisait assaut contre ce pieu,
visant tour à tour les points qui, suivant la
hauteur, représentaient la tête ou la
poitrine de l'adversaire, et il devait avoir le plus
grand soin de ne jamais se découvrir. Se
livrer à cet exercice s'appelait
batuere, d'où le français
battre ; on trouve aussi pour désigner
l'exercice lui-même batuale, plur.
batualia, d'où bataille. On voit
dans plusieurs monuments un maître d'armes,
qui, la rudis à la main, se jette entre
deux gladiateurs pour les séparer.
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Quelquefois, au lieu d'armes légères, le
gladiateur dans ses exercices en portait, au contraire,
de plus lourdes que celles dont il devait être
revêtu le jour du combat, afin de s'habituer
à ne rien perdre de la vivacité de ses
allures ; les belles armes que représente la
figure ci-dessous ont été trouvées
dans le ludus de Pompéi ; d'après leur
poids on suppose qu'elles n'ont pu servir qu'à des
exercices de ce genre.
Il y avait, pour désigner les différents
coups, tout un langage technique ; on en peut juger par
ce passage de Quintilien : « Dans l'escrime
des gladiateurs les attaques qu'on appelle de seconde
main (manus quae secundae vocantur) deviennent de
troisième main (fiunt tertiae), si la
première n'était qu'une feinte,
destinée à attirer l'adversaire (si
prima ad evocandum adversarii ictum prolata erat) ;
et même de quatrième, si on a
provoqué deux fois (et quartae, si geminata
captatio est), de manière qu'on ait eu
à parer deux fois, comme on a attaqué deux
fois (ut bis cavere, bis repetere
oportuerit) ». Comme aujourd'hui dans nos
salles d'armes, on s'exerçait à tirer de la
main gauche ; quelques-uns même arrivaient à
être assez habiles pour ne jamais tirer autrement :
Commode par exemple était gaucher (scaeva,
skaios, eparisteros) et s'en faisait gloire. Un
assaut ou un combat, dans lequel deux gauchers
étaient mis aux prises, s'appelait scaeva
pugna. L'élève devait avant tout se
familiariser avec la langue technique du métier,
pour pouvoir comprendre les commandements
(dictata) de l'instructeur. A force de voir et de
fréquenter des gladiateurs, le public
lui-même était arrivé à la
connaître assez bien : les jours de combat, on
entendait des spectateurs qui, emportés par leur
ardeur, criaient les commandements d'usage à leurs
favoris pour leur conseiller de bons coups, et il
paraît que ceux-ci en effet s'en trouvèrent
bien quelquefois. Il dut y avoir, du reste, des
traités où était exposée la
théorie (meditatio) ; elle passionnait
encore sur leurs vieux jours les doctores en
retraite.
Les amateurs au ludus
Il ne faut donc pas s'étonner de voir des
personnages du plus haut rang fréquenter les
écoles des gladiateurs ; déjà au
temps du poète Lucilius il était de bon ton
pour un jeune homme de s'escrimer en leur compagnie,
pourvu que ce ne fût pas son unique occupation et
qu'il ne perdît pas de vue les études
libérales qui convenaient à un citoyen. Un
complice de Catilina, C. Marcellus, voulant soulever les
gladiateurs de Capoue, se jeta dans leurs écoles
sous prétexte d'aller faire des armes avec eux.
César confia l'instruction des siens à des
chevaliers, et même à des membres du
sénat, qui passaient pour de bons tireurs ; on
avait de lui des lettres, où il leur recommandait
de prendre chaque homme en particulier et de lui
réciter la théorie eux-mêmes.
Beaucoup d'empereurs partagèrent ce goût :
Titus, Hadrien, Lucius Verus, Didius Julianus, Caracalla,
Géta sont cités pour l'avoir poussé
très loin. On assure même quo Caligula eut
de véritables duels, où il parut avec des
armes de combat. Au contraire, on a noté comme un
des traits singuliers du caractère de Domitien
qu'il n'aimait pas à manier l'épée.
Le plus passionné de ces amateurs illustres fut
Commode ; il était enrôlé dans l'arme
des secutores et il avait sa chambre au Ludus
magnus ; il y occupait la première cellule,
dans le corps de logis qui leur était
réservé. Enfin il n'était pas
jusqu'aux femmes du monde qui ne fussent gagnées
par l'engouement général. Elles venaient
à l'école, et là, revêtues
d'une armure, faisaient rage contre le poteau.
Quelquefois, au lieu de se rendre chez les gladiateurs,
on les mandait chez soi et on donnait à ses amis,
au moment du souper, le spectacle d'une séance
d'escrime. Ainsi nous savons que Lucius Verus et
Hélagabale prenaient beaucoup de plaisir à
voir, pendant leur repas, les gladiateurs de leur troupe
privée faire assaut dans un endroit du palais
appelé lusorium.
Les gladiateurs et l'armée
Si la gladiature jouit de tant de faveur, ce fut en
grande partie parce qu'on la considérait comme
dépositaire d'une tradition, dont le maintien
importait essentiellement à la pratique de l'art
et des vertus militaires. En 405 av. J.-C., P. Rutilius,
un des deux consuls, fit venir d'une école de
Capoue des doctores pour donner aux soldats, dans
le maniement de l'épée, l'habitude d'un jeu
plus souple et mieux raisonné. Il n'y a
désormais aucune différence, au moins pour
les armes qui leur sont communes, entre l'escrime de
l'armée et celle de l'école ; la langue de
l'une est celle de l'autre ; la gladiature est comme le
conservatoire de cet art plein de finesses. Le gladiateur
devait aussi au soldat l'exemple de la bravoure ;
très souvent il le lui donnait avec orgueil et
recevait le coup mortel sans faiblesse. On en cite
même qui attendaient avec impatience le moment de
paraître devant le public et qui se plaignaient
quand on les laissait dans l'inaction. D'autres ont
montré à l'égard de leurs
maîtres une fidélité
inaltérable, qui aurait pu faire honneur à
des troupes régulières : ceux d'Antoine
persistèrent à soutenir sa cause
après Actium ; établis par lui à
Cyzique, ils entreprirent d'aller le rejoindre à
Alexandrie, en traversant toute l'Asie Mineure. Aussi
chaque fois qu'il y eut des discordes civiles dans le
monde romain, les chefs de partis incorporèrent
des gladiateurs dans leurs armées, et en pareille
circonstance, comme l'observe Tacite,
« même des généraux
sévères sur l'honneur ne
dédaignèrent pas ce secours
humiliant ». Marc-Aurèle eut
l'idée de l'utiliser contre l'étranger ; au
moment d'entrer en lutte avec les Marcomans, il emmena de
Rome une troupe de gladiateurs qu'il appela
Obsequentes. Du reste, il semble qu'il y en ait
toujours eu dans les camps ; c'était pour le
général une garde qui lui fut quelquefois
précieuse au milieu des séditions
militaires et lorsque tout était tranquille, on
pensait que leurs exercices procuraient au soldat une
distraction salutaire et instructive. Dans la ville de
Rome il y avait un amphitheatrum castrense
spécialement réservé aux cohortes
prétoriennes et urbaines ; il est prouvé
qu'il existait au temps de Septime-Sévère ;
il en reste encore des ruines très
importantes.
-
Les différentes armes
On distinguait parmi les gladiateurs plusieurs armes,
dont chacune était désignée par un
nom particulier, suivant son origine, son costume, son
armement ou sa manière de combattre. Une troupe en
état d'entrer en lice comprenait toujours des
hommes de plusieurs armes différentes ; mais en
dehors des ludi impériaux ou des
ludi appartenant à de très riches
particuliers, il devait être rare qu'elles fussent
toutes représentées dans une seule troupe.
En outre, il faut avoir soin d'observer que ces armes
n'ont pas toutes été créées
à la même époque, et que
quelques-unes, transformées de bonne heure, ont
été désignées sous des noms
nouveaux. Un des mérites de M. Meier est d'avoir
mis ce point important en pleine lumière ; nous ne
ferons guère, dans ce qui suit, que résumer
ses conclusions. Notons aussi que certaines pièces
du costume étaient communes à toutes les
armes, ou du moins pouvaient être portées
également par des gladiateurs d'armes
différentes ; telles sont par exemple les
Fasciae, c'est-à-dire les bandes
d'étoffe ou de cuir qui entouraient les jambes ;
telle est la Manica, pièce d'armure
destinée à protéger le bras ; elle
consistait en un réseau de lanières,
parfois garnies de lames de métal, qui pouvait se
prolonger jusque sur la main. Tel est encore le pagne
[Subligaculum], qui vient se rattacher au
ceinturon [Balteus]. Enfin, quoiqu'il y ait eu
sans aucun doute des détails de costume tout
à fait distinctifs pour chaque catégorie de
gladiateurs, il faut se rappeler qu'une même arme,
telle que le casque [Galea] ou le bouclier, a pu,
dans une seule et même catégorie, affecter
des formes différentes suivant les temps et les
lieux ; les monuments nous montrent que des exceptions
sont toujours possibles, en partie parce qu'il y avait
des munera plus riches que d'autres, en partie
parce qu'on a pu, pour raviver l'intérêt du
spectacle, imaginer de temps en temps des combinaisons
qui n'ont eu ni précédents, ni suite. En
général le principe dont
s'inspirèrent les Romains, quand ils
créèrent les différentes armes,
quelles qu'elles fussent, semble avoir été,
comme le remarque M. Meier, de découvrir le torse,
où une blessure peut être mortelle : car la
lutte, sauf le cas de grâce, doit
nécessairement entraîner mort d'homme ;
aussi d'ordinaire les gladiateurs ne portent-ils ni
cuirasse, ni cotte de mailles, ni tunique.
-
Samnite (samnes). L'arme des samnites
est la plus ancienne de toutes. En 310 av. J.-C., les
Romains infligèrent au peuple samnite une
sanglante défaite ; les Campaniens, leurs
alliés, se firent attribuer une partie des
costumes et des armures abandonnés par les
vaincus sur le champ de bataille, et rentrés
chez eux ils en habillèrent des gladiateurs
qui furent, pour cette raison, appelés
samnites. Rome dut suivre cet exemple quelques
années plus tard, c'est-à-dire vers le
début du IIIe siècle, aussitôt
qu'on y donna un munus (264 av. J.-C.).
L'armure du fantassin samnite était pesante et
magnifique ; elle comportait d'abord un
scutum, ou bouclier long [Clipeus] ; la
jambe gauche était protégée par
une jambière en cuir [Ocrea,
knêmis], peut-être garnie de
métal ; sur la tête le samnite portait
un casque [Galea], orné de plumes
(pinnae) et d'un panache (crista)
très élevé, qui grandissait sa
taille et lui donnait un aspect imposant. Ces armes
distinctives du soldat samnite furent
attribuées au gladiateur ; il avait aussi
l'épée [Gladius], quelquefois
remplacée par une lance (hasta).
La figure ci-dessus représente un
bas-relief qui décore le tombeau de Scaurus
à Pompéi ; on y peut observer
plusieurs samnites, armés du bouclier long, de
l'ocrea et du casque à panache. Il est
très remarquable qu'il ne soit plus question
de ces gladiateurs dans les écrivains
postérieurs à Auguste. Ce fait, qui
avait déjà frappé Juste Lipse, a
été remis en lumière par M.
Meier et il en a tiré des conclusions
importantes. En réalité, l'arme des
samnites n'a jamais été
supprimée ; au moment même où
leur nom disparaît, on en voit apparaître
deux autres, ceux du secutor et de
l'oplomachus ; d'où la conjecture
très plausible que ces gladiateurs ne sont
autres que des samnites, dont l'art s'est
divisé en se perfectionnant. Ce qui a pu
contribuer à faire abandonner l'ancienne
appellation, c'est qu'on la considérait comme
injurieuse pour une région de l'Italie contre
laquelle Rome n'avait plus aucun motif de haine et
qui lui donnait depuis longtemps de bons
citoyens.
Le secutor (sekoutôr)
apparaît pour la première fois sous
Caligula. C'est un samnite, dont la
spécialité est de poursuivre le
rétiaire ; de là son nom. Il a par
conséquent les armes ordinaires du samnite, le
grand casque, l'épée, le bouclier long
et l'ocrea à la jambe gauche.
Quelquefois le secutor a été
désigné sous le nom de
contraretiarius, qui se rencontre dans les
inscriptions exprimé par la sigle RET.
L'oplomachus (oplomachos) doit son nom
au bouclier long (oplon) dont il se couvre ;
ses armes étant celles du samnite, il
ressemble au secutor ; mais son jeu est tout
différent ; car il a en général
pour adversaire un gladiateur de la catégorie
des thraces, et l'escrime du thrace ne peut
être comparée à celle du
rétiaire.
M. Meier pense même que le casque du
secutor n'avait pas la même forme que
celui de l'oplomachus ; ce dernier portait un
casque très haut, orné d'aigrettes ou
de plumes, et muni d'un rebord rabattu, qui en
faisait entièrement le tour ; le casque du
secutor devait être plus petit, plus bas
et dépourvu de rebord ; autrement il aurait
offert trop de prise au filet du rétiaire et
le combat aurait été trop vite
terminé. L'oplomachus apparaît,
comme le secutor, au commencement de l'Empire
; il semble cependant qu'il soit de quelques
années plus ancien.
- Le provocator (probokatôr)
était déjà connu au temps de
Cicéron ; son costume est
déterminé par un monument du Musée
du Capitole. Il porte les armes du samnite, le
scutum et l'ocrea à la jambe
gauche. Mais en quoi en diffère-t-il ? C'est ce
que nous ne savons pas exactement ; on ne peut pas
établir d'une façon certaine la
véritable raison d'être de son nom. M.
Meier a supposé que c'était un samnite,
qui avait pour fonction propre de combattre les
bêtes féroces dans les venationes ;
mais il est difficile de l'admettre ; car le
provocator à Rome est instruit dans le
Ludus magnus et non, comme les bestiaires, dans
le matutinus. Une inscription donne à la
suite de son nom la sigle SPAT, qui doit se lire
spat(arius). Aussi l'opinion la plus
vraisemblable et la plus généralement
admise est-elle que le provocator était
armé de la spata ou spatha
(spathê), épée plus longue que
le gladius, et que c'était par là
qu'il se distinguait des samnites.
-
Le retiarius (rêtiarios)
| Il se reconnaît d'abord au filet,
rete, jaculum, amphiblêstron linon,
qu'il lance sur son adversaire pour l'envelopper
; il a encore pour l'attaque un trident,
fascina, tridens (remplacé
exceptionnellement par une lance dans une fresque
de l'amphithéâtre de Pompéi,
une épée ou un poignard. Il n'est
pas douteux que l'équipement et la
manoeuvre du pêcheur aient servi de
modèle lorsqu'on organisa les premiers
rétiaires. Longtemps auparavant on avait
eu déjà chez les Grecs
l'idée de ce genre de combat, mais d'une
façon tout à fait exceptionnelle,
et les rares exemples que nous fournit leur
histoire ne peuvent pas être
considérés, à proprement
parler, comme ayant donné naissance
à l'institution romaine. |
|
 |
|
|
Les armes défensives du
rétiaire sont celles des autres
gladiateurs, le subligaculum, le ceinturon
et le brassard, ou manica ; il est
à remarquer seulement qu'il porte ce
brassard, non sur le bras droit, mais sur le
gauche, parce que la manoeuvre du filet
l'obligeait sans doute à le
découvrir davantage. Il y a dans son
armure une pièce qui lui est tout à
fait particulière ; c'est une sorte
d'appendice en métal, fixé tout
droit au-dessus de l'épaule gauche et
montant assez haut pour pouvoir masquer
complètement la tête ; on l'appelait
le Galerus. Il était d'un grand
secours pour le rétiaire, qui ne portait
jamais de casque, et dont la tête
n'était ceinte tout au plus que de
courroies ou de bandes d'étoffes.
Cependant le galerus n'était pas
d'un usage constant ; on connaît des
figures de rétiaires qui en sont
dépourvues.
|
On voit ici reproduit un galerus qui a
été trouvé à
Pompéi. La première figure de cette
section montre comment cette pièce s'adaptait
à l'épaule du gladiateur et comment
elle pouvait le protéger. Le rétiaire
était opposé soit au murmillo,
soit, comme on l'a vu, au secutor. Sa tactique
ordinaire consistait à maintenir autant que
possible l'adversaire à distance et à
le coiffer de loin avec son filet. Celui-ci se
livrait à une manoeuvre absolument contraire ;
ayant avantage à combattre de près
à cause de la nature de ses armes, il
cherchait sans cesse à en venir à un
corps à corps. Au début de la lutte, le
rétiaire tenait le trident de la main gauche,
de la droite il lançait le filet ; mais s'il
manquait son coup il ne pouvait songer à
l'aller ramasser ; aussi l'avait-on pourvu d'une
corde, enroulée autour du filet
(spira), et dont une extrémité
était attachée à son corps,
peut-être à sa ceinture ; elle lui
permettait, en cas d'insuccès, de tirer le
filet jusqu'à lui pour recommencer sa
manoeuvre.
La figure ci-dessus représente, d'après
une mosaïque de Rome, actuellement à
Madrid, un secutor qui vient d'être
enveloppé par le filet de son adversaire. Il
est possible que cette arme ne fût pas en usage
dans tous les combats où le rétiaire
avait à paraître ; car elle est souvent
absente sur les monuments figurés.
Un bas-relief trouvé en Grèce nous
offre l'image d'une scène tout à fait
singulière : on y voit un rétiaire
debout sur un échafaud (catasta),
cherchant à repousser les attaques d'un
secutor, placé au-dessous. Cette
combinaison avait été imaginée
sans doute pour donner à la foule le spectacle
d'un assaut, dans lequel le combattant le plus
légèrement armé avait pour lui
la supériorité de la position. Le
rétiaire semble avoir occupé dans la
gladiature un rang tout à fait
inférieur.
-
Le thrace, thraex
C'était un gladiateur auquel on avait
attribué les armes du peuple thrace. Ce
fut sans doute au temps de Sylla qu'il fit son
apparition, lorsque les Romains eurent
capturé des soldats de cette nation qui
servaient dans les troupes de Mithridate ; le
premier qui en parle est Cicéron. Le
gladiateur appelé thrace porte un petit
bouclier (parma, parmula), quelquefois
rond, mais le plus souvent carré ; sur
certains monuments il a la forme triangulaire.
L'arme offensive du thrace est la sica,
c'est-à-dire un sabre court à lame
recourbée ; quelquefois au contraire la
lame forme un coude vers le milieu de sa
longueur. Le thrace a pour se garantir la
manica au bras droit, le balteus et
le subligaculum ; son casque affecte des
formes assez diverses ; parfois c'est une simple
calotte de métal pourvue d'un large
rebord, mais sans visière ; d'autres fois
au contraire le visage est complètement
caché par une visière percée
de trous, que surmonte un cimier très
élevé. Enfin le thrace n'ayant pas,
comme l'oplomachus et le secutor,
un bouclier long, mais seulement une parma
qui ne peut couvrir que sa poitrine, on lui a
donné, non pas une ocrea, mais deux
; ces deux jambières sont un des signes
auxquels on le reconnaît le plus
sûrement ; souvent même les cuisses
sont entourées de braies ou de
fasciae, qu'on peut supposer en cuir, et
qui ont pour effet d'amortir les coups que le
bouclier n'arrête pas. La figure ci-jointe
reproduit le bas-relief funéraire d'un
thrace du temps de Trajan, M. Antonius Exochus ;
on y retrouve, à peu de chose près,
tous les détails qui viennent d'être
décrits ; on remarquera notamment les deux
jambières, la sica, et, en face, le
casque à cimier.
|
|
 |
Sur la figure ci-dessus on voit deux Amours, qui, la
sica à la main, se battent à la
façon des thraces : les enfants chez les
Romains jouaient au gladiateur, comme les
nôtres jouent au soldat. Nous avons
déjà dit que l'adversaire ordinaire du
thrace, c'est l'oplomachus ; mais il peut
être aussi opposé au murmillo.
Les monuments nous montrent même qu'on mettait
parfois aux prises deux thraces l'un avec l'autre,
comme les deux Amours de cette figure. Enfin notons
qu'on voit des thraces tenir, au lieu de la
sica, une épée droite semblable
à celle du samnite, et d'autres tenir une
lance ; mais ce ne sont là que des
exceptions.
-
Le gaulois, gallus, aurait
été, suivant quelques savants,
introduit dans les jeux publics au temps de
César, c'est-à-dire après la
conquête de la Gaule ; mais on peut admettre
avec M. Meier que l'origine de cette arme remonte
plus haut ; elle est peut-être contemporaine
des premières représentations de
l'amphithéâtre; les Gaulois Cisalpins
ont pu en fournir le type aux Etrusques, qui l'auront
communiqué aux Campaniens, et par eux aux
Romains. Toujours est-il qu'à la fin de la
République on voit naître de cette arme
une arme nouvelle, le murmillo
(murmillôn), dont il est fréquemment
question dans la suite. Cependant le gallus ne
disparaît pas immédiatement et
même dans un texte il est nommé à
côté du murmillo ; de là
une difficulté que nous ne sommes pas en
état de résoudre. Le murmillo
doit son nom à un poisson de mer, le morme
(murma, mormuros, mormulos), dont il portait
l'image sur son casque. Aussi s'explique-t-on
aisément qu'il ait été
opposé au rétiaire ; celui-ci,
armé de son filet, est assimilé au
pêcheur qui poursuit le poisson. Cependant
après le Ier siècle il n'y a plus de
témoignage d'une semblable lutte ; au
contraire on voit encore le murmillo aux
prises avec le thrace et avec le provocator.
Peut-être aussi a-t-on fait combattre deux
murmillones l'un contre l'autre. Il est
certain que ce gladiateur portait l'armatura
gallica, et notamment le scutum ; on ne
peut pas douter non plus que le scutum
murmillonicum, qui est cité dans un texte,
fût distinct du scutum des samnites,
puisqu'on lui avait donné un nom
spécial. Mais ici s'arrêtent les
renseignements positifs dont nous disposons et, somme
toute, nous ne savons pas encore exactement en quoi
consistait l'armure du murmillo. Les savants
se sont partagés entre deux systèmes
tout à fait opposés : les uns le
rattachent aux armes pesantes, les autres aux armes
légères. Tacite rapporte qu'en l'an 21
de notre ère, Sacrovir ayant soulevé
contre les Romains le pays d'Autun, enrôla dans
ses troupes « des esclaves destinés
au métier de gladiateur, et que les Eduens
appelaient cruppellarii ; une armure de fer
(continuum ferri tegimen) les couvrait tout
entiers suivant la coutume de cette nation (more
gentico) et les rendait
impénétrables aux coups, quoiqu'elle
les gênât pour frapper
eux-mêmes ». On invoqua aussi un
passage où Ammien Marcellin établit un
rapport entre les murmillones et les
fantassins de l'armée parthe ; or on sait que
les Parthes et d'autres nations de l'Orient faisaient
usage d'une armure souple, composée
d'écailles de fer qui couvraient
entièrement le corps [Cataphracti] ; on
peut même l'observer sur un bestiaire, dans un
bas-relief trouvé à Rome. On a conclu
de là que le murmillo et le
cruppellarius étaient identiques. M.
Meier est d'une opinion tout à fait contraire
; il récuse la valeur des témoignages
que Juste Lipse avait allégués le
premier ; pour lui le murmillo doit être
assimilé au fantassin gaulois, qui, bien loin
de se couvrir de fer, dédaignait, à
l'exception du casque et du scutum, toutes les
armes défensives en usage chez les Grecs et
chez les Romains, telles que la cuirasse, les
jambières, etc. Son bouclier même,
quoique très long, devait être plus
léger que celui du gladiateur samnite,
étant fait, non de métal, mais de bois
et de peau. Enfin M. Meier, suivant une indication
d'Henzen, croit pouvoir reconnaître le type du
murmillo dans une figure moulée sur une
lampe en terre cuite :
C'est le personnage que l'on voit ici
représenté de face à
côté d'un thrace ; il tient à la
main un bouclier hexagonal tout à fait
semblable à celui qui est
généralement attribué aux
Gaulois ; il est armé de l'épée
et coiffé d'un casque de petites dimensions
laissant le visage entièrement
découvert ; on remarquera surtout qu'il ne
porte point d'ocreae ; à part les
fasciae qui entourent les chevilles, ses
jambes sont entièrement nues. Ce serait
là l'indice le plus sûr auquel on
reconnaîtrait le murmillo.
Tous les savants qui se sont occupés
de la question ont négligé un
bas-relief du musée de l'Ermitage, seul
monument où la représentation du
murmillo soit accompagnée de son
titre. Il porte le subligaculum, le torse
et les jambes sont nus, la main droite tient une
épée ou une lance, l'objet
posé sur la colonne paraît
être un casque.
|
|
- Nous sommes encore plus mal renseignés sur
le dimachaerus (dimachairos) ;
d'après l'étymologie du mot, on doit
supposer que ce gladiateur était armé de
deux coutelas (machaira). On s'est trompé
en croyant reconnaître son image sur quelques
monuments.
- L'arme distinctive du veles
était le javelot muni d'une courroie, la
hasta amentata. Il devait offrir beaucoup de
ressemblance avec les soldats des troupes
légères appelés
Velites.
- L'essedarius (essedarios) combattait
du haut d'un char, à la manière des
guerriers bretons ; il n'y a rien à ajouter
à l'article spécial qui concerne cette
catégorie de gladiateurs [Essedarius], si
ce n'est qu'ils paraissent avoir été
généralement opposés les uns aux
autres deux par deux.
-
L'eques (ippeus), ou gladiateur à
cheval, a pour armes distinctives un casque
à visière, une lance, un petit bouclier
rond et un brassard sur le bras droit ; il est
vêtu d'une tunique, et des fasciae
protègent ses cuisses.
Les equites se battaient entre eux. Ceux d'une
même troupe formaient une turma.
- Le laquearius
|
|
Il se rapproche du rétiaire ; comme
lui il a la tête et les jambes nues ; comme
lui il porte le galerus à
l'épaule gauche. Son arme principale est
un lazzo, qu'il lance sur l'adversaire de
façon à l'étrangler et
à le terrasser. Celui qu'on voit dans la
figure ci-jointe tient en outre dans la main
droite un bâton avec lequel sans doute ce
gladiateur parait les coups qu'on lui
portait.
|
- Sur le scissor nous ne savons absolument
rien.
- L'andabata (andabatês) n'est
mentionné dans aucune inscription. M. Meier
conjecture que ce nom serait celui d'un peuple auquel
on aurait emprunté une armure
particulière. D'après les rares textes
où il est question des andabatae on peut
croire qu'ils portaient, comme les Cataphracti,
une armure composée de mailles ou
d'écailles de fer, qui couvrait la plus grande
partie de leur corps et qu'ils combattaient les yeux
bandés ou couverts par une visière sans
trous. Il ne serait pas impossible que cette arme ait
été supprimée à la fin de
la République.
- Le sagittarius transperçait son
adversaire à coups de flèches. Il avait
pour défenses le ceinturon et le brassard. Il
faut classer dans une catégorie tout à
fait distincte des précédentes les
paegniarii (paignion, jeu). Ils
étaient pourvus d'armes qui ne pouvaient donner
la mort. On les faisait paraître, en guise
d'intermède, après la venatio, qui
avait lieu le matin, et avant le combat de gladiateurs
qui occupait la fin de la journée : de là
le nom de ludus meridianus donné à
cet intermède. Il est vraisemblable que la
condition des paegniarii était assez
différente de celle des combattants dont la vie
était en jeu ; cependant ceux-ci les
considéraient comme des camarades : ainsi
à Rome il y avait des paegniarii dans la
troupe impériale du Ludus magnus. C'est
seulement à partir du temps de Caligula qu'il
est question de leurs exercices. Cette partie du
spectacle, destinée à reposer les sens de
la foule entre deux tueries, pouvait avoir parfois un
caractère plaisant, comme les scènes de
comédie où l'on échange des coups
de bâton. Les organisateurs s'attachaient sans
doute à accentuer cette ressemblance : un jour
Caligula imagina inopinément de donner pour
adversaires aux paegniarii des pères de
famille, gens honorables et connus, mais
affligés de diverses infirmités
physiques.
La figure ci-dessus représente, d'après
une mosaïque trouvée à Nennig
(Prusse Rhénane), un groupe de deux
paegniarii ; l'un tient un fouet, l'autre un
bâton ; tous deux ont sur le bras gauche un
bouclier cintré, qu'il faut supposer
fixé par des courroies ; dans leur main gauche
on voit un bâton recourbé du bout
[Pedum] destiné à parer les
coups. Il ne faut pas confondre les paegniarii
avec les gladiateurs de la séance d'escrime
(pugna lusoria), qui leur succédaient
dans l'amphithéâtre ; ceux-ci en effet
avaient des armes de bois, ou des armes
émoussées, mais en tout semblables
à celles des combats à mort, et leur
jeu par conséquent était de tous points
conforme aux règles propres de chaque
spécialité.
Il fallait assurément beaucoup d'exercice aux
gladiateurs de ces diverses catégories pour
exceller dans leur art ; cependant on vit quelquefois un
même homme se distinguer dans plusieurs armes :
Martial cite un gladiateur qui se rendit également
redoutable comme samnite, comme rétiaire et comme
vélite ; il était du reste omnibus
eruditus armis ; on en connaît un autre qui fut
à la fois dimachaerus et essedarius.
Notons aussi que les gladiateurs de toutes les
catégories pouvaient être employés
avec leurs armes et leur costume ordinaire dans les
combats contre les animaux féroces
[Venatio], quoique ce fût plus
particulièrement l'office des Bestiarii et des
Venatores ; aussi les voit-on figurer assez
souvent sur des monuments qui se rapportent à ce
genre de spectacles. Naturellement le nombre des armes
représentées dans un seul munus
était proportionné à sa richesse et
à son importance. Quelques listes de troupes,
conservées sur la pierre, nous offrent des
exemples intéressants ; un de ces documents,
trouvé à Venouse, donne le résultat
d'un munus où parurent des gladiateurs
appartenant à onze armes différentes. Les
armes qui dominent dans nos listes sont celles du thrace,
du murmillo et de l'essedarius ; aussi
peut-on s'étonner que nous soyons encore si mal
renseignés sur la seconde et qu'il ne subsiste de
la dernière aucun monument figuré.
Lorsqu'une troupe était considérable, elle
pouvait comprendre plusieurs sections (lacinia) ;
il est probable qu'en pareil cas plusieurs armes
étaient représentées dans chacune
d'elles.
-
Les grades
Tout gladiateur qui n'a pas encore joué sa vie en
public dans l'amphithéâtre est un simple
conscrit, tiro ; s'il meurt à son premier
combat, il meurt tiro, ce qui s'indique dans les
inscriptions par la sigle T, ajoutée à son
nom. Si au contraire il sort vivant de l'épreuve,
il devient par le fait même veteranus, soit
qu'il ait été vainqueur, soit qu'on l'ait
gracié. On voit aussi des gladiateurs qui portent
le titre de primus palus (protos palos) et de
secundus palus (deuteros palos) ; il a
été évidemment formé par
analogie avec celui de primus pilus en usage dans
l'armée, et il rappelle le poteau sur lequel on
s'exerçait à l'escrime ; il devait
désigner un instructeur qui, de temps en temps
remplissait l'office de ce poteau, en faisant tirer les
conscrits sur sa poitrine. Les pali devaient donc
être des vétérans gradés,
ayant une certaine autorité sur leurs camarades,
et placés eux-mêmes sous la direction du
doctor ; cependant ils étaient toujours en
activité de service et comme tels pouvaient encore
combattre dans l'arène ; on connaît un
primus palus, qui est mort à vingt-deux
ans, un autre à vingt-sept. Il est à
présumer qu'il y avait dans chaque école et
pour chaque arme un palus primus et un
secundus ; Commode au Ludus magnus se
faisait appeler primus palus secutorum, et il
était très fier de ce titre.
Les gladiateurs dits prima ou summa rudis, et
secunda rudis, devaient être au contraire
des retraités qui avaient mérité
l'épée de bois, signe du congé
définitif ; c'étaient par conséquent
des rudiarii remarquables par leur force et leur
adresse, et qu'on engageait dans l'école moyennant
salaire pour y servir d'instructeurs ; nous avons
conservé l'épitaphe d'un gladiateur
summa rudis, mort à soixante ans. Ces
gradés devaient assister le doctor ;
peut-être pouvaient-ils devenir doctores
à leur tour au bout d'un certain temps de
service.
Mais voici une question qui est encore pour nous remplie
d'obscurité, bien qu'elle ait donné lieu
à un grand nombre d'études érudites.
On possède dans divers musées de petits
parallélipipèdes en os ou en ivoire,
généralement percés d'un trou
à une de leurs extrémités, et
portant une inscription sur chacune de leurs faces,
quelquefois sur trois faces seulement. On y lit un nom
d'homme, le plus souvent un nom d'esclave, suivi une
date, indiquée d'ordinaire par le jour, le mois et
l'année.
Le bâtonnet, que représente la figure
ci-dessus est le plus ancien de tous ceux de cette
série qui portent une date certaine ; il est de
l'an 93 av. J.-C. L'inscription doit se lire :
s(ervus), spectavit, C. Val(erio), M. Her(ennio
consulibus).
Sur cet autre bâtonnet, qui est au contraire un des
plus récents (74 ap. J.-C.), on lit : Maximus,
Valeri(i) (servus), sp(ectavit) id(ibus) jan(uariis),
T(ito) Caes(are), Aug(usti) f(ilio) tertium, (Ti.
Plautio) Aelian(o) secundum (consulibus). En 1864,
Ritschl avait publié une étude d'ensemble
sur ces petits objets ; depuis (1877-1890), ils ont
fourni matière à une discussion qui a eu au
moins l'avantage de préciser quelques points
douteux. Les résultats qu'on peut
considérer comme acquis sont les suivants. D'abord
tout le monde admet aujourd'hui que ces objets ont un
rapport avec l'amphithéâtre et que les noms
qui y sont gravés sont bien des noms de
gladiateurs : on les appelle d'un commun accord
tesserae gladiatoriae. Ces tessères ont
été faites pour être suspendues ; les
plus anciennes datent du temps de Sylla ; quelques-unes,
qui ne portent pas de date, peuvent remonter
jusqu'à l'an 105, où P. Rutilius Rufus
donna un nouvel essor à l'art de la gladiature ;
aucune n'est postérieure à Domitien. Parmi
les esclaves dont les noms y sont gravés, il n'y
en a pas un seul qui appartienne à une troupe
impériale. On connaît actuellement une
centaine de tessères ; presque toutes proviennent
de l'Italie, notamment de Rome et de Capoue. Enfin
Ritschl avait douté de la lecture spectavit
; il lisait sp(ectatus) en se fondant sur un vers
bien connu d'Horace, et il admettait que chaque
tessère avait été remise au
gladiateur en même temps que la rudis ; or
la lecture spectavit est aujourd'hui
confirmée par six exemplaires où ce mot est
gravé en toutes lettres, et dont
l'authenticité ne peut faire aucun doute. Mais
alors à quoi ont servi les tesserae
gladiatoriae, quel sens faut-il donner à
l'inscription gravée à la surface de
chacune d'elles ? Qu'il nous suffise d'indiquer les
principales hypothèses.
- Le gladiateur nommé sur la tessère
serait un rudiarius, qui le jour de sa
libération aurait été admis
à prendre place sur les gradins de
l'amphithéâtre parmi les spectateurs
;
- Il aurait eu dans l'école le droit de
surveiller et d'examiner (spectare) les recrues
; il aurait porté sur lui, comme un insigne de
son pouvoir et comme un souvenir d'une date importante
de sa vie, la tessère inscrite à son
nom.
- La tessère rappellerait la date d'un examen
; le nom qu'on y lit serait celui de l'examinateur, du
doctor qui avait délivré la
tessère ; mais celle-ci aurait été
portée par l'examiné, et non par le
doctor.
Quelles que soient les objections que l'on peut
encore opposer à ces hypothèses, il est
difficile de ne pas admettre au moins que le gladiateur,
qui spectavit, occupe un rang plus
élevé que ses camarades ; car dans une
liste de l'an 177 nous trouvons huit tirones, onze
veterani, et deux personnages dont le nom est
suivi de la sigle SP ; il n'est guère douteux
qu'il faut lire sp(ectator). Les gladiateurs de
cette liste appartiennent au Ludus magnus ; ainsi
le spectator, si souvent nommé sur les
tessères des troupes privées, aurait eu
aussi son emploi dans les troupes impériales, au
moins à partir du temps de Domitien,
c'est-à-dire depuis le moment où il cessa
d'y avoir des troupes privées dans la ville de
Rome ; mais nous sommes hors d'état de
décider quel est le rapport qui unit le
spectator aux gradés de la gladiature, ni
même s'il y a entre eux un rapport. Enfin dans la
liste de l'an 177, quelques noms sont suivis de la sigle
N, et une tessère d'Arles porte, après un
nom de gladiateur, SPECTAT NM. M. Mommsen a
proposé, sous toutes réserves, de lire
spectat(or) num(erator) ; le second titre
s'appliquerait à un contrôleur ou à
un trésorier. L'ensemble des gradés du
Ludus magnus est appelé pompeusement dans
une inscription ordo potestatium.
- Collèges, cultes, superstitions
Les gladiateurs d'une même école ne se
considèrent pas nécessairement entre eux
comme des ennemis. Les membres d'une même arme, qui
sont plus rarement exposés à s'ôter
mutuellement la vie dans l'amphithéâtre, se
traitent de camarades (coarmius) ; lorsque l'un
d'eux vient à mourir, ils lui élèvent
un tombeau. Quelquefois ces liens fraternels rapprochent
des compagnons ou des voisins de cellules
(sugkellarios), même des gladiateurs d'armes
différentes ; on voit un murmillo rendre les
honneurs funèbres à la mémoire d'un
rétiaire, son commensal (convictor). C'est
que ces malheureux, mis au ban de la société,
sont étroitement unis par un intérêt
commun, dont elle n'a cure : aucun citoyen honorable ne
leur accorderait une place dans son tombeau de famille. Il
est vrai que certains propriétaires de troupes,
après un munus, font ensevelir dans un
même monument les victimes de la journée ;
mais ceux-là songent beaucoup plus à
perpétuer le souvenir de leurs largesses qu'à
honorer leurs morts, et il est sage de ne pas compter sur
tant de libéralité. Aussi voit-on des
gladiateurs s'entendre entre eux pour assurer d'avance leur
propre sépulture. On sait qu'en
général cette idée a
préoccupé au plus haut point les classes
pauvres chez les Romains et que de là sont sortis
les collèges funéraires que l'on voit
pulluler au temps de l'Empire ; plus que personne les
gladiateurs, dont la vie était exposée
à un danger perpétuel, devaient avoir le
souci de leur destinée future. Ils formèrent
donc, eux aussi, des associations funéraires : une
cotisation versée chaque mois leur donnait droit
à une place dans un tombeau commun. Tel
était, par exemple, un collège qui
s'était fondé à Rome, au temps de
Commode, sous la protection du dieu Silvain ; il se
composait de trente-quatre membres, presque tous
gladiateurs de la troupe impériale, appartenant
à différentes armes ; ils étaient
présidés par deux curatores, et
divisés en quatre décuries ; les
vétérans étaient inscrits dans la
première.
Mars était par excellence le dieu des gladiateurs ;
c'était à lui que l'on consacrait les
amphithéâtres ; c'était à lui
que les editores adressaient leurs actions de
grâces, lorsque le munus
célébré sous leur présidence
avait satisfait le public. Il est naturel que les
gladiateurs aient eu la même dévotion pour
Bellone et comme leurs combats furent quelquefois
donnés en spectacle aux Quinquatrus, à
l'occasion des fêtes de Minerve, on doit supposer que
cette divinité recevait aussi leurs hommages, comme
ayant dans ses attributions l'art de la guerre. Enfin ils
honoraient Hercule, l'Hercules victor ou
invictus, patron des exercices militaires ;
c'était dans son temple qu'ils allaient suspendre
leurs armes en guise d'ex-voto lorsqu'ils prenaient leur
retraite. Le culte que nous les voyons rendre à
Silvain s'explique par la parenté qui en Italie
unissait ce dieu à Hercule.
Les gladiateurs jouaient un certain rôle dans les
superstitions populaires ; ainsi on croyait qu'un
épileptique pouvait guérir de son mal, s'il
buvait le sang encore chaud d'un gladiateur tué en
combattant ; cette idée est repoussée avec
horreur par plusieurs écrivains, notamment par Pline
l'Ancien ; cependant il cite des ouvrages grecs, plus ou
moins mêlés de fausse science, où l'on
en pouvait trouver la justification. On croyait aussi qu'on
obtenait le même effet salutaire en absorbant
quelques morceaux du foie d'un de ces misérables.
L'arme avec laquelle il avait été
égorgé passait pour avoir une vertu magique ;
on sait que les mariées devaient, le jour de leur
noce, faire diviser leur chevelure avec la hasta
coelibaris ; si ce trait avait été
retiré du corps d'un gladiateur mortellement
frappé, c'était un gage de bonheur
assuré pour la jeune femme. L'image même d'un
gladiateur était un préservatif contre le
mauvais oeil [Fascinum]. Il faut se rappeler que les
gladiateurs étaient infames, et qu'il y avait
parmi eux des criminels ; ils périssaient de mort
violente et, comme les suicidés, ils étaient
ensevelis à part ; toutes les superstitions dont ils
étaient l'objet semblent avoir été
inspirées par ce sentiment mystérieux, mais
encore vivant aujourd'hui, qui porte les gens du peuple
à rechercher la corde de pendu pour s'en faire un
talisman.
- L'amphithéâtre
L'amphithéâtre est, depuis la fin de la
République, le lieu ordinaire des combats de
gladiateurs [Amphitheatrum] ; mais même
à l'époque impériale on en a souvent
offert au public dans des villes qui ne possédaient
pas d'amphithéâtre en pierre ; une inscription
du temps d'Antonin le Pieux parle d'une enceinte en bois
(saepta lignea), construite pour un munus
annuel dans une ville de l'Italie du Nord. Dans la ville de
Rome c'était sur la place publique qu'avaient
été donnés les premiers munera
; même après que l'amphithéâtre
de Taurus et le Colisée eurent été
construits, on revint dans certains cas à l'ancienne
tradition, surtout lorsque l'arène de ces monuments,
si vaste qu'elle fût, paraissait encore trop
étroite ; ainsi jusque sous l'Empire il est
arrivé qu'on fît combattre des gladiateurs
dans le Cirque, au Forum, dans le Stade, ou dans l'enceinte
des comices (saepta iulia) au Champ de Mars. C'est,
à plus forte raison, ce qui a dû se passer
souvent dans les villes moins peuplées et moins
riches. Les inscriptions gravées à
l'intérieur des amphithéâtres,
notamment celles du Colisée, nous font
connaître avec beaucoup de précision l'ordre
dans lequel les différentes classes de la
société étaient rangées sur les
gradins. Les lois qui réglaient la distribution des
places devaient établir une certaine distinction
entre les munera et les ludi, puisque
l'amphithéâtre n'avait point d'orchestre comme
le théâtre, et qu'il avait des cunei
qui manquaient au cirque. Cependant l'ordre des
préséances dans les trois catégories
d'édifices semble avoir été
déterminé en même temps par les
mêmes mesures législatives. Nous renvoyons
donc à l'article Ludi tout ce que nous
aurions à dire ici sur cette matière. Nous ne
parlerons pas davantage des jetons d'entrée, ni du
costume que l'on exigeait des spectateurs, ni des repas et
des cadeaux qu'on leur offrait dans
l'amphithéâtre ; les renseignements que nous
pourrions réunir sur ces divers sujets s'appliquant
également aux autres spectacles publics de
l'époque romaine, nous renvoyons aux articles
Ludi, Missile, Sparsio, Tessera.
-
Le personnel de service (ministri,
officiales)
L'amphithéâtre était placé
sous la surveillance d'un intendant (villicus),
qui devait être chargé surtout du nettoyage
et de l'entretien. L'amphithéâtre de
Statilius Taurus, à Rome, était
confié aux soins d'un gardien (custos),
d'un sous-gardien (custos vicarius) et d'un
portier (ostiarius), qui, longtemps après
la mort du fondateur, étaient toujours choisis, en
vertu d'un privilège héréditaire,
parmi les affranchis et les esclaves de la famille
Statilia. Les jours de spectacle, il est probable qu'il y
avait au milieu de la foule, comme au
théâtre, des huissiers
(dissignatores) pour faire placer les spectateurs,
et des licteurs pour maintenir l'ordre [Theatrum].
Dans l'arène se tenaient des agents de diverses
catégories, auxquels semble convenir tout
particulièrement le nom d'harenarii. Tels
étaient par exemple ceux qui renouvelaient le
sable, lorsqu'il avait été souillé
de sang ; il paraît que cet emploi était
parfois attribué à des nègres. Il y
avait des hérauts (praecones) pour
proclamer les noms des gladiateurs ;
d'autres, comme le montre la figure ci-jointe, portaient
des écriteaux, sur lesquels ces noms était
inscrits en grosses lettres. On postait aussi dans
l'arène des gens armés, qui avaient pour
consigne d'exciter les récalcitrants et les
lâches ; ils pouvaient se servir de
l'épée, du fouet, des verges ou du fer
rouge.
Sur la mosaïque Borghèse, trouvée
près de Tusculum, on voit au fond un personnage
dans lequel il faut peut-être voir un
lorarius ; comme d'autres sur le même
monument, il a les cheveux longs, son costume se
réduit à un ceinturon [Balteus] et
à un manteau jeté sur le bras gauche ; il
tient un fouet dans la main droite. Enfin il faut joindre
à ce personnel les serviteurs qui enlevaient les
blessés, donnaient le coup de grâce aux
mourants et ensevelissaient les morts.
-
Le programme (edictum)
Lorsqu'un combat de gladiateurs allait avoir lieu,
l'organisateur faisait tracer le programme sur les murs
des maisons et des édifices publics, et même
sur les tombeaux qui bordaient les grandes routes. Un
grand nombre de programmes tracés au pinceau sur
les murs de Pompéi sont parvenus jusqu'à
nous. Voici les indications qu'on y trouve :
- Occasion du munus, pro salute domus Augustae, ob
dedicationem aras, etc. ;
- Nom de l'editor, magistrat ou autre ;
- Nombre des paires de gladiateurs engagées
;
- Nom de la ville où doit être
donné le spectacle ; ainsi à
Pompéi on annonce expressément qu'il sera
donné à Pompéi, ce qui prouve que
le programme du même spectacle pouvait être
publié à la fois dans plusieurs villes
voisines ;
- Date des journées que remplira le
munus ;
- Plaisirs variés qui l'accompagneront,
venatio, sparsio, etc. Quelquefois on y a joint
des acclamations, ou des indications
complémentaires : vela erunt, on tendra
des toiles pour abriter du soleil ; sine ulla
dilatione, sans aucun délai ; qua dies
patientur, quand le temps le permettra, etc... ; un
munus est même appelé totius orbis
desiderium.
Mais aucun programme ne contient autant
d'indications à la fois ; en général
ils sont plus simples.
Celui que l'on voit ici reproduit annonce un munus
que doit offrir un édile le 31 mai : A(uli)
Suetti(i) Certi aedilis familia gladiatoria pugnabit
Pompeis pr(idie) k(alendas) Junias. Venatio et vela
erunt. Il est douteux que les programmes peints sur
les murs aient jamais donné une liste
complète de la troupe ; tout au plus
annonçaient-ils par leur nom des sujets de choix.
L'editor faisait encore écrire son
programme par des copistes sur des feuilles volantes, qui
étaient répandues à un grand nombre
d'exemplaires. Le libellus munerarius se vendait
dans les rues et on le consultait pendant le spectacle.
L'index qu'il portait à la connaissance du public
contenait probablement tous les noms des gladiateurs de
la troupe, avec leurs états de service.
- Cena libera
La veille du combat, on offrait aux gladiateurs, qui
devaient y prendre part, un repas copieux, la cena
libera ; le public était admis à venir
les voir manger. La bouillie ordinaire n'était pas
oubliée ; mais lorsque l'editor tenait
à sa popularité il avait soin que la table
fût couverte de mets plus délicats ;
c'était pour le forcer à faire largement les
choses qu'on servait le repas en public. On voyait alors
les malheureux convives s'abandonner sans retenue au
plaisir de la bonne chère. Mais on en voyait aussi,
dit Plutarque, qui, à cette heure solennelle,
songeaient beaucoup plus à prendre leurs
dernières dispositions : ils recommandaient leurs
femmes à leurs amis, et quelquefois ceux d'entre eux
qui étaient de condition libre affranchissaient
leurs esclaves.
-
Le combat
 |
- Le défilé (pompa, diexodos).
Le jour du combat, presque toujours dans
l'après-midi, la troupe ou section de troupe
désignée se rendait à
l'amphithéâtre et elle y faisait son
entrée en grande pompe. On admet en
général que le bas-relief reproduit dans
la figure ci-dessus, s'il ne représente pas
précisément ce défilé, peut
du moins en donner une idée. Le personnage du
milieu semble être l'editor lui-même
; immédiatement devant lui marchent deux
huissiers, dont l'un tient un écriteau, et
l'autre une palme réservée au vainqueur.
L'editor est suivi de deux serviteurs portant
des armes ; c'est sur ce détail qu'on peut se
fonder pour rapporter cette scène à la
gladiature ; le reste ne diffère en rien des
défilés usités dans les autres
jeux. Pline l'Ancien parle de gladiateurs qu'on
transportait dans des voitures magnifiquement
ornées ; mais peut-être ce
témoignage s'applique-t-il au trajet qu'ils
avaient à faire de l'école à
l'amphithéâtre. Ils arrivaient dans
l'arène parés de riches vêtements
(pompaliter ornati), tels que des chlamydes
teintes de pourpre et brodées d'or.
- Le combat était souvent
précédé d'une séance
d'escrime (prolusio) donnée en public
dans l'arène ; les gladiateurs y
répétaient leurs exercices en se servant
d'armes inoffensives (arma lusoria). Cette
partie du spectacle, où on les voyait
déployer toute leur ardeur sans péril
pour leur vie (ventilare) leur permettait de
s'entraîner, ou, comme ils disaient, de
s'échauffer (calefieri). C'était
aussi pour les amateurs une occasion de descendre dans
l'arène et de donner à la foule une
idée de leur talent. Ainsi Titus fit assaut en
public à Réate, sa ville natale, contre
un personnage nommé Allienus, qui est
peut-être un des consuls de l'an 69. Commode
voulut aussi que le peuple fût témoin de
ses succès ; on le vit dans
l'amphithéâtre se mesurer avec plusieurs
adversaires, qu'il battit
« naturellement », suivant le mot
de Dion, les uns après les autres, tandis que la
cour le saluait d'acclamations de commande. A ses
côtés se tenaient le grand camérier
et le préfet du prétoire ; aussitôt
vainqueur, il les embrassait sans ôter son
casque. On lui payait chaque jour pour sa peine 250 000
drachmes (263 500 fr.)
- Le moment du combat venu, on apportait les
armes tranchantes avec lesquelles les gladiateurs
devaient s'entretuer (arma pugnatoria,
decretoria). On les soumettait à l'examen de
l'editor, pour qu'il s'assurât de ses
propres yeux qu'elles répondaient bien aux
conditions réglementaires et qu'aucun des
combattants n'avait cherché à
échapper à la mort par des moyens
frauduleux (probatio armorum). Drusus, fils de
Tibère, s'acquittait, paraît-il, de son
office avec une rigueur particulière, si bien
qu'on avait attaché son nom à une sorte
d'épée extrêmement redoutable.
Domitien semble avoir établi de nouveaux
règlements pour éclairer les
présidents de munera sur cette partie de
leurs devoirs. Marc-Aurèle ne donna jamais aux
gladiateurs, dans la ville de Rome, que des armes
émoussées (gladii hebetes, opla
amblea), ou mouchetées (arma praepilata,
esphairômena), c'est-à-dire qu'il
réduisit le spectacle à une simple
séance d'escrime ; mais il est impossible,
surtout depuis la découverte de la lex
Italicensis, de voir là une mesure d'ordre
général ; car elle ne serait revenue
à rien moins qu'à supprimer l'institution
même de la gladiature ; ceci ne peut s'entendre
que des munera que Marc-Aurèle donna en
son propre nom, auxquels il présida en personne,
et ils durent être fort rares. Les armes des
gladiateurs étaient quelquefois d'une grande
richesse ; on peut voir par les spécimens
découverts à Pompéi ce que l'art
avait su en faire.
Souvent à la beauté de la
décoration s'ajoutait le prix de la
matière : Jules César équipa ses
gladiateurs avec des armes d'argent ; ce fut de son
temps une nouveauté ; mais on l'imita
bientôt jusque dans les municipes. Après
la mort de Commode, Pertinax fit vendre, parmi les
objets provenant de sa succession, des armes de
gladiateurs (arma gladiatoria), ornées
d'or et de pierreries. Les casques étaient
souvent ornés de plumes de paon ou d'autruche.
Le vêtement de combat était
nécessairement beaucoup moins ample que le
vêtement de parade qui avait servi pour le
défilé. On a même vu que la plupart
du temps les gladiateurs n'en portaient aucun sous
leurs armes ; cependant ils avaient parfois une tunique
et des chaussures et, s'ils étaient
equites, une chlamyde ; Juvénal parle
d'une tunique de rétiaire brodée d'or.
Les peintures et les mosaïques peuvent nous donner
une idée du brillant effet que produisait la
variété des couleurs dans le costume des
gladiateurs et des gens de service.
Les combattants étaient appariés par la
voie du sort ; d'après ce qui se passait au
cirque, on peut conjecturer que le tirage avait lieu en
public dans l'amphithéâtre et que par
conséquent ses résultats ne devaient pas
figurer sur le programme ; c'était en effet une
opération trop grave pour qu'elle ne fût
pas exécutée au grand jour, sous les yeux
de la foule ; comme la probatio armorum, elle
avait pour but d'empêcher toute supercherie,
toute combinaison concertée d'avance entre les
acteurs de ces terribles drames ; il est vraisemblable
que l'editor y procédait lui-même
ostensiblement et que les noms des gladiateurs dont se
composait chaque paire (par, zeugos)
étaient proclamés au fur et à
mesure par un crieur et inscrits sur une nouvelle liste
ou sur un écriteau qu'on portait dans
l'arène.
-
Le son des instruments donnait le signal de la
lutte ; il est probable qu'ils continuaient
à jouer pendant toute la durée du
spectacle. Voici ceux que nous font connaître
les textes et les monuments figurés :
- la trompette droite [Tuba] ;
- le Lituus ou trompette à bout
recourbé ;
- le cor [Cornu] ; un cor de gladiateur
trouvé à Pompéi n'a pas moins
de 1m 20 de diamètre ;
- la flûte [Tibia] ;
- l'orgue [Hydraulus] est
représenté sur plusieurs monuments
où sont figurées des scènes de
la gladiature ;
- il semble aussi que l'on faisait entendre des
chansons martiales et plaisantes, qui devaient
s'accommoder aux airs joués par les
instruments.
- Après un salut adressé à
l'editor, les gladiateurs engageaient la
lutte, paire par paire, assistés et
encouragés par les doctores,
présents à côté d'eux dans
l'arène. La foule suivait les
péripéties du combat avec une
curiosité passionnée ; elle excitait les
poltrons et appelait contre eux toutes les rigueurs des
lorarii, en criant : Jugula, verbera, ure
!. Comme au cirque, des paris (sponsio),
s'engageaient entre les spectateurs. Quand un
gladiateur avait été touché
(deceptus) on entendait retentir de toutes parts
les mots Habet, hoc habet ! il en a ! Dans le
résultat final il faut distinguer plusieurs cas
:
- L'un des deux adversaires, frappé
à mort, expirait sur-le-champ.
- L'un des deux adversaires, mis en état
d'infériorité manifeste, se voyait
obligé de s'avouer vaincu. Souvent de
valeureux champions, même grièvement
blessés, refusaient d'en venir à
cette extrémité et
préféraient recevoir debout le coup
mortel, en combattant jusqu'à leur dernier
souffle. Ou bien, avant même que le combat
commençât, l'editor avait pu
décider qu'aucun des vaincus ne sortirait
vivant de l'amphithéâtre :
c'était un munus sine missione. Un
jour que Domitius, grand-père de
Néron, avait donné un spectacle de ce
genre, où on avait égorgé un
grand nombre d'hommes, Auguste
révolté publia un édit pour
supprimer à tout jamais cette coutume
barbare. Mais il est évident qu'aux yeux de
la foule un combat était d'autant plus
brillant qu'il était plus meurtrier ; c'est
que l'editor étant le
propriétaire de ses hommes, plus il en
épargne et plus il s'expose au reproche de
vouloir faire des économies ; il en est de
même, si, au lieu de les avoir
achetés, il les a loués, sous
condition de payer un surplus pour chaque homme
tué. Son amour-propre et sa bourse ont donc
deis intérêts opposés, et il
est clair que bien souvent c'est son amour-propre
qui l'emporte. Aussi l'édit d'Auguste dut-il
être souvent violé, si même il
lui survécut : en 249, un magistrat de
Minturne se vante d'avoir, dans un spectacle
donné à ses frais, fait tuer tous les
vaincus, tous des premiers sujets (primores)
de la Campanie. Il pouvait arriver aussi que le
vainqueur ne laissât pas à son
adversaire le temps de songer à son salut ;
surtout s'il avait contre lui quelque motif
d'animosité, il le blessait mortellement
à la première occasion ; un
gladiateur mentionné par une inscription se
montra, paraît-il, plus
généreux, et il eut à s'en
repentir, car il fut, dans un combat
postérieur, tué de la propre main de
celui qu'il avait épargné ; son
épitaphe lui fait dire :
« Gardez-vous d'épargner un
adversaire vaincu ». Mais en
général l'humanité ne perdait
pas absolument ses droits ; le gladiateur qui se
sentait incapable de prolonger la lutte
déposait ses armes (arma submittere),
se couchait à terre (decumbere) et
levait en signe de soumission la main gauche, ou un
doigt de cette main (manum tollere), qui
jusque-là avait tenu le bouclier ; par le
même geste il demandait qu'on lui
accordât la vie (mittere,
apheinai).
A partir de ce moment, il lui était
interdit, quelle que fût la décision
du public, de faire un mouvement pour reprendre
l'avantage, s'il en trouvait le moyen : une
pareille tentative était
considérée comme une trahison
déshonorante, même pour les
assistants qui n'auraient pas su
l'empêcher. Le droit de grâce
(missio) appartenait à
l'editor, et, autant qu'il semble,
à lui seul ; aussi en
réalité ne dit-on pas qu'il fait
tuer les vaincus, mais qu'il les tue
(occidit), le vainqueur n'étant que
l'instrument de sa volonté ; cependant il
est probable qu'en général il se
conformait au désir exprimé par la
foule. Si l'empereur entrait dans sa tribune au
moment où le sort d'un vaincu était
en suspens, celui-ci avait la vie sauve par le
fait même. Les spectateurs qui souhaitaient
qu'on accordât la grâce levaient un
doigt en l'air, ou bien ils agitaient une
pièce d'étoffe (mappa), en
criant Missum ! Leur geste,
répété par l'editor,
donnait au vaincu le droit de sortir
aussitôt de l'arène. Si au contraire
sa prière était repoussée,
les spectateurs, et après eux
l'editor, baissaient le pouce vers la
terre (vertere pollicem), en criant :
Jugula ! Dès lors il n'avait plus
qu'à tendre la gorge pour recevoir le coup
mortel (ferrum recipere) de la main du
vainqueur.
- Mais un autre cas pouvait encore se
présenter ; c'était celui où
les deux adversaires, étant d'égale
force, ne pouvaient, après plusieurs
reprises, venir à bout l'un de l'autre ; en
ce cas le public, soit qu'il partageât leur
lassitude, soit qu'il les unît dans un
même sentiment d'admiration, demandait qu'ils
fussent graciés tous les deux. On disait
alors qu'ils étaient stantes missi,
ce qui signifiait qu'au moment où ils
avaient obtenu la vie ils étaient encore
debout dans l'attitude du combat, stantes in
gradu, et non étendus à terre
comme le gladiateur qui s'avoue vaincu. Tel est le
cas de Xantus et d'Eros que l'on voit
représentés sur la figure suivante.
Quoique inférieur au titre de vainqueur,
celui de stans missus était encore
très honorable, les gladiateurs s'en
paraient volontiers.
- Enfin, même si un gladiateur était
sorti vivant de l'épreuve, il se pouvait que
tout ne fût pas encore fini pour lui.
Quelquefois lorsqu'on appariait les gladiateurs, on
en désignait par la voie du sort un certain
nombre qui, provisoirement, ne faisaient partie
d'aucune paire ; ceux-là formaient un groupe
distinct ; on les réservait pour prendre la
place des vaincus, tués ou graciés
dans un premier combat ; de là leur nom de
suppositicii (ephedroi) ; on les appelait
encore tertiarii, parce que chacun d'eux
venait s'ajouter comme troisième à
l'une des paires de la liste. Ainsi lorsqu'un
gladiateur avait vaincu un premier adversaire, il
pouvait fort bien être obligé de
défendre sa vie à nouveau contre un
suppositicius, qui se présentait tout
frais au combat. Dans quel cas et sous quelles
conditions lui imposait-on cette seconde
épreuve ? C'est ce que nous ne savons pas ;
mais il est difficile de croire qu'on laissât
au hasard le soin d'en décider ; il est plus
vraisemblable qu'on n'opposait aux
suppositicii que des hommes souillés
des crimes les plus abominables, ou connus pour
être doués d'une force exceptionnelle.
On a reproché vivement à Caracalla,
comme un trait de cruauté, d'avoir
forcé un gladiateur à combattre trois
fois de suite dans la même journée ;
c'était un champion célèbre ;
il n'en fut pas moins tué au
troisième combat.
Tous les gladiateurs inscrits au programme
s'appelaient ordinarii. Parfois le public
trouvait que le combat finissait trop tôt ; et
en effet, bien que la durée en eût
été calculée d'avance
d'après le nombre des hommes engagés,
elle pouvait tromper toutes les prévisions.
Alors les spectateurs demandaient que, pour occuper
le reste de la journée, on fît venir un
nombre proportionnel de gladiateurs
supplémentaires ; on les appelait
postulaticii. Les empereurs n'étaient
jamais à court, lorsqu'il s'agissait de faire
face à ces exigences ; ils avaient toujours
à leur disposition, et à peu de
distance, des écoles toutes pleines. Les
editores de spectacles plus modestes pouvaient
être plus embarrassés ; mais en
général ils s'arrangeaient d'avance
pour tenir en réserve quelques paires de
postulaticii, qui ne figuraient pas sur le
programme et qui ne paraissaient dans l'arène
qu'en cas de nécessité. Quelquefois, au
lieu de combats singuliers, on donnait dans
l'arène des combats, où deux troupes
égales en nombre étaient
opposées l'une à l'autre ; on disait
alors que les gladiateurs étaient mis aux
prises gregatim (antitaxis kata plêthos)
; ainsi, sous Caligula, cinq rétiaires se
mesurèrent simultanément avec cinq
secutores.
|
|
Les deux thraces que représente la
figure ci-jointe semblent, d'après la
manière dont ils sont groupés,
avoir pris part à un combat de ce genre.
Quand les deux troupes ne comptaient qu'un petit
nombre d'hommes, l'action s'engageait, suivant
l'usage, dans l'amphithéâtre ; mais
il y eut aussi des fêtes d'une splendeur
exceptionnelle, où cet édifice, si
vaste qu'il fût, ne pouvait suffire
à contenir tous les combattants qui
devaient paraître à la fois. Les
auteurs parlent d'un munus donné
par César, dans lequel on vit
s'entre-choquer cinq cents fantassins, trois
cents cavaliers et vingt éléphants
portant des tours remplies d'hommes armés
; une autre fois les deux troupes en
présence comprenaient jusqu'à sept
cents gladiateurs de chaque côté ;
Claude fit représenter par de grandes
masses de prisonniers le siège et la prise
d'une ville de la Grande-Bretagne. |
En pareil cas la consummatio
gladiatorum avait lieu soit au cirque, soit dans
un champ clos choisi pour la circonstance dans
quelque vaste espace découvert. Lorsqu'un
gladiateur avait succombé, des serviteurs,
portant le costume et les attributs de Charon ou de
Mercure Psychopompe, venaient chercher son corps ;
ils s'assuraient, en le touchant avec un fer rouge,
qu'il ne simulait pas la mort pour préparer
une évasion ; puis ils le plaçaient sur
une civière. Il y avait toujours tout
prêt pour cet usage un matériel
funèbre (libitina, tori libitinae) ;
à un munus donné par Néron
toutes les civières étaient
ornées d'ambre ; d'autres fois on faisait
traîner les cadavres par un croc
[Uncus], fixé à une corde que
tirait un cheval. Le cortège passait sous une
porte spéciale qu'on appelait la porte de
Libitina, et il déposait son fardeau dans le
spoliarium. Si par hasard le gladiateur avait
donné encore quelque signe de vie, on avait
soin de l'achever. Puis on mettait les cadavres en
terre sans honneurs, à moins qu'ils ne fussent
réclamés par la famille, par un
collège funéraire, par un
propriétaire de troupe, ou même par un
ami ou un admirateur (amator), qui se
chargeait de leur donner la sépulture. Les
vaincus graciés sortaient de
l'amphithéâtre par une porte que le
peuple appelait sanavivaria.
-
Récompenses
| L'insigne et la récompense de la victoire
pour le gladiateur, c'était par excellence la
palme ; aussitôt que le président la lui
avait remise, il faisait au pas de course, en
l'agitant dans sa main, le tour de l'arène
(discurrere) ; chaque victoire donnait droit
à une palme, de telle sorte que le gladiateur
comptait ses victoires par les palmes reçues ;
on disait gladiator plurimarum palmarum ou,
par exemple, V, X, XX palmarum ; aussi la
palme est-elle souvent représentée sur
les monuments relatifs à la gladiature.
Ailleurs, surtout dans les pays grecs, elle est
remplacée par la couronne, et quelquefois la
couronne se joint à la palme. Mais outre ces
récompenses officielles dont les gladiateurs
se faisaient honneur comme d'un titre, il y avait
celles qui les enrichissaient ; bien que leurs
épitaphes n'en parlent pas, ce ne sont pas
celles auxquelles ils tenaient le moins. On donnait
aux vainqueurs des sommes quelquefois
considérables, qui leur étaient
payées aux frais de l'editor, au milieu
même de l'amphithéâtre ; les
spectateurs, le bras gauche tendu en avant,
comptaient les pièces d'or avec leurs doigts
au fur et à mesure que le gladiateur les
recevait. |
|
Elles étaient offertes sur des plats de
métal [Disci, Lances], qui étaient
eux-mêmes d'un grand prix et restaient la
propriété du vainqueur. Néron fit de
véritables folies pour récompenser ceux qui
avaient su lui plaire : il leur donna « le
patrimoine et les maisons d'hommes qui avaient obtenu les
honneurs du triomphe ». Peut-être aussi
distribuait-on des armes richement ornées, et des
bracelets comme ceux qui servaient de décoration
dans l'armée [Torques].
|
|
La figure ci-jointe représente,
d'après un trophée qui réunit
plusieurs des récompenses ordinaires, la
couronne, la palme et des armes de gladiateur.
D'ordinaire le combat se terminait à
l'entrée de la nuit ; cependant il pouvait se
prolonger assez avant dans la soirée pour
qu'il fût nécessaire d'éclairer
l'amphithéâtre ; c'est ce qui devait
arriver fréquemment aux munera
quaestoria, célébrés
à Rome en décembre pendant les jours
les plus courts de l'année ; en pareil cas des
lustres chargés de lampes permettaient d'aller
jusqu'au bout du programme de la journée. Les
représentations données tout
entières de nuit ont toujours dû
être une exception.
|
-
Le compte-rendu
On avait coutume d'insérer dans les Acta
diurna un compte rendu des munera de la
capitale. Il reproduisait sans doute la liste des
gladiateurs, classés par paires, en indiquant,
à côté du nom de chacun d'eux, quel
avait été pour lui le résultat de la
journée. Nous pouvons nous faire une idée
de cette publication, grâce surtout à une
inscription tracée à la pointe sur un mur
de Pompéi, et qui paraît être un
état de troupe dressé par un laniste
à la suite d'un combat. Les hommes y sont
groupés par paires, dans l'ordre où ils ont
été mis aux prises, avec l'indication de
l'arme à laquelle ils appartiennent ; le
résultat est indiqué à la gauche de
chaque nom, par une des trois sigles P(eriit),
M(issus), V(icit). Ainsi deux Juliani,
c'est-à-dire deux gladiateurs d'une troupe
impériale, probablement de Capoue, l'un
o(plomachus), l'autre t(rex), ont
été mis aux prises ; le second a
été gracié :
Dans une autre paire, composée d'un t(rex)
et d'un m(urmillo), il y a eu un mort :
Les monuments figurés eux-mêmes portent
quelquefois, à côté de l'image des
gladiateurs, ces notes explicatives, qui semblent avoir
été identiques à celles dont on
faisait usage dans les états de troupes
dressés par l'administration de l'armée.
Mais au lieu de la sigle P on trouve aussi le theta
nigrum ou mortiferum, initiale du mot
Th(avôs), ou bien l'0 barré, initiale
du mot 0(biit).
La figure ci-dessus représente, d'après la
mosaïque Borghèse, le secutor Astivus
étendu sur l'arène ; à
côté de lui se lit la sigle funèbre.
Si nous possédions un grand nombre de listes, il
serait intéressant de rechercher quelle fut, pour
chacun des munera connus, la proportion des
gladiateurs tués. Dans la liste de Pompéi
nous voyons que, sur huit vaincus, trois ont
été tués. Il est peu probable que
dans les municipes le compte rendu fût
publié comme à Rome ; mais on le conservait
certainement dans les archives locales, surtout parce
qu'il importait pour le règlement des comptes que
le résultat définitif du munus
fût soigneusement constaté et
enregistré.
-
Etats de services
Lorsqu'un gladiateur, sorti vivant de l'arène,
continuait à exercer le métier, on dressait
pour lui des états de services, qui allaient
toujours s'enrichissant, au fur et à mesure qu'il
prenait part avec succès à de nouveaux
combats. Généralement dans les inscriptions
on donne à ce sujet les indications suivantes
:
- Nombre total des combats que le gladiateur a
livrés ; ainsi : LYCVS PVGNA (rum) IV ; mais
souvent aussi ce nombre est représenté
seulement par un chiffre, sans sigle d'aucune sorte ;
ainsi SEVERVS LIB XXXXV signifiera Severus
lib(ertus), XXXXV (pugnarum).
- Nombre des victoires indiqué par un chiffre,
précédé du mot palmarum, ou
coronarum, ou de la sigle C c'est-à-dire
de l'initiale de C(oronarum), quelquefois
retournée ; ainsi FAVSTVS C XXXVII. Cependant il
semble que toute victoire n'était pas
nécessairement récompensée par une
couronne, et que celle-ci était le symbole d'une
victoire plus éclatante ; car on voit dans des
inscriptions grecques qu'un même personnage peut
être qualifié à la fois de
ni(kêsas) et de
st(ephanôtheis), et que le chiffre de ses
couronnes peut être inférieur à
celui de ses victoires. Il y a là une
difficulté que nous ne sommes pas encore en
état de résoudre.
- Nombre des combats où le gladiateur a
été gracié sans avoir eu le
dessous (stans missus).
- Nombre des combats où il a été
vaincu et gracié (missus).
Il est rare que toutes ces indications se trouvent
réunies après le nom d'un même
personnage ; en général les deux
dernières sont absentes. Cependant une inscription
nous apprend ces détails sur un certain Flamma :
PVGNAT. XXXIII. VICIT. XXI. STANS. VIII. MIS. IIII. Il
pouvait arriver qu'on eût à dresser les
états de services, non d'un gladiateur encore
vivant, mais d'un gladiateur mort ; le cas se
présentait fréquemment, lorsqu'on
rédigeait des épitaphes ; s'il avait
été tué dans l'arène, on
indiquait quelquefois à part, après le
nombre total de ses combats, celui où il avait
perdu la vie. Ces inscriptions, qu'on pourrait appeler
des cursus de gladiateurs, sont
singulièrement instructives pour l'histoire de
leurs moeurs. Ainsi Flamma, mort à trente ans,
avait combattu trente-quatre fois ; tel autre, mort
à vingt-deux ans, treize fois, après sept
ans de mariage ; un autre, mort à vingt-quatre
ans, cinq fois, après cinq ans de mariage ; un
autre encore, mort à vingt et un ans, cinq fois,
après quatre ans d'école. Mais ces chiffres
ne sont rien à côté de ceux des
combats livrés par Commode ; dans son existence,
qui dura trente et un ans, il se serait mesuré
avec plus de mille adversaires. Il est probable que les
acta diurna donnaient les états de services
des gladiateurs, lorsqu'il rendait compte des
munera où ils avaient paru, et on peut
supposer qu'il en était de même dans les
libelli ; car c'était un moyen d'attirer
l'attention de la foule ; ni les editores ni les
lanistae ne devaient le négliger.
- Gladiateurs célèbres
Les gladiateurs qui avaient remporté de nombreuses
victoires jouissaient d'une popularité
extraordinaire. Certains noms qui reviennent à
plusieurs reprises dans les fastes de la gladiature
semblent avoir été illustrés d'abord
par quelques-uns de ces héros de
l'amphithéâtre, puis repris après eux,
comme il est arrivé pour les pantomimes, par des
successeurs jaloux de les égaler. Tels sont par
exemple Triumphus, Carpophorus, Philodamus, Philargurus,
Antiochus, Hermes et Petraites. On a assez vu par ce qui
précède quels encouragements ces virtuoses
trouvèrent jusque dans la plus haute
société de Rome. Sans parler des princes qui
leur accordèrent la protection la plus flatteuse,
ceux mêmes qui n'eurent qu'un goût
médiocre pour leurs exercices furent obligés
par politique de paraître s'y intéresser. On
assure que quelques gladiateurs eurent des maîtresses
de noble condition. Faustine, femme de Marc Aurèle,
aurait entretenu, dit-on, avec l'un d'eux des relations
coupables, auxquelles Commode aurait dû le jour. On a
trouvé récemment sur un mur de Pompéi
des inscriptions à la pointe mentionnant un thrace,
qui est appelé puellarum decus et suspirium
puellarum ; ces mots peuvent être
rapprochés d'un vers où Martial
célèbre les conquêtes d'un certain
Hermes, cura laborque ludiarum. Les gladiateurs qui
comptaient à leur actif un certain nombre de
victoires pouvaient arriver à la richesse pour peu
qu'ils s'entendissent à exploiter la faveur publique
; on en voyait qui, après fortune faite, se
retiraient à la campagne ; d'autres laissaient un
assez bel héritage pour que leurs fils pussent
justifier du cens équestre et passer dans la classe
des chevaliers. Caligula enrôla d'anciens gladiateurs
parmi ses gardes du corps, en leur donnant des grades
élevés ; on prétendait que l'empereur
Macrin avait été lui-même gladiateur.
Mais à côté de ces parvenus, il ne faut
pas oublier non plus les pauvres hères qui
traînaient au sortir de l'école une existence
misérable ; ils étaient quelquefois
réduits à chercher un refuge parmi les
prêtres de Bellone et à parcourir les rues
avec eux en demandant l'aumône aux passants.
- Les partis
Il n'y eut jamais à l'amphithéâtre des
partis aussi nombreux, aussi puissants et aussi bien
organisés qu'au cirque. Les auteurs anciens n'en
citent que deux ; l'un, celui des scutarii
(skoutarioi) favorisait les grands boucliers
(scuta), c'est-à-dire les oplomachi,
secutores, etc. ; l'autre favorisait les petits
boucliers, c'est-à-dire les thraces ; on appelait
ses membres parmularii (parmoularioi).
Domitien s'était déclaré pour le
premier, Caligula et Titus pour le second ; Trajan et
Marc-Aurèle voulurent rester neutres ; mais il est
assez probable que sous le secutor Commode, les
grands boucliers reprirent l'avantage. On a conservé
l'épitaphe d'un marchand d'huile, qui
exerçait son commerce à Rome : son
épitaphe mentionne qu'il fut
parmularius.
- Suppression
Nous n'avons pas à retracer ici l'histoire du
mouvement d'opinion qui amena la suppression des combats de
gladiateurs. Ils étaient l'objet d'une faveur si
générale, que les esprits les plus
éclairés, tels que Cicéron ou Pline le
Jeune, trouvaient des raisons pour les justifier ; tout au
plus allaient-ils jusqu'à souhaiter qu'on y
mît plus de variété et qu'on y
fût moins prodigue de vies humaines. Cependant
dès le début de l'Empire les écoles de
rhétorique et de philosophie durent insister sur le
caractère barbare de ces spectacles ;
Sénèque a été
l'interprète le plus convaincu et le plus
éloquent de leurs protestations. On sait avec quelle
ardeur passionnée les Pères de l'Eglise
achevèrent l'oeuvre commencée au nom de
l'humanité par les philosophes. Le 1er octobre de
l'an 326, Constantin, se trouvant à Béryte,
publia un édit par lequel il étendait la
peine des travaux forcés dans les mines à
tous les cas qui pouvaient entraîner auparavant la
damnatio ad ludum ; c'était enlever à
l'amphithéâtre une bonne partie de ses
recrues. Mais Constantin ne songea point à supprimer
tout à fait l'institution ; car un peu plus tard il
imposait aux prêtres provinciaux de l'Italie
l'obligation de donner annuellement des combats de
gladiateurs. La réforme même qu'on lui
attribue ne visait peut-être que les provinces d'Asie
; en tout cas, si elle eut une portée plus
générale, elle ne lui survécut pas
longtemps ; en 365, Valentinien défendit seulement
de condamner des chrétiens au ludus.
Cependant la cause de la gladiature était perdue ;
la suppression définitive commença
probablement par l'Orient. Puis en 399 on ferma partout les
écoles impériales ; en 404, à la suite
d'une échauffourée qui se produisit à
Rome dans l'amphithéâtre, Honorius interdit
formellement les combats de gladiateurs. Ils ont pu
reparaître encore pendant quelques années,
mais isolément et sans éclat.
Désormais le nom de munus s'applique
uniquement aux venationes, qui, moins faciles
à condamner au nom de la morale, se sont
perpétuées au moins jusqu'au milieu du VIe
siècle.
- L'art
Rien ne montre mieux à quel point les Romains ont
aimé les combats de gladiateurs que la
quantité prodigieuse de monuments figurés qui
s'y rapportent : aucun sujet n'a été plus en
faveur au temps de l'Empire, surtout dans l'art populaire.
Il en faut probablement chercher le prototype dans les
fresques ou les tableaux, qui décoraient les murs
des édifices publics, et que les editores
faisaient exécuter pour perpétuer le souvenir
des jeux célébrés à leurs
frais. Cette coutume remonte au moins au commencement du
IIe siècle avant notre ère : vers cette
époque un personnage nommé C. Terentius
Lucanus donna sur le Forum romain, en l'honneur de son
aïeul, un munus commémoratif, où
parurent trente paires de gladiateurs, et il fit ensuite
représenter ce combat dans un tableau qui servit
à la décoration du temple de Diane. Un grand
nombre de peintures semblables furent
exécutées depuis, non seulement à Rome
mais dans les municipes, par ordre des empereurs, des
magistrats et des riches particuliers. Telle était
celle que l'on voyait sous un portique à Antium, et
qui représentait un munus
célébré au nom de Néron ;
toutes les figures des gladiateurs et des gens de service
étaient des portraits. Une fresque de ce genre
couvre le mur d'un portique, chez le Trimalchion de
Pétrone. Une inscription de
Bénévent mentionne deux munera
donnés à cinq ans d'intervalle par un
magistrat ; il les avait fait reproduire sur deux tableaux,
placés l'un dans la basilique, l'autre sous un
portique de la ville. C'était là l'art des
hautes classes ; de nombreuses fresques de Pompéi,
quoique déjà beaucoup plus modestes, peuvent
nous en donner une idée. Mais il y avait aussi les
dessins grossiers, tracés à la couleur rouge
ou au charbon, que les lanistes exposaient en public pour
faire valoir leurs hommes ; c'était un sujet
d'admiration toujours nouveau pour les esclaves et le menu
peuple. Les produits de l'art industriel, surtout les
poteries à bon marché, ont multiplié
à l'infini ces images, dont
l'amphithéâtre fournissait les modèles,
et il n'est pas une province de l'ancien monde romain
où on n'en ait recueilli des exemplaires. Dans l'art
des premiers chrétiens la figure du gladiateur est
devenue un symbole ; elle représente l'homme juste
et pieux, qui, fidèle aux enseignements de l'Eglise,
est toujours prêt à affronter avec courage les
luttes de la vie et à subir la mort, pour
mériter la couronne réservée aux
élus.
Article de Georges Lafaye.