I. Pour qu'il ne manque rien à l'ouvrage que nous avons entrepris, il nous reste à parler des pierreries. La majesté de la nature s'y présente pour ainsi dire en abrégé, et, dans l'opinion de bien des gens, elle n'est nulle part plus admirable, et on attache de prix à la variété, aux nuances, à la matière, à la beauté ; et, pour certaines pierres, on va jusqu'à regarder comme un sacrilège d'y porter le burin. Il y a tel de ses joyaux qui passe pour inestimable et sans tarif dans les richesses humaines ; de sorte qu'aux yeux du grand nombre il suffit de je ne sais quelle pierre pour avoir la contemplation suprême et absolue de la nature. Nous avons dit jusqu'à un certain point, en parlant de l'or et des anneaux (XXXIII, 4), quelle a été l'origine des pierreries, et comment a commencé cette fièvre excessive d'admiration. Les fables en font dériver le premier usage de la roche du Caucase, d'après l'interprétation que les destins donnèrent aux liens de Prométhée ; et elles rapportent qu'un fragment de cette roche ayant été renfermé dans du fer et porté au doigt, ce fut le premier anneau et le premier joyau.
II. (I.) Ainsi commença la vogue des pierres précieuses ; et cette passion alla si loin, que Polycrate de Samos (XXXIII, 6, 10), tyran respecté, qui commandait aux îles et aux côtes voisines, reconnaissant lui-même que son bonheur était excessif, crut l'expier assez en sacrifiant volontairement une seule pierre. Il voulait par là balancer ses comptes avec l'inconstance de la fortune, et par cet unique chagrin croyait se racheter suffisamment de l'envie de la déesse. Las d'un bonheur continu, il s'embarque, et, en haute mer, jette son anneau dans les flots. Mais un poisson d'une grosseur merveilleuse, et pour cela dévolu au roi, avala cette bague comme si c'était un aliment, et, présage sinistre, la rendit dans la cuisine du prince par la main de la Fortune traîtresse. Il paraît que cette pierre était une sardoine (XXXVII, 23) ; du moins, si l'on en croit les dires, c'est elle qu'on montre à Rome dans le temple de la Concorde. Elle a été donnée par [Livie] Augusta ; elle est enfermée dans une corne d'or, et c'est presque la moindre à côté d'une foule d'autres qu'on préféra.
III. Après cette bague, la renommée parle de celle d'un autre roi, de ce Pyrrhus qui fit la guerre aux Romains. C'était, dit-on, une agathe sur laquelle on voyait les neuf Muses et Apollon tenant la lyre, non par un travail de l'art, mais par un produit spontané de la nature ; et les veines étaient disposées de telle façon que chaque Muse avait même ses attributs particuliers. Passé ces deux pièces, les auteurs ne font guère mention d'aucun joyau célèbre. On trouve seulement que le joueur de flûte Isménias avait coutume de porter plusieurs belles pierres, et sa vanité est le sujet d'une anecdote : une émeraude sur laquelle était gravée [la Danaïde] Amymone fut mise en vente dam l'île de Chypre au prix de six deniers d'or ; il ordonna qu'on la lui achetât. Mais le marchand ayant diminué le prix, lui renvoya deux deniers ; Isménias dit que ce marchand était un maladroit, et qu'il avait beaucoup fait perdre au mérite de la pierre. C'est grâce à lui, ce semble, que les musiciens ont voulu faire juger de leur mérite par ce genre de luxe. Ainsi Dionysodore, son contemporain et son rival, l'imita pour ne pas paraître au-dessous de lui ; ainsi Nicomaque, qui était au troisième rang parmi les musiciens de ce temps, eut, dit-on, beaucoup de pierreries, mais choisies sans goût. Ces exemples, qui se trouvent comme par hasard au commencement de ce livre, vont à l'adresse de ceux qui, se piquant d'une pareille magnificence, mettent leur vanité là où les joueurs de flûte la mettaient.
IV. La pierre de Polycrate qu'on voit ici est intacte et sans ciselure. Longtemps après ce prince, du temps d'Isménias, il paraît qu'on se mit à graver les émeraudes. L'usage de ce genre de gravure est établi incontestablement par un édit d'Alexandre le Grand défendant (VII, 38) à tout autre que Pyrgotèle, le plus habile sans doute en cet art, de graver son portrait sur pierre précieuse ; après Pyrgotèle, Apollonidès et Cronius y excellèrent, comme aussi Dioscurides, qui grava de cette façon l'effigie très ressemblante du dieu Auguste, effigie que les empereurs depuis emploient comme cachet. Le dictateur Sylla usa toujours d'un cachet représentant Jugurtha livré. Les auteurs rapportent que cet Espagnol d'Intercatia (III, 4, 10) dont Scipion Emilien tua le père après défi employait un cachet où ce combat était représenté. De là la plaisanterie si connue de Stilon Praeconinus demandant : Qu'aurait-il donc fait si son père avait tué Scipion ? Le dieu Auguste, au commencement, cachetait avec un sphinx. Il en avait trouvé deux parfaitement semblables parmi les bagues de sa mère. Pendant les guerres civiles ses amis employèrent, en son absence, un de ces sphinx pour cacheter les lettres et les édits que les circonstances obligeaient de donner en son nom, et ceux qui les recevaient disaient assez spirituellement que ce sphinx apportait des énigmes. La grenouille de Mécène était aussi fort redoutée pour les levées d'impôts. Dans la suite, Auguste, pour éviter les sarcasmes touchant son sphinx, cacheta avec une figure d'Alexandre le Grand.
V. Une collection de pierres porte le nom étranger de dactyliothèque. Le premier qui en eut une à Rome fut Scaurus (XXXVI, 24, 10), beau-fils de Sylla. Longtemps il n'y en eut pas d'autre, jusqu'à ce que le grand Pompée consacrât au Capitole, entre autres dons, celle du roi Mithridate ; d'après M. Varron et d'autres auteurs de ce temps, elle l'emportait de beaucoup sur celle de Scaurus. Imitant cet exemple, le dictateur César consacra six dactyliothèques dans le temple de Vénus Génitrix, et Marcellus, fils d'Octavie, une dans le temple d'Apollon Palatin.
VI. Mais c'est la victoire de Pompée qui commença à tourner le goût vers les perles et les pierreries : comme celle de L. Scipion (XXXIII, 51) et de Cn. Manlius (XXXIV, 8) l'avait tourné vers l'argent ciselé, les étoffes Attaliques et les lits de table garnis de bronze ; comme celle de L. Mummius, vers l'airain de Corinthe et les tableaux. (II.) Pour faire connaître la chose plus clairement, je citerai textuellement ce qui est dit dans les Actes mêmes des triomphes de Pompée. A son troisième triomphe, où il triompha des pirates, de l'Asie, du Pont, des nations et des rois énumérés au septième livre de cet ouvrage (VII, 7), et qu'il célébra sous le consulat de M. Pison et de M. Messala (an de Rome 693), la veille des calendes d'octobre (le 30 septembre), le jour anniversaire de sa naissance, Pompée fit passer sous les yeux des Romains un échiquier avec ses pièces, fait de deux pierres précieuses, large de trois pieds, long de quatre (et pour qu'un ne doute pas que la nature s'épuise, car on ne voit aujourd'hui aucune pierre approchant de cette grandeur, j'ajouterai que cet échiquier portait une lune d'or du poids de trente livres) ; trois lits de table ornés de perles ; des vases d'or et de pierreries suffisants pour garnir neuf buffets ; trois statues d'or, Minerve, Mars et Apollon ; trente-trois couronnes de perles ; une montagne d'or carrée, avec des cerfs, des lions et des fruits de tout genre, entourée d'une vigne d'or ; un muséum en perles, au haut duquel était une horloge ; un portrait de Pompée fait en perles. Oui, de Pompée ! Ce front noble et découvert, ce visage qui respirait l'honnêteté et imprimait le respect à toutes les nations, le voila en perles ; la sévérité des moeurs est vaincue, et véritablement c'est le luxe qui triomphe. Certes, le surnom de Grand n'aurait pas appartenu longtemps à Pompée parmi les hommes de ce temps s'il avait ainsi triomphé lors de sa première victoire. Ton portrait en perles, ô grand Pompée, cette superfluité si coûteuse et inventée pour les femmes ! en perles, toi à qui il n'aurait pas été permis d'en porter ! Est-ce ainsi que ton prix se rehaussait ? Les trophées que tu as élevés dans les Pyrénées (VII, 27) ne sont-ils pas une image de toi plus ressemblante ? Certes, ce portrait en perles eût été quelque chose d'indigne et d'ignominieux, s'il ne fallait pas plutôt y voir un menaçant présage de la colère des dieux, et si l'on ne comprenait clairement que dès lors cette tête chargée des richesses de l'Orient était montrée sans le reste du corps. Mais combien le surplus de son triomphe fut digne d'un héros ! A la république 2.000 talents (9.840.000 fr.) furent donnés ; aux lieutenants et aux questeurs qui avaient défendu les côtes de la mer, 1.000 talents ; aux soldats, 6,000 sesterces (1260 fr.) par tête. Toutefois il rendit plus excusable le luxe de l'empereur Caligula, qui, outre tant d'autres vanités féminines, portait des brodequins ornée de perles, et de l'empereur Néron, qui en garnissait le sceptre et le masque des histrions et les lits destinés à ses plaisirs. Ainsi nous n'avons plus, ce semble, le droit de blâmer et les coupes ornées de pierreries, et les différents meubles enrichis de même, et les anneaux qui en étincellent ; car y a-t-il un luxe qui ne puisse passer pour plus innocent ?
VII. Cette même victoire introduisit pour la première fois dans Rome les vases murrhins ; et Pompée le premier, à la suite de ce triomphe, consacra à Jupiter Capitolin des coupes et des vases de cette matière, qui bientôt passa aux usages ordinaires de la vie. On en fit même des buffets et des plats. Cette suite de luxe augmente chaque jour, puisqu'un vase murrhin dont la capacité n'excédait pas trois setiers a été vendu 70 talents (344.400 fr.). Un consulaire qui se servait de cette coupe il y a quelques années se passionna tellement pour elle, qu'il en rongea le bord. Ce dommage n'a fait qu'en augmenter le prix, et il n'y a point aujourd'hui de vase murrhin qui se cote plus haut. On peut juger combien ce même personnage engloutit d'argent en vases de ce genre : ces vases, lorsque l'empereur Néron les enleva à ses enfants, remplirent, au delà du Tibre, dans les jardins du prince, un théâtre particulier où ils étaient exposés ; et ce théâtre rempli de spectateurs suffisait à Néron même quand il chantait, se préparant à paraître sur le théâtre de Pompée. J'ai vu alors compter les débris d'un seul vase qu'on se plaisait à conserver dans une urne et à montrer, comme si c'eût été le corps d'Alexandre le Grand, pour exciter, je crois, les douleurs du monde et faire honte à la cruauté de la fortune. T. Petronius, consulaire, près de mourir, voulant par jalousie déshériter la table de Néron, cassa un bassin murrhin qui avait coûté 300 talents (1.476.000 fr.). Mais Néron, en sa qualité de prince, l'emporta sur tous : il acheta une seule coupe 300 talents. Chose bien digne de mémoire, qu'un empereur, que le père de la patrie ait bu à si haut prix.
VIII. Les murrhins viennent de l'Orient. On les trouve là en plusieurs localités qui n'ont rien de remarquable, particulièrement dans l'empire des Parthes ; mais les plus beaux sont dans la Carmanie. On les croit formés d'une humeur qui s'épaissit sous terre par la chaleur. Ils ne surpassent jamais en grandeur de petits guéridons, et rarement ils sont assez épais pour des vases à boire de la grandeur indiquée ci-dessus (XXXVI, 7). L'éclat n'en est point vif, et ils sont plutôt luisants qu'éclatants ; mais on y estime particulièrement la variété des couleurs, et ces veines contournées qui s'y dessinent offrent les nuances du pourpre, du blanc, et d'une troisième couleur de feu où les deux autres se confondent, comme si par une sorte de transition la pourpre devenait blanche ou le lait devenait rouge. Quelques amateurs prisent surtout les extrémités et certains reflets, comme dans l'arc-en-ciel ; d'autres aiment des taches opaques ; pour eux c'est un défaut que la transparence ou la pâleur d'une partie quelconque. On estime encore les grains, les verrues qui ne font pas saillie, mais qui sont sessiles, comme on voit le plus souvent sur le corps humain. L'odeur que cette pierre exhale est aussi un certain mérite.
IX. Une cause contraire produit le cristal. C'est une forte congélation qui le condense ; du moins ne le trouve-t-on que là où les neiges d'hiver sont les plus glacées, et il est certain que c'est une glace. De là le nom qu'il porte en grec (krustallos, glace). L'Orient nous envoie aussi le cristal, et même le cristal indien est le plus estimé. On trouve un cristal de très peu de prix en Asie, au tour d'Alabanda et d'Orthosie, dans les montagnes limitrophes, et en Chypre. Au contraire, on recherche le cristal des Alpes en Europe. D'après Juba, il y en a dans une certaine île de la mer Rouge, qui est près de la côte arabique et qu'on nomme Necron (île des morts), et dans une île voisine qui produit des topazes (VI, 34, 1) ; Pythagore, préfet de roi Ptolémée, en tira, dit-il, un bloc de cristal d'une coudée. Cornélius Bocchus rapporte qu'en Lusitanie on en trouve aussi des blocs d'un poids extraordinaire, en creusant dans les monts Ammaens des puits jusqu'au ni veau de l'eau (XXXVII, 45). Ce que raconte Xénocrate d'Ephèse est merveilleux : il assure qu'en Asie et en Chypre on découvre du cristal avec la charrue : en effet, on avait cru qu'il ne s'en trouvait que parmi les roches, et jamais dans les lieux terreux. Ce que dit le même Xénocrate est plus vraisemblable, à savoir que les torrents en entraînent souvent. Sudinès prétend qu'il n'en vient que dans les lieux regardant le midi, ce qui est certain : en effet, on n'en rencontre point dans les endroits humides, quelque froid que soit le climat, là même où les rivières se glacent jusqu'au fond. Pour qu'il se produise, il faut nécessairement l'eau de pluie et de la neige pure ; aussi ne supporte-t-il pas la chaleur, et on ne s'en sert que pour boire froid. Il n'est pas facile de pénétrer pourquoi il a six angles et six faces, d'autant plus que les angles n'ont pas toujours la même apparence. Quant au poli des faces, il est tel qu'aucun art ne peut l'égaler.
X. Le plus gros bloc que nous ayons encore vu est celui que l'impératrice Livie consacra dans le Capitole : il pèse environ cent cinquante livres. Xénocrate dit avoir vu un vase de cristal qui tenait une amphore ; d'autres parlent d'un vase en cristal des Indes tenant quatre setiers. Pour moi, je puis assurer comme chose certaine qu'il se produit du cristal dans des rochers des Alpes, d'un accès si difficile d'ordinaire qu'il faut se suspendre à des cordes pour l'extraire. Les gens experts en reconnaissent la présence à certains signes et indices. Le cristal est sujet à plusieurs défauts : une sorte de soudure raboteuse, des taches en forme de nébulosité, quelque dépôt intérieur qu'on n'y saurait soupçonner, quelque centre ou noyau (XVI, 76, 3) très dur et très cassant, et ce qu'on appelle des grains de sel. Des cristaux ont une rouille de couleur rousse ; d'autres, des filaments semblant une fêlure : les artistes cachent ce défaut par la ciselure. Les cristaux sans défauts ne se cisèlent pas : on les nomme acenteta (non piqués); ils sont, non de la couleur de l'écume, mais de celle d'une eau limpide. Enfin on fait cas de la pesanteur. Je lis chez des médecins que le meilleur cautère est une boule de cristal recevant les rayons du soleil (XXXVI, 67). Le cristal est aussi un objet de folie : une dame romaine qui n'était pas riche acheta, il y a peu d'années, 150.000 sesterces (31.500 fr.) un bassin de cristal. Néron, à la nouvelle que tout était perdu, brisa contre terre, dans l'excès de sa colère, deux coupes de cristal. Ainsi se vengea-t-il, punissant son siècle en empêchant qu'aucun autre ne bût dans ces vases. Le cristal brisé ne peut en aucune façon se raccommoder. Présentement on fait des vases de verre qui ressemblent merveilleusement au cristal ; et néanmoins, chose étonnante, le cristal, loin de diminuer de prix, a augmenté.
XI. Après le cristal vient, parmi les objets de luxe, le succin, qui n'est pourtant recherché encore que des femmes. Ces trois substances sont autant estimées que les perles : sans doute pour les deux premières il y a quelques raisons, le cristal servant à boire frais, et le murrhin à boire frais ou chaud ; mais quant au succin le luxe même n'a pu encore imaginer aucune justification. C'est ici l'occasion de dévoiler les mensonges des Grecs : que le lecteur ait quelque patience, et nous laisse exposer tout ce qu'ils ont rapporté de merveilleux ; cela aussi importe à notre instruction. Phaéton ayant été foudroyé, ses soeurs pleurèrent tant qu'elles furent changées en peupliers ; et tous les ans leurs larmes produisent l'électrum sur les bords de l'Eridan, que nous nommons le Pô ; l'électrum, ainsi appelé parce que le soleil porte le nom d'Elector. Tel est le récit de plusieurs poètes, et les premiers qui l'aient fait sont, je pense, Eschyle, Philoxène, Nicandre, Euripide, Satyre. Le témoignage de l'Italie dément tout cela. De moins inexacts ont dit que dans la mer Adriatique étaient les îles Electrides, où le Pô apportait le succin. Mais il est certain qu'il n'y eut jamais d'îles de ce nom dans ces parages, et que sur cette côte il n'est aucune île où les eaux du Pô puissent porter quelque chose. Quant à Eschyle plaçant l'Eridan en Ibérie, c'est-à-dire l'Espagne, et lui donnant le nom de Rhône ; quant à Euripide et à Apollonius faisant arriver par une embouchure commune dans l'Adriatique le Rhône et le Pô ; on leur pardonnera plus aisément, étant aussi ignorants en géographie, d'avoir ignoré la provenance du succin. D'autres auteurs plus retenus ont dit (ce qui n'est pas moins faux) qu'au fond du golfe Adriatique, sur des rochers inaccessibles, sont des arbres qui rendent cette gomme vers le lever du Chien. Théophraste a dit qu'on le retirait de terre en Ligurie ; Charès, que Phaéton mourut en Ethiopie, sur le territoire d'Ammon ; que pour cela il y a là un temple et un oracle, et aussi de l'électrum ; Philémon, qu'il est fossile, qu'on l'extrait en Scythie dans deux localités qui fournissent un succin blanc et un succin couleur de cire, nommés electrum ; que dans un autre endroit il est roux, et nommé subalternicum. Démostrate nomme le succin lyncurion (XXXVII, 13), et prétend qu'il provient de l'urine des lynx ; que l'urine des mâles en donne un roux et comme de feu, et celle des femelles, un blanc et moins fort ; d'autres l'ont nommé langurium, et ont dit qu'il y avait en Italie des bêtes appelées languries. Zénothémis nomme langa ces mêmes bêtes, et il les fait vivre sur les bords du Pô. Sudinès place dans la Ligurie un arbre produisant le succin, opinion qui est partagée par Métrodore. Sotacus a cru qu'il découlait en Bretagne de pierres qu'il nomme électrides. Pythéas rapporte que les Guttons (IV, 28, 2), nation germanique, habitent, dans un espace de 6.000 stades, les bords du Mentonomon (on nomme ainsi un bas-fond de l'Océan) ; qu'à une journée de navigation est l'île d'Abalus, où les vagues jettent le succin au printemps ; que cette substance est une sorte d'excrément de la mer congelée ; que les habitants s'en servent en guise de bois, et en vendent aux Teutons, leurs voisins. Timée a admis cette opinion, mais il a nommé l'île Basille. Philémon a nié que l'électrum rendit de la flamme. Nicias prétend que c'est un suc des rayons du soleil ; que ces rayons, au moment du coucher de l'astre, lancés avec plus de force sur la terre, y laissent une sueur grasse qui, enlevée par mes marées de l'Océan, est rejetée sur le littoral de la Germanie. D'après le même auteur, il se produit en Egypte du succin de la même façon : on l'y nomme sacal ; de même dans l'Inde, où on le préfère à l'encens ; dans la Syrie les femmes en font des bouts de fuseaux, et on le nomme harpax, parce qu'il attire à lui les feuilles, les pailles et les franges des vêtements. Selon Théophraste, le flux de l'Océan le rejette au pied des promontoires des Pyrénées, opinion adoptée aussi par Xénocrate, qui a écrit tout récemment sur ce sujet et qui vit encore. Asarubas raconte que près de la mer atlantique est le lac Céphisias, nommé par les Maures Electrum ; que, ce lac étant échauffé par le soleil, le limon donne l'électrum, qui surnage. Mnaséas appelle Sycias une certaine localité de l'Afrique, et Crathis, un fleuve qui, sortant d'un lac, va se jeter dans l'Océan : ce lac est fréquenté par des oiseaux qu'il nomme méléagrides et pénélopes ; c'est là qu'il fait naître l'électrum, de la façon indiquée un peu plus haut. D'après Théomène, auprès de la grande Syrie sont le jardin des Hespérides et l'étang nommé Electrum ; sur le bord sont des peupliers, du haut desquels le succin tombe dans l'eau ; les filles des Hespérides l'y viennent recueillir. D'après Ctésias, il y a dans les Indes un fleuve nommé Hypobarus, nom qui signifie portant tous les biens : ce fleuve va du nord dans l'Océan Oriental, où il se jette près d'un mont couvert d'arbres qui produisent l'électrum : ces arbres se nomment siptachores, mot dont la signification est très douce suavité. D'après Mithridate, sur la côte de Germanie est une île nommée Oséricta, et couverte d'une espèce de cèdres d'où le succin découle sur des pierres. Xénocrate prétend que cette substance porte en Italie non seulement le nom de succin, mais encore celui de thyon (XIII, 30, 4); qu'en Scythie, car il en vient aussi là, elle se nomme sacrium ; que d'autres la font naître en Numidie. Mais celui qui les surpasse tous, c'est Sophocle le poète tragique ; ce qui m'étonne quand je considère l'imposante gravité de ses tragédies, et de plus l'illustration de sa vie, sa naissance dans les hautes classes d'Athènes, ses exploits et ses commandements militaires. D'après lui, le succin est produit au delà de l'Inde par les larmes des oiseaux méléagrides pleurant Méléagre. Comment ne pas être surpris qu'il ait cru un tel conte, ou qu'il ait espéré le faire croire aux autres ? Est-il même un enfant assez ignorant pour s'imaginer que des oiseaux pleurent annuellement, que des larmes soient aussi abondantes, et que des volatiles aillent de la Grèce, où Méléagre est mort, le pleurer dans les Indes ? Quoi donc, dira-t-on, est-ce que les poètes ne font pas beaucoup de récits non moins fabuleux ? Mais avancer sérieusement une telle absurdité sur une chose aussi commune que l'ambre, qu'on apporte tous les jours, et pour laquelle il est si facile d'être convaincu de mensonge, c'est se moquer tout à fait du monde, et conter effrontément des fables intolérables.
(III.) Il est certain que le succin se produit dans les îles de l'océan Septentrional, que les Germains le nomment glessum, et que pour cette raison les Romains, pendant que Germanicus avait une flotte dans ces parages, ont donné le nom de Glessaria (IV, 30, 2) à une de ces îles qui, dans la langue des barbares, porte le nom d'Austravia. Le succin se forme d'une moelle qui découle d'une sorte de pin, comme la résine découle des pins et la gomme des cerisiers. C'est d'abord une liqueur qui sort en abondance, puis se congèle ou par le froid, ou par la chaleur, ou par l'action de la mer quand les grandes marées l'enlèvent de ces îles ; du moins il est rejeté sur la côte, roulant dans les flots où il paraît être suspendu, sans aller au fond. Nos anciens, ayant pensé que c'était le suc d'un arbre, l'ont nommé pour cela succin. Ce qui prouve qu'il provient du pin, c'est que frotté il exhale l'odeur de cet arbre, et qu'enflammé il brûle à la façon et avec l'odeur des torches résineuses. Il est apporté par les Germains dans la Pannonie principalement ; de là les Vénètes, que les Grecs nommaient Hénètes, l'ont mis en vogue, les Vénètes voisins de la Pannonie, et vivant autour de la mer Adriatique. La fable qui y a rattaché le Pô a une cause évidente : aujourd'hui encore les paysans transpadanes portent un collier de succin comme ornement sans doute, mais aussi comme remède : en effet, on pense qu'il est bon pour les affections des amygdales et du cou, cette partie et les chairs voisines étant sujettes à des maladies que différentes sortes d'eaux produisent dans le voisinage des Alpes. De Carnonte en Pannonie jusqu'à la côte de Germanie d'où l'on apporte le succin, il y a environ six cents milles, ce qui n'est bien connu que depuis peu ; et le chevalier romain qu'envoya pour se procurer du succin Julianus, entrepreneur des jeux de gladiateurs donnés par l'empereur Néron, est encore vivant. Ce chevalier parcourut le littoral et les marchés du pays, et rapporta une telle quantité de succin, que les filets destinés à protéger le podium contre les bêtes féroces étaient attachés avec des boutons de cette substance, et que les armes, les biens et tout l'appareil, pour un jour, était en succin. Le plus gros morceau qu'il apporta pesait treize livres. Il est certain que le succin vient aussi dans l'Inde. Archelaus, qui a régné en Cappadoce, raconte que de ce pays-là on en apporte qui est brut, et adhérent à de l'écorce de pin ; on le polit en le faisant chauffer dans de la graisse de cochon de lait. Ce qui prouve qu'il est d'abord à l'état liquide, c'est qu'on voit à l'intérieur, grâce à sa transparence, différents objets, tels que des fourmis, des moucherons, des lézards. Il est évident que ces objets, retenus par le succin encore liquide, y sont restés renfermés quand il a été durci.
XII. Il y a plusieurs sortes de succin. Le blanc est celui qui a la meilleure odeur ; mais ni le succin blanc ni le succin couleur de cire n'ont beaucoup de prix : le succin roux est le plus estimé, surtout lorsqu'il est transparent. Cependant il ne doit pas avoir un brillant trop vif. On veut que cet éclat ressemble au feu, mais ne soit pas le feu lui-même. Le succin le plus recherché est le Falerne, ainsi appelé parce qu'il a la couleur du vin de ce crû ; il est transparent et d'un doux éclat. Certaines espèces se recommandent par la nuance tendre du miel cuit. Mails il faut savoir aussi qu'on peut lui donner la couleur qu'on veut : on le teint avec le suif de chevreaux et la racine d'orcanette ; on le teint même en pourpre. Au reste, quand par le frottement des doigts il a reçu une chaleur vivifiante, il attire à soi la paille, les feuilles sèches, les écorces, comme la pierre d'aimant attire le fer. Les morceaux de succin dans l'huile brûlent avec une flamme plus claire et plus durable que les mèches d'étoupes de lin. Tel est le prix exorbitant de cet objet de luxe, qu'une toute petite effigie humaine en succin se vend plus cher que des hommes vivants et vigoureux. Certes ce n'est pas assez d'une seule censure : dans les objets dits corinthiens on aime le cuivre mêle à l'or et à l'argent ; dans les objets ciselés, l'habileté et le génie de l'artiste. Nous avons dit ce qui recommande les murrhins et le cristal. Les perles se portent aux oreilles, les pierreries aux doigts. En un mot, dans toutes ces superfluités vicieuses il y a toujours ou parade ou usage. Mais dans le succin rien ne plaît, sinon le sentiment du luxe. Domitien Néron, entre tant d'autres extravagances, avait donné le nom de succin aux cheveux de sa femme Poppée, et il les avait même ainsi appelés dans une pièce de vers ; car on ne manque jamais de beaux noms pour des défauts corporels : depuis ce moment, la couleur du succin fut une troisième couleur recherchée par les dames. Le succin n'est pourtant pas sans quelque usage en médecine ; mais ce n'est pas pour cette raison qu'il plaît aux femmes. Porté en amulette, il est utile aux enfants. D'après Callistrate, il est bon à tout âge contre la folie et la dysurie, soit en breuvage, soit en amulette. Cet auteur a créé une nouvelle variété, appelant chrysélectrum un succin qui est de couleur d'or, et qui offre le matin les nuances les plus aimables. Ce succin attire très rapidement la flamme, et s'il est près du feu, il s'allume promptement. D'après Calllistrate, il guérit les fièvres et les maladies, porté au cou ; les affections de l'oreille, trituré avec du miel et de l'huile rosat ; les obscurcissements de la vue, broyé avec du miel attique ; les affections de l'estomac, en poudre prise seule, ou bue dans de l'eau avec le mastic. Enfin le succin est d'un grand usage pour imiter les pierreries qui sont transparentes, particulièrement les améthystes ; car, comme nous venons de le dire, on le teint en toutes couleurs.
XIII. Passons immédiatement au lyncurium, dont nous force à parler l'opiniâtreté de certains auteurs ; car ceux qui ne prétendent pas que c'est une sorte de succin veulent du moins que ce soit une pierre précieuse ; ils assurent que le lyncurium est le produit de l'urine du lynx et d'une sorte de terre, cet animal couvrant son urine aussitôt qu'il l'a rendue, jaloux qu'il est de l'utilité que les hommes en retireraient (VIII, 57) ; qu'il a la même nuance que le succin couleur de feu, et qu'il se prête à la gravure ; qu'il attire non seulement les feuilles et les pailles, mais encore des lamelles de cuivre et de fer ; ce que Théophraste a cru, sur la foi de Dioclès. Pour moi, je regarde tout ce détail comme une fable, et je pense que de notre temps il n'a jamais été question de pareille pierre. Que dire alors des vertus médicinales du lyncurium, à savoir que pris en boisson il fait sortir les calculs de la vessie, et que bu dans du vin, ou même porté en amulette, il guérit l'ictère ?
XIV. Maintenant nous allons parler des vraies pierreries, commençant par les plus renommées. Et nous ne nous bornerons pas à cela ; mais, pour être plut utile au monde, nous réfuterons en passant les indignes mensonges des mages, car c'est surtout au sujet des pierres précieuses qu'ils ont débité leurs fables et dépassé tous les prodiges, par la séduisante apparence des remèdes tirés de ces substances.
XV. (IV.) Le plus grand prix, non seulement parmi les pierres précieuses, mais encore entre toutes les choses humaines, est attribué au diamant. Pendant longtemps cette pierre n'a été connue que des rois et même de très peu de rois, ne se trouvant que dans les mines d'or, et fort rarement. On la nommait nodosité de l'or, et on pensait qu'elle accompagnait toujours ce métal, et ne naissait qu'avec lui. Les anciens ont cru que le diamant ne se trouvait que dans les mines d'Ethiopie, entre le temple de Mercure et l'île de Méroé ; et ils ont dit qu'il n'était jamais plus gros qu'une graine de concombre, ou qu'il n'avait plus la couleur. Aujourd'hui on en connaît de six sortes. Le diamant indien prend naissance non dans les mines d'or, mais dans une substance assez semblable au cristal. De fait, comme le cristal, il est transparent, à six pans unis, et se termine en pointe, formé qu'il est, chose merveilleuse, de deux parties opposées, comme si on avait réuni par leur base deux cônes. Quant à la grosseur, elle est celle d'une amande d'aveline. Le diamant d'Arabie ressemble à celui de l'Inde ; seulement il est plus petit ; il se forme de la même façon. Les autres diamants ont la pâleur de l'argent, et ils ne naissent qu'au milieu de l'or le plus parfait. L'essai de tous ces diamants se fait sur l'enclume ; et ils résistent si bien aux coups, que le fer rebondit et que l'enclume même se fend. En effet, la dureté en est incroyable : de plus, ils triomphent de faction du feu et ne s'échauffent jamais ; c'est cette force indomptable qui leur a fait donner le nom qu'ils portent en grec. On donne le nom de cenchros à une espèce de diamant qui est de la grosseur du millet. On nomme macédonien le diamant qui se trouve dans les mines d'or de Philippe ; celui-là égale la grosseur d'une graine de concombre. Vient ensuite le diamant de Chypre, qu'on rencontre dans cette île ; il tire sur la couleur du cuivre, et il est quant aux vertus médicinales, dont nous parlerons, le plus efficace de tous. Après celui-là est le diamant sidéritès ; il a l'éclat métallique du fer, pèse plus que tous les autres, mais en diffère par ses propriétés : en effet, il se brise sous le marteau, et on peut le percer avec un autre diamant : ce qui arrive également à celui de Chypre. Aussi, pour le dire brièvement, ce sont des bâtards qui n'ont du diamant que le nom. Au reste, ce phénomène que nous avons essayé d'enseigner dans tout le cours de celte histoire, touchant les affinités et les répugnances des choses, ou, en grec, les antipathies et les sympathies, ne se manifestent nulle part plus clairement. En effet, cette force invincible qui méprise les deux agents naturels les plus violents, le fer et le feu, cède au sang de bouc ; mais il faut employer ce sang récent et chaud, y faire tremper le diamant, en outre frapper force coups ; et même alors se brisent les enclumes et les marteaux de fer, s'ils ne sont des meilleurs. A quel esprit ingénieux ou à quel hasard doit-on la connaissance de cette particularité ? ou quelle conjecture conduisit à faire une expérience aussi mystérieuse, et en se servant du plus immonde des animaux ? Une telle invention, sans doute, est toute due à la bonté des dieux ; et nulle part il ne faut chercher les raisons de la nature, il faut chercher seulement sa volonté. Lorsqu'on réussit à casser le diamant, il se brise en fragments si petits qu'on les aperçoit à peine ; ils sont recherchés par les graveurs, qui les enchâssent dans du fer, et, par ce moyen, entament aisément les substances les plus dures. Le diamant a une si grande antipathie pour l'aimant, que mis auprès il ne lui permet pas d'attirer le fer, ou bien si l'aimant a déjà attiré le métal, le diamant saisit le fer et le lui enlève. Le diamant, de plus, neutralise les poisons, dissipe les troubles d'esprit, chasse les vaines terreurs ; ce qui lui a fait donner par quelques-uns le nom d'ananchite (sans-cauchemar). Métrodore de Serpsis, seul à ma connaissance, dit qu'on trouve du diamant dans la Germanie et dans l'île Basile, qui produisent du succin ; et ce diamant, il le préfère à celui d'Arabie ; mais qui pourrait douter de la fausseté de ce récit ?
XVI. Le second rang après le diamant appartient chez nous aux perles de l'Inde et de l'Arabie, desquelles nous avons traité dans le neuvième livre (IX, 54 et suiv.), à propos des substances marines.
(V.) Le troisième est attribué aux émeraudes pour plusieurs raisons. Il n'est point de couleur plus agréable à l'oeil ; car, bien que la vue se fixe avidement sur le vert des herbes et du feuillage, ou goûte infiniment plus de plaisir à contempler des émeraudes, aucune nuance verte n'étant verte si on la compare à cette pierre. De plus, entre toutes les pierreries, c'est la seule qui repaisse l'oeil sans le rassasier : et même, quand on s'est fatigué en regardant avec attention quelques objets, on se récrée la vue en la portant sur une émeraude : les lapidaires n'ont rien qui leur repose mieux les yeux, tant cette douce nuance verte calme la fatigue de l'organe. De plus, vues de loin, les émeraudes paraissent plus grosses, communiquant à l'air ambiant une teinte verte. Ni le soleil, ni l'ombre, ni les lumières, rien ne les change ; elles ont toujours un éclat modéré ; elles laissent pénétrer le regard, transmettant facilement, pour leur épaisseur, la lumière, ce qui nous plaît même dans l'eau. Le plus souvent les émeraudes sont concaves, pour réunir les rayons lumineux. Aussi y a-t-il une convention qui les protège : on ne les grave pas. Au reste, la dureté des émeraudes de Scythie et d'Egypte est telle, qu'il ne serait pas possible de les entamer. Quant aux émeraudes plates, elles renvoient les images à la façon des miroirs. L'empereur Néron regardait avec une émeraude les combats des gladiateurs.
XVII. Il y a douze sortes d'émeraudes. Les plus renommées sont les scythiques, ainsi appelées du pays où on les trouve. Nulle n'a une couleur plus foncée et moins de défauts ; et autant les émeraudes l'emportent sur le reste des pierres, autant l'émeraude de Scythie l'emporte sur les autres espèces. Les émeraudes bactriennes, voisines par le lieu de la provenance, le sont aussi par le rang. Elles se recueillent, dit-on, dans les fissures des rochers, lorsque soufflent les vents étésiens. Alors elles reluisent, mises à découvert sur le sol par l'action de ces vents, qui agitent beaucoup les sables. Mais on assure qu'elles sont bien plus petites que celles de Scythie. Au troisième rang est l'émeraude d'Egypte qu'on extrait des rochers, dans des collines aux environs de Coptos, ville de la Thébaïde. Les autres sortes d'émeraudes se rencontrent dans les mines de cuivre. De là vient que le premier rang parmi ces dernières appartient aux émeraudes de Chypre. Le mérite de celles-ci consiste dans une nuance claire qui n'a rien de faible, mais qui a quelque chose d'humide et de gras, et dans une transparence qui imite celle de la mer. De la sorte elles sont à la fois diaphanes et luisantes, c'est-à-dire qu'elles réfléchissent la lumière et laissent pénétrer la vue. On raconte que dans l'île de Chypre, sur le tombeau d'un petit roi nommé Hernias, auprès des pêcheries, était un lion de marbre avec des yeux en émeraude. L'éclat qui en sortait pénétrait si avant dans la mer, que les thons épouvantés s'enfuyaient. Les pêcheurs s'étonnèrent longtemps de cette fuite nouvelle du poisson ; à la fin ils mirent au lion d'autres yeux.
XVIII. Il faut, les prix étant si exorbitants, signaler aussi les défauts des émeraudes. Il y a, il est vrai, des défauts communs à toutes ; mais d'autres, comme les défauts dans l'espèce humaine, sont propres à certaines provenances. Ainsi les émeraudes de Chypre ne sont pas d'un vert uniforme ; dans la même émeraude des parties sont plus ou moins vertes, et la pierre ne présente pas partout cette nuance foncée et irréprochable de l'émeraude de Scythie. D'autres sont parsemées d'ombres qui en ternissent la couleur, et cet aspect terne est condamné, même quand la nuance en est claire. Les défauts font distinguer les émeraudes en diverses sortes. Quelques-unes sont obscures, et on les nomme aveugles : d'autres ont une densité qui en altère la transparence ; d'autres ne sont pas d'une nuance uniforme ; d'autres sont déshonorées par des nuages qu'il ne faut pas confondre avec les ombres dont il vient d'être question : en effet, le nuage est le défaut de l'émeraude blanchâtre, laquelle n'est pas verte partout, mais offre au dedans ou à la surface une blancheur qui arrête la vue. Voila les défauts dans la couleur, voici les défauts dans la substance : ce sont des filaments, des grains, le plomb. Après les espèces citées on vante les émeraudes d'Ethiopie, qui se trouvent, suivant Juba, à trois journées de marche de Coptos. Elles sont d'un vert vif, mais il s'en rencontre peu qui soient nettes et d'une couleur uniforme. Démocrite met dans cette classe les émeraudes hermiéennes et celles de Perse. Suivant lui, les premières sont convexes et rebondies ; les secondes n'ont pas de transparence, mais la nuance uniforme en est agréable ; elle satisfait la vue sans la laisser pénétrer, et ces émeraudes ressemblent aux yeux des chats et des panthères, qui brillent sans être transparents ; au soleil elles perdent de leur lustre ; elles reluisent a l'ombre, et l'éclat s'en fait voir plus loin que celui des autres. Le vice de toutes ces émeraudes, c'est d'avoir une couleur de fiel ou d'huile verte. Au soleil elles sont, il est vrai, claires et limpides, mais elles ne sont pas vertes. Ces défauts sont sensibles surtout dans les émeraudes de l'Attique. On les trouve dans les mines d'argent, en un lieu nommé Thoricos (IV, 11, 2). Elles sont toujours moins grosses et sont plus belles de loin que de près. Elles ont souvent le plomb, c'est-à-dire qu'au soleil elles ont une apparence plombée. Une particularité remarquable, c'est que quelques-unes vieillissent, perdent peu à peu la couleur verte, et s'altèrent au soleil. Après les émeraudes attiques, viennent les émeraudes de Médie, celles qui offrent le plus de teintes variées ; quelquefois même elles se rapprochent du saphir. Elles sont ondées et représentent des objets naturels, par exemple des pavots, des oiseaux, des nageoires, des cheveux et choses semblables. Celles qui ne sont pas d'abord entièrement vertes deviennent plus belles par le moyen du vin et de l'huile ; il n'y en a pas de plus grosses.
Je ne sais si la ville de Chalcédoine produit encore des émeraudes, depuis que les mines de cuivre de cette localité sont épuisées. Au reste, ces émeraudes ont toujours été très petites et de très peu de valeur. Fragiles, d'une couleur incertaine elles ressemblaient aux plume vertes de la queue des paons et du cou des pigeons. Plus ou moins brillantes suivant l'angle sous lequel on les regardait, elles offraient des veines et des écailles. Un défaut leur était particulier : c'était qu'on nommait en grec sarcion, c'est-à-dire carnosité. La montagne, proche Chalcédoine, qui les fournissait, est appelée Smaragditès. D'après Juba une émeraude qu'on nomme cholas sert en Arabie à l'ornement des édifices, ainsi que la pierre nommée par les Egyptiens alabastrite. D'après le même auteur, les montagnes les plus voisines, par exemple le mont Taygète, en fournissent de semblables à celles de la Médie ; on en trouve aussi en Sicile.
XIX. On range parmi les émeraudes la pierre appelée tanos. Elle vient de la Perse : elle est d'un vert désagréable, et sale au dedans. On joint aussi aux émeraudes le calchosmaragdos de Chypre, troublé par des veines cuivrées. Au rapport de Théophraste, les livres égyptiens racontent qu'un roi de Babylone envoya au roi d'Egypte, en présent, une émeraude longue de quatre coudées, et large de trois. Le même auteur dit qu'en Egypte, dans un temple de Jupiter, était un obélisque fait de quatre émeraudes, lequel avait quarante coudées de hauteur, et de largeur quatre coudées à une extrémité et deux de l'autre ; qu'au moment où il écrit il y a à Tyr, dans le temple d'Hercule, une grosse colonne d'une seule émeraude, si toutefois c'est une vraie émeraude ; qu'en effet on trouve de fausses émeraudes, et qu'on a vu à Chypre un bloc moitié émeraude, moitié jaspe, le liquide n'ayant pas encore été totalement transformé. Apion, surnommé Plistonicès, a laissé depuis peu par écrit qu'il y avait, encore de son temps, dans le labyrinthe d'Egypte, un Sérapis colossal fait d'une émeraude, et haut de neuf coudées.
XX. Plusieurs croient le béril de même nature que les émeraudes, ou du moins d'une nature analogue. L'Inde le produit, et on en trouve rarement ailleurs. Les lapidaires taillent tous les bérils en figure hexagone, parce que la nuance, qui en est terne dans sa muette uniformité, s'anime du reflet produit par les angles. Taillés autrement, ils n'ont pas d'éclat. Les plus estimés sont ceux qui imitent le vert d'une mer calme. Au second rang sont les chrysobérils ; un peu plus pâles, l'éclat qu'ils jettent tire sur la couleur de l'or. Au troisième rang est un béril assez semblable, mais plus pâle ; quelques-uns en font un genre particulier, et le nomment chrysoprasus. Au quatrième rang sont les bérils tirant sur l'hyacinthe ; au cinquième, les bérils nommée aéroïdes (couleur de ciel) ; au sixième, les bérils couleur de cire ; au septième, les bérils oléagineux, c'est-à-dire couleur d'huile ; au dernier, ceux qui ressemblent presque au cristal. Ceux-ci ont des filaments et des taches, et ils perdent insensiblement de leur éclat, défauts du reste qu'on rencontre dans toutes les espèces de pierres. Les Indiens aiment singulièrement les bérils longs, et disent que c'est la seule pierre qui veuille être portée sans or ; à cet effet, après les avoir percés, ils les enfilent avec des crins d'éléphant. Ils s'accordent pour ne pas perforer ceux qui sont absolument sans défaut, et se contentent d'en enchâsser les extrémités dans de petites bossettes d'or. Ils aiment mieux en faire des cylindres que des pierres à bagues, parce que ce qui leur plaît le plus, c'est la longueur. Quelques-uns pensent que les bérils sont naturellement anguleux ; que percés ils deviennent plus agréables, parce qu'ainsi on ôte le blanc qu'ils ont au dedans, et que l'or dont on les garnit en ce cas en relève l'éclat, ou simplement parce qu'en en diminuant l'épaisseur on en augmente la transparence. Outre les défauts ci-dessus énumérés (XXXVII, 18), les bérils sont sujets à peu près aux mêmes imperfections que les émeraudes, et de plus à des taches en forme d'ongle. On pense qu'il se trouve parfois des bérils dans le monde romain, aux environs du Pont-Euxin. Les Indiens, en colorant le cristal, ont trouvé moyen d'imiter diverses pierres précieuses, et surtout le béril.
XXI. (VI.) Les opales diffèrent à la fois très peu et beaucoup des bérils, et ne le cèdent qu'aux émeraudes. C'est aussi l'Inde seule qui en est la mère. Formées de ce qui fait le mérite des pierreries les plus précieuses, elles ont offert à la description des difficultés infinies ; car en elles se trouve le feu subtil de l'escarboucle, l'éclat purpurin de l'améthyste, le vert de mer de l'émeraude ; et toutes ces teintes y brillent, merveilleusement fondues. Parmi les auteurs, les uns ont comparé l'effet général des opales à l'arménium (XXXV, 28), couleur employée par les peintres ; les autres, à la flamme du soufre qui brûle, ou à celle d'un feu sur lequel on jette de l'huile. Il se trouve des opales de la grosseur d'une aveline, et il y a parmi nous à ce sujet une anecdote mémorable. Aujourd'hui encore existe une opale pour laquelle Antoine proscrivit le sénateur Nonius, fils de ce Nonius Struma que le poète Catulle (Carm. LIII) s'indignait de voir assis sur la chaise curule, et aïeul de Servilius Nonianus que nous avons vu consul. Ce Nonius proscrit fuyait, n'emportant de tout son bien que son anneau, estimé, cela est sûr, 2 millions de sesterces (420.000 fr.). Singulière cruauté, singulière passion du luxe chez Antoine, qui proscrivait pour une pierre précieuse ; et non moins singulière obstination chez Nonius, qui s'éprenait de la cause de sa proscription, tandis qu'on voit les brutes même s'arracher les parties du corps (VIII, 47) pour lesquelles elles se savent en péril.
XXII. Les défauts de l'opale sont une couleur tirant sur celle de la fleur nommée héliotrope, ou sur celle du cristal ou sur celle de la grêle, le grain de sel, une surface raboteuse, des points qui arrêtent l'oeil. Il n'est pas de pierre que les Indiens imitent mieux ; ils emploient le verre coloré, et c'est à s'y méprendre. On ne reconnaît la tromperie qu'au soleil : les opales fausses, exposées aux rayons de cet astre et tenues entre un doigt et le pouce, ne donnent qu'une seule et même couleur, qui est bornée au corps de la pierre ; les opales vraies offrent des nuances successives, donnent des reflets plus vifs, tantôt dans un sens, tantôt dans un autre, et projettent un éclat lumineux sur les doigts. Cette pierre, à cause de sa grande beauté, a été nommée par la plupart paedéros. Il est des auteurs qui du paedéros font une espèce particulière, appelée, disent-ils, par les Indiens sangénon. On assure que des paedéros se trouvent aussi en Egypte, en Arabie, dans le Pont (ceux-ci sont les moins estimés), en Galatie, à Thasos et en Chypre. Cette pierre a la beauté de l'opale, mais l'éclat en est moins vif, et il est rare qu'elle ne soit pas raboteuse. La nuance en est de bleu de ciel et de pourpre ; le vert de l'émeraude y manque. On préfère celles dont l'éclat est assombri par une couleur vineuse, à celles qui tirent sur le clair de l'eau.
XXIII. Les pierreries dont nous avons parlé jusqu'à présent sont reconnues comme supérieures aux autres, et cela surtout grâce au sénatus-consulte des dames. Il y a moins de certitude sur celles dont le jugement appartient aussi aux hommes. En effet, le prix de chaque pierre dépend du caprice de chacun, et surtout de la rivalité, comme, par exemple, quand l'empereur Claude portait des émeraudes et des sardoines. Le premier Romain qui ait porté une sardoine est Scipion l'Africain l'Ancien, comme le dit l'historien Démostrate ; depuis lors cette pierre est en grande estime chez les Romains ; aussi en parlerons-nous immédiatement après les opales. Jadis la sardoine (sardonychès), comme le nom l'indique, était caractérisée par une partie blanche reposant sur la sarde comme l'oncle humain repose sur la chair, cette partie et la sarde étant toutes deux transparentes. Telles sont les sardoines indiennes, au rapport d'Isménias, de Démostrate, de Zénothémis, de Sotacus. Les deux derniers nomment sardoines aveugles toutes celles qui ne sont pas diaphanes. Celles qui aujourd'hui ont pris ce nom n'offrent aucune trace de la sarde, et tiennent de l'Inde ou de l'Arabie ; et on s'est mis à caractériser les sardoines par diverses couleurs, savoir : le noir ou l'azur pour le fond, et pour l'ongle le vermillon entouré d'un blanc gras, de sorte que le blanc passe au vermillon, non sans laisser entrevoir une teinte de pourpre. Zenothémis écrit que les Indiens n'estimaient pas les sardoines, quoiqu'ils en eussent d'assez grosses pour faire des poignées d'épée ; que dans l'Inde les torrents les mettent à nu, et que c'est dans le monde romain quelles ont été d'abord recherchées, parce que, seules presque parmi les pierres qu'on grave, elles n'enlèvent pas la cire en formant le sachet. Notre exemple a été persuasif pour les Indiens, qui maintenant en font cas. Chez eux le peuple les perce et les porte, mais seulement en collier ; c'est à quoi l'on connaît aujourd'hui les sardoines de l'Inde. Les sardoines d'Arabie sont remarquables par un cercle d'une blancheur éclatante, et assez large, qui brille dans les endroits creusés de la pierre, ni sur les pans, mais dans les points saillants mêmes, soutenu qu'il est par un fond très noir. Ce fond, dans les sardoines indiennes, est couleur de cire ou de corne, avec un cercle blanc aussi. On y trouve un certain reflet de l'arc-en-ciel. La surface est plus rouge que le têt d'une langouste. On rejette les sardoines qui ont les défauts dits miel ou lie de vin ; on rejette aussi celles dont le cercle blanc s'étend, et n'est pas nettement arrêté, ou bien est coupé irrégulièrement par quelque autre couleur. En effet, on n'aime pas qu'une interposition étrangère vienne déranger la régularité de quoi que ce soit. Il y a aussi des sardoines d'Arménie, estimées, sauf que le cercle en est pâle.
XXIV. Il faut traiter maintenant de l'onyx même, à cause de son nom, partie de celui de la sardoine. Ce nom, attribué à un marbre de Carmanie, est devenu celui d'une pierre. Sudinès dit que l'onyx-pierrerie a une portion blanche semblable à un ongle humain, et de plus les couleurs de la chrysolithe, de la sarde et du jaspe. Suivant Zénothémis, l'onyx indien présente différentes nuances, une couleur de feu, une teinte noire, une teinte cornée avec des veines blanches qui les cerclent comme une sorte d'oeil, ou des veines obliques qui les traversent. Sotacus parle d'un onyx d'Arabie différent des autres : l'onyx indien a de petits feux entourés chacun d'une zone blanche ou de plusieurs, et présente une disposition différente de la sardoine indienne, qui a des points, tandis qu'ici ce sont des cercles. Au contraire, l'onyx d'Arable est noir, avec des zones blanches. Satyrus dit qu'il y a des onyx de l'Inde charnus, tenant en partie de l'escarboucle, en partie de la chrysolithe et de l'améthyste ; il rejette toutes ces variétés. Suivant lui, le véritable onyx a des veines nombreuses et variées, avec des zones laiteuses ; toutes ces nuances, qui passent de l'une à l'autre, donnant une teinte qu'on ne peut décrire, et se fondant en un ensemble harmonieux et d'un aspect charmant. Ne différons pas non plus l'histoire de la sarde, dont le nom entre dans celui de la sardoine ; mais préalablement traitons des pierres couleur de feu.
XXV. (VII.) Au premier rang est l'escarboucle, ainsi nommée à cause de sa ressemblance avec le feu ; et néanmoins elle ne ressent point les atteintes de la flamme, ce qui l'a fait appeler par quelques-uns acauste. On en distingue deux espèces : l'indienne et la garamantique qu'on nomma aussi carthaginoise, à cause de l'opulence de la grande Carthage. On y joint l'éthiopique et l'alabandique ; celle-ci se trouve près d'Orthosie (V, 29, 6), ville de Carie, mais on la taille à Alabanda. De plus, chaque espèce se subdivise en escarboucles mâles, d'un éclat plus vif, et en escarboucles femelles, d'un éclat plus faible. Parmi les escarboucles mâles, on en voit aussi qui ont un feu plus clair ; d'autres l'ont plus sombre ; d'autres brillent par une lumière étrangère, et au soleil sont plus étincelantes que les autres. Les plus estimées sont les améthystizontes, c'est-à-dire celles dont les feux, à l'extrémité, tirent sur le violet de l'améthyste ; à la seconde place sont les escarboucles nommées sitites, qui brillent d'un éclat qui leur est naturel. Partout où on les trouve, c'est par la réverbération du soleil. Satyrys dit que les escarboucles de l'Inde ne sont pas nettes ; qu'elles sont presque toujours sales, et toujours d'un éclat étiolé ; que les éthiopiques sont grasses, ne projettent ni ne répandent de lumière, mais brillent d'un feu concentré. D'après Callistrate, l'éclat d'une escarboucle posée à terre doit être blanc, avec un nuage aux extrémités, et rouge comme du feu quand on la tient en l'air ; d'où le nom d'escarboucle blanche qu'on trouve dans beaucoup d'auteurs. Les escarboucles indiennes, qui ont un éclat plus languissant et plus terne, se nomment lithizontes ; les carthaginoises sont beaucoup plus petites ; dans l'Inde il y en a qui, creusées, tiennent jusqu'à un setier. D'après Archélaus, les escarboucles carthaginoises sont d'un aspect plus sombre ; mais exposées à la lumière du feu ou du soleil, et présentées obliquement, elles rayonnent plus que les autres ; à l'ombre, dans les maisons, elles paraissent pourpres ; en plein air, couleur de flamme ; aux rayons du soleil, scintillantes ; quand on cachette avec ces escarboucles, la cire se fond, même à l'ombre. Plusieurs auteurs ont écrit que les escarboucles indiennes sont plus blanches que les carthaginoises, et que, au contraire de celles-ci, l'éclat en diminue quand on les incline ; qu'en outre, dans les escarboucles mâles de Carthage, à l'intérieur, brillent des points lumineux comme des étoiles, tandis que les femelles jettent au dehors tout leur éclat ; que les escarboucles d'Alabanda sont plus sombres que les autres, et raboteuses. Les environs de Milet et la Thrace en fournissent de même couleur que les alabandiques, et que le feu n'altère aucunement. D'après Théophraste (De lapid., p. 7), on en trouve aussi à Orchomène d 'Arcadie et à Chios ; celles d'Orchomène sont plus sombres, et on en fait des miroirs ; celles de Trézène sont de diverses couleurs, et parsemées de taches blanches ; il y en a à Corinthe, mais celles-ci sont plus pâles et tirent sur le blanc ; il en vient aussi par Marseille. Bocchus a écrit qu'on en trouvait de fossiles dans le territoire d'Olisipon, et qu'on les extrayait avec grand labeur, le terrain étant argileux et brûlé par le soleil.
XXVI. Rien de plus difficile que de distinguer les différentes sortes d'escarboucles, tant l'art des lapidaires peut en dénaturer les nuances en les forçant à refléter les couleurs des montures. On dit qu'il est possible de donner du brillant aux escarboucles qui en manquent, en les faisant macérer pendant quatorze jours dans du vinaigre, et que le brillant ainsi acquis dure quatorze mois. On contrefait parfaitement les escarboucles avec le verre, mais on reconnaît la tromperie avec la pierre à aiguiser, comme pour toutes les pierreries artificielles. En effet, les pierres artificielles sont plus tendres, fragiles, ont à l'intérieur une sorte de limaille, et sont moins pesantes. Quelquefois aussi elles offrent de petites bulles qui brillent comme l'argent.
XXVII. On trouve dans la Thesprotie une pierre fossile nommée anthracitis, et semblable au charbon. Ceux qui ont écrit qu'on en rencontrait aussi dans la Ligurie se sont trompés, je pense, à moins qu'il n'y en eût peut-être de leur temps. On dit qu'il en est d'entourées d'une veine blanche, et dont la couleur est de feu comme celle des pierres décrites plus haut. Chose singulière ! jetées dans le feu, elles s'éteignent et paraissent mortes ; au contraire, arrosées d'eau, elles deviennent flamboyantes.
XXVIII. Il faut rapprocher de l'anthracitis le sandarésus, dit par quelques-uns garamantitès. On en trouve dans l'Inde en un lieu nommé Sandarésus ; on en trouve aussi dans l'Arabie méridionale. Ce qui le recommande surtout, c'est qu'un feu intérieur, pour ainsi dire placé derrière une substance transparente, brille d'étoiles qui semblent des gouttes d'or : étoiles qui doivent toujours partir du dedans, jamais de la surface. De plus, des idées religieuses sont attachées à cette pierre, à cause du rapport qu'elle a avec les astres : en effet, elle est constellée, et offre à peu près le nombre et la disposition des Hyades ; c'est pourquoi les Chaldéens l'emploient dans leurs cérémonies. Ici aussi les mâles se distinguent par une teinte foncée et vigoureuse qui se communique aux objets mis auprès. On dit même que ceux de l'Inde font mal à la vue. Le feu des sandarésus femelles est plus doux, brillant plutôt que flamboyant. Il en est qui préfèrent le sandarésus de l'Arabie à celui de l'Inde, et qui le disent ressemblant à une chrysolithe enfumée. Isménias prétend que le sandarésus est trop tendre pour être poli, et qu'à cause de cela il se vend cher ; des auteurs le nomment sandarica. Le point sur lequel tous sont d'accord, c'est que plus le nombre des étoiles y est grand, plus cette pierre a de prix. La ressemblance du nom fait qu'on la confond parfois avec le sandasel, appelé par Nicandre sandaréséon, et par d'autres sandaréson. Quelques-uns, qui conservent son nom au sandarésus, appellent le sandasel sandastron ; suivant eux, on trouve le sandastron aussi dans l'Inde ; il porte le nom de la localité qui le fournit ; il a la couleur de la pomme ou de l'huile verte, et personne n'en fait cas.
XXIX. On range encore parmi les pierres ardentes la lychnis, ainsi dénommée parce que c'est surtout à la lueur des lampes qu'elle est agréable. Elle se trouve aux environs d'Orthosie, dans toute la Carie et dans les localités voisines ; mais la plus estimée vient de l'Inde. Quelques-uns ont nommé escarboucle moins vive la lychnis qui est au second rang, et qui ressemble aux fleurs dites de Jupiter ; (XXI, 33, 1, et 39, 1). On distingue aussi d'autres variétés : une a le rayonnement de la pourpre, une autre celui de l'écarlate. Je trouve aussi que cette pierre, échauffée par le soleil ou par le frottement des doigts, attire les pailles et les filaments de papier.
XXX. La pierre carthaginoise exerce, dit-on, la même action ; cependant elle est de beaucoup inférieure aux précédentes. On la trouve chez les Nasamons, dans les montagnes ; elle provient, suivant les habitants, d'une pluie divine. On la découvre au clair de lune, surtout quand l'astre est dans son plein. Carthage en était jadis le dépôt. Archelaus dit qu'il en vient aussi en Egypte, aux environs de Thèbes, et qu'elles sont fragiles, veinées, et semblables à des charbons qui s'éteignent. Je trouve dans les auteurs qu'autrefois ou employait cette pierre et la lychnitis à faire des vases à boire. Au reste, toutes les pierres ardentes opposent une résistance extrême à la gravure, et, servant de cachet, emportent une partie de la cire.
XXXI. Au contraire, la sarde se grave et cachette très bien, la sarde, dont le nom fait partie de celui delta sardoine. Cette pierre est commune. On la trouva d'abord auprès de Sardes ; mais les plus estimées viennent des environs de Babylone, où, en entamant certaines carrières, on les rencontre adhérentes à la roche, en forme de coeur. On dit que cette production fossile s'est épuisée en Perse ; mais plusieurs autres lieux en fournissent, par exemple Paros et Assos. L'Inde a trois espèces de sardes : une rouge, une seconde qu'on nomme pione à cause de son aspect gras, une troisième sous laquelle on met des feuilles d'argent. Les sardes indiennes sont transparentes ; les arabiques sont plus opaques. On en trouve aussi autour de Leucade d'Epire et en Egypte, qu'on garnit en dessous de feuilles d'or. Parmi ces sardes, les mâles ont un éclat plus vif ; celui des femelles est plus faible et plus mat. Anciennement aucune pierre n'était plus en usage : du moins est-ce de celle-là qu'on fait parade dans les comédies de Ménandre et de Philémon. De toutes les pierres transparentes, c'est celle qui, mouillée, se ternit le plus lentement ; mais de tous les liquides l'huile agit le plus sur elles. On fait peu de cas des sardes couleur de miel, et encore moins des sardes couleur de poterie.
XXXII. (VIII.) La topaze est encore aujourd'hui en très grande estime, à cause de son beau vert ; et même, au moment de la découverte, on la préféra à toutes les autres pierres. Il arriva que des pirates trogodytes abordèrent dans une île d'Arable appelée Cytis (VI, 34, 2), après avoir souffert de la faim et de la tempête ; et, arrachant des herbes et des racines, ils mirent à découvert des topazes : tel est le sentiment d'Archélaus. Juba prétend que l'île Topaze (VI, 34, 1) est dans la mer Rouge, à un jour de navigation du continent ; que, entourée de brouillards et souvent cherchée par les navigateurs, elle a pris de cette circonstance le nom qu'elle porte ; qu'en effet topazin signifie chercher, en langue trogolyte ; que de là Philémon, préfet du roi, en fit venir pour la première fois, et le donna à la reine Bérénice, mère de Ptolémée II, et qu'elles plurent beaucoup à cette princesse ; qu'ensuite on fit avec cette pierre, à Arsinoé, femme de Ptolémée Philadelphe, une statue de quatre coudées, qui fut consacrée dans le temple appelé temple d'or. D'après les auteurs les plus modernes, on trouve aussi des topazes auprès d'Alabastrum en Thébaïde. Ils en distinguent deux espèces, la prasside et la chrysoptère, qui ressemble à la chrysoprase ; en effet, toutes les topazes tirent sur la couleur du suc de poireau. La topaze est la plus grosse des pierres précieuses ; c'est la seule aussi qui cède à l'action de la lime. On polit les autres avec la pierre de Naxos (XXXVI, 10) et la pierres à aiguiser. La topaze s'use même à porter.
XXXIII. Après elle, parlons d'une pierre plus semblable par l'apparence que par le prix, la callaïs, qui est d'un vert pâle. Elle se trouve en arrière de l'Inde, chez les Phycares, habitants du Caucase, chez les Saces et les Dahes. Elle est d'une grosseur remarquable, mais pleine de trous et de saletés. Celle de Carmanie est beaucoup plus nette et plus belle. Dans les deux contrées, elle se rencontre sur des rochers inaccessibles et glacés ; elle y fait saillie comme un oeil, et n'y tient que faiblement, paraissant plutôt apposée qui adhérente à la roche. Des hommes habitués au cheval et mauvais piétons ne se soucient pas de gravir jusque-là ; d'ailleurs le danger les effraye. C'est pourquoi ils attaquent la callaïs de loin, à coups de fronde, et la font tomber avec la mousse qui l'entoure. C'est le tribut qu'ils payent, c'est l'ornement qu'ils se plaisent le plus à porter au cou et aux doigts ; c'est leur fortune, c'est leur gloire ; et ils se vantent de toutes les pierres qu'ils ont abattues depuis leur enfance. Mais en cela le succès est variable : quelques-uns, du premier coup, en font tomber de très belles, et plusieurs vieillissent sans en abattre une seule. Telle est la chasse de la callaïs. La taille donne la forme à en pierres ; du reste, elles se cassent aisément. Les plus estimées ont la couleur de l'émeraude, cela montre néanmoins que ce qui plaît en elle leur est étranger. L'or dans lequel on les enchâsse les relève, et il n'est pas de pierre à laquelle ce métal aille mieux. Les plus belles callaïs perdent leur couleur si on laisse tomber dessus de l'huile, des essences ou du vin pur ; les moins belles la conservent mieux. Il n'est point de pierre plus aisée à contrefaire à l'aide du verre. Des auteurs disent qu'on en trouve en Arabie, dans le nid de l'oiseau nommé mélancoryphe.
XXXIV. Il y a plusieurs autres sortes de pierre vertes. La prase appartient aux pierres communes. De la prase ordinaire se distingue une seconde espèce marquée de points sanguinolents, et une troisième portant trois raies blanches. A toutes ces espèces on préfère la chrysoprase, qui, elle aussi, a la couleur du suc de poireau, mais dont la nuance va un peu de la topaze à l'or : la grosseur en est telle, qu'on en fait même des coupes, et très souvent des cylindres.
XXXV. L'Inde, qui produit ces pierres, produit aussi le nilion. Celui-ci a un éclat terne, fugace, et, quand on y fixe les yeux, trompeur. Sudinès dit qu'on en trouve aussi dans le Syvérus, rivière de l'Attique. La couleur en est celle d'une topaze enfumée, ou quelquefois d'une topaze couleur de miel. D'après Juba, l'Ethiopie en produit sur les rives du fleuve que nous nommons Nil ; et de là viendrait le nom qu'il porte.
XXXVI. La molochite n'est pas transparente ; elle est d'un vert plus foncé et plus mat que l'émeraude ; le nom lui vient de la mauve, dont elle a la couleur. Elle est bonne pour faire des cachets ; et elle est douée d'une vertu médicale naturelle qui la rend propre à préserver les enfants des dangers qui les menacent. On la trouve en Arabie.
XXXVII. Le jaspe est vert, et souvent diaphane. Quoique le cédant à plusieurs pierreries, il a conservé la renommée qu'il avait dans l'antiquité. Plusieurs contrées produisent le jaspe : l'Inde, un jaspe semblable à l'émeraude ; l'île de Chypre, un jaspe dur et d'un glauque mat ; la Perse, un jaspe bleu de ciel, et qu'on appelle pour cette raison aérizuse ; tel est aussi le jaspe caspien. Le jaspe est bleu sur les rives du Thermodon ; pourpre en Phrygie ; d'un pourpre bleu, triste et sans rayonnement, en Cappadoce. Amisos en fournit un semblable au jaspe indien. Celui de Chalcédoine est trouble. Mais il vaut mieux distinguer les qualités que les provenances. Le premier est celui qui a quelque chose de la pourpre ; le second, de la rose ; le troisième, de l'émeraude. Les Grecs ont donné à chacune de ces espèces des noms appropriés. Le quatrième est nommé par eux Borée ; il ressemble au matin d'un jour d'automne, et c'est celui qu'on nomme aérizuse. On trouve aussi un jaspe qui ressemble à la sarde, et un autre qui imite la couleur de la violette. Les autres espèces ne sont pas moins nombreuses, mais toutes sont ou trop bleues, ou semblables au cristal, ou ayant la couleur des sébestes (XV, 12). Il y a encore le jaspe térebinthacé ; dénomination impropre, je pense, car ce jaspe est comme compose de plusieurs autres jaspes. Les plus belles de ces pierres se portent dans un chaton ouvert, dont l'or n'embrasse que les bords de la pierre. On regarde comme des défauts un éclat de peu de durée, un éclat visible de loin, le grain de sel, et toutes les défectuosités communes aux autres pierres (XXXVII, 18). On fait de faux jaspes avec du verre ; on les reconnaît à ce qu'ils jettent leurs feux au loin, au lieu de les concentrer en eux-mêmes. La pierre appelée sphragis ne diffère pas du jaspe ; elle n'appartient au domaine commun des pierreries que parce qu'elle est très bonne pour faire des cachets (IX.) Tout l'Orient, dit on, porte les jaspes en amulettes. Parmi les Jaspes, la variété qui ressemble à l'émeraude est souvent coupée transversalement au milieu par une ligne blanche : on la nomme grammatias ; celle qui offre plusieurs lignes, polygrammos. Je ne manquerai pas de signaler en passant les mensonges des mages, qui prétendent que cette pierre est avantageuse à ceux qui ont des harangues à faire. Il y a le jaspe joint à l'onyx, et nomme jasponyx. Il y a le jaspe qui tient comme des nuages, et qui imite les flocons de neige ; le jaspe étoilé, à points rutilants ; le jaspe semblable au sel de Mégare (XXXI, 41, 3), et le jaspe comme enfumé qu'on nomme capnias. Nous avons vu un jaspe de quinze pouces de long, dont on fit une effigie de Néron portant cuirasse.
XXXVIII. Nous consacrerons aussi un paragraphe particulier au cyanos (pierre bleue), nom qui a été appliqué tout à l'heure à un jaspe, à cause de sa couleur bleue. Le plus beau est le cyanos de Scythie, puis celui de Chypre, enfin celui d'Egypte. On l'imite très bien avec le verre coloré ; et cette intention, due à un roi d'Egypte, a été, à sa gloire, consignée dans les livres. Le cyanos se divise aussi en mâle et en femelle. Quelquefois il est parsemé d'une poussière dorée, mais autrement que le saphir.
XXXIX. Le saphir, en effet, brille de points dorés. Il est bleu, rarement avec une teinte pourprée. Les plus beaux viennent de la Médie. Aucune espèce n'est transparente. Au reste, cette pierre ne vaut rien pour la gravure, à raison de durillons cristallins qui s'y rencontrent. Les saphirs bleu de mer sont regardés comme mâles.
XL. Faisons à la suite une autre catégorie des pierres purpurines, et de celles dont la nuance dérive de la pourpre. Au premier rang sont les améthystes de l'Inde. Mais on en trouve aussi dans cette partie de l'Arable qui est limitrophe de la Syrie et qu'on nomme Pétrée, dans la petite Arménie, en Egypte, et en Galatie ; celles de Thasos et de Chypre sont les moins pures et les moins estimées. Le nom quelles portent vient, dit-on, de ce que l'éclat qu'elles jettent, arrivant jusqu'à la limite de la couleur du vin, passe au violet avant d'y atteindre, ou de ce qu'elles ont dans leur pourpre quelque chose qui n'est pas complètement flamboyant, mais qui va s'amortissant et tirant sur une nuance vineuse. Toutes les améthystes sont d'un violet transparent, et faciles à graver. Celles de l'Inde ont dans la perfection la nuance de la pourpre la plus riche, et les teinturiers en pourpre ne désirent que d'attraper cette belle nuance (IX, 62, 3). Elles répandent cette teinte d'une façon gracieuse et douce à la vue, et ne la lancent pas aux yeux comme les escarboucles. Une variété approche de la couleur de l'hyacinthe ; les Indiens nomment sacon cette couleur, et sacondion cette améthyste. Une autre variété a une couleur plus claire, et se nomme sapénos ; on la nomme aussi pharanitis, du nom du pays où on la trouve, qui est limitrophe de l'Arable. La quatrième variété est couleur de vin. La cinquième tire sur le cristal ; elle est presque blanche, la nuance pourpre y manquant. On n'en fait pas de cas ; car une belle améthyste doit avoir, regardée de bas en haut, un certain éclat purpurin, légèrement nuancé de rose, avec un reflet d'escarboucle. Quelques-uns nomment de préférence ces améthystes paedéros ; d'autres, antéros ; beaucoup, paupière de Vénus. Les mages menteurs assurent que l'améthyste empêche l'ivresse, croyant sans doute que cela est bien en rapport avec l'apparence et la couleur de cette pierre; de là, disent-ils, le nom qu'elle a. De plus, si on y inscrit les noms de la lune et du soleil, et qu'on la porte suspendue au cou avec des poils de cynocéphale ou des plumes d'hirondelle, elle préserve des maléfices. Elle procure, de quelque façon qu'on la porte, un favorable accès auprès des rois ; elle détourne la grêle et les sauterelles, si on récite une prière qu'ils indiquent. Quant aux émeraudes, ils leur ont attribué de semblables vertus, à la condition d'y graver des aigles ou des scarabées. Sans doute ce n'est pas sans un sentiment de mépris et de moquerie pour le genre humain qu'ils ont écrit de pareils contes.
XLI. L'hyacinthe diffère beaucoup de l'améthyste ; cependant elle en dérive pour la nuance. Ce qui fait la différence, c'est que l'éclat violacé, si vif dans l'améthyste, est atténué dans l'hyacinthe. Agréable au premier coup d'oeil, il s'évanouit avant de satisfaire ; bien loin de rassasier les yeux, il les atteint à peine, et il pâlit plus rapidement que la fleur de même nom.
XLII. L'Ethiopie qui produit les hyacinthes, produit aussi les chrysolithes, transparentes et à éclat doré ; mais on préfère celles de l'Inde, et, pourvu qu'elles ne soient pas de diverses nuances, celles de Tibara. Les plus mauvaises sont celles d'Arabie, car elles sont troubles, marbrées ; l'éclat en est interrompu par des taches nuageuses, et même celles qui se trouvent être limpides semblent remplies de leur propre limaille. Les meilleures sont celles qui, mises auprès de l'or, lui donnent une teinte blanchâtre et une certaine nuance d'argent. On enchâsse les belles dans des chatons à jour ; quant aux autres, on met une feuille de laiton par-dessous. Toutefois ces pierres ont cessé d'être employées comme pierreries.
XLIII. On donne le nom de chrysélectre à une certaine pierre tirant sur la couleur de l'électrum, mais qui n'est agréable que le matin (XXXVII, 76, 1). On reconnaît les chryselectres du Pont à leur légèreté. Quelques-unes sont dures et rousses, d'autres tendres et sales. Bocchus assure qu'on en a trouvé en Espagne aussi, dans le lieu où il dit qu'on a rencontré du cristal fossile (XXXVII, 9), en creusant des puits jusqu'au niveau de l'eau. Il ajoute avoir vu une chrysolithe du poids de douze livres.
XLIV. [1] Il existe des leucochryses ; une veine blanche les traverse. Il y a la variété capnias, la variété semblable au verre et ayant un reflet de safran. On les imite avec le verre, au point que l'oeil ne peut les distinguer ; mais le toucher découvre la fraude : les fausses ne sont pas aussi froides que les vraies.
XLV. Au même genre appartiennent les mélichryses, ainsi nommées parce qu'il semble qu'un miel pur passe à travers un or diaphane. Elles viennent de l'Inde. Quoique dures, elles sont fragiles, et non sans mérite. L'Inde aussi produit le xuthos, qui n'y est recherché que par le peuple.
XLVI. A la tête des pierres blanches est le paedéros ; toutefois on peut demander à quelle couleur il appartient. Le nom (XXXVII, 22 et 40), en a été tant de fois donné à de belles pierreries, qu'il est devenu, par privilège, synonyme de beauté. Il y a toutefois une sorte de paedéros qui mérite spécialement un si beau nom ; car il réunit la transparence du cristal, le vert particulier de l'air, et en même temps la pourpre et un certain reflet de vin doré, reflet qui se montre à l'oeil toujours le dernier, mais toujours entouré d'une couronne de pourpre. Ce paedéros paraît pénétré et de chacune de ces nuances isolément, et de toutes à la fois. Nulle pierre n'a une plus belle eau ; nulle ne captive plus agréablement et plus doucement les yeux. Le paedéros le plus recherché vient de l'Inde, où on rappelle sagénon ; au second rang est celui d'Egypte, qui se nomme syénite ; au troisième rang est celui d'Arabie, mais il est raboteux. Celui du Pont et celui de l'Asie ont le rayonnement plus tendre ; la substance même est plus tendre dans ceux de la Galatie, de la Thrace et de Chypre. Les défauts pour les paedéros sont d'avoir peu de vivacité, ou d'être troublés par des couleurs étrangères, et de plus les défauts commun à toutes les pierres (XXXVII, 18).
XLVII. Le second rang des pierres blanches est à l'astérie, ce qu'elle doit à une propriété naturelle : elle tient renfermée en elle-même une certaine lumière, comme dans une prunelle. Cette lumière pour ainsi dire mobile à l'intérieur, elle la transmet suivant les degrés d'inclinaison, tantôt par un point, tantôt par un autre. Opposée au soleil, elle darde des rayons blancs, à la façon d'une étoile ; de la le nom qu'on lui a donné. Elle est difficile à graver. On préfère celle de la Carmanie à celle de l'Inde.
XLVIII. La pierre nommée astrion est également blanche, ressemblant au cristal ; on la trouve dans l'Inde et sur les côtes de la Pallène. Au centre brille comme une étoile, dont la lumière ressemble à celle de la lune dans son plein. Quelques-uns attribuent le nom qu'elle porte à ce que mise à l'opposite des astres elle se saisit de leur lumière et la renvoie. Ces auteurs ajoutent que la plus belle est celle de la Germanie, et que celle-là est sans défaut ; qu'on nomme céraunie une variété inférieure, et que la moins estimée ressemble à la lumière d'une lampe.
XLIX. On vante encore l'astroïtès ; et ceux qui s'occupent des arts magiques assurent que Zoroastre en a célébré les vertus merveilleuses dans la magie.
L. Sudinès dit que l'astrobale ressemble à des yeux de poisson, et qu'au soleil il a un rayonnement blanc.
LI. Au nombre des pierres blanches est encore la pierre nommée céraunie, qui absorbe la lumière des astres. Elle est cristalline, d'un reflet bleu, et se trouve en Carmanie. Zénothémis avoue qu'elle est blanche ; mais il dit qu'elle a à l'intérieur une étoile qui va de côté et d'autre. Suivant lui, il y a des céraunies de peu d'éclat, dans lesquelles on fait naître cette étoile par une macération de quelques jours dans le nitre et le vinaigre, étoile qui s'éteint au bout d'autant de mois que la macération a duré de jours. Sotacus distingue deux autres variétés de céraunies, une noire et une rouge. Il dit qu'elles ressemblent à des haches ; que parmi ces pierres celles qui sont noires et rondes sont sacrées ; que par leur moyen on prend les villes et les flottes, et qu'on les nomme bétules ; mais qu'on nomme céraunies celles qui sont longues. On prétend qu'il y a encore une autre espèce de céraunie extrêmement rare, et recherchée par les mages pour leurs opérations, attendu qu'elle ne se trouve que dans un lieu frappé de la foudre.
LII. Dans ces auteurs, après la céraunie c'est la pierre nommée iris qui a le plus de renom. On la trouve fossile dans une certaine île de la mer Rouge, qui est à soixante mille pas de la ville de Bérénice. Elle est en partie cristal. Aussi quelques-uns ont-ils dit qu'elle était la racine du cristal. Ce n'est pas sans raison qu'on la nomme iris : frappée des rayons du soleil, dans un lieu couvert, elle projette sur la muraille voisine toutes les apparences, toutes les couleurs de l'arc-en-ciel, changeant continuellement de teintes, et excitant l'admiration par cette grande variété. Il est certain qu'elle est hexaèdre comme le cristal. Suivant quelques-uns, il s'en trouve qui ont les faces raboteuses et les angles inégaux, et qui, exposées au soleil, à découvert, dispersent les rayons qui tombent sur elles ; mais d'autres, projetant la lumière autour d'elles, éclairent les objets voisins. Au reste, l'iris ne renvoie les couleurs, comme nous avons dit (XXXVII, 25, 3), que quand elle est en un lieu couvert ; ce qui montre qu'elles ne sont pas dans cette pierre, mais qu'elles sont le produit de la réverbération des murailles. La plus belle est celle qui donne les arcs les plus grands, et les plus semblables à l'arc-en-ciel. Il est encore une autre iris tout à fait semblable du reste, sinon qu'elle est très dure. Horus dit que calcinée et pilée celle-ci guérit la morsure de l'ichneumon, et qu'elle vient de la Perse.
LIII. La pierre nommée léros a un aspect semblable, mais ne produit pas les mêmes effets ; c'est une espèce de cristal, qui a en travers une tache blanche et noire.
LIV. Ayant traité des pierreries principales suivant l'ordre des couleurs, nous allons parler des autres suivant l'ordre alphabétique.
(X.) L'agathe était très estimée ; aujourd'hui on n'en fait aucun cas. On la trouva d'abord en Sicile, auprès d'un fleuve qui porte le même nom ; depuis, on l'a rencontrée en plusieurs localités. Elle l'emporte en grosseur sur les autres et offre un grand nombre de variétés, d'après lesquelles varient les surnoms ; on distingue : la jaspagatbe, la céragathe, la sardagathe, l'haemagathe, la lecagatbe, la dendragathe, qui est comme décorée d'arbustes ; l'autagathe qui calcinée répand une odeur de myrrhe ; la coralloagathe, parsemée, comme le saphir, de gouttes d'or, très commune en Crète, où on la nomme sacrée ; on la regarde comme bonne contre les blessures faites par les araignées et les scorpions. Je ne répugne pas à attribuer une telle propriété aux agathes de Sicile ; car dès qu'on commence à respirer l'air de cette île le venin des scorpions se trouve neutralisé. Les agathes qu'on rencontre dans l'Inde ont la même vertu, et bien d'autres qui sont merveilleuses. Elles offrent les images de fleuves, de bois, de bêtes de somme, de chariots, de harnois et d'ornements pour les chevaux. Les médecins en font des molettes. La vue seule en est bonne pour les yeux ; tenues dans la bouche, elles calment la soif. Les agathes de Phrygie n'ont point de vert. Celles qu'on trouve à Thèbes, en Egypte, n'ont point de veines rouges et blanches. Celles-ci aussi sont efficaces contre les scorpions. La même vertu appartient à celles de Chypre. Il y a des gens qui recherchent surtout la transparence du verre dans ces pierres. On en trouve encore dans la Trachinie, autour du mont Oeta, sur le Parnasse, à Lesbos, à Messène (celles-ci sont semblables aux fleurs qui bordent les chemins), et à Rhodes. Les mages font d'autres distinctions : celles qui offrent l'apparence de la peau du lion ont, disent-ils, de l'efficacité contre les scorpions ; en Perse, avec des fumigations de ces agathes, on détourne les tempêtes, les ouragans, et on arrête le cours des fleuves ; on reconnaît si elles ont cette vertu, lorsque, jetées dans les chaudières bouillantes, elles les refroidissent ; mais pour qu'elles servent, il faut les attacher avec des poils de crinière de lion. Quant à celle qui ressemble à la peau de l'hyène, les mages l'ont en abomination, comme répandant la discorde dans les maisons. Suivant eux, l'agathe d'une seule couleur rend les athlètes invincibles : on la reconnaît à ce que jetée dans une chaudière pleine d'huile avec des substances colorantes, elle donne au bout de deux heures de cuisson la couleur uniforme du minium au mélange.
L'acopos ressemble au nitre ; elle est poreuse, et marquée de points d'or : l'huile qu'on a fait bouillir avec, employée en onction, dissipe la lassitude, si nous en croyons ce qu'on dit.
L'alabastritis (XXXV, 12) vient d'Alabastrum en Egypte, et de Damas en Syrie ; elle est d'une teinte blanche, qu'entrecoupent différentes couleurs ; calcinée avec du sel fossile et pulvérisée, elle passe pour guérir les maux de la bouche et des dents.
On nomme alectorie une pierre trouvée dans le gésier des gallinacés. Elle a l'apparence du cristal, et est grosse comme une fève. On prétend que Milon de Crotone la portait sur lui dans les combats, ce qui le rendait invincible.
L'androdamas a l'éclat de l'argent, comme le diamant (XXXVII, 15) ; il est quadrangulaire, et toujours semblable à des pièces de marqueterie. Selon les mages, il est ainsi nommé parce qu'il dompte la colère et la violence du hommes.
Les auteurs ne disent pas si l'argyrodamas est la même pierre ou non.
L'antipathès noire, n'est pas transparente. On éprouve cette pierre en la faisant bouillir dans du lait : elle le rend couleur de myrrhe. Peut-être quelqu'un s'est-il attendu à trouver quelque vertu incroyable dans cette pierre, vu que, au milieu de tant de substances douées de propriétés antipathiques, elle est la seule qui ait la possession du nom. Les mages prétendent qu'elle est secourable contre les fascinations.
L'arabique est très semblable à l'ivoire, et on s'y tromperait, n'était la dureté qui lui est propre. On pense que ceux qui en portent se guérissent des douleurs nerveuses.
L'aromatitis aussi est produite, dit-on, par l'Arabie ; cependant on en trouve en Egypte, à Philé. Elle est partout pierreuse ; elle a la couleur et l'odeur de la myrrhe, ce qui la fait rechercher par les reines.
L'asbeste (XIX, 4) vient dans les montagnes de l'Arcadie ; il est de couleur de fer.
Suivant Démocrite, l'Arabie produit l'aspilate, de couleur de feu ; les individus malades de la rate doivent la porter attachée avec des poils de chameau ; elle se trouve dans le nid de certains oiseaux d'Arabie. Il ajoute qu'on rencontre dans le même pays, à Leucopetra, une autre aspilate, de couleur d'argent, rayonnante, qui en amulette est bonne contre les dérangements d'esprit.
Il rapporte que l'Inde et, dans la Perse, le mont Acidane produisent l'atizoé, d'un éclat argenté, de la longueur de trois doigts, de la forme d'une lentille, d'une odeur agréable, et nécessaire aux mages quand ils consacrent un roi.
L'augitès paraît à beaucoup d'auteurs n'être pas différente de la callaïs.
L'amphitane, autrement appelé chrysocolle, se trouve dans cette partie de l'Inde où les fourmis déterrent l'or. Elle ressemble à de l'or, et est quadrangulaire. On assure qu'elle a la propriété de l'aimant ; mais de plus on lui attribue le pouvoir d'attirer l'or.
L'aphrodisiace est d'un blanc tirant sur le roux.
L'apsyctos, échauffée par le feu, reste chaude pendant sept jours ; elle est noire, pesante, et coupée de veines rouges ; on la croit bonne contre les froids.
D'après Iacchus, l'égyptilla est une pierre blanche, coupée d'une ligne rouge et d'une ligne noire ; l'égyptilla du vulgaire est une pierre dont la partie inférieure est noire, et dont la supérieure est bleue. Le nom qu'elle porte vient du lieu qui la produit.
LV. Les balanites sont de deux sortes, l'une verdâtre, l'autre semblable à l'airain de Corinthe ; la première vient de Coptos, la seconde de la Troglodytique. Toutes deux sont coupées au milieu par une veine de feu.
Coptos envoie aussi les batrachites, l'une de couleur de grenouille, l'au tre de couleur d'ébène, une autre d'un noir tirant sur le rouge.
Le baptès est tendre, et d'une odeur excellente.
L'oeil de Bélus est blanchâtre, et a comme une prunelle noire qui brille au milieu d'un reflet d'or. Cette pierre, à cause de sa beauté, est consacrée au dieu le plus révéré des Assyriens.
Quant au bélus lui-même, il se trouve à Arbelles, d'après Démocrite, de la grosseur d'une noix ; il ressemble à du verre.
Le baroptène ou barippe est noir, avec des marques blanches et couleur de sang ; porté en amulette, on le rejette comme produisant des monstruosités.
Le botryitès est tantôt noir, tantôt couleur de pampre, et semblable à un raisin qui se forme.
Zoroastre nomme bostrichitès une pierre qui ressemble à des cheveux de femme.
La bucardie, semblable à un coeur de boeuf, ne se trouve qu'à Babylone.
La brontée ressemble à une tête de tortue ; elle tombe, à ce qu'on pense, avec le tonnerre ; et s'il faut croire ce qu'on en dit, elle éteint les objets enflammés par la foudre.
La bolos se trouve dans l'Ibère (III, 4, 4) ; elle ressemble à une motte de terre.
LVI. La cadmitis ne diffère de l'ostracitis (XXXVII, 65) que par les bulles bleues dont parfois celle-ci est entourée.
La callaïs imite le saphir, mais elle est moins foncée, et tire sur la couleur de l'eau du bord de la mer (XXXVII, 33). La capnitis fait, selon quelques-uns, une espèce particulière ; selon la plupart, c'est un jaspe enfumé, comme nous l'avons dit en son lieu (XXXVII, 37).
La cappadocienne se trouve en Phrygie aussi, et ressemble à l'ivoire.
On nomme callaïnes des pierres qui tirent sur la couleur de la callaïs, mais qui sont troubles. On en trouve toujours, dit-on, plusieurs attachées ensemble.
La catochitis est une pierre de Corse, plus grosse que les autres, et merveilleuse, si on dit la vérité : elle retient comme de la gomme la main qui s'y applique.
La catoptritis se trouve en Cappadoce ; blanche, on s'y voit comme dans un miroir.
La cépitis ou cépolatitis est blanche, avec des veines qui viennent s'entrelacer en un seul noeud.
La céramitis a la couleur de la poterie.
La cinaedie se trouve dans le cerveau d'un poisson du même nom (XXXII, 53). Elle est blanche, oblongue et douée d'une vertu merveilleuse, si toutefois la chose est vraie : elle annonce à l'avance l'état de la mer par sa teinte nuageuse ou pure.
La céritis est de couleur de cire ;
le circos, de la couleur de l'épervier ;
la corsoïdès ressemble à des cheveux blancs ;
la coralloagathe (XXXVII, 54), à du corail parsemé de gouttes d'or ;
la corallis, qui ressemble à du minium, se trouve dans l'Inde et à Syène.
La cratéritis a une couleur intermédiaire entre la chrysolithe et l'électrum : elle est excessivement dure.
La crocallis représente une cerise.
La cyitis se trouve aux environs de Coptos, est blanche, et semble avoir au dedans une pierre dont on entend le bruit.
La chalcophone est noire ; frappée, elle résonne comme l'airain ; et on conseille aux tragédiens de la porter sur eux.
Les chélidoines sont de deux sortes, toutes deux avec la couleur de l'hirondelle d'un côté ; les unes sont purpurines de l'autre côté, et les autres ont cette partie purpurine semée de taches noires.
La chélonie est l'oeil de la tortue indienne, de toutes les pierres la plus prodigieuse, selon les impostures des mages : ils promettent que si, après s'être lavé la bouche avec du miel, on la met sur la langue, on aura la science de l'avenir pendant un jour tout entier, à la pleine ou à la nouvelle lune ; avant le lever du soleil, pendant le décours ; de six heures à midi, les autres jours.
Il y a aussi les chélonitis, qui ressemblent à des tortues, et desquelles ils promettent beaucoup pour calmer les orages : quant à celle qui est parsemée de gouttes d'or, jetée avec un scarabée dans l'eau, elle excite une tempête.
La chloritis est de couleur herbacée : suivant les mages, elle se trouve dans le gésier de la bergeronnette, et elle s'engendre avec cet oiseau ; ils recommandent de l'enchâsser dans du fer, ppur certaines merveilles qu'ils promettent, suivant leur coutume.
La choaspitis, ainsi nommée du fleuve Choaspès (VI, 31), est verte avec un reflet doré.
La chrysolampis, produit de l'Ethiopie, est pâle le jour, et couleur de feu la nuit.
La chrysopis paraît être de l'or.
La céponidès se trouve à Atarné de l'Eolide, aujourd'hui un bourg, autrefois une ville. Elle offre diverses couleurs, est transparente, et ressemble tantôt à du verre, tantôt à du cristal, tantôt à du jaspe ; celles même qui sont ternes sont tellement luisantes, qu'on s'y voit comme dans un miroir.
LVII. La daphnie est indiquée par Zoroastre contre l'épilepsie.
La diadochos ressemble au béril.
La diphyès est double, blanche et noire, mâle et femelle, une simple ligne séparant les caractères des deux sexes.
La dionysias est noire et dure, avec des taches rouges. Elle donne le goût du vin à l'eau dans laquelle on la pile, et elle passe pour empêcher l'ivresse.
La draconitès ou dracontie provient du cerveau des dragons ; mais elle n'est fine qu'autant qu'on coupe le cerveau sur l'animal vivant, attendu que l'animal, se sentant mourir, la gâte par envie ; en conséquence, on coupe la tête au dragon pendant son sommeil. Sotacus, qui a écrit avoir vu cette pierre chez un roi, raconte que ceux qui en cherchent sont sur un char à deux chevaux ; qu'à la vue du dragon ils répandent des drogues assoupissantes, et coupent la tête de l'animal ainsi endormi. Suivant lui, cette pierre est blanche et diaphane ; elle ne se laisse ni polir ni graver.
LVIII. L'encardie se nomme aussi ariste. Il y an a trois sortes : la première, noire, où fait saillie l'effigie d'un coeur ; la seconde est verte, et offre l'apparence d'un coeur ; la troisième présente un coeur noir, et du reste est blanche.
L'énorchis est blanche ; fendue, les fragments offrent l'image des testicules.
Suivant Zoroastre, l'exébène est belle et blanche ; les orfèvres s'en servent pour brunir l'or.
L'éristalis, qui est blanche, offre des teintes rouges quand on l'incline.
L'érotylos, nommée aussi amphicome et hieromnémon, est vantée par Démocrite pour l'art de la divination.
L'eumécès, produit de la Bactriane, ressemble au silex ; mise sous le chevet, elle donne des visions nocturnes qui ont le caractère d'oracles.
L'eumithrès est nommée par les Assyriens pierre de Bélus, le plus saint de leurs dieux ; elle est de couleur porracée, et recherchée pour les superstitions.
L'eupétalos offre quatre couleurs, le bleu, le rouge de feu, le minium et le vert pomme.
L'euréos ressemble à un noyau d'olive ; elle est striée à la façon des coquillages, et n'est pas fort blanche.
L'eurotias semble cacher sa couleur noire sous une sorte de moisissure.
L'ensébès est la pierre qui servit, dit-on, à faire dans le temple d'Hercule, à Tyr, un siège duquel les hommes pieux seuls se levaient facilement.
L'épimélas est une pierre blanche, avec des reflets noirâtres à la surface.
LIX. La galaxias, nommée par quelques-uns galactitès, ressemble aux pierre qui viennent d'être nommées ; seulement elle est coupée de veines couleur de sang ou blanches.
La galactitis n'a qu'une seule couleur celle du lait. On la nomme encore leucogée, leucographitis, synnephitis ; broyée dans l'eau, elle prend d'une façon remarquable l'aspect et le goût du lait ; on dit qu'elle donne beaucoup de lait aux nourrices ; qu'attachée au cou des enfants elle produit chez eux beaucoup de salive, et que mise dans la bouche elle se fond. On dit encore qu'elle ôte la mémoire ; le Nil et l'Achélous la fournissent.
Quelques-uns appellent galactitès l'émeraude environnée de veines blanches.
La gallaïque ressemble à l'argyrodamas ; elle est un peu plus sale ; on trouve les gallaïques deux à deux ou trois à trois.
La gasidane vient de la Médie ; elle est de couleur d'orobe, et comme parsemée de fleurs ; on en trouve également à Arbelles ; on dit que cette pierre aussi conçoit (XXXVI, 39 ; XXXVII, 56), et qu'en la secouant on lui arrache l'aveu de cette conception, qui dure trois mois.
La glossopètre, semblable à la langue de l'homme, ne s'engendre point, dit-on, dans la terre, mais tombe du ciel pendant les éclipses de lune ; elle est nécessaire à la sélénomantie ; mais nous avons été rendus incrédules par la vanité d'une promesse comme celle-ci, à savoir que cette pierre fait cesser les vents.
La gorgonie n'est pas autre chose que le corail, qui a été nommé ainsi parce que, de mou qu'il est dans la mer, il prend à l'air la dureté de la pierre ; les mages affirment qu'elle combat les foudres et les typhons.
La goniée, d'après eux, nous venge de nos ennemis, promesse aussi mensongère que toutes les autres.
LX. L'héliotrope se trouve en Ethiopie, en Afrique, en Chypre ; il est de couleur porracée, et veiné de rouge. Il a été nommé ainsi parce que mis dans un vase d'eau il donne un reflet couleur de sang aux rayons du soleil qui y tombent. L'héliotrope d'Ethiopie surtout produit ce phénomène. Cette pierre hors de l'eau reçoit comme un miroir l'image du soleil, et lorsque cet astre s'éclipse montre la lune qui passe au-devant. Elle aussi offre un exemple le plus manifeste peut-être de l'impudence des mages : suivant eux, mise avec la plante héliotrope, et aidée de certaines incantations, elle rend invisible celui qui la porte.
L'héphestitis, quoique rayonnante, a aussi la propriété des miroirs pour réfléchir les images ; on la reconnaît quand mise dans de l'eau bouillante elle la refroidit aussitôt, ou quand exposée aux rayons du soleil elle allume le bois sec ; on la trouve à Corycus.
L'hermuaedoeon (parties génitales d'Hermès) est appelée ainsi à cause des parties génitales qu'elle présente sur un fond tantôt blanc, tantôt noir, tantôt pâle, avec un cercle couleur d'or.
L'hexécontalithe, d'une multitude de couleurs, quoique petite, a été pour cette raison ainsi nommée ; on la trouve dans la Troglodytique.
L'hiéracitis offre tout entière, alternativement, comme des plumes de milan et des plumes noires.
L'hammitis ressemble à du oeufs de poisson ; il y en a une variété qu'on dirait composée de nitre, et qui pourtant est très dure.
La corne d'Hammon est une des gemmes les plus révérées de l'Ethiopie ; de couleur d'or, représentant une corne de bélier, on assure qu'elle procure des rêves prophétiques.
L'hormésion est une des pierres les plus agréables à voir ; de couleur de feu, elle jette des rayons dorés, terminés à leurs extrémités par une lumière blanche.
Les hyénies viennent, dit-on, de l'oeil de l'hyène ; et c'est pour cela qu'on va à la chasse de cet animal ; placées sous la langue d'un homme, elles lui font, si nous voulons le croire, prédire l'avenir.
Les plus belles hématites (XXXVI, 25) viennent de l'Ethiopie ; mais on en trouve aussi en Arabie et en Afrique : cette pierre est de couleur de sang ; on prétend, n'oublions pas de le noter, qu'elle fait découvrir les embûches des barbares. Zachatias de Babylone, dans les livres qu'il dédie au roi Mithridate, attribuant aux pierres précieuses un rôle dans les destinées humaines, ne se contente pas de décorer celle-ci de pouvoir de guérir les maux des yeux et du foie, mais encore il la recommande pour le succès des demandes adressées aux princes ; il la fait intervenir dans les procès et les jugements, et prétend même qu'elle est salutaire à un blessé perdant son sang dans les batailles. II y a une autre hématite nommée menui par les Indiens et xanthos par les Grecs ; elle est d'un jaune tirant sur le blanc.
LXI. Les dactyles de l'Ida, en Crète, ont la couleur du fer et la forme du pouce humain.
L'ictérias ressemble à la peau livide, et à cause de cela passe pour bonne contre l'ictère. Une autre ictérias est moins foncée ; une troisième ressemble à une feuille verte ; plus large que les précédentes, elle ne pèse presque rien, et a des veine livides. La quatrième est de la même couleur, mais les veines sont noires.
La pierre de Jupiter est blanche, fort légère et tendre ; on la nomme aussi drosolithe (pierre de rosée).
L'Indienne porte le nom de la contrée qui la produit ; elle est roussâtre ; quand on la frotte il en sort une sueur purpurine. Il y a une autre indienne qui est blanche, d'un aspect pulvérulent.
L'Ion, des Indes, est violet ; mais il est rare que cette nuance y brille sans rien laisser à désirer.
LXII. La lépidotis imite par ses diverses couleurs les écailles des poissons.
La lesbias, ainsi nommée de Lesbos qui la produit, se trouve aussi dans l'Inde.
La leucophthalme, rutilante d'ailleurs, a du blanc et du noir qui lui donnent l'apparence d'un oeil.
La leucopoecile est d'un blanc mêlé de gouttes de vermillon tirant sur l'or.
La libanochrus a l'apparence de l'encens ; mais elle rend une humeur comme du miel.
La limoniatis paraît être la même que l'émeraude.
Quant à la liparée, tout ce qu'on en dit, c'est que employée en fumigation elle fait venir toutes les bêtes sauvages.
La lysimaque ressemble au marbre de Rhodes, avec des veines d'or ; en la polissant on la réduit beaucoup de volume, pour en faire disparaître les défauts.
La leucochryse est une chrysolithe parsemée de blanc.
LXIII. Quant à la memnonie, ce qu'elle est, on ne le dit pas.
La médée est noire ; la découverte en est attribuée à la fabuleuse magicienne : elle a des veines de couleur d'or ; elle rend une humeur couleur de safran, et a le goût du vin.
La méconitès représente un pavot.
La mithrax vient de la Perse et des montagnes le long de la mer Rouge ; de diverses couleurs, elle offre, exposée au soleil, des reflets variés.
La morochthis, porracée, rend une humeur laiteuse.
Des morions, celui de l'Inde est très noir, transparent, et se nomme pramnion ; celui dans lequel se mêle la couleur du rubis vient d'Alexandrie, et de Chypre celui dans lequel se mêle la couleur de la sarde. Tyr et la Galatie en produisent aussi. Xénocrate rapporte qu'on en trouve au pied des Alpes. Toutes ses gemmes sont propres à la gravure ectype (XXXV, 43).
La myrrhitès a la couleur de la myrrhe, à peine l'apparence d'une gemme, et frottée l'odeur d'un parfum et même du nard.
La myrmécias, noire, a des éminences semblables à des verrues.
La myrsinitès a la couleur du miel, l'odeur du myrte.
Une pierre est dite mésoleucos quand une ligne blanche la traverse par le milieu, et mésomélas quand c'est une ligne noire, quelle que soit la couleur de la gemme.
LXIV. La nasamonitis est couleur de sang, avec des veines noires.
La nébritis, consacrée à Bacchus, a été ainsi appelée de sa ressemblance avec les nébrides (peaux de cerfs) portées par le dieu. Il y a d'autres nébritis qui sont noires.
La nympharène porte le nom d'une ville et d'un peuple de la Perse ; elle ressemble aux dents de l'hippopotame.
LXV. L'olca, dont le nom est barbare, plaît par ses nuances noires, rousses, vertes et blanches.
L'ombrie, appelée par quelques-uns notie, tombe, dit-on, avec les pluies et les foudres, comme la céraunie et la brontée ; on lui attribue le même effet qu'à la brontée (XXXVII, 55) ; on ajoute que mise sur les autels elle empêche les offrandes de brûler.
L'onocardie est semblable au coccus (écarlate) ; on n'en dit rien de plus.
L'oritis, de forme globuleuse, appelée aussi par quelques-uns sidéritis, est inaltérable au feu.
L'ostracias ou ostracitis ressemble à un têt ; une variété, plus dure, ressemble à l'agathe, si ce n'est que l'agathe par le polissage prend un aspect gras : cette variété est d'une si grande dureté, qu'on grave les autres gemmes avec ses fragments.
L'ostritis a le nom et l'apparence de l'huître.
L'ophicardèle, nom donné par les barbares, est noire et terminée par deux lignes blanches.
Nous avons parlé de l'obsidienne dans le livre précédent (XXXVI, 67). On trouve des gemmes de même nom et de même couleur, non seulement dans l'Ethiopie et l'Inde, mais encore dans le Samnium, s'il faut en croire certains auteurs, et sur les bords de l'océan Espagnol.
LXVI. Le panchrus est composé de presque toutes les couleurs.
Le pangonius n'a pas plus d'un doigt de long : ce qui empêche de le prendre pour un cristal, c'est qu'il a un plus grand nombre d'angles.
Métrodore ne dit point ce qu'est le panéros ; mais il rapporte des vers de la reine Timaris sur cette pierre, vers dédiés à Vénus, qui ne manquent pas d'élégance, et d'où l'on peut conclure que l'on attribuait à cette pierre une vertu fécondante : quelques-uns la nomment pansébaste.
Les pontiques sont de plusieurs sortes : une, étoilée et offrant des gouttes tantôt sanglantes, tantôt dorées, est rangée parmi les pierres sacrées ; une autre, au lieu d'étoiles, a des lignes de même couleur ; une autre offre des images de montagnes et des vallées.
La phlogine, nommée aussi chrysitis, ressemble à l'ocre d'Attique, et se trouve en Egypte.
La phoenicitis est dite ainsi à cause de sa ressemblance avec une datte ;
la phycitis, à cause de sa ressemblance avec une algue.
On nomme périleucos une pierre où le blanc descend de la circonférence au centre.
Les paeanitides, nommées par quelques-uns gaeanides, conçoivent, dit-on, et produisent, et sont bonnes pour les femmes qui accouchent ; elles naissent en Macédoine, près du monument de Tirésias ; elles ressemblent à de l'eau congelée.
LXVII. La gemme du soleil est blanche, et, comme cet astre, elle projette circulairement des rayons éclatants.
Les Chaldéens trouvent la sagde attachée aux navires ; elle est de couleur de poireau.
L'île de Samothrace donne son nom à une pierre qu'elle produit, noire, légère, et semblable à du bois.
La sauritis se trouve, dit-on, dans le ventre d'un lézard vert, fendu avec un roseau.
La sarcitis représente de la chair de boeuf.
La selénitis est blanche, diaphane, avec un reflet couleur de miel ; elle renferme une image de la lune, image tour à tour dans le cours et le décours, suivant les phases ; on la trouve en Arabie.
La sidéritis ressemble au fer ; elle entre tient la discorde entre les plaideurs.
La sidérapoecilè, que produit l'Ethiopie, en est une variété caractérisée par des gouttes de diverses couleurs.
La spongitis a le nom et l'apparence d'une éponge.
La synodontitis vient du cerveau du poisson nommé synodonte.
La syrtitis vient de la côte des Syrtes ; mais maintenant on en trouve aussi sur celle de la Lucanie : elle est de couleur de miel, avec un reflet safrané ; à l'intérieur elle contient des étoiles d'un faible éclat.
La syringitis, semblable à l'entre-noeud d'un tuyau de blé, est creuse d'un bout à l'autre.
LXVIII. Le trichus vient d'Afrique ; il est noir, mais rend trois humeurs : à la racine, une couleur noire ; au milieu, du sang ; au sommet, de l'ocre.
La télirrhize est de couleur cendrée ou rousse, avec un fond blanc.
La télicardie a la couleur du coeur ; les Perses, dont le pays la produit, en font leurs délices ; ils la nomment muchula.
La thracie est de trois sortes : une verte, une autre plus pâle, une troisième à gouttes de sang.
La téphritis a l'apparence du croissant de la lune nouvelle, mais elle est de couleur cendrée.
La técolithe ressemble à un noyau d'olive ; elle n'est pas estimée comme gemme, mais elle brise et expulse les calculs quand on s'en frotte.
LXIX. Le cheveu de Vénus est une pierre très noire et luisante ; on y voit comme un cheveu roux.
La vélentane est une pierre italienne trouvée à Veies ; elle est noire, mais bordée d'une ligne blanche.
LXX. La zanthène, d'après Démocrite, se trouve dans la Médie ; elle a la couleur de l'électrum ; pilée dans du vin de palmier avec du safran, elle se ramollit comme de la cire, et exhale une odeur très suave.
La zmilampis se trouve dans l'Euphrate ; elle ressemble au marbre de Proconnèse ; le milieu en est vert de mer.
La zoranisceos se trouve dans le fleuve Indus ; c'est, dit-on, la pierre des mages : voilà tout ce qu'on en rapporte.
LXXI. (XI.) Outre le classement par ordre alphabétique, il en est encore un autre que je vais exposer, et qui est tiré de rapports variés. Ainsi les parties du corps donnent les noms suivants : le foie, à l'hépatitis ; les graisses nombreuse des divers animaux, à la stéatitis. On connaît le rein d'Adad, l'oeil d'Adad, le doigt d'Adad : c'est un dieu adoré des Syriens. Le triophthalme se trouve avec l'onyx ; il présente en même temps trois yeux d'homme.
LXXII. D'autres pierreries tirent leur nom des animaux : la carcinias, de la couleur de l'écrevisse de mer ; l'échitis, de la couleur de la vipère ; le scorpitis, de la couleur ou de l'aspect du scorpion ; la scaritis, du scare ; la triglitis, du mulet (poison) ; l'aegophthalme, qui ressemble à un oeil de chèvre ; une autre, à un oeil de cochon. La géranitis rappelle le cou de la grue ; l'hiéracitis, celui de l'épervier ; l'aétitis est de la couleur de l'aigle à queue blanche ; la myrmécitis offre à son intérieur l'image d'une fourmi rampante ; la cantharias, d'un scarabée. La lycophthalme est de quatre couleurs : le roux, le sanglant ; au milieu, le noir entouré d'un cercle blanc ; c'est comme l'oeil des loups, auquel elle ressemble complètement. Le taos est semblable au paon ; et celle que je trouve être appelée chélidoine, à l'aspic.
LXXIII. L'hammochryse offre une ressemblance avec du sable, mais du sable mêlé de grains d'or. La cenchritis ressemble à des grains de millet répandus çà et là. La dryitis tire son nom des troncs d'arbre ; elle brûle comme du bois. La cissitis, dans un fond blanc diaphane, a des feuilles de lierre qui l'occupent entièrement. La narcissitis a des marbrures, et l'odeur du narcisse. La cyamée est noire ; cassée, elle produit quelque chose de semblable à une fève. La pyren a été ainsi nommée du noyau de l'olive ; elle paraît parfois contenir comme des arêtes de poisson. La phaenicitis est dénommée d'après la datte. La chalazias a la blancheur et la forme des grains de grêle, et la dureté du diamant ; on raconte que, mise dans le feu, elle garde sa température froide. La pyritis est noire, il est vrai : mais si on la frotte avec le doigt elle le brûle. La polyzone est noire, et traversée par plusieurs zones blanche. Dans l'astrapie, sur un fond noir ou bleu, courent au milieu comme les rayons de la foudre. Dans la phiogitis, il semble qu'à l'intérieur brûle sans sortir une espèce de flamme. Dans l'anthracitis, des étincelles paraissent quelquefois voler çà et là. L'enhydros est toujours parfaitement ronde, blanche et lisse ; mais quand on la remue on y sent a l'intérieur le flot d'un liquide, comme dans les oeufs. La polytrique est verte et chevelue ; mais elle fait, dit-on, tomber les cheveux. La léontie et la pardalie ont été ainsi nommées de la peau du lion et de celle de la panthère. On a dénommé la drosolithe d'après la rosée, la chrysolithe d'après sa couleur dorée ; la chrysoprase, d'après sa couleur herbacée ; la mélichros, d'après sa couleur de miel (mais de cette dernière il y a plusieurs espèces) ; la mélichlore, d'après ses deux nuances, l'une jaune, l'autre couleur de miel ; la crocias, d'après un certain reflet safrané ; la polias, d'après sa ressemblance avec une chevelure blanche ; la spartopalias, avec une chevelure blanche éclaircie ; la rhoditis, d'après la rose ; la melitis, d'après sa couleur pomme ; la chalcitis, d'après sa couleur de cuivre ; la sycitis, d'après sa couleur de figue. Mais il n'y a pas de raison au nom de la borsycitis, qui sur un fond noir offre comme des branches et des feuilles blanches ou couleur de sang ; non plus que dans la gémite, où l'on voit comme deux mains blanches entrelacées, dans la pierre. On dit dans l'hydromancie que l'anancitis évoque les images des dieux, et que la synochitis retient les ombres des spectres infernaux qui ont été évoquées ; que la dendritis blanche enfouie sous un arbre qu'on veut couper empêche le tranchant de la hache de s'émousser. Il y en a bien d'autres, encore plus merveilleuses, auxquelles les barbares ont donné des noms, tout en confessant que ce sont de simples pierres ; mais nous avons déjà réfuté assez d'horribles mensonges.
LXXIV. (XII.) Des pierreries naissent : il s'en forme tout à coup de nouvelles qui n'ont point de nom, comme jadis une qu'on trouva dans les mines d'or de Lampsaque : elle parut si belle, qu'on l'envoya au roi Alexandre, comme le rapporte Théophraste (De lapid.). Les cochlides même, aujourd'hui si communes, sont plutôt artificielles que naturelles : elles proviennent de grosses mottes qui se trouvent en Arabie, et qui dit-on, cuisent dans du miel sept jours et sept nuits sans interruption ; de la sorte toute la partie terreuse et mauvaise étant ôtée, la motte nettoyée et pure est semée, par d'ingénieux artistes de veinures variées et de taches diversement configurées, selon le goût des acheteurs. Jadis on en faisait de si grosses, qu'en Orient elles servaient de frontaux aux chevaux des rois, et de pendants en place de phalères (XXXII, 6, 2). Au reste, toutes les pierreries deviennent plus brillantes en cuisant avec du miel, et surtout du miel de Corse, quoique généralement elles redoutent les substances âcres. Quant aux pierres dont on varie les nuances, et qui doivent à l'imagination humaine de prendre un aspect nouveau, elles se désignent quand elles n'ont pas de nom généralement admis par celui de physes (phusis, nature), comme si on voulait y attacher l'admiration qui appartient aux oeuvres de la nature. Au reste, ce serait chose interminable que de rapporter tous les noms. Aussi je ne songe pas à les énumérer, d'autant plus que des milliers de ces noms sont dus à la vanité grecque. J'ai décrit les plus nobles des pierreries ; j'ai signalé même, parmi les pierres peu estimées, les espèces rares ; il a suffi d'indiquer celles qui méritent une mention. Toutefois il sera bon d'avertir le lecteur que, suivant le nombre varié des taches et des inégalités, suivant les différents auteurs et les différentes nuances des veinures, les noms ont souvent changé pour une substance qui restait la même la plupart du temps.
LXXV. Nous ferons maintenant quelques observations générales sur toutes les pierreries, nous appuyant sur les opinion des auteurs. On préfère les pierres unies à celles qui ont des creux ou des reliefs ; on estime le plus la forme ovale, puis la forme lenticulaire, en troisième lieu celles qui sont plates ou rondes ; les anguleuses sont les moins recherchées. Il est fort difficile de discerner les vraies des fausses, car on a trouvé le moyen de transformer des pierreries vraies en fausses d'une autre espèce. On fait des sardoines avec trois sortes de pierres qu'on agglutine, et cela de telle façon que la fraude ne peut se découvrir ; le noir, le blanc, le vermillon (XXXVII, 23) qu'on accole, sont pris tous dans des pierres d'élite. Il y a même des livres, qu'à la vérité je ne veux pas indiquer, dans lesquels est expliquée la manière de donner au cristal la couleur de l'émeraude ou d'autres pierres transparentes, de faire une sardoine avec une sarde, et ainsi des autres : il n'y a point, en effet, de fraude où l'on gagne plus.
LXXVI. (XIII.) Nous, au contraire, car il convient de prémunir le luxe même contre les tromperies, nous indiquerons des moyens généraux de reconnaître les pierres fausses, outre ceux dont nous avons déjà parlé separément à propos de chaque espèce principale de pierreries. On prétend que les pierres transparentes doivent s'éprouver le matin, et tout au plus jusqu'à la quatrième heure (dix heures) ; au delà de ce terme, l'épreuve ne vaut plus rien. Les épreuves se font de plusieurs manières. D'abord on pèse la pierre ; les vraies sont plus pesantes. On apprécie le froid : les vraies sont senties plus froides dans la bouche. Puis on en examine la substance même ; car au dedans des pierres fausses on voit des vésicules ; de plus, surface raboteuse, filaments (XXXVII, 18 et 20), reflet inégal, éclat qui s'éteint avant d'arriver jusqu'à l'oeil. La meilleure façon d'éprouver une pierrerie, c'est d'en détacher un fragment et de le broyer sous une lame de fer ; mais les marchands de pierreries ne veulent pas permettre cette épreuve, non plus que celle de la lime. La limaille de la pierre obsidienne (XXXVI, 67) ne mord pas sur les pierres fines. Les fausses ne supportent pas la gravure qui se fait avec les pierres blanches. Au reste, il y a de si grandes différences de dureté, que les unes ne peuvent être gravées avec le fer, et que les autres ne permettent l'emploi que d'un instrument émoussé ; mais toutes sont entamées par le diamant. On facilite beaucoup l'opération en chauffant le foret. Les rivières qui roulent des pierreries sont l'Acésinès et le Gange. Quant aux contrées, aucune n'en produit autant que l'Inde.
LXXVII. A ce terme, ayant traité de toutes les oeuvres de la nature, il convient d'établir quelque comparaison tant entre les choses qu'entre les pays : or, dans le monde entier et sous la vaste étendue de la voûte céleste, il n'est pas de contrée plus belle, et qui pour toute chose mérite mieux le premier rang dans la nature, que l'Italie, reine et seconde mère du monde ; l'Italie, que recommandent ses hommes, ses femmes, ses généraux, ses soldats, ses esclaves, sa supériorité dans les arts, et les génies éclatants qu'elle a produits. Ajoutons sa situation, la salubrité et la douceur de son climat, l'accès facile qu'elle offre à toutes les nations, ses côtes si riches en ports, les vents salutaires qui y soufflent ; avantages dus à une situation qui, intermédiaire entre le levant et le couchant, l'allonge dans le sens le plus favorable. Ajoutons encore l'abondance de ses eaux, la fraîcheur de ses forêts, ses montagnes entrecoupées, l'innocuité de ses animaux sauvages, la fertilité de son sol, la richesse de ses pâturages. Les objets de première nécessité ne se trouvent meilleurs en aucun pays : céréales, vins, huiles, toisons, lin, étoffes, taureaux. Quant aux chevaux, je remarque que pour les courses on n'en préfère aucuns à ceux de l'Italie. Pour les mines d'or, d'argent, de cuivre, de fer, tant qu'il fut permis de les exploiter, elle ne le céda à aucun pays. Maintenant, demeurant grosse de ces métaux, elle prodigue, pour tous trésors, des liqueurs variées, des céréales et des fruits délicieux. Immédiatement après l'Italie, si on excepte les régions fabuleuses de l'Inde, je suis disposé à placer l'Espagne, pour tout son littoral du moins ; elle est, il est vrai, stérile en partie ; mais la où elle est productive elle donne en abondance les céréales, l'huile, le vin, les chevaux, les métaux de tout genre. Pour tout cela la Gaule lui est égale ; mais l'Espagne l'emporte par le spart (XIX, 7), produit de ses déserts ; par la pierre spéculaire, par des couleurs, objet de luxe ; par l'ardeur au travail, par ses esclaves robustes, par la force infatigable des hommes, par leur caractère résolu. Quant aux choses elles-mêmes, on attache le plus grand prix, parmi les productions marines, aux perles ; parmi les objets qui se trouvent à la surface de la terre, au cristal ; parmi ceux de l'intérieur de la terre, au diamant, aux émeraudes, aux pierreries, aux murrhins ; parmi les choses que la terre enfante, à l'écarlate, au laser ; parmi celles que le feuillage fournit, au nard, aux étoffes de la Sérique ; en fait d'arbres, au citre ; en fait d'arbrisseaux, au cinname, à la cannelle, à l'amome ; en fait de sucs d'arbres ou d'arbrisseaux, au succin, à l'opobalsamum, à la myrrhe, à l'encens ; en fait de racines, au costus. Parmi les êtres qui respirent, le plus grand prix appartient, chez les animaux terrestres, aux dents d'éléphant ; chez les animaux marins, à l'écaille de tortue ; en fait de fourrures, aux peaux que teignent les Sères, et au poil des chèvres d'Arabie, que nous avons appelé ladanum ; en fait de choses appartenant à la fois à la terre et à la mer, aux coquilles qui donnent la pourpre. Quant aux oiseaux, excepté les cimiers des casques et la graisse des oies de Commagène, on ne note rien de remarquable qu'ils fournissent. N'oublions pas de consigner que l'or, objet de la folle convoitises de tous les hommes, tient à peine le dixième rang parmi les objets précieux, et que l'argent, avec lequel l'or s'acheta, n'a guère que le vingtième.
Salut, ô Nature, mère de toutes choses : et daigne m'être favorable, à moi qui, seul entre tous les Romains, t'ai complètement célébrée !
Traduction par Emile Littré (1855)