(Chorêgia), Chorégie. - Une des plus importantes liturgies périodiques d'Athènes. Celui qui s'en acquittait portait le nom de Chorêgos (chorège), il devait organiser et faire instruire à ses frais un des choeurs qui prenaient part aux concours des Dionysies, des Thargélies, des Panathénées et peut-être, bien qu'il y ait de fortes raisons d'en douter, aux fêtes de Prométhée et d'Hephaestos. Ces fonctions étaient très honorables et les orateurs athéniens ne manquaient jamais de rappeler parmi les titres qu'ils avaient à la reconnaissance de leurs concitoyens les chorégies dont ils s'étaient acquittés, mais elles exigeaient de si grandes dépenses qu'elles ne pouvaient être remplies que par les riches qui mettaient leur point d'honneur à ne reculer devant aucun sacrifice ; ils étaient stimulés d'un côté par l'exemple de leurs devanciers ou de leurs rivaux (antichorêgoi) et l'espoir d'obtenir le prix du concours, de l'autre par le désir d'éviter les sarcasmes de leurs concitoyens et les reproches des magistrats. Ces magistrats étaient les Epimelêtai tês phulês et, dans certains cas, l'archonte éponyme ou l'archonte roi ; ils surveillaient les chorèges et pouvaient les contraindre à remplir leur devoir.

La loi dispensait de toute chorégie les citoyens qui possédaient moins de trois talents ; or, d'après le témoignage des auteurs, il n'y avait à Athènes que 1200 personnes qui eussent une fortune supérieure à cette somme, c'était donc parmi ces 1200 citoyens que devaient être désignés les chorèges ; mais on avait créé de nombreuses exemptions pour certaines personnes ou certaines familles ; on le fit par exemple pour les descendants d'Harmodios et d'Aristogiton ; on pouvait aussi avoir recours à l'antidosis ou échange de biens ; enfin une loi de Solon défendait à tout homme âgé de moins de quarante ans d'organiser un choeur d'enfants, mais cette loi ne fut pas toujours observée, puisque vers 404 (Ol. 94. 1) un client de Lysias, qui n'avait pas vingt-six ans, put l'éluder.

Chaque tribu fournissait pour chaque fête un chorège qui devait être membre de la tribu ; il était désigné par les Epimelêtai tês phulês (pherein chorêgon, proballontai oi chorêgoi).

Nous ne pouvons préciser l'époque de l'année où se faisait ce choix, le seul renseignement que nous ayons se rapporte aux grandes Dionysies et nous est donné par l'auteur du sommaire anonyme placé en tête de la Midienne ; d'après lui c'était dans le mois qui suivait la célébration de la fête qu'on désignait les chorèges de la fête suivante, en leur accordant un intervalle de onze mois pour aplanir toutes les difficultés ; il est bien possible qu'il en ait été de même pour toutes les fêtes, c'est du moins ce que fait supposer le passage de la Ire Philippique où Démosthène rappelle que pour la chorégie tout est si bien réglé, que longtemps à l'avance chacun connaît le chorège de sa tribu et sait ce qu'il doit faire.

Il arrivait parfois que le chorège n'était pas désigné par les Epimélètes, mais se proposait lui-même pour remplir ses fonctions, il n'en avait alors que plus de mérite. De toute façon il était établi dans sa charge par l'archonte (kathistanai) à la disposition duquel il se mettait, car c'était à ce magistrat que s'adressaient les poètes qui désiraient obtenir un choeur (choron aitein) et c'est de lui qu'ils le recevaient (choron didonai, labein).

Le chorège s'occupait aussitôt de l'organisation de son choeur ; s'il ne le faisait pas, il devait comparaître devant l'archonte et s'exposait aux châtiments prévus par la loi ; il se procurait une personne capable d'instruire le choeur (chorodidaskalos ou didaskalos) ; pour cela il se réunissait avec ses neuf collègues sous la présidence de l'archonte (pour les Dionysies un mois avant la fête) et tous les dix procédaient en présence de ce magistrat à un tirage au sort qui indiquait le rang dans lequel chacun d'eux devait choisir son didascalos. A l'époque de Démosthène on s'y prenait de la même manière pour choisir l'aulêtês (joueur de flûte), dont le rôle, modeste à l'origine, avait pris une telle importance qu'il avait relégué au deuxième rang le didascalos.

Il fallait ensuite réunir les personnes qui devaient faire partie du choeur, tâche qui devenait singulièrement difficile lorsqu'il s'agissait d'un choeur d'enfants et que le chorège se heurtait contre le mauvais vouloir des parents. Il se rendait auprès des personnes intéressées et faisait sa demande ou la faisait faire par le chorolektês de la tribu ; s'il rencontrait un refus, il avait le droit de passer outre, il usait d'abord de menaces, puis en cas de nécessité avait recours à la force et prenait des gages. Il lui était interdit, sous peine d'une amende de mille drachmes, d'admettre des étrangers parmi les choreutes, sauf peut-être aux Lénées. Plutarque nous raconte que l'orateur Démade, qui avait introduit au théâtre cent choreutes étrangers, dut payer 100,000 drachmes et qu'il les paya sur-le-champ.

Le choeur réuni, le chorège devait s'en occuper activement ; si ses occupations l'empêchaient d'exercer une surveillance efficace, il pouvait se décharger de ce soin sur des personnes de confiance ; il pouvait aussi se faire aider dans les mille détails de l'organisation, mais il était personnellement responsable de tout ce qui se faisait ; il commençait par fournir un lieu propre aux exercices, le plus souvent dans sa propre maison (chorêgeion ou didaskaleion), et renfermait dans ce local soigneusement choisi et approprié à son but tout ce qui était nécessaire à l'instruction du choeur. Il nourrissait et payait les choreutes et subvenait à toutes les dépenses, de quelque nature qu'elles fussent, du moment qu'elles étaient jugées nécessaires ou même désirables ; il s'occupait aussi du costume, il faisait faire pour les choreutes et pour lui de superbes vêtements, parfois brochés d'or, des couronnes d'or, des masques, des ornements de toute nature ; il pouvait aussi louer tout cela aux imatiomisthai. Enfin, le jour de la fête venu, il conduisait en grande pompe son choeur au lieu du concours, il assistait aux exercices et prenait part aux processions.

Cette participation aux fêtes et les fonctions qu'il remplissait donnaient à la personne du chorège un caractère sacré ; l'outrager pendant sa chorégie, c'était outrager l'Etat et même le dieu en l'honneur duquel la ville d'Athènes célébrait une fête solennelle. Une loi qui fut portée après l'époque d'Alcibiade édictait les peines les plus sévères contre ceux qui portaient la main sur le chorège ou même qui déchiraient ses vêtements ; le discours que Démosthène prononça contre Midias qui avait osé le frapper nous montre que cette loi dut être assez souvent appliquée.

A la suite du concours (agôn), on classait tous les chorèges, celui qui avait été classé le premier par les juges (kritai) était couronné ; ce n'était pas lui que l'on considérait comme ayant remporté la victoire, mais bien la tribu à laquelle il appartenait et qui avait fourni le choeur ; c'était elle qui recevait le prix qui différait suivant les fêtes ; aux grandes Panathénées on décernait en prix à un choeur de danseurs (purrichistai) une génisse, aux Dionysies et aux Thargélies un choeur cyclique obtenait un trépied.

Le chorège était tenu de consacrer ce trépied au dieu avec une inscription rappelant son nom, son succès, la nature de son choeur, sa tribu, le chorodidaskalos et l'aulêtês qui l'avaient assisté, il l'exposait dans le temenos de Dionysos ou dans celui d'Apollon suivant la fête, et très souvent aussi dans la rue des Trépieds.

Bien que nous ne puissions indiquer d'une manière absolue à combien revenait une chorégie, puisque tout dépendait de la nature du choeur et de la libéralité du chorège, nous pouvons cependant, d'après un passage de l'orateur Lysias, nous faire une idée des frais considérables que cette liturgie entraînait. Nous savons d'ailleurs qu'un choeur cyclique d'hommes (autêlai) coûtait beaucoup plus à organiser qu'un choeur tragique, qui lui-même était plus dispendieux qu'un choeur comique. D'après Lysias, un riche citoyen athénien dépensa pour un choeur de tragédie 3,000 drachmes, et pour un choeur d'hommes 2,000 ; un choeur de danseurs (porrichistai) lui revint à 800 drachmes ; il eut à payer aux Grandes Panathénées 5,000 drachmes pour l'organisation de son choeur et la consécration du trépied qu'il reçut en prix ; il paya en outre 1,600 drachmes pour un choeur comique, 700 pour un choeur de danseurs et 300 pour un choeur cyclique aux Petites Panathénées : ce qui nous donne un total de 13,400 drachmes dépensées en neuf ans (411-403) par un seul citoyen pour sept chorégies, dont plusieurs avaient dû être volontaires et n'auraient pu lui être imposées.

Ces chiffres peuvent nous donner une idée de ce que dépensaient les chorèges qui ne voulaient pas simplement se débarrasser de leur tâche (aphosiousthai), mais remplir dignement leurs fonctions ; ils nous expliquent en même temps comment il se fait que, malgré les efforts des Epimelêtai et la surveillance de l'archonte, on vit, surtout après la guerre du Péloponnèse, des tribus manquer de chorège ; c'est ce qui arriva par exemple deux années de suite pour la tribu Pandionide et c'est ce qui s'était déjà vu en 389 (Ol. 97. 4) puisque Aristophane dut se passer de choeur comique pour la représentation de l'Eolosicon et du deuxième Plutus. Comme on ne pouvait laisser ces cas se renouveler souvent, on rendit les frais de la chorégie moins grands en permettant, à partir de l'archontat de Kallias (Ol. 93. 3), en 406, à deux citoyens d'y subvenir en commun ; on autorisait de même, du moins aux Thargélies, deux tribus à s'associer pour organiser un choeur ; c'étaitle sort qui indiquait les tribus qui devaient se réunir ; nous voyons ainsi un chorège de la tribu Erechtéide diriger un choeur composé de choreutes de sa tribu et de la tribu Cécropide ; une inscription de la 104e ou 106e Ol. mentionne un fait analogue ; plus tard l'Etat en vint à s'acquitter des chorégies pour les tribus trop pauvres ; nous en avons la preuve dans la double inscription du monument de Thrasylle relatant les deux victoires remportées par l'Etat faisant les fonctions de chorège pour les tribus Hippothontide et Pandionide. M. Kühler dans un article récent va même jusqu'à supposer que par suite de l'appauvrissement général il y eut dans la chorégie, vers la fin du IVe siècle, une modification profonde et qu'entre les années 320 et 307 l'usage s'établit de laisser l'Etat se charger de cette liturgie ; il se faisait représenter par un agonothète, qui supportait tous les frais des choeurs et qui remplissait les fonctions dont s'acquittaient jadis les chorèges. Cette réforme serait due à Démétrius de Phalère.

Nous n'avons parlé jusqu'ici que des chorégies des citoyens athéniens, il paraît que les métèques étaient parfois appelés à devenir chorèges, nous ignorons s'ils pouvaient l'être dans toutes les fêtes ; d'après le scoliaste d'Aristophane, ils ne l'étaient qu'aux Lénées.

Telle était la chorégie à Athènes ; ces fonctions semblent avoir été un peu différentes à l'origine et, si nous en croyons certains auteurs, le chorège aurait commencé par instruire et par diriger lui-même les choeurs de sa tribu.

Cette liturgie n'était pas du reste une institution particulière à Athènes, nous la retrouvons à Siphnos, à Egine, à Mitylène, à Thèbes, à Orchomène, à Ceos ; mais nous ne savons pas si dans toutes ces villes elle était semblable à la chorégie athénienne; elle en différait dans les villes de l'Asie Mineure ; ainsi à Lasos en Carie nous voyons que «tantôt le donateur volontaire (chorège) faisait les frais d'une représentation gratuite dans le théâtre en payant les honoraires d'un artiste tragique ou comique, d'un joueur de flûte ou de cithare ainsi que le salaire d'un choeur, tantôt il souscrivait pour une somme d'argent déterminée, ce qui paraît être devenu l'usage habituel. Cette contribution est toujours en argent et fixée au taux presque toujours invariable de 200 drachmes pour un citoyen et de 100 pour un méteeque. Ces donations étaient promises d'avance, apparemment aux dernières fêtes de Dionysos» (auxquelles seules se rapportent les inscriptions citées par Le Bas et Waddington).


Article d'Adrien Krebs