[L'Argolide]

Tardieu, 1821

XV. [1] En allant de Corinthe à Argos on trouve Cléone, petite ville qui a pris son nom de Cleonès fils de Pélops ; d'autres disent de Cléoné l'une des filles de l'Asope qui passe au milieu de Sicyone ; du moins est-il certain que c'est de l'un ou de l'autre. Dans ce lieu il y a un temple de Minerve où vous verrez une statue qui a été faite par Scyllis et par Dipoene, tous deux, à ce que l'on croit, disciples de Dédale, ou même ses propres enfants nés de la fille de Gortys que Dédale avait épousée. Outre ce temple on peut voir la sépulture d'Euryte et de Ctéate, qui étant venu d'Elis pour assister aux jeux isthmiques, furent tous deux tués par Hercule, à cause que dans la guerre qu'il fit à Augée, ils avaient pris parti contre lui.

[2] On peut aller de Cléone à Argos par deux chemins, dont l'un est plus commode pour les gens de pied ; car celui qui passe à Trète, quoique étroit et serré par des montagnes, est néanmoins le plus facile pour les voitures. C'est dans ces montagnes que l'on montre encore la caverne du lion de Némée, et de là à la ville de Némée il n'y a pas plus de quinze stades. Dans cette ville est le temple de Jupiter Néméen, temple d'une grande beauté, quoique la voûte en soit tombée, et qu'il n'y soit pas resté une seule statue. Il est entouré d'un bois de cyprès, où l'on dit que la nourrice d'Ophelte l'ayant laissé quelque temps sur l'herbe, le trouva mort de la piquure d'un serpent.

[3] Les Argiens font des sacrifices à Jupiter Néméen dans la ville même de Némée, et c'est à eux qu'appartient le droit d'élire un prêtre. Ils y ont aussi institué des jeux où l'on dispute le prix de la course tout armé ; et ces jeux se célèbrent vers le solstice d'hiver. On voit à Némée le tombeau d'Ophelte ; il est fermé par un mur qui règne tout alentour, et dans cette enceinte il y a quelques autels. Près de là il y a une petite éminence que l'on dit être la sépulture de Lycurgue père d'Ophelte. Aux environs on trouve la fontaine Adrastée, ainsi dite, ou parce que c'est Adraste qui l'a découverte, ou pour quelque autre raison qui m'est inconnue. Quant au canton de Némée, on tient qu'il a pris son nom d'une fille de l'Asope, qui s'appellait ainsi. Quoi qu'il en soit, la ville de Némée est assise au bas du mont Apésas, sur lequel on dit que Persée fut le premier qui sacrifia à Jupiter Apésantius.

[4] En revenant du côté de Trète pour regagner le chemin d'Argos, on aperçoit les ruines de Mycènes. Les Grecs conviennent que ce fut Persée qui bâtit autrefois cette ville ; pourquoi il la bâtit, et pourquoi les Argiens l'ont détruite, c'est ce que je vais raconter comme une des choses les plus anciennes dont les Argiens aient quelque mémoire.

[5] Ils disent donc qu'Inachus roi du pays donna son nom à un fleuve qu'il consacra à Junon. Ce fleuve eut un fils nommé Phoronée, qui avec trois autres fleuves, Céphise, Astérion et Inachus son propre père fut arbitre entre Neptune et Junon, qui disputaient à qui aurait cette contrée sous son empire. Le différend fut jugé en faveur de Junon ; Neptune en eut du ressentiment, et pour se venger il mit tous ces fleuves à sec, d'où il arriva que ni le fleuve Inachus, ni les autres ne purent donner d'eau que tout au plus dans la saison où les pluies sont abondantes. En effet, durant la sécheresse de l'été il n'y a dans cette contrée que le marais de Lerna qui ne manque point d'eau. Phoronée fils du fleuve Inachus apprit aux habitants du pays à vivre en société, au lieu qu'auparavant ils étaient épars et sauvages ; il bâtit une ville pour leur servir d'habitation, et cette ville fut nommée Phoronique.

XVI. [1] Tout le pays ne changea de nom que sous le règne d'Argus petit-fils de Phoronée et son successeur. Argus eut deux fils, Pirase et Phorbas ; du dernier naquit Triopas qui fut père d'Iasus et d'Agénor. Iasus eut une fille nommée Io qui passa en Egypte, soit de la manière qu'Hérodote l'a laissé par écrit, soit comme les autres historiens grecs le racontent. Agénor fut père de Crotopus qui succéda à son oncle Iasus, et eut pour fils Sthénélas. Quelque temps après Danaüs ayant fait voile d'Egypte à Argos, vint disputer le royaume à Gélanor fils de Sthénélas, et l'emporta sur lui à l'exclusion des descendants d'Agénor. L'histoire de Danaüs et l'horrible entreprise de ses filles contre leurs maris et leurs cousins-germains sont connues de tout le monde. On sait aussi qu'après la mort de Danaüs Lyncée se rendit maître du royaume.

[2] Mais ses petits-fils qui étaient fils d'Abas le partagèrent entre eux, de sorte qu'Acrisius fut roi d'Argos, et que Proetus eut pour son partage Mydée, Tirynthe et toute la côte maritime de l'Argolide ; on voit même encore à Tirynthe des marques du séjour qu'il y a fait. Quelques années s'étant écoulées, Acrisius apprit que Persée n'était pas loin d'Argos, et sachant la réputation qu'il s'était faite par beaucoup de belles actions, il ne put résister à l'envie de voir ce héros ; c'est pourquoi il se rendit à Larisse sur le fleuve Pénée. Persée de son côté plein d'impatience de voir son aïeul maternel, et de gagner son amitié soit par des paroles obligeantes, soit par des effets, ne manqua pas de venir à Larisse. Là ce héros qui était à la fleur de son âge, et qui se savait bon gré d'avoir inventé le jeu du palet, voulut faire preuve de son adresse devant toute la ville ; mais le malheur voulut qu'ayant jeté son palet de toute sa force, il en atteignît Acrisius que sa destinée avait conduit là, et qui frappé de ce coup mourut aussitôt.

[3] Ainsi se trouva accomplie la prédiction qui lui avait été faite, sans que la cruauté qu'il avait imaginée contre sa fille et contre son petit-fils l'en pût garantir. Persée s'étant rendu à Argos, et se reprochant un parricide qu'il n'avait pourtant commis que par mégarde, il engagea Mégapenthe fils de Proetus à changer de royaume avec lui. Ce fut après avoir pris possession de son nouvel empire qu'il bâtit une ville dans le lieu même où le pommeau de son épée était tombé ; ce qu'il prit pour un signe de la volonté des dieux qui lui ordonnaient d'établir là sa demeure. Et parce que le pommeau d'une épée s'appelle en grec mycés, il donna le nom de Mycène à cette ville. J'ai ouï dire à d'autres que c'était parce qu'ayant cueilli un champignon, il trouva dessous une source d'eau dont il étancha sa soif, car un champignon s'appelle aussi mycés en grec.

[4] Homère dans un vers de l'Odyssée fait mention d'une femme qui avait nom Mycène :

Alcmène avec Tyr, puis la belle Mycène.

Et dans le poème des Femmes illustres il est dit que Mycène était fille d'Inachus et femme d'Arestor. Quelques-uns veulent que ce soit elle qui ait donné son nom à la ville de Mycène. Mais pour le conte que d'autres font d'un certain Mycénée fils de Sparton, lequel Sparton était fils de Phoronée, je ne le crois pas fondé ; car les Lacédémoniens dont il semble flatter la vanité le rejettent eux-mêmes. Quoiqu'ils conservent à Amycies le portrait d'une femme qui s'appellait Sparté, quand on leur parle d'un Sparton fils de Phoronée, ils écoutent de toutes leurs oreilles comme on écoute une nouveauté. C'est tout ce que j'avais à dire sur ce point.

[5] Les Argiens dans la suite détruisirent Mycène et ce fut, selon toute apparence, un mouvement de jalousie qui les y poussa, parce que tandis qu'ils regardaient de sang-froid l'irruption des Perses et qu'ils demeuraient dans l'inaction, la ville de Mycènes envoya aux Thermopyles quatre-vingt de ses citoyens qui partagèrent avec les Lacédémoniens la gloire d'une des plus belles actions qui se soit jamais faite. Les Argiens piqués de cet affront résolurent de raser la ville ; de sorte que l'on n'y voit plus que des ruines où l'on distingue encore quelques restes de son enceinte, et entre autres une porte sur laquelle il y a deux lions que l'on croit avoir été faits par les Cyclopes, aussi bien que les murs de Tirynthe du temps de Proetus.

[6] On vous montre encore la fontaine de Persée, et des chambres souterraines où l'on dit qu'Atrée et ses enfants cachaient leurs trésors. Près de là est le tombeau d'Atrée et de tous ceux qu'Agamemnon ramena avec lui après la prise de Troie, et qu'Egisthe fit périr dans le repas qu'il leur donna : j'en excepte Cassandre, car les Lacédémoniens qui habitent Amycles prétendent avoir son tombeau chez eux, et c'était un sujet de dispute entre eux et les habitants de Mycènes. Là se voit encore le tombeau d'Agamemnon et celui d'Eurymédon son écuyer ; mais Télédame et Pélops n'ont qu'une même sépulture.

[7] On dit que c'était deux jumeaux que Cassandre avait mis au monde, et qu'Egisthe égorgea sans pitié pour leur enfance, après avoir trempé ses mains dans le sang de leurs pères. Je vis aussi le tombeau d'Electre ; Oreste l'avait mariée à Pylade, et selon le témoignage d'Hellanicus, elle en eut deux enfants, savoir Strophius et Médon. A l'égard de Clytemnestre et d'Egisthe, ils ont leur sépulture hors des murs : aussi n'étaient-ils pas dignes de l'avoir au même lieu qu'Agamemnon, et que ceux qui furent tués avec lui.

XVII. [1] A quinze stades de Mycènes sur la gauche on trouve un temple de Junon ; le chemin qui y mène est arrosé de l'eau de la fontaine Eleuthérie ; c'est de cette eau que les prêtresses de Junon se servent dans leurs purifications, et dans les fonctions secrètes de leur ministère. Le temple est bâti au pied du mont Eubée, ainsi appellé du nom d'une des filles du fleuve Astérion ; car les gens du pays disent que ce fleuve eut trois filles, Eubée, Prosymne et Acrée, et que toutes les trois furent nourrices de Junon.

[2] Ils ont donné le nom d'Acrée à une montagne qui est vis-à-vis de celle où est le temple, le nom d'Eubée à celle-ci, et le nom de Prosymne à une grande place qui est devant le temple. L'Astérion coule au bas, ensuite il se précipite dans un gouffre, et ne paraît plus ; sur ses rives croît une herbe qu'ils appellent de l'asterion, ils en parent l'autel de la déesse, et lui en font des couronnes.

[3] Ils assurent que l'architecte de ce temple a été un Argien nommé Eupolème ; l'édifice est soutenu par des colonnes sur lesquelles on a représenté divers traits de la fable et de l'histoire, comme la naissance de Jupiter, le combat des dieux contre les géants, la guerre de Troie, la prise et le sac d'Ilion. Devant la porte du temple il y a plusieurs statues, soit de femmes qui ont été honorées du sacerdoce de Junon, soit de héros parmi lesquels on vous fait surtout remarquer Oreste ; car ils prétendent que la statue qui porte aujourd'hui le nom d'Auguste, est Oreste. Dans le vestibule vous voyez à gauche les Grâces qui sont des statues d'un goût antique ; à droite le lit de Junon, et le bouclier que Ménélas arracha à Euphorbe du temps de la guerre de Troie ; ce bouclier est un des présents que l'on a consacrés à la déesse.

[4] En entrant dans le temple on voit sur un trône la statue de Junon, d'une grandeur extraordinaire, toute d'or et d'ivoire, c'est un ouvrage de Polyclète. La déesse a sur la tête une couronne au-dessus de laquelle sont les Heures et les Grâces, que l'ouvrier a représentées admirablement bien ; Junon tient d'une main une grenade, de l'autre un sceptre ; pourquoi une grenade, c'est un mystère que je passe sous silence. Quant au coucou qui est au haut de son sceptre, on tient que c'est parce que Jupiter, étant amoureux de la jeune déesse, prit la figure de cet oiseau, afin qu'elle courût après lui, et qu'elle s'en amusât : je n'ai garde d'ajouter foi à ce conte, ni à d'autres semblables que l'on fait des dieux, mais je ne laisse pas de les rapporter.

[5] Auprès de Junon l'on a placé la jeune Hébé, dont la statue est aussi d'or et d'ivoire ; on dit que c'est un ouvrage de Naucydès. Tout contre est une colonne sur laquelle il y a une autre statue de Junon qui est fort ancienne ; mais la plus ancienne de toutes c'en est une qui est faite de bois de poirier sauvage ; Pirasus fils d'Argus l'avait transportée à Tyrinthe, mais les Argiens après avoir détruit cette ville, ont eu soin de faire rapporter la statue dans le temple de Junon ; je l'ai vue, elle est d'une grandeur médiocre, et la déesse est représentée assise.

[6] Ce temple renferme plusieurs belles choses qui méritent bien que j'en parle ; en premier lieu un autel d'argent sur lequel les noces d'Hercule et d'Hébé sont gravées en bas-relief ; secondement un paon qui est d'or et enrichi de pierres précieuses ; c'est l'empereur Hadrien qui l'a donné, parce que cet oiseau est consacré à Junon ; troisièmement, une couronne d'or et un voile de pourpre, l'un et l'autre donnés par Néron.

[7] Sur la cime de la montagne où ce temple est bâti vous remarquez les fondements d'un autre temple plus ancien, et quelques restes que le feu a épargnés ; celui-là fut brûlé par la faute de Chrysis prêtresse de Junon, qui s'étant endormie ne s'aperçut pas que le feu d'une lampe avait pris à des couronnes fort sèches qui en étaient trop près ; cette prêtresse s'enfuit aussitôt à Tégée pour se réfugier à l'autel de Minerve Aléa ; mais les Argiens, quelque grand que fût ce malheur, bien loin de vouloir punir Chrysis, laissèrent sa statue où elle était, et on la voit encore devant la porte du temple qui a été brûlé.

XVIII. [1] Dans le chemin de Mycènes à Argos vous trouverez sur votre gauche le monument héroïque de Persée ; car Persée est honoré aussi de ces peuples, quoiqu'il le soit encore plus dans l'île de Sériphe, et à Athènes où il a même un temple, dans lequel est un autel consacré à Dictys et à Clymène, qui sont regardés comme les sauveurs de ce héros. Mais pour ne point sortir du pays dont il s'agit, après le monument de Persée, si vous avancez un peu, vous verrez à droite celui de Thyeste sur lequel est un bélier de marbre pour signifier ce mouton à la toison d'or que Thyeste déroba à son frère par l'entremise de sa femme qu'il avait débauchée. La raison voulait qu'Atrée se contentât de lui rendre la pareille ; mais il porta sa colère jusqu'à égorger les enfants de Thyeste, et à lui en servir les membres avec des mets empoisonnés.

[2] Pour ce qui est d'Egisthe et d'Agamemnon, je ne sais pas bien qui des deux se porta le premier à offenser l'autre, si ce fut Egisthe, ou s'il ne fit que se venger du meurtre de Tantale fils de Thyeste, lequel Tantale avait épousé Clytemnestre fille de Tyndare. Pour moi je ne puis croire qu'ils fussent nés l'un et l'autre assez méchants pour commettre de sang-froid tant de cruautés. D'un autre, côté s'ils ont payé la peine du crime de Pélops, et que les mânes vengeurs de Myrtil les aient poursuivis jusqu'à ce point, il faut avouer que rien ne montre tant la vérité de ce que la Pythie dit un jour à Glaucus le Spartiate fils d'Epicidas qui la consultait sur un faux serment : Que quiconque se parjure, attire la colère du ciel sur ses enfants et sur leurs descendants.

[3] Après les béliers, ainsi appellent-ils le tombeau de Thyeste, en avançant un peu vous découvrez sur la gauche un petit canton auquel ils ont donné le nom de Mysie, et où il y a un temple dédié à Cérès Mysienne ; le lieu et le temple ont été ainsi nommés pour conserver la mémoire d'un certain Mysus que les Argiens disent avoir eu l'honneur de recevoir Cérès chez lui. Le temple de la déesse n'a plus de toit, mais dans ce temple on en a bâti un autre de brique, où l'on voit des statues de Pluton, de Proserpine et de Cérès, qui toutes sont de bois. Ce chemin vous conduit sur le bord du fleuve Inachus ; quand vous l'avez passé vous trouvez l'autel du soleil, et ensuite une grande porte qu'ils appellent la porte Lucine, à cause d'un temple de la déesse qui est tout auprès.

[4] De tous les peuples de la Grèce je ne connais que les Argiens dont le pays ait été divisé en trois royaumes, et voici à quelle occasion. Du temps qu'Anaxagore Argien fils de Mégapenthe, était roi d'Argos, les femmes du pays furent attaquées d'une telle manie, que ne pouvant plus demeurer dans leurs maisons, elles couraient les champs ; heureusement il se trouva Mélampus fils d'Amythaon qui les fit revenir à leur bon sens, et les guérit. Anaxagore pour reconnaître un si grand service, partagea son royaume en trois parties égales, dont il donna l'une à Mélampus, l'autre à son frère Bias, et se réserva la troisième. Bias eut cinq successeurs qui régnèrent après lui l'espace de quatre générations, jusqu'à Cyaxippe fils d'Egialée, et qui du côté maternel descendaient tous de Nélée ; Mélampus en eut six durant six générations jusqu'à Amphiloque fils d'Amphiaraüs.

[5] Mais la famille royale originaire du pays, je veux dire la postérité d'Anaxagore, régna beaucoup plus longtemps ; car Iphis fils d'Alector et petit-fils d'Anaxagore laissa le royaume à Sthénélus fils de Capanée son frère utérin ; et lorsqu'après la prise de Troie Amphiloque alla se transplanter chez ces peuples qui depuis se sont appellés de son nom, et que Cyanippe fut mort sans enfants, Cylarabis fils de Sthénélus réunit enfin les trois royaumes en sa personne. Cependant Oreste fils d'Agamemnon s'empara d'Argos ; car dépouillé des états de son père il se tenait au moins à portée d'y rentrer ; d'ailleurs il avait mis bon nombre d'Arcadiens dans son parti, il se voyait même roi de Sparte, et il pouvoit compter sur un prompt secours de la part des Phocéens.

[6] En effet, les Lacédémoniens s'étaient volontiers soumis à lui, aimant beaucoup mieux obéir au petit-fils de Tyndare, qu'à Nicostrate et à Mégapenthe que Ménélas avait eus d'une esclave. Après la mort d'Oreste, Tisamène son fils, né d'Hermione fille de Ménélas, succéda au royaume d'Argos et de Sparte ; car pour Penthile, c'était un bâtard qu'il avait eu d'Erigone fille d'Egisthe, comme Cinéthon le rapporte dans ses poésies.

[7] Ce fut sous le règne de Tisamène que les descendants d'Hercule revinrent dans le Péloponnèse, savoir Téménus et Cresphonte tous deux fils d'Aristomaque, et ensuite les enfants d'Aristodème leur troisième frère qui était déjà mort. Pour dire ce que je pense, ils disputaient le royaume d'Argos à juste titre ; car Tisamène descendait de Pélops, et les Héraclides descendaient de Persée, outre que ceux-ci n'ignoraient pas que Tyndare avait été chassé par Hippocoon, et qu'Hercule ayant tué Hippocoon et ses enfants avait conquis le royaume, et l'avait mis comme en dépôt ente les mains des enfants de Tyndare. Ils n'avaient pas moins de droit sur le royaume de Messène ; car Hercule, après la prise et la destruction de Pylos, donna le pays en garde à Nestor.

[8] Voilà pourquoi ils chassèrent d'Argos et de Lacédémone Tisamène, et ensuite ils chassèrent aussi de Messène les descendants de Nestor, je veux dire Alcméon fils de Silius et petit-fils de Thrasymede, Pisistrate fils de Pisistrate, les enfants de Péon fils d'Antiloque, et avec eux Mélantus fils d'Andropompe, lequel était fils de Borus, petit-fils de Penthile et arrière-petit-fils de Périclymène. Tisamène contraint de céder, sortit lui et ses enfants avec ce qu'il avait de troupes, et vint s'établir dans cette partie de la Grèce qui a aujourd'hui le nom d'Achaïe.

[9] Les Néléïdes, à la réserve de Pisistrate, car je ne sais ce que celui-là devint, se retirèrent à Athènes, et comme ils étaient déjà divisés en plusieurs branches, pour les distinguer on nomma les uns Péonides, et les autres Alcméonides. Pour Mélanthus, il posséda le royaume de l'Attique, après l'avoir enlevé à Thymoetè fils d'Oxynthas et le dernier des descendants de Thésée qui ait régné à Athènes.

XIX. [1] Quant à Cresphonte et aux enfants d'Aristodème, ce n'est pas ici le lieu d'en parler : je viens donc à Téménus. Lorsqu'il fut sur le trône d'Argos, il donna toute sa confiance à Déïphon fils d'Antimaque, lequel Antimaque était fils de Thrasyanor, petit-fils de Ctésippe et arrière-petit-fils d'Hercule. Il en fit son général d'armée, son conseil, son ministre, au préjudice de ses propres fils ; et comme il lui avait déjà fait épouser sa fille Hyrnétho, et qu'il paraissait aimer plus cette fille que tous ses autres enfants, ceux-ci appréhendèrent qu'il ne leur ôtât la couronne pour la faire tomber à son gendre, ce qui les porta à attenter à la vie de leur père et à le faire mourir. Cisus l'aîné de tous occupa le trône après lui.

[2] Mais les Argiens toujours jaloux de leurs privilèges et de leur liberté, restreignirent l'autorité royale à tel point qu'ils ne laissèrent que le nom de roi à Cisus et à ses descendants. Il arriva même dans la suite que Meltas fils de Lacidas et petit-fils de Médon fut condamné par le peuple à perdre le royaume et la vie.

[3] Le temple le plus célèbre qu'il y ait à Argos, c'est le temple d'Apollon Lycius. La statue du dieu, je dis celle qui s'y voit aujourd'hui, est un ouvrage d'Attalus Athénien, car l'ancienne qui était de bois fut consacrée avec le temple par Danaüs, et à dire le vrai, je crois que dans ces temps si anciens toutes les statues étaient de bois, particulièrement celles que faisaient les Egyptiens. Je vais maintenant raconter pourquoi Danaüs dédia ce temple à Apollon Lycius. J'ai déjà dit que Danaüs étant venu à Argos, il disputa le royaume à Gélanor fils de Sthénélas. En effet il plaida sa cause devant le peuple, et allégua toutes les raisons dont il appuyait son droit ; mais comme Gélanor n'en alléguait pas moins pour lui, le jugement fut remis au lendemain.

[4] Ce jour venu, il arriva que le matin un loup se jeta sur un troupeau de vaches qui passaient sous les murs de la ville, et qu'il attaqua même le taureau que ces vaches suivaient. Les Argiens prirent cet accident pour un augure, et s'avisèrent de comparer Gélanor au taureau, et Danaüs au loup, parce que comme le loup est un animal fort sauvage, aussi Danaüs jusques-là n'avait eu aucun commerce avec eux. Comme donc le loup avait eu l'avantage sur le taureau, sur ce fondement et sans autre discussion ils adjugèrent le royaume à Danaüs. Ce prince croyant qu'Apollon s'était déclaré en sa faveur, et que c'était lui qui avait envoyé un loup si à propos, voulut que ce dieu fût révéré sous le nom d'Apollon Lycius, et lui consacra aussitôt un temple sous ce titre.

[5] Dans ce temple on voit encore aujourd'hui le trône de Danaüs, et une statue de Biton portant un taureau sur son dos, ce qui se trouve éclairci par Leucéas qui dit dans ses poésies, qu'un jour que les Argiens allaient en cérémonie à Némée pour sacrifier selon la coutume à Jupiter, Biton fit admirer sa force en portant un taureau sur ses épaules. Ils allument du feu auprès de cette statue, et ils disent que c'est le feu de Phoronée ; car ils ne sont pas de l'opinion de ceux qui croient que Prométhée a donné le feu aux hommes ; au contraire ils tiennent pour certain que c'est Phoronée qui en a été l'inventeur.

[6] Outre la statue de Biton il y en a plusieurs de bois, entre autres une de Mercure faite par Epeüs, et une de Vénus consacrée par Hypermnestre ; car Danaüs cita Hypermnestre en justice, lui faisant un crime de ce qu'elle était la seule de toutes ses filles qui n'eût pas exécuté ses ordres. En effet, outre qu'il faisait dépendre sa sûreté de la mort de Lyncée, il lui semblait que la désobéissance d'Hypermnestre aggravait le crime de ses soeurs et le sien propre ; cependant elle fut absoute par les Argiens, et en mémoire de ce jugement elle consacra à Vénus une statue sous le nom de Vénus Nicéphore, ou qui donne la victoire.

[7] On voit aussi une statue de Ladas, l'homme de son temps le plus léger à la course, et une autre encore de Mercure ; il est représenté tenant dans ses mains une tortue dont il voulait faire une lyre. Devant le temple il y a une espèce d'escabeau ou de marchepied, où l'on a dépeint le combat d'un loup et d'un taureau ; vous y voyez aussi une jeune fille qui jette une pierre au taureau ; ils disent que cette jeune vierge est Diane ; c'est encore un monument de Danaüs, aussi bien que deux colonnes de bois que l'on voit auprès, et qui sont taillées en façon de statues pour figurer Jupiter et Diane.

[8] On voit dans le même lieu deux tombeaux, l'un de Linus fils d'Apollon, l'autre de Psamathé fille de Crotopus. On prétend que ce Linus est celui qui a fait des vers mais je me réserve à dire ce que j'en pense, dans un autre endroit de cet ouvrage ; pour Psamathé, je l'ai déjà fait connaître dans la description de Mégare. Là se voit encore une statue d'Apollon surnommé Agyiéüs, et un autel consacré à Jupiter le pluvieux, devant lequel ces braves chefs qui voulaient remettre Polynice sur le trône des Thébains, firent serment de périr tous, ou de prendre la ville de Thèbes. Quant au tombeau de Prométhée qu'ils montrent en ce lieu, je crois qu'ils se trompent, et que les Opuntiens en parlent d'une manière plus conforme à la vérité.

XX. [1] Je ne m'arrêterai point à une statue de l'athlète Creugas ; mais je ne dois pas passer sous silence un trophée qne les Argiens ont érigé en signe d'une victoire qu'ils ont remportée sur les Corinthiens, ni une statue de Jupiter Milichius ou le Débonnaire, qui est de marbre blanc et de la façon de Polyclète ; je dirai même à quelle occasion cette statue fut consacrée. Les Lacédémoniens ayant déclaré la guerre aux Argiens les poursuivirent à outrance et sans relâche, jusqu'à ce que Philippe fils d'Amyntas se mêlant de la querelle eût enfin obligé les premiers à se renfermer dans leurs anciennes limites ; car il y avait longtemps que les Lacédémoniens, sans se soucier de ce qui se passait au-dehors du Péloponnèse, ne songeaient qu'à s'agrandir aux dépens des Argiens, qui de leur côté quand il survenait à ceux-ci quelque guerre étrangère, ne manquaient pas de profiter de l'occasion et d'entrer dans leur pays.

[2] Ces peuples devenant tous les jours plus irréconciliables, les Argiens résolurent d'entretenir pour leur défense mille hommes bien choisis, dont ils donnèrent le commandement à Brias leur compatriote : mais Brias abusant de son autorité maltraita le peuple, commit toute sorte d'insolences, et un jour qu'une jeune personne que l'on vendit de marier était conduite par ses parents chez son mari, il eut la hardiesse de l'arracher de leurs mains et de la violer. Elle, résolue de se venger ou de mourir, trouva le moyen d'entrer la nuit suivante chez Brias, et lui creva les yeux durant qu'il dormait : on la prit aussitôt ; mais le jour venant à paraître, elle eut le bonheur de se sauver, et alla implorer la miséricorde du peuple, qui en effet la prit sous sa protection, et ne la voulut point abandonner, quelque instance que fissent les Mille pour la ravoir. Les esprits s'aigrissant de plus en plus, on en vint aux mains de part et d'autre, le peuple demeura victorieux, et poursuivit les Mille avec tant d'acharnement, qu'ils furent tous massacrés, sans qu'il s'en pût sauver un seul. Quelque temps après on songea à expier les crimes de cette guerre civile, et ente autres choses on s'avisa de consacrer à Jupiter le Débonnaire la statue dont il s'agit.

[3] Vous verrez auprès Cléobis et Biton en marbre, qui traînent eux-mêmes leur mère dans un chariot, pour la mener au temple de Junon. Vis-à-vis de ce temple est celui de Jupiter Néméen ; le dieu y est debout et en bronze ; c'est un ouvrage de Lysippe : si vous avancez un peu plus loin, vous trouverez sur votre droite le tombeau de Phoronée ; on remarquera en passant qu'encore à présent ils font l'anniversaire de ce héros. Au-dessus du temple de Jupiter il y a celui de la Fortune, qui est très ancien ; on y conserve des dés que Palamède y a autrefois consacrés, et dont il avait, été l'inventeur.

[4] Près de là vous verrez le tombeau de la Ménade Chorias ; c'était une de ces femmes qui servaient Bacchus, et qui servaient dans ses troupes, lorsqu'il vint assiéger Argos ; on dit que Persée remporta la victoire, et que plusieurs de ces femmes ayant été tuées dans le combat, elles eurent une commune sépulture ; mais comme celle-ci était la plus distinguée, elle eut son tombeau à part.

[5] Un peu plus loin on vous fera voir un temple qui est dédié aux Heures. En revenant vous trouverez sur votre chemin les statues que l'on a érigées à Polynice fils d'Oedipe, et à ces autres chefs qui périrent avec lui en combattant sous les murs de Thèbes. Eschyle n'en compte que sept, quoiqu'ils fussent en bien plus grand nombre, car les plus considérables des Argiens, des Messéniens, et des Arcadiens voulurent partager la gloire de l'entreprise ; cependant les Argiens eux-mêmes ont suivi l'opinion d'Eschyle. Près de là sont les statues de ceux qui prirent Thèbes, Egialée fils d'Adraste, Promachus fils de Parthénopée et petit-fils de Talaüs, Polydore fils d'Hippomédon, Thersandre, ensuite Alcméon et Amphiloque, tous deux fils d'Amphiaraüs, Diomède, Sthénélus, Eurialus fils de Mécisthée, et enfin les enfants de Polynice, Adraste et Thiméas.

[6] Après ces statues on vous fera voir le tombeau de Danaüs, et le cénotaphe de ces braves Argiens qui périrent devant Troie ou en revenant. Près de là est le temple de Jupiter Sauveur, d'où vous passez dans une espèce de chapelle où les femmes d'Argos s'assemblent pour pleurer Adonis. En y allant on laisse sur la droite un temple qui est dédié au fleuve Céphise, qu'ils disent avoir été anéanti plus d'une fois par Neptune, quoiqu'ils sachent fort bien que ce fleuve coule par-dessous le temple.

[7] Je vis là, ce me semble, une tête de Méduse faite en marbre, laquelle ils prétendent être encore un ouvrage des Cyclopes. Derrière le temple il y a un endroit qu'ils appellent encore à présent la salle d'audience, parce que c'est là qu'Hypermnestre fut jugée, après qu'elle eut été accusée par Danaüs son père. Le théâtre n'est pas loin de là ; on y peut voir plusieurs choses fort curieuses, mais entre autres deux statues de deux hommes qui se battent, et dont l'un est tué par l'autre ; celui qui est tué, c'est Othryadas de Sparte, et celui qui tue c'est Périlas Argien fils d'Alcénor, et qui avant ce combat s'était déjà rendu illustre par le prix de la lutte qu'il avait remporté aux jeux néméens.

[8] Plus haut est le temple de Vénus, et devant la porte une colonne contre laquelle est adossée une statue de cette Télésille qui est si connue par ses cantiques ; elle a des volumes de poésies à ses pieds, et dans ses mains un casque qu'elle paraît vouloir mettre sur sa tête. Cette femme s'est fait un grand nom et par ses vers et par un trait de courage que je vais rapporter. Dans le temps que Cléomène fils d'Anaxandridas et roi de Sparte porta la guerre en Argos, les Argiens furent malmenés au-delà de ce que l'on saurait dire. La plupart se firent tailler en pièces dans le combat, les autres se réfugièrent dans un bois sacré qui était auprès de la ville, et là firent des propositions de paix que les Lacédémoniens acceptèrent en apparence, mais seulement pour mieux tromper les Argiens, qui se voyant investis dans le bois, prirent le parti d'y mettre le feu, et de se brûler eux-mêmes plutôt que de tomber entre les mains des ennemis. Cléomène ayant ainsi fait périr tout ce qu'il y avait dans le pays d'hommes capables de porter les armes, mena son armée victorieuse droit aux portes d'Argos.

[9] Ce fut alors que Télésille entreprit de défendre la ville, elle en fit sortir les esclaves et toutes les bouches inutiles, prit dans les temples et dans les maisons particulières tout ce qui y était resté d'armes, les distribua à toutes les femmes qui lui parurent assez fortes pour s'en servir, se mit à leur tête, et les mena elle-même à l'endroit par où elle savait qu'il était le plus aisé d'entrer dans la ville. Ces femmes encouragées par un si bel exemple ne s'étonnèrent ni de l'approche ni des cris de l'ennemi ; elles soutinrent même l'assaut avec tant de valeur, que les Lacédémoniens, faisant réflexion que s'ils remportaient la victoire ce serait une victoire odieuse, et que s'ils étaient repoussés, leur honte serait éternelle, ils levèrent le siège et se désistèrent de leur entreprise.

[10] La Pythie avait prédit cet événement longtemps auparavant, et soit qu'Hérodote ait bien pris le sens de l'oracle, ou qu'il l'ait mal entendu, voici comme il le rapporte :

Dans les temps malheureux qu'une brave guerrière
De Sparte repoussant la fureur meurtrière,
Effacera l'honneur des plus vaillans héros,
Que de sang, que de pleurs couleront dans Argos !

XXI. [1] En descendant du temple de Vénus vers la place, vous verrez la sépulture de Cerdo femme de Phoronée. Il y a aussi deux temples de ce côté-là, l'un d'Esculape, l'autre de Diane Pitho, ou de la Persuasion ; ce dernier fut consacré par Hypermnestre, lorsqu'elle gagna son procès contre son père qui lui faisait un crime de n'avoir pas tué Lyncée. On trouve une statue de bronze d'Enée auprès d'un certain quartier qu'il leur a plu d'appeller le Delta ; comme je ne goûte pas la raison qu'ils me donnèrent de cette dénomination, je ne la rapporte pas.

[2] Devant la place il y a un autel dédié à Jupiter Phyxius ; cet autel n'est pas loin du tombeau d'Hypermnestre mère d'Amphiaraüs, ni de celui de l'autre Hypermnestre fille de Danaüs, où son mari Lyncée a aussi sa sépulture. Vis-à-vis on voit le tombeau de Talaüs fils de Bias : j'ai déjà parlé de Bias et de sa postérité.

[3] Près de là vous verrez le temple de Minerve Trompette, que l'on croit avoir été bâti sous ce titre par Hégélaüs fils de Tyrrhène, lequel était fils d'Hercule et d'une Lydienne. Ce Tyrrhène fut l'inventeur de la trompette ; on dit qu'Hégélaüs son fils apprit à jouer de cet instrument à ces Doriens qui suivirent la fortune de Téménus, et qu'étant venu avec lui à Argos, il voulut que Minerve fût honorée sous ce nom. Devant le temple de la déesse on fera remarquer le tombeau d'Epiménide ; car selon eux les Lacédémoniens dans le temps qu'ils faisaient la guerre aux Gnossiens, prirent Epiménide, et l'ayant tué parce qu'il ne leur prédisait que des malheurs, ils lui donnèrent sépulture en ce lieu-là.

[4] Au milieu de la place s'élève un grand édifice de marbre blanc, que les Argiens regardent comme un trophée érigé par leurs ancêtres à l'occasion de la mort de Pyrrhus roi des Epirotes ; car à l'endroit où son corps fut brûlé, ils lui élevèrent un tombeau, sur lequel on voit gravées plusieurs machines de guerre dont il se servait dans les combats, et particulièrement des éléphants. Ce monument fut bâti sur son bûcher, mais ses cendres reposent dans le temple de Cérès, le hasard ayant voulu qu'il fût tué dans un lieu qui en est fort près, comme je l'ai raconté dans mon premier livre en parlant de tout ce qui avait rapport aux Athéniens. Quand on entre dans le temple de Cérès, on voit encore sur la grande porte le bouclier de ce prince, qui y est attaché.

[5] Assez près de ce trophée qui est dans la place, on vous fera observer une petite éminence où l'on dit que la tête de la Gorgone Méduse a été enterrée. Sans m'arrêter aux fables qu'on débite sur Méduse, voici ce que l'histoire en peut apprendre. Quelques-uns disent qu'elle était fille de Phorcus ; qu'après la mort de son père elle gouverna ces peuples qui habitent aux environs du marais Tritonis ; qu'elle s'exerçait à la chasse et qu'elle allait même à la guerre avec les Libyens qui étaient soumis à son empire ; que Persée à la tête de cette belle jeunesse qu'il avait tirée du Péloponnèse s'étant approché, Méduse se présenta à lui en bataille rangée ; que ce héros la nuit suivante lui dressa une embuscade où elle périt ; que le lendemain ayant trouvé son corps sur la place, il fut surpris de la beauté de cette femme, lui coupa la tête et la porta en Grèce pour y servir de spectacle, et comme un monument de sa victoire.

[6] Mais Proclès de Carthage fils d'Eucratès en parle d'une manière qui me paraît plus vraisemblable. Il dit que dans les déserts de la Libye on voit assez communément des bêtes d'une forme et d'une grandeur extraordinaires ; que les hommes et les femmes y sont sauvages, et tiennent du prodige comme les bêtes ; enfin que de son temps on amena à Rome un Lybien qui parut si différent des autres hommes que tout le monde en fut surpris. Sur ce fondement il croit que Méduse était une de ces sauvages, qui en conduisant son troupeau s'écarta jusqu'aux environs du marais Tritonis, où fière de la force de corps dont elle était, elle voulut maltraiter les peuples d'alentour, qui furent enfin délivrés de ce monstre par Persée. Et ce qui a donné lieu de croire, ajoute-t-il, que Persée avait été aidé par Minerve, c'est que tout ce canton est consacré à cette déesse, et que les peuples qui l'habitent sont sous sa protection.

[7] Auprès du tombeau de la Gorgone vous verrez celui de Gorgophoné fille de Persée ; son nom seul fait assez comprendre la raison pourquoi il lui fut donné. Cette princesse après la mort de Périerès fils d'Eole son premier mari, épousa Oebalus, et c'est, disent-ils, la première femme d'Argos qui ait été mariée en secondes noces ; car auparavant c'était une coutume inviolable que toute femme qui perdait son mari, passât le reste de ses jours dans le veuvage.

[8] Tout devant ce tombeau il y a un trophée de pierres, qu'ils ont élevé à l'occasion d'un Argien nommé Laphaès qui s'était emparé du gouvernement, et que le peuple d'Argos chassa de la ville ; je raconte ce que je leur ai ouï dire. Cet homme se retira chez les Lacédémoniens, qui voulurent le rétablir dans la tyrannie ; ils livrèrent bataille aux Argiens, mais ceux-ci remportèrent la victoire, tuèrent un grand nombre de Lacédémoniens et Laphaès même. De ce trophée il n'y a qu'un pas au temple de Latone, la statue de la déesse est un ouvrage de Praxitèle.

[9] On voit auprès une jeune vierge à laquelle ils donnent le nom de Chloris ; ils prétendent que c'était une fille de Niobé, et que son premier nom fut Mélibée ; qu'Apollon et Diane immolèrent à leur ressentiment tous les enfants d'Amphion, à la réserve de cette jeune fille et de sa soeur Amycle, qui seules avaient bien voulu implorer la bonté de Latone ; que Mélibée effrayée de la colère de ces divinités n'avait pu s'empêcher de marquer sa crainte par sa pâleur, et que cette pâleur lui étant toujours restée depuis, on avait changé son nom de Mélibée en celui de Chloris.

[10] Si l'on en croit les Argiens ce furent ces deux filles qui firent bâtir ce temple en l'honneur de Latone ; mais pour moi qui m'attache à Homère plus scrupuleusement que les autres, je ne puis croire qu'il soit resté aucun des enfants de Niobé ; le poète s'en explique assez nettement :

Pas un ne se sauva de leur juste courroux.

On peut juger par ce vers si Homère n'était pas persuadé que toute la race d'Amphion avait été éteinte.

XXII. [1] Après le temple de Latone vous trouvez à droite celui de Junon surnommée Anthée. Devant la porte on voit le tombeau de ces femmes qui vinrent avec Bacchus des îles de la mer Egée, et qui périrent en combattant contre les Argiens, qui étaient alors commandés par Persée, aussi n'appellent-ils point autrement ce tombeau que la sépulture des marines. Vis-à-vis est le temple de Cérès Pélasgis, ainsi dit, parce que c'est Pélasgus fils de Triopas qui l'a consacré, et son tombeau est tout auprès.

[2] Un peu plus loin vous remarquerez un cippe de bronze d'une grandeur médiocre, qui soutient des statues fort anciennes de Diane, de Jupiter et de Minerve. Le poète Leucéas dit que le Jupiter qu'on a voulu représenter là est Jupiter Méchanéüs, et que c'est devant sa statue que les Argiens, avant que d'aller au siège de Troie, s'engagèrent tous par serment à périr plutôt que d'abandonner leur entreprise.

[3] D'autres assurent que ce cippe renferme les os de Tantale, ils entendent celui qui épousa Clytemnestre avant qu'elle fût femme d'Agamemnon, et qui était fils de Thyeste ou de Brontée ; car on n'est pas d'accord sur ce point. Je veux bien que Tantale ait été enterré là, mais j'ose du moins assurer que que ce n'est point celui qui était fils de Jupiter et de Pluto ; car pour celui-là j'ai vu son tombeau à Sipyle, et c'est même un tombeau très remarquable. D'ailleurs aucune force étrangère ne l'obligea à quitter Sipyle, et il n'en fut pas de lui comme de Pélops qui fut chassé de son pays par Ilus le Phrygien ; mais il suffit de cette critique en passant. Près de là il y a une fosse autour de laquelle les habitants d'Argos font je ne sais quelles cérémonies instituées, disent-ils, par un homme de la ville, qui s'appellait Nicostrate ; ils jettent tous les ans à certain jour dans cette fosse des torches ardentes en l'honneur de Proserpine.

[4] A quelques pas de là vous verrez le temple de Neptune Prosclystius, surnom dont voici la raison. Ils disent que Neptune inonda une grande partie de leurs terres, lorsque le fleuve Inachus et les autres arbitres prononcèrent que ce pays devait appartenir à Junon et non à Neptune. Junon pria ensuite Neptune de faire cesser l'inondation, le dieu lui accorda cette grâce, et à l'endroit par où les eaux de la mer se retirèrent, les Argiens pour conserver la mémoire de cet événement, bâtirent un temple à Neptune qu'ils surnommèrent Prosclystius.

[5] Presque au sortir de ce temple on trouve le tombeau d'Argus, qu'ils croient avoir été fils de Jupiter et de cette Niobé qui était fille de Phoronée ; ensuite le temple de Castor et Pollux, où l'on voit des statues non seulement de ces dieux, mais de leurs femmes Hilaire et Phébé, et de leurs enfants Anaxis et Mnasinoüs ; ces statues sont de bois d'ébène de la façon de Dipoenus et de Scyllis ; leurs chevaux sont aussi d'ébène à la réserve d'une petite partie qui est d'ivoire.

[6] Auprès de ce temple il y en a un autre dédié à Lucine, et consacré par Hélène lorsqu'elle fut conduite à Lacédémone, après le départ de Pirithoüs et de Thésée pour la Thesprotie, et après que Castor et Pollux eurent pris la ville d'Aphidne ; car ils prétendent qu'alors elle était grosse du fait de Thésée, et qu'ayant accouché à Argos, elle fit bâtir ce temple en l'honneur de Lucine ; ils ajoutent qu'elle accoucha d'une fille, dont l'éducation fut confiée à Clytemnestre, qui était déjà femme d'Agamemnon, et qu'ensuite Hélène fut mariée à Ménélas.

[7] En effet Stésichore d'Himéra, et après lui Euphorion de Chalcis, et Alexandre de Pleuron sont là-dessus d'accord avec les Argiens, et ont tous trois attesté par leurs vers qu'Hélène avait eu de Thésée une fille qui eut nom Iphigénie. Au-delà du temple de Lucine on rencontre celui d'Hécate ; la statue de la déesse est de marbre, c'est un ouvrage de Scopas ; vis-à-vis on voit deux statues de la même déesse, qui sont de bronze ; l'une est de Polyclète, l'autre de Naucydès fils de Mothon, et frère de Périclète.

[8] De là le chemin vous mène tout droit au Cylarabus ; c'est un lieu d'exercice ainsi nommé à cause de Cylarabus fils de Sténélus, qui l'a fait bâtir ; en y allant vous passez auprès du tombeau de Licymnius fils d'Electrion ; Homère dit que ce Licymnius fut tué par Tleptoleme fils d'Hercule, et que par cette raison Tleptoleme fut banni d'Argos. Un peu au-delà de ce lieu d'exercice et de la porte qui est auprès, vous apercevrez le tombeau de Sacadas célèbre musicien, qui inventa et joua le premier à Delphes un air de flûte que l'on nomma la pythique, et qui plut tant à Apollon, qu'il le réconcilia avec les joueurs de flûte.

[9] Car ce dieu les avait pris en haine depuis l'insolence de Silene Marsyas, qui avait osé se comparer à lui et le défier. Dans le Cylarabus vous pourrez voir une statue de Minerve surnommée Pania ; le tombeau de Sthénélus y est aussi, et celui de Cylarabus même. Plus loin vous verrez un monument que l'on a élevé à ces Argiens, qui s'embarquèrent sur la flotte d'Athènes pour aller faire la conquête de Syracuse et de toute la Sicile.

XXIII. [1] Si vous prenez votre chemin par la rue qu'ils appellent Coelé, vous trouverez à main droite un temple de Bacchus, et une statue du dieu que l'on dit être venue d'Eubée ; voici à quelle occasion. Les Grecs après la prise de Troie, s'étant embarqués pour repasser la mer, allèrent se briser contre les écueils du promontoire de Capharée ; quelques Argiens se sauvèrent à la nage, mais quand ils eurent gagné la côte, un autre danger pensa les faire périr, le froid et la faim ; dans cette extrémité ils adressèrent leurs voeux au ciel, et implorèrent le secours de quelque divinité favorable. Après avoir marché quelques pas ils aperçurent un antre où ils trouvèrent une statue de Bacchus, et un grand nombre de chèvres sauvages, qui s'étaient réfugiées là pour se mettre à couvert du froid ; ils tuèrent ces bêtes, en assouvirent leur faim, se couvrirent de leurs peaux, et quand l'hiver fut passé, ayant radoubé leurs vaisseaux, ils regagnèrent leur patrie, emportant avec eux la statue du dieu ; c'est celle dont je parle, et ils l'ont toujours eue depuis en singulière vénération.

[2] Près de ce temple on vous montrera la maison d'Adraste, et un peu plus loin le temple d'Amphiaraüs, avec le tombeau d'Eriphyle qui n'est qu'à deux pas de là ; ensuite une enceinte consacrée à Esculape, et la chapelle de Baton ; ce Baton était de même sang qu'Amphiaraüs, et descendait comme lui de Mélampus ; il lui servait d'écuyer dans les combats, et après la déroute des Argiens devant Thèbes, la terre s'étant ouverte sous les pieds d'Amphiaraüs, le maître, le char et l'écuyer disparurent tout à la fois.

[3] En revenant du quartier appellé Coele, vous rencontrez un tombeau qu'ils disent être celui d'Hyrnétho ; s'ils entendent simplement un cénotaphe, je le veux bien ; mais s'ils prétendent que cette femme soit enterrée là, je ne les en crois pas ; il faudrait pour les croire n'être guère versé dans l'histoire des Epidauriens.

[4] La statue d'Esculape la plus renommée qui soit à Argos, c'est une statue de marbre blanc qui représente le dieu assis ; il est accompagné de la déesse Hygéia, et des grands ouvriers qui ont fait l'un et l'autre, Xénophile et Straton ; le temple du dieu est fort ancien et a été bâti par Sphyrus fils de Machaon, et frère de cet Aléxanor qui est honoré chez les Sicyoniens à Titane.

[5] Les Argiens ont une Diane Phéréenne aussi bien que les Sicyoniens et les Athéniens, et ils prétendent que la statue de cette déesse leur a été apportée de Phérès ville de Thessalie. Quant à l'opinion où ils sont touchant le tombeau de Déjanire fille d'Oeneus, celui d'Hélénus fils de Priam, et la statue de Minerve qu'ils disent leur être venue après la prise de Troie, j'entends le Palladium, cette statue fatale dont dépendait toute la fortune de Troie, je suis persuadé qu'ils se trompent ; car premièrement pour le Palladium, il est certain qu'Enée l'apporta en Italie ; à l'égard de Déjanire, on sait qu'elle mourut à Trachis, et que son tombeau est auprès d'Héraclée sous le mont Oeta.

[6] Quant à Hélénus fils de Priam, j'ai déjà dit qu'il était venu en Epire avec Pyrrhus fils d'Achille, qu'après la mort de Pyrrhus il avait épousé Andromaque, et pris sous sa tutèle ses enfants, dont un nommé Cestrinus régna sur une partie de l'Epire, qui de son nom fut appellée la Cestrine. Les savants de la nation n'ignorent pas que leurs vieilles traditions s'accordent mal avec la vérité de l'histoire, mais ils ne laissent pas de les débiter comme les autres, pour s'accommoder à la multitude, qui ne revient pas aisément de ses préjugés.

[7] Il y a Argos plusieurs autres choses dignes de curiosité, comme par exemple un palais souterrain, où était cette espèce de cage ou de chambre d'airain, qu'Acrisius, dit-on, avait fait faire pour y garder sa fille, et qui a été détruite par le tyran Périlas. Je mets au même rang le tombeau de Crotopus, et le tenple de Bacchus surnommé Crésius ; car la haine de Bacchus contre Persée ayant pris fin avec la guerre qu'ils s'étaient faite, les Argiens disent que leurs ancêtres décernèrent à ce dieu de grands honneurs et lui bâtirent ce temple,

[8] qui eut depuis le surnom de Crésius, ou le Crétois, parce que Bacchus choisit ce lieu pour la sépulture d'Ariadne. En effet Leucéas raconte que lorsque ce temple fut réparé, on y trouva une urne de terre, qui renfermait les cendres d'Ariadne, et il dit que lui et plusieurs Argiens virent cette urne. Auprès du temple de Bacchus vous verrez celui de Vénus la Céleste, et de là vous irez à la citadelle qu'ils appellent Larisse du nom de Larissa fille de Pélasgus ; cette fille donna pareillement son nom à deux villes de Thessalie, dont l'une est sur le bord de la mer, et l'autre sur le bord du fleuve Pénée.

XXIV. [1] En montant à la citadelle on trouve le temple de Junon Acréa et celui d'Apollon ; on tient que ce dernier a été bâti par Pythaéüs, qui venait de Delphes, et que c'est le premier temple qu'ait eu ce dieu. La statue que l'on y voit aujourd'hui est de bronze, le dieu est représenté tout droit, et ne s'appelle point autrement que l'Apollon Diradiotès, parce que tout ce lieu est nommé Diras ; il s'y rend encore à présent des oracles, et voici de quelle manière. La prêtresse qui préside à ces oracles est obligée de garder la chasteté ; elle sacrifie tous les mois une brebis durant la nuit, et aussitôt qu'elle a goûté du sang de la victime, elle est remplie de l'esprit prophétique.

[2] Ce temple d'Apollon tient presque à celui de Minerve aux bons yeux, bâti par Diomède, et ainsi nommé en mémoire de ce que devant Troie au milieu du combat, Minerve dessilla les yeux à Diomède, et dissipa les épaisses ténèbres dont il était environné. Vous trouverez ensuite un stade, où l'on célèbre des jeux en l'honneur de Jupiter Néméen et de Junon. Sur le chemin qui mène à la Citadelle, on vous fera remarquer aussi le tombeau des fils d'Egyptus ; c'est-là en effet que leurs têtes furent apportées et mises en terre ; car leurs corps sont demeurés à Lerna, où ils avaient été égorgés ; les femmes de ces jeunes hommes après avoir tué leurs maris leur coupèrent la tête, et la portèrent à Danaüs leur père, pour lui prouver tout à la fois leur obéissance et leur hardiesse.

[3] Au bout de la Citadelle on trouve encore un temple qui est dédié à Jupiter Larisséüs ; ce temple n'a plus de toit, la statue du dieu est de bois et ne tient plus sur son piédestal. Mais le temple de Minerve qui est auprès mérite toute votre curiosité ; vous y verrez plusieurs statues, et entre autres un Jupiter en bois qui a deux yeux comme la nature les a placés aux hommes, et un troisième au milieu du front ; ils disent que c'est le Jupiter Patroüs, qui était dans le palais de Priam fils de Laomédon en un lieu découvert, et que ce fut à son autel que cet infortuné Roi se réfugia après la prise d'Ilion ; ils assurent que dans le partage du butin cette statue échut à Sthénélus fils de Capanée, qui ensuite la déposa dans ce temple.

[4] On peut raisonnablement conjecturer que Jupiter a été représenté avec trois yeux pour signifier qu'il règne premièrement dans le ciel comme tout le monde en convient, secondement dans les enfers ; car le dieu, qui suivant la fable, tient son empire dans ces lieux souterrains, est aussi appellé Jupiter par Homère, suivant ce vers :

Jupiter infernal et sa terrible épouse.

troisièmement enfin sur les mers, comme le témoigne Eschyle fils d'Euphorion. Quiconque a donc fait cette statue, je crois qu'il lui a donné trois yeux pour faire entendre qu'un seul et même dieu gouverne les trois parties du monde, que les autres disent être tombées en partage à trois dieux différents.

[5] Au sortir d'Argos vous trouvez plusieurs chemins qui mènent en divers endroits du Péloponnèse, et un surtout qui mène à Tégée ville d'Arcadie. Si vous prenez ce chemin, vous verrez sur votre droite le mont Lyconé qui est couvert d'une infinité d'arbres dont la plupart sont des cyprès ; au haut de la montagne il y a un temple de Diane Orthia, et dans ce temple trois statues, l'une d'Apollon, l'autre de Latone, et la troisième de Diane, toutes trois de marbre blanc et attribuées à Polyclète.

[6] En descendant de la montagne on trouve à gauche du grand chemin un autre temple de Diane, puis à droite le mont Chaon, dont le bas est planté d'arbres fruitiers. C'est là que l'on voit sortir de terre les eaux du fleuve Erasinus, lesquelles ont pourtant leurs sources plus loin ; car elles viennent du fleuve Stymphale en Arcadie, de la même manière que ces canaux dont j'ai parlé dans la description de l'Attique, et qui formés par les eaux du golfe de Chalcis, passent auprès d'Eleusis et vont se décharger dans la mer qui baigne ce canton-là. A cette chute d'eau qui forme l'Erasinus on honore Bacchus et le dieu Pan par des sacrifices, et même on célèbre en l'honneur de Bacchus une fête qu'ils nomment Tyrbé.

[7] En reprenant le chemin de Tégée à la gauche d'un village appellé Trochos, vous trouverez le fort de Cenchrée : pourquoi il porte ce nom, c'est ce que je n'ai pu savoir ; je croirais que c'est à cause de Cenchréus qui était fils de Pirène, et dont j'ai parlé. Là se voit la sépulture commune de ces Argiens qui défirent l'armée de Lacédémone auprès d'Hysies, et je trouve que ce combat fut donné du temps que Pisistrate était archonte à Athènes, la quatrième année de l'olympiade en laquelle Eurybote Athénien remporta le prix du stade. Si vous descendez dans la plaine, vous appercevrez les ruines d'Hysies, qui était autrefois une ville de l'état d'Argos, et c'est là, disent-ils, que les Lacédémoniens furent battus.

XXV. [1] Le chemin d'Argos à Mantinée est un peu différent de celui qui conduit à Tégée ; car il commence à cette porte de la ville qui est auprès du quartier qu'ils appellent Diras. Sur ce chemin on rencontre un temple qui est double et qui a deux entrées, l'une à l'orient, l'autre à l'occident. Mars et Vénus partagent ce temple, et sont représentés en bois l'un d'un côté, et l'autre de l'autre. On dit que leurs statues ont été consacrées par Polynice et par les Argiens, qui ayant épousé sa querelle combattirent sous ses étendards contre son frère Etéocle.

[2] Plus avant est un torrent qu'ils nomment le Charadus ; quand vous l'aurez passé, vous arriverez bientôt au bourg d'Oenoé, ainsi appellé, selon eux, du nom d'Oenéus ; car ils disent qu'Oenéus se voyant chassé de son royaume d'Etolie par les enfants d'Agrius, vint à Argos demander du secours à Diomède ; que celui-ci mena aussitôt une armée en Calydonie, et vengea l'injure faite à ce prince ; mais après ce service il lui déclara qu'il ne pouvait rester en Etolie, et l'exhorta à revenir avec lui à Argos ; Oenéus l'ayant cru, Diomède lui rendit tous les honneurs possibles comme à son aïeul paternel, et pour conserver sa mémoire il voulut que le lieu où ce prince finit ses jours fîtt appellé Oenoé.

[3] Au-dessus de ce bourg s'élève le mont Artemisium, sur le sommet duquel il y a un temple de Diane. C'est dans cette montagne que le fleuve Inachus prend sa source ; on n'en peut douter, quoique ses eaux se perdent bientôt après : ce lieu ne fournit aucune autre curiosité.

[4] A la porte qui est du côté de Diras on trouve un autre chemin qui mène à Lyrcée ; c'est une ville où l'on dit que Lyncée se retira, lorsque de cinquante frères qu'ils étaient, lui seul eut évité le danger dont ils étaient tous menacés ; et de là il donna un signal à Hypermnestre avec un flambeau allumé ; car il était convenu avec elle qu'aussitôt qu'il se croirait en sûreté contre les embûches de Danaüs, il l'en avertirait par ce signal, comme elle de son côté devait allumer aussi un flambeau et donner ce signal du haut de la citadelle de Larisse, au moment qu'il n'y aurait plus rien à craindre pour elle ; et en mémoire de cet événement les Agiens célèbrent tous les ans un jour de fête qu'ils appellent la fête aux flambeaux.

[5] Cette ville fut même alors nommée Lyncée, mais Lyrcéus fils naturel d'Abas s'y étant établi depuis, elle prit son nom et s'appella Lyrcée ; au milieu de ses ruines on voit encore une colonne contre laquelle est adossée une statue de Lyrcus ; tout le reste ne mérite pas grande attention. D'Argos à Lyrcée il y a tout au plus soixante stades, et autant d'Argos à Ornée. Homère n'a fait aucune mention de Lyrcée dans le dénombrement des Grecs qui vinrent au siège de Troie ; ce qui me fait croire qu'alors elle était déjà déserte ; mais comme Ornée subsistait encore, et que d'ailleurs c'est la première ville que l'on rencontre sur les confins de l'Argolide, aussi se trouve-t-elle nommée la première dans ce grand poète et avant Phliunte et Sicyone.

[6] Au reste la ville d'Ornée a pris son mom d'Ornéus fils d'Erechthée ; cet Ornétts fut père de Pétéus dont naquit Mnesthée, celui-1à même qui avec les Athéniens fut d'un si grand secours à Agamemnon, et qui contribua tant à la prise de Troie ; dans la suite les Ornéates furent chassés de leur ville par les Argiens, et incorporés dans Argos. On voit pourtant encore deux temples à Ornée, l'un de Diane avec une statue de bois de la déesse, l'autre consacrée à tous les dieux : au-delà de cette ville sont les limites des Phliasiens et des Sicyoniens.

[7] Sur le chemin qui mène d'Argos à Epidaure, on trouve à droite un édifice qui s'élève en forme de pyramide, et où l'on garde des boucliers qui sont faits à la manière de ceux des Argiens. On dit qu'il se donna autrefois un combat en ce lieu-là entre Proetus et Acrisius, et que ni l'un ni l'autre n'ayant remporté la victoire, on négocia la paix entre eux, parce qu'il était de leur commun intérêt de demeurer toujours unis ensemble ; on ajoute que c'est la première bataille où les Argiens aient porté des boucliers ; et comme l'affaire s'était passée entre parents et concitoyens, ceux qui périrent de part et d'autre eurent une même sépulture dans ce lieu.

[8] Plus loin en avançant sur la droite vous découvrirez les ruines de Tyrinthe ; car les Argiens ont aussi détruit cette ville pour en transporter les habitants à Argos, qui avait besoin d'être repeuplée. On dit que Tyrins était un héros fils d'Argus et petit-fils de Jupiter, et qu'il donna son nom à cette ville. Il n'en reste aujourd'hui que les murs, qui passent pour avoir été faits par les Cyclopes ; ils sont bâtis de pierres sèches qui sont si grosses qu'il faudrait deux mulets pour traîner la plus petite ; parmi ces grosses pierres il y en avait autrefois de petites entremêlées, qui cadraient si juste avec les autres qu'il ne paraissait aucun vide.

[9] En descendant vers la mer on peut voir encore les appartements des filles de Proetus ; mais si vous reprenez le grand chemin, il vous menera à Midée qui est sur la gauche ; c'était une ville où l'on dit qu'Electryon père d'Alcmène régna autrefois ; présentement elle est détruite au point que l'on n'en voit plus que la place.

[10] De là vous allez droit à Epidaure, mais sur le chemin vous trouvez le bourg de Lessa, où il y a un temple de Minerve et une statue de bois de la déesse, qui ne diffère en rien de celle qui est dans la citadelle de Larisse. Au-dessus de Lessa vous voyez le mont Arachnée ; il s'appellait autrefois Sapyselaton, et c'est sous le règne d'Inachus qu'il a changé de nom ; Jupiter et Junon y ont leurs autels, où les gens du pays font des sacrifices pour obtenir de la pluie.


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Traduction par l'abbé Gédoyn (1731, édition de 1794)
NB : Orthographe modernisée et chapitrage complété.