V, 3 - La Sabine et le Latium

Carte Spruner (1865)

1. La Sabine ou pays des Sabins est une contrée étroite, s'étendant sur une longueur de 1000 stades depuis les bords du Tibre et la petite ville de Nomentum jusqu'à la frontière des Vestins. Ses villes, d'ailleurs assez rares, sont toutes aujourd'hui bien déchues de ce qu'elles étaient, et cela par suite de cet état de guerre continuel. Nommons pourtant Amiternum, et Reate qui a dans son voisinage le bourg d'Interocrea et les eaux de Cotiliae, eaux froides très efficaces contre certaines affections, soit qu'on les boive, soit qu'on les emploie sous forme de bains. Foruli, qui appartient encore à la Sabine, n'est en revanche qu'une enceinte de rochers plus propre à abriter des partisans en temps de guerre civile qu'à recevoir un établissement [régulier et permanent]. Cures aussi, qui n'est plus aujourd'hui qu'une simple bourgade, devait être anciennement une cité illustre, puisqu'elle avait donné à Rome deux de ses rois, Titus Tatius et Numa Pompilius, et que c'est du nom même de ses habitants, Kyrites ou Quirites, que se servent à Rome les orateurs en s'adressant au peuple. Quant à Trebula, à Eretum et à d'autres localités aussi peu importantes, c'est parmi les bourgs également, bien plutôt que parmi les villes, qu'il convient de les ranger. - Dans toute la Sabine, le sol est merveilleusement propre à la culture de l'olivier et de la vigne ; il produit aussi beaucoup de gland. En outre toute espèce de bétail prospère dans ses pâturages d'une façon singulière, les mulets de Reate notamment jouissent d'une renommée vraiment prodigieuse. Car, s'il est juste de dire en thèse générale que l'Italie est une contrée éminemment propre à l'élève des bestiaux et à l'agriculture, il est constant aussi que les espèces que produit telle partie de l'Italie l'emportent infiniment sur les espèces produites dans telle autre. Les Sabins sont de race très ancienne, de race autochthone ; il paraît même que les Picentins et les Samnites sont issus de deux colonies sabines, tout comme la nation des Lucaniens est issue dune colonie samnite, et la nation des Brettiens d'une colonie lucanienne. Or, on s'explique par cette haute et antique origine l'énergie, l'héroïsme avec lequel les Sabins ont résisté jusqu'à présent à toutes les épreuves et qui faisait déjà dire à l'historien Fabius que Rome n'avait commencé à jouir de ses richesses qu'à partir du moment où elle avait réduit à l'impuissance ces indomptables ennemis. La Sabine est traversée par la voie Salarienne, voie d'ailleurs assez courte ; de plus, la voie Nomentane, qui part, elle aussi, de la porte Colline, vient rejoindre la voie Salarienne près d'Eretum, un des bourgs de la Sabine.

2. Le Latium actuel, qui fait suite à la Sabine, comprend, avec la ville de Rome, beaucoup d'autres villes qui ne faisaient point partie de l'ancien Latium. A l'époque, en effet, où Rome fut fondée, il existait déjà dans le pays environnant un certain nombre de peuples formant autant d'Etats plus ou moins considérables : tels étaient les Aeques, les Volsques, les Herniques et les Aborigènes ; voisins immédiats de Rome, les Rutules de l'antique Ardée, d'autres encore et jusqu'à de simples bourgs, dont les populations, entièrement autonomes ou indépendantes, n'appartenaient à aucun corps de nation. [Au sujet de la fondation de Rome] voici ce que marque la tradition. Enée, accompagné d'Anchise, son père, et de son jeune fils Ascagne, aborde à Laurentum dans le voisinage d'Osties et de l'embouchure du Tibre, et, s'avançant dans l'intérieur du pays à une distance de 24 stades environ, y fonde une ville. Survient Latinus : c'était le roi des Aborigènes, peuple alors établi aux lieux mêmes où Rome s'élève aujourd'hui ; il obtient le secours d'Enée et de ses compagnons contre les Rutules d'Ardée, ses voisins (la distance entre Rome et Ardée est de 160 stades), remporte la victoire et fonde tout à côté de la ville nouvelle une autre ville à laquelle il donne le nom de sa propre fille, Lavinie. Mais les Rutules étant revenus à la charge, un second combat s'engage et Latinus est tué. Enée le venge en battant les Rutules, puis réunissant les sujets de Latinus et les siens sous la dénomination commune de Latins, il règne à la place de son allié. Roi à son tour par la mort de son père et de son aïeul, Ascagne fonde la ville d'Albe sur le mont Albain, montagne située, comme Ardée, à 160 stades de Rome, et sur laquelle les Romains, unis aux Latins, ou du moins l'assemblée générale de leurs magistrats, ont de tout temps offert le sacrifice solennel à Jupiter : durant le sacrifice, un jeune patricien, revêtu momentanément du pouvoir, est préposé à la garde de la ville. A quatre cents ans de là se placent les traditions relatives à Amulius et à son frère Numitor, traditions qui, à côté de fables évidentes, nous offrent des faits plus authentiques. Ainsi, il est constant que ces deux princes avaient hérité en commun des droits des descendants d'Ascagne sur le royaume d'Albe, lequel s'étendait alors jusqu'au Tibre ; que le plus jeune, Amulius, après avoir évincé son frère aîné, régna seul, et que, des deux enfants qu'avait Numitor, un fils et une fille, il fit tuer le fils traîtreusement dans une partie de chasse, et voua la fille au culte de Vesta pour s'assurer qu'elle n'aurait jamais d'enfant, car les fonctions de vestale lui imposaient la loi de rester vierge. Il arriva cependant que Rhea Silvia (c'est ainsi qu'on appelle la fille de Numitor) fut séduite et qu'elle ne put cacher son crime à Amulius, ayant mis au monde deux jumeaux. Par égard pour Numitor, Amulius ne l'envoya pas au supplice, il se borna à l'emprisonner, mais fit, suivant la coutume du pays, exposer ses enfants sur les bords du Tibre. Ici la fable ajoute que les deux enfants étaient fils de Mars, que, sur les bords du fleuve où ils étaient exposés, on vit une louve les allaiter comme elle eût fait ses petits, qu'un certain Faustule, l'un des nombreux porchers qui faisaient paître alors leurs troupeaux le long du fleuve, les recueillit, les fit nourrir chez lui, et appela l'un Romulus et l'autre Remus : ce qu'il faut entendre vraisemblablement de quelque seigneur de la cour d'Amulius qui aura recueilli en effet les jeunes princes et les aura fait élever. Quoi qu'il en soit, les deux frères parvenus à l'âge d'homme attaquèrent Amulius et ses fils, les mirent à mort, rétablirent Numitor sur son trône, puis, retournant aux lieux où ils avaient été élevés, y fondèrent Rome. Ce fut pourtant plus par nécessité que par choix qu'ils bâtirent leur ville dans l'emplacement où nous la voyons, car l'assiette du lieu n'était guère forte par elle-même et ses environs n'offraient ni assez de terres disponibles pour former à la ville nouvelle un territoire convenable, ni assez d'habitants pour lui fournir une population suffisante, les voisins de Rome étant dès longtemps habitués à l'isolement et à l'indépendance et devant rester aussi étrangers, aussi indifférents à l'égard de cette ville naissante, dont ils touchaient pourtant en quelque sorte les remparts, qu'ils l'avaient toujours été à l'égard d'Albe. Telles étaient les dispositions de Collatie, d'Antemnae, de Fidènes, de Lavicum et d'autres localités semblables situées toutes dans un rayon de 30 à 40 stades de Rome, guère plus, et qui formaient, non pas comme aujourd'hui de simples bourgades, ou même de simples propriétés particulières, mais autant de petites cités. Il y a effectivement entre la cinquième et la sixième pierre milliaire à partir de Rome un lieu appelé Phesti où l'on croit que passait alors l'extrême frontière du territoire romain et où les prêtres, gardiens de la tradition, célèbrent actuellement encore, pour la répéter le même jour dans plusieurs autres localités considérées aussi comme des points de l'ancienne frontière, la cérémonie ou procession de l'Ambarvale. [On sait le reste :] pendant la fondation même de la ville, une querelle s'engage entre les deux frères et Rémus est tué. Puis, une fois la ville fondée, Romulus y attire des hommes de tout pays en faisant d'un bois situé entre la citadelle et le Capitole un lieu d'asile et en proclamant citoyen romain quiconque y viendra des pays d'alentour chercher un refuge. Seulement, comme les nations voisines lui refusent des femmes pour ses sujets, il fait annoncer une grande cérémonie religieuse, des jeux hippiques en l'honneur de Neptune (ces jeux se célèbrent encore aujourd'hui), et, profitant du grand nombre de curieux accourus à Rome de toute part, et surtout de chez les Sabins, il fait enlever par ses gens, pour satisfaire au désir qu'ils ont de se marier, toutes les jeunes filles qui se trouvent parmi les spectateurs. Titus Tatius, le roi de Cures, qui veut d'abord poursuivre par les armes la vengeance de cet outrage, finit par conclure avec Romulus un traité, en vertu duquel il est admis au partage du trône et du gouvernement. Mais il est tué par trahison à Lavinium et Romulus règne seul du consentement des Kyrites. Enfin Romulus étant mort à son tour a pour successeur Numa Pompilius, concitoyen de Tatius. - Telle est la tradition la plus accréditée sur la fondation de Rome.

3. Une autre tradition plus ancienne, et alors toute mythique, fait de Rome une colonie arcadienne, fondée par Evandre. Suivant cette tradition, Hercule, revenant d'Ibérie avec les troupeaux de Géryon, reçut l'hospitalité dans la maison d'Evandre. Informé par une révélation de Nicostrate, sa mère (laquelle possédait le don de la divination), que le héros, une fois ses travaux accomplis, était destiné à devenir dieu, Evandre fit part de ce secret à Hercule, puis lui dédia un temple et célébra en son honneur un premier sacrifice dont les rites, purement grecs, se sont conservés et se retrouvent aujourd'hui encore dans le culte d'Hercule, tel qu'on le célèbre à Rome. Or c'est précisément de cette circonstance des formes grecques du culte d'Hercule à Rome que Coelius, historien latin, tire la preuve que Rome elle-même était d'origine hellénique. Ajoutons que la mère d'Evandre reçoit également a Rome des honneurs divins, car c'est elle qui, sous un autre nom, sous le nom de Carmenta, figure parmi les Nymphes.

4. L'ancien Latium ne comprenait donc qu'un petit nombre de peuples et la plupart de ceux qu'on a désignés depuis sous le nom de Latins étaient dans le principe complètement indépendants de Rome. Mais, plus tard, rendant hommage à la supériorité de Romulus et des rois, ses successeurs, tous firent leur soumission ; on vit les Aeques, les Volsques, les Herniques, et, avant eux, les Rutules et les Aborigènes, auxquels il faut même ajouter encore les Ariciens, les Aurunces et les Privernates, subir la domination des Romains et le nom de Latium embrasser alors toute l'étendue des pays qu'occupaient ces différents peuples. Le territoire des Volsques confinait au Latium proprement dit par la plaine Pomentine et par cette ville d'Apiola, que Tarquin l'Ancien détruisit de fond en comble ; le territoire des Aeques, qui touchait plutôt à la partie occupée par les Kyrites, avait eu de même ses villes ravagées par Tarquin en personne, dont le fils pendant ce temps-là enlevait d'assaut Suessa, capitale des Volsques. Quant au territoire des Herniques, il s'étendait du côté de Lanuvium, d'Albe, et jusque dans le voisinage de Rome, dont Aricie, Tellènes et Antium n'étaient guère éloignées non plus. Enfin, les Albains, qui avaient commencé par être cordialement unis aux Romains (ce qui se conçoit de peuples parlant la même langue et Latins aussi d'origine), les Albains qui, tout en formant un royaume à part, se trouvaient avoir avec Rome bien des liens communs, maintes alliances de famille, notamment, et la célébration des sacrifices du mont Albain et la jouissance de certains privilèges politiques, s'étaient vu attaquer à leur tour et avaient eu leur ville, sauf le temple, rasée de fond en comble, tandis qu'eux-mêmes étaient inscrits au nombre des citoyens romains. Tel fut, du reste, le sort commun de toutes les villes autour de Rome qui se montrèrent impatientes du joug, elles furent ou entièrement détruites, ou écrasées sans pitié ; on en cite pourtant quelques-unes qui, par leur dévouement au peuple romain, méritèrent de recevoir de leur puissant allié un sensible accroissement de territoire. Bref, le nom de Latium qui anciennement ne dépassait pas, le long de la côte, le promontoire Circaeen et qui se trouvait aussi, dans l'intérieur, restreint à une étendue de pays fort peu considérable, embrasse aujourd'hui tout le littoral compris entre Osties et Sinuessa, et a fini par s'étendre, du côté de l'intérieur, jusqu'à la Campanie et aux frontières des Samnites, des Pélignes et d'autres peuples encore, habitant comme ceux-ci l'Apennin.

5. Le Latium [actuel] est une contrée généralement riche et fertile ; il faut excepter pourtant certaines parties du littoral qui sont ou bien marécageuses et insalubres, comme le territoire d'Ardée et le pays qui s'étend entre Antium et Lanuvium jusqu'à Pometia, comme tel point aussi du territoire de Setia et des environs de Tarracine et du mont Circaeum, ou bien montagneuses et d'une nature alors trop âpre, trop rocailleuse. Encore s'en faut-il bien que ces parties du littoral soient complètement incultes et improductives, puisqu'on y trouve soit de gras pâturages, soit de riches cultures propres aux terrains marécageux ou montagneux, témoin Caecube, dont le sol, malgré sa nature marécageuse, convient admirablement à l'espèce de vigne dite dendrites et produit de si excellent vin. Dans l'énumération qui va suivre des principales villes du Latium, nous commencerons par le littoral. La première de ces villes, Osties, n'a point de port, et cela à cause des atterrissements formés à l'embouchure du Tibre par le limon que charrient le fleuve et ses nombreux affluents ; il faut donc (ce qui n'est pas sans danger) que les bâtiments venant du large jettent l'ancre à une certaine distance de la côte et restent ainsi exposés à toute l'agitation de la pleine mer. Mais l'appât du gain fait surmonter tous les obstacles : il y a à Osties une foule d'embarcations légères toujours prêtes, soit à venir prendre les marchandises des navires à l'ancre, soit à leur en apporter d'autres en échange, ce qui permet à ces navires de repartir promptement, sans avoir eu même à entrer dans le fleuve. Il n'est pas rare pourtant que les navires, après avoir été allégés ainsi d'une partie de leur cargaison, s'engagent dans le fleuve et remontent jusqu'à Rome, à 190 stades de la côte. C'est Ancus Marcius qui a été le fondateur d'Osties. A cette ville, dont nous n'avons rien de plus à dire, en succède une autre, Antium, qui n'a point de port non plus. Bâti sur les rochers, à 260 stades d'Osties, Antium est actuellement le lieu de plaisance des empereurs, la résidence préférée où ils viennent, toutes les fois qu'ils en trouvent l'occasion, se reposer des affaires publiques. En vue de ces fréquents séjours des princes, on y a construit un très grand nombre d'édifices somptueux. Les Antiates possédèrent longtemps une marine puissante et leurs vaisseaux prenaient part encore aux pirateries des Tyrrhéniens, qu'eux-mêmes comptaient déjà parmi les sujets du peuple romain. Cela est si vrai que le roi Alexandre députa tout exprès à Rome pour s'y plaindre d'eux ; plus tard encore, le roi Démétrius faisait dire aux Romains, en leur renvoyant quelques-uns de ces pirates qui s'étaient laissé prendre, qu'il leur restituait volontiers ces prisonniers à cause des liens de parenté qui unissaient Rome à la Grèce, mais qu'il ne pouvait approuver que les dominateurs de l'Italie exerçassent en même temps la piraterie, ni qu'un peuple qui avait érigé chez lui, en plein Forum, un temple aux Dioscures et qui honorait ces dieux, comme le monde entier, sous le nom de Dieux sauveurs, envoyât piller les côtes de la Grèce, leur patrie. Sur quoi les Romains interdirent pour toujours cette pratique aux habitants d'Antium. Entre Osties et Antium, juste à moitié chemin, s'offre à nous la ville de Lavinium avec un Aphrodisium ou temple de Vénus commun à tous les peuples latins, mais confié plus particulièrement aux soins des Ardéates, qui y tiennent toujours un intendant. Puis vient Laurentum et, au-dessus de ces villes, à 70 stades de la mer, Ardée, principal établissement des Rutules : tout près d'Ardée est un autre Aphrodisium, où les Latins tiennent aussi certaines réunions solennelles. Malheureusement les Samnites ont ravagé tout ce pays et il ne reste plus, à proprement parler, que des vestiges de ces différentes villes, vestiges encore glorieux cependant grâce au souvenir toujours présent d'Enée et à ces cérémonies religieuses qui datent, suivant la tradition locale, de l'époque même du héros.

6. Après Antium, 190 stades plus loin, on rencontre le Circaeum ou mont Circaeen, qui, placé comme il est entre la mer et les marais, offre, dit-on, l'aspect d'une île. On ajoute (mais n'est-ce pas alors pour mieux approprier l'état des lieux à la fable de Circé ?), on ajoute que les flancs de cette montagne sont couverts d'herbes et de plantes de toute espèce. Il y a d'ailleurs dans la petite ville [de Circaeum] un temple dédié à Circé, ainsi qu'un autel de Minerve ; on y montre même, à ce qu'on assure, certaine coupe ayant appartenu jadis à Ulysse. Dans l'intervalle d'Antium au mont Circaeen les points remarquables sont l'embouchure du fleuve Storas, et, tout à côté, une petite rade où les vaisseaux peuvent mouiller en sûreté. Puis vient une plage exposée au plein Africus qui n'offre pas d'autre refuge qu'un très petit hâvre au pied même du Circaeum : juste au-dessus de cette plage s'étend la plaine Pomentine. Le reste de la côte jusqu'à la ville de Sinuessa, qui, avons-nous dit, appartient encore au Latium, était occupé dans le principe par les Ausones, alors maîtres de la Campanie, et, au delà des Ausones, par les Osques, qui de leur côté possédaient une partie du territoire campanien. Il est arrivé à ces deux peuples quelque chose d'étrange ; la langue des Osques a survécu au peuple qui la parlait et s'est conservée chez les Romains, si bien qu'aujourd'hui encore à Rome, dans certains jeux, dans certaines fêtes nationales, on représente sur la scène des comédies et des mimes en langue osque ; d'autre part, on donne le nom de mer Ausonienne à la mer de Sicile, bien que les Ausones n'en aient à aucune époque habité les rivages. A 100 stades de distance du mont Circaeen, en continuant à suivre la côte on atteint Tarracine, ou, comme on l'appelait anciennement eu égard à la nature de son emplacement, Trachiné : en avant de la ville s'étend un vaste marais formé par deux cours d'eau, dont le plus grand se nomme l'Ufens (40). La voie Appienne, qui va de Rome à Brentesium, et qui, de toutes les grandes voies d'Italie, est la plus fréquentée, commence à partir de ce marais à longer la mer, puis touche à Tarracine et successivement à Formies, à Minturnes et à Sinuessa. Ce sont là, du reste, avec Tarente et Brentesium à l'extrémité de son parcours, les seules villes maritimes où elle passe. Dans le voisinage de Tarracine, mais en deçà de la ville, du côté de Rome, la voie Appienne est bordée par un canal qu'alimentent les eaux du marais et des fleuves et qui dessert comme voie de communication bon nombre de localités. C'est surtout la nuit qu'on navigue sur ce canal ; on s'y embarque le soir, et, le lendemain, de grand matin, on le quitte pour reprendre la voie de terre. On y navigue pourtant aussi de jour. Ce sont des mules qui tirent les bateaux. La ville de Formies, qui succède à Tarracine est une colonie des Lacédémoniens, qui l'avaient appelée primitivement Hormies à cause de l'excellent port dont la nature l'a pourvue. Il est évident aussi que le nom de Caeatas donné au golfe compris entre Tarracine et Formies l'a été par les Lacédémoniens, car le mot caeetae, dans le dialecte lacédémonien, désigne toute espèce de creux ou d'enfoncement. Quelques auteurs pourtant prétendent que c'est de la nourrice d'Enée que ce golfe a emprunté son nom. La longueur dudit golfe depuis Tarracine, où il commence, jusqu'au promontoire appelé aussi le Caeatas, est de 100 stades. Sur ce point du littoral s'ouvrent d'immenses grottes dans lesquelles on a pratiqué de grandes et somptueuses habitations. De là maintenant à Formies on compte 80 stades. Puis, à mi-chemin entre Formies et Sinuessa, à 40 stades environ de l'une et de l'autre, est Minturnes, que traverse le Liris. Ce fleuve, connu anciennement sous le nom de Clanis, descend du pays des Vestins où il prend sa source très haut dans l'Apennin, il passe ensuite près de Frégelles, cité naguère illustre, mais réduite aujourd'hui à l'état de bourgade, et vient déboucher dans un bois sacré, situé au-dessous de Minturnes, et qui se trouve être pour les habitants de cette ville un objet de profonde vénération. Juste en face des grottes du Caeatas, en pleine mer, sont les deux îles de Pandataria et de Pontia, îles, qui, bien que peu étendues, sont remplies d'habitations charmantes : ces deux îles, assez voisines l'une de l'autre, sont à 250 stades du continent. Cécube touche au golfe Caeatas, et la ville de Fundi, où passe la voie Appienne, touche à Cécube. Tout ce canton abonde en excellents vignobles : le terroir de Cécube, notamment, et ceux de Fundi et de Setia comptent parmi les crus les plus renommés de l'Italie et prennent rang à côté du Falerne, de l'Albain et du Satanien. La ville de Sinuessa, qui s'offre à nous plus loin, s'élève au fond d'un autre golfe et tire son nom évidemment de cette circonstance, car sinus en latin équivaut à kolpos et signifie un golfe. Il y a dans son voisinage un très bel établissement de bains dont les eaux, naturellement chaudes, sont souveraines contre certaines maladies. - Telles sont les villes maritimes du Latium.

7. Dans l'intérieur du pays, la première ville qui se présente au-dessus d'Osties, la seule aussi qui soit située sur le Tibre, est la ville de Rome. Nous avons déjà dit que l'emplacement de Rome n'avait pas été choisi, qu'il avait été bien plutôt imposé par la nécessité ; ajoutons que tous ceux qui dans la suite agrandirent la ville ne furent pas libres davantage de choisir pour ces nouveaux quartiers les meilleurs emplacements, et qu'ils durent subir les exigences du plan primitif. Ainsi la première enceinte comprenait, avec le Capitole et le Palatin, le Quirinal, colline si facilement accessible du dehors que Titus Tatius s'en empara d'emblée, quand il marcha sur Rome pour venger le rapt des Sabines ; à son tour, Ancus Marcius y réunit le Coelius et l'Aventin avec la plaine intermédiaire, bien que ces collines fussent aussi complètement isolées de celles qui faisaient déjà partie de la ville qu'elles l'étaient l'une de l'autre. Mais ce qui rendait cette annexion nécessaire, c'est qu'on ne pouvait raisonnablement laisser en dehors de l'enceinte et à la disposition du premier ennemi qui voudrait s'y retrancher des hauteurs si fortes par elles-mêmes. Seulement l'enceinte nouvelle n'était point continue, Ancus Marcius n'avait pu la prolonger jusqu'au mont Quirinal, ce qui l'eût complétée. Servius reconnut apparemment l'inconvénient de cette lacune, car il acheva de clore la ville en y ajoutant encore l'Esquilin et le Viminal ; et, comme ces deux collines sont aussi trop facilement accessibles du dehors, on creusa à leur pied un fossé profond, toute la terre extraite fut rejetée du côté de la ville et forma au-dessus du rebord intérieur du fossé une terrasse longue de six stades, puis, sur cette base on éleva une muraille allant de la porte Colline, à la porte Esquiline avec des tours de distance en distance et une troisième porte s'ouvrant juste au milieu de cet intervalle et qui fut appelée porte Viminale à cause du voisinage de la colline de ce nom. Ce sont là toutes les fortifications de la ville et il faut convenir qu'elles auraient grand besoin elles-mêmes d'être fortifiées. Mais les fondateurs, j'ai idée, auront calculé que, dans leur intérêt, comme dans l'intérêt des générations à venir, il fallait que Rome dût son salut et sa prospérité plutôt aux armes et au courage de ses habitants qu'à la force de ses remparts, jugeant avec raison que ce ne sont pas les remparts qui protègent les hommes, mais bien les hommes qui protègent les remparts. Dans le principe, il est vrai, alors qu'ils voyaient aux mains d'autrui les spacieuses et fertiles campagnes qui entouraient leur ville (leur ville d'ailleurs si exposée, si peu susceptible de défense), les Romains purent croire que l'emplacement qui leur était échu serait un obstacle éternel à leur prospérité ; mais, quand leur courage et leurs travaux les eurent rendus maîtres de tout le pays environnant, ils virent affluer chez eux, et avec une abondance inconnue à la ville la plus heureusement située, tout ce qui fait la richesse et le bien-être d'une cité. Cette affluence de toutes choses est ce qui permet à Rome aujourd'hui encore, tout agrandie qu'elle est, de suffire à l'alimentation de ses habitants ainsi qu'aux fournitures (le bois et de pierres que réclament incessamment tant de constructions neuves auxquelles donnent lieu les écroulements, les incendies et les ventes ; oui, les ventes, car on peut dire que ces aliénations d'immeubles qui, elles aussi, se reproduisent incessamment, équivalent à des destructions volontaires, tout nouvel acquéreur se hâtant de démolir pour rebâtir ensuite à sa guise. Au reste, pour subvenir aux besoins de cette nature, Rome trouve de merveilleuses ressources dans la proximité d'un grand nombre de carrières et de forêts et dans la facilité que présentent pour le transport des matériaux tant de cours d'eau navigables, l'Anio d'abord, qui descend des environs de la ville d'Albe, [Alba Fucensis,] c'est-à-dire des confins du Latium et du pays des Marses, et qui, après avoir traversé toute la plaine au-dessous de cette ville, vient se réunir au Tibre ; puis le Nar, le Ténéas, qui traversent toute l'Ombrie pour se jeter dans le même fleuve, et enfin le Clanis, [autre affluent du Tibre,] qui arrose de même la Tyrrhénie, mais particulièrement le canton de Clusium. L'empereur César Auguste a bien cherché dans l'intérêt de la ville à porter remède aux graves inconvénients dont nous venons de parler : il a, par exemple, pour diminuer les ravages des incendies, organisé militairement une compagnie d'affranchis chargée de porter les secours nécessaires en pareil cas ; il a aussi, pour prévenir l'écroulement trop fréquent des maisons, réduit l'élévation réglementaire des nouveaux édifices et défendu qu'à l'avenir les maisons bâties sur la voie publique eussent plus de 70 pieds de hauteur. Mais, malgré cette double mesure, on eût encore manqué à Rome de moyens suffisants pour réparer les dommages causés par ces accidents, si l'on n'avait eu cette précieuse ressource de pouvoir tirer des carrières et des forêts voisines d'inépuisables matériaux, avec la faculté si commode d'user pour leur transport de la voie des fleuves.

8. A ces avantages résultant pour Rome de la nature de son territoire, ses habitants ont ajouté tous ceux que peut procurer l'industrie humaine ; car, tandis que les Grecs, qui semblaient cependant avoir réalisé pour leurs villes les meilleures conditions d'existence, n'avaient jamais visé qu'à la beauté du site, à la force de la position, au voisinage des ports et à la fertilité du sol, les Romains se sont surtout appliqués à faire ce que les Grecs avaient négligé, c'est-à-dire à construire des chaussées, des aqueducs et des égoûts destinés à entraîner dans le Tibre toutes les immondices de la ville. Et notez qu'ils ne se sont pas bornés à prolonger ces chaussées dans la campagne environnante, mais qu'ils ont percé les collines et comblé les vallées pour que les plus lourds chariots pussent venir jusqu'au bord de la mer prendre la cargaison des vaisseaux ; qu'ils ne se sont pas bornés non plus à voûter leurs égoûts en pierres de taille, mais qu'ils les ont faits si larges qu'en certains endroits des chariots à foin auraient encore sur les côtés la place de passer ; qu'enfin leurs aqueducs amènent l'eau à Rome en telle quantité que ce sont de véritables fleuves qui sillonnent la ville en tous sens et qui nettoient les égoûts et qu'aujourd'hui, grâce aux soins particuliers de M. Agrippa, à qui Rome doit en outre tant de superbes édifices, chaque maison ou peu s'en faut est pourvue de réservoirs, de conduits, et de fontaines intarissables ! Les anciens Romains, à vrai dire, occupés comme ils étaient d'objets plus grands, plus importants, avaient complètement négligé l'embellissement de leur ville. Sans se montrer plus indifférents qu'eux aux grandes choses, les modernes, surtout ceux d'à-présent, se sont plu à l'enrichir d'une foule de monuments magnifiques : Pompée, le divin César, Auguste, ses enfants, ses amis, sa femme, sa soeur, tous à l'envi, avec une ardeur extreme et une munificence sans bornes, se sont occupés de la décoration monumentale de Rome. C'est dans le Champ de Mars que la plupart de ces monuments ont été érigés, de sorte que ce lieu, qui devait déjà tant à la nature, se trouve avoir reçu en outre tous les embellissements de l'art. Aujourd'hui, avec son étendue prodigieuse, qui, en même temps qu'elle laisse une ample et libre carrière aux courses de chars et à toutes les évolutions équestres, permet encore à une jeunesse innombrable de s'exercer à la paume, au disque, à la palestre ; avec tous les beaux ouvrages qui l'entourent, les gazons si verts qui toute l'année y recouvrent le sol, les collines enfin d'au delà du Tibre, qui s'avancent en demi-cercle jusqu'au bord du fleuve, comme pour encadrer toute la scène, cette plaine du champ de Mars offre un tableau dont l'oeil a peine à se détacher. Ajoutons que tout à côté, et indépendamment d'une autre grande plaine bordée ou entourée de portiques, il existe plusieurs bois sacrés, trois théâtres, un amphithéâtre et différents temples tous contigus les uns aux autres, et que, comparé à ce quartier, le reste de la ville ne paraît plus à proprement parler qu'un accessoire. Pour cette raison, et parce que ce quartier avait pris à leurs yeux un caractère plus religieux, plus auguste que les autres, les Romains y ont placé les tombeaux de leurs morts les plus illustres, hommes ou femmes. Le plus considérable de ces tombeaux est le Mausolée [d'Auguste], énorme tumulus, qui s'élève à peu de distance du fleuve, au-dessus d'un soubassement en marbre blanc déjà très haut par lui-même. Ce tumulus, ombragé d'arbres verts jusqu'à son sommet, est surmonté d'une statue d'airain représentant César-Auguste, et recouvre, avec les restes de ce prince, les cendres de ses parents et de ses amis ou familiers. Il se trouve qui plus est adossé à un grand bois, dont les allées offrent de magnifiques promenades. Enfin le centre de la plaine est occupé par l'enceinte du bûcher d'Auguste : bâtie également en marbre blanc, cette enceinte est protégée par une balustrade en fer qui règne tout autour. L'intérieur en est planté de peupliers. Supposons pourtant que d'ici l'on se transporte dans l'antique Forum et qu'on y promène ses regards sur cette longue suite de basiliques, de portiques et de temples qui le bordent ; ou bien encore que l'on aille au Capitole, au Palatin, dans les jardins de Livie, contempler les chefs-d'oeuvre d'art qui y sont déposés, on risque fort, une fois entré, d'oublier tout ce qu'on a laissé dehors. - Telle est Rome.

9. Quant à la situation respective des autres villes de l'intérieur du Latium, elle peut être fixée, soit [directement], d'après les particularités que quelques-unes d'entre elles présentent, soit [d'une manière indirecte], d'après le parcours des principales voies qui traversent le pays, la plupart des villes du Latium étant situées sur l'une ou l'autre de ces voies, près de l'une d'elles ou entre deux. Le Latium compte trois voies principales, la voie Appienne, la voie Latine et la voie Valérienne : la première borde la côte jusqu'à Sinuessa, et la troisième suit la frontière de la Sabine jusqu'au pays des Marses, mais la voie Latine court dans l'intervalle des deux autres jusqu'à ce qu'elle ait rejoint, près de la ville de Casilinum, c'est-à-dire, à 19 stades de Capoue, la voie Appienne, dont elle n'est à proprement parler qu'un embranchement : tout près de Rome, en effet, elle s'en détache, prend sur la gauche, franchit [à mi-côte] le mont Tusculan, entre la ville de Tusculum et les premières pentes du mont Albain, et redescend ensuite vers la petite ville d'Algide et la station dite Pictae ou ad Pictas ; elle est rejointe alors par la voie Labicane, qui, partie de la porte Esquiline, en même temps que la voie Prénestine, laisse cette voie ainsi que le champ Esquilin sur la gauche, puis se prolonge l'espace de 120 stades et plus jusque dans le voisinage de la colline que dominent les ruines de l'antique Labicum, passe à droite de ces ruines et de la ville de Tusculum et vient enfin, près de Pictae, à 210 stades de Rome, se confondre avec la voie Latine. A partir de là, nous trouvons sur la voie Latine même plusieurs places, plusieurs villes remarquables, Ferentinum notamment, et Frusinon, dont le Cosas baigne les murs, puis Fabrateria près de laquelle passe un autre cours d'eau, le Tolerus (42), Aquirum, qui peut compter pour une importante cité, [Atina,] qu'avoisine un fort cours d'eau, le Melpis, Interamnium, qui s'élève au confluent même du Liris et d'une autre rivière, et enfin Casinum, qu'on peut regarder aussi comme une ville de grande importance. Casinum est bien réellement la dernière ville de tout le Latium, car Teanum Sidicinum qui lui succède dépend, ainsi que le marque l'épithète jointe à son nom, de l'ancien territoire des Sidicins, et, comme ceux-ci appartenaient à la nation des Osques, race campanienne aujourd'hui éteinte, il s'ensuit que c'est à la Campanie qu'il faut attribuer cette ville, la plus considérable de celles que traverse la voie Latine, ainsi que Calès, autre grande ville qui lui fait suite, et qui touche presque à Casilinum.

10. Que si maintenant nous regardons des deux côtés de la voie Latine, nous voyons à droite, dans l'intervalle qui sépare ladite voie de la voie Appienne, les villes de Setia et de Signia, toutes deux célèbres pour leurs vins : le terroir de Setia en effet est réputé l'un des grands crus de l'Italie et le vin de Signia, le Signin, comme on l'appelle, est très fortifiant pour les entrailles. C'est là aussi que se trouvent Privernum, Cora, Suessa, Velitrae, Aletrium, et enfin Frégelles, dont le Liris baigne l'enceinte avant d'aller déboucher dans la mer à Minturnes. Frégelles, qui n'est plus qu'un simple bourg, était naguère une cité considérable ; bon nombre des places que nous venons de nommer et qui l'environnent dépendaient d'elle, et, aujourd'hui encore, les habitants de ces villes continuent de s'y rendre pour tenir leurs marchés ou pour célébrer en commun certains sacrifices. Ce sont les Romains qui, à la suite d'une défection des Frégellans, ont ruiné leur ville de la sorte. Généralement pourtant ces dernières localités, ainsi que les places situées sur la voie Latine même ou au delà de cette voie, se trouvent comprises dans les limites de l'ancien territoire des Herniques, des Aeques et des Volsques et ont eu les Romains pour fondateurs. A gauche de la voie Latine, entre cette voie et la voie Valérienne, Gabies s'offre à nous la première : située sur la voie Prénestine, à égale distance de Rome et de Préneste, à 100 stades à peu près de l'une et de l'autre, cette ville possède dans ses environs la carrière de pierres qui fournit le plus abondamment aux besoins de Rome. Nous reparlerons tout à l'heure de Préneste, mais, dans les montagnes au-dessus de cette ville, nous voyons se succéder, après la petite forteresse des Herniques, Capitulum, la grande ville d'Anagnia, Céréaté et Sera, que le Liris baigne avant de gagner Frégelles et Minturnes, quelques autres petites places encore, et enfin la ville de Vénafre, qui produit la meilleure huile connue. Au pied de la colline, sur laquelle est situé Vénafre, passe le Vulturne ; ce fleuve baigne encore les murs de Casilinum, puis il va se jeter dans la mer auprès d'une ville qui porte son nom. Quant aux villes d'Aesernie et d'Allifes, elles font déjà partie du Samnium ; mais, si la seconde de ces villes est encore debout, l'autre tombe en ruines depuis l'époque de la guerre Marsique.

11. La voie Valérienne, qui commence à Tibur, conduit jusqu'au pays des Marses, voire jusqu'à Corfinium, capitale des Péligniens. Les villes latines qui se trouvent sur cette voie sont Varia, Carseoli et Albe. Non loin de la même voie est situé Cuculum. Tibur s'aperçoit de Rome, ainsi que Préneste et Tusculum : on y trouve, avec un Heracleum ou temple d'Hercule, une belle cascade que l'Anio, déjà navigable en cette partie de son cours, forme en tombant du haut d'une montagne dans une vallée profonde et très boisée qui avoisine la ville. Puis, au-dessous de ce point, l'Anio traverse une plaine d'une grande fertilité en longeant les carrières d'où l'on extrait la pierre tiburtine et la pierre rouge ou pierre de Gabies, circonstance singulièrement favorable à l'exploitation de ces carrières en ce qu'elle facilite le chargement et le transport des matériaux avec lesquels s'effectue la plus grande partie des constructions de Rome. Dans la même plaine coulent les eaux Albules, eaux froides, qui s'échappent de plusieurs sources, et qui, prises comme boisson, ou employées sous forme de bains, agissent efficacement dans un grand nombre de maladies. Tel est le cas aussi des eaux Labanes, sources situées à peu de distance de là sur la voie Nomentane aux environs d'Eretum. A Préneste est ce temple de la Fortune si fameux autrefois par ses oracles. Les deux villes de Tibur et de Préneste, adossées à la même chaîne de montagnes, se trouvent à 100 stades environ l'une de l'autre ; quant à l'intervalle qui les sépare de Rome, il est bien du double de cette distance pour Préneste, d'un peu moins pour Tibur. Toutes deux passent pour être d'origine grecque : on veut même que Préneste se soit appelée d'abord Polystephanos. Leur position est naturellement forte, surtout celle de Préneste, car au-dessus de la ville, en façon d'acropole, s'élève une grande montagne, séparée en arrière du reste de la chaîne par un col, qu'elle domine perpendiculairement d'une hauteur de 2 stades. A une assiette déjà si forte cette ville joint un autre avantage, celui d'être percée en tous sens de conduits souterrains qui aboutissent dans les plaines environnantes et qui servent, les uns, d'aqueducs, les autres, d'issues secrètes. C'est dans un de ces souterrains que Marius [le jeune] se fit tuer [par un de ses compagnons] pour ne pas tomber aux mains des ennemis qui l'assiégeaient. En général, on considère comme un bien pour une ville d'avoir la position la plus forte possible ; par suite, cependant, des guerres civiles de Rome, cet avantage se trouva être un malheur pour Préneste. Et cela se conçoit : en pareille conjoncture, ces sortes de villes deviennent toujours le refuge des factieux, elles sont, à cause d'eux, assiégées, prises d'assaut, et, après avoir souffert elles-mêmes matériellement de la rage du vainqueur, elles voient souvent encore leur territoire passer en d'autres mains, et c'est l'innocent qui paye ainsi pour le coupable. Un cours d'eau, le Verestis (47), arrose les environs de Préneste. - Les villes dont nous venons de parler se trouvent toutes à l'E. de Rome.

12. Mais en dedans de la chaîne où elles sont situées, et avec le val d'Algide entre deux, s'étend une seconde chaîne de hautes montagnes qui se prolonge jusqu'au mont Albain. C'est sur cette seconde crête que Tusculum est placé : cette ville, d'un bel aspect déjà par elle-même, est encore embellie par la foule de jardins et de villas qui l'entourent du côté surtout qui s'abaisse vers Rome ; dans cette direction, en effet, la montagne de Tusculum forme un coteau fertile et bien arrosé, dont la pente généralement très douce a permis qu'on y élevât tous ces palais, toutes ces habitations somptueuses. Ajoutons que ce coteau se relie en quelque sorte aux premières pentes du mont Albain, lesquelles offrent, avec la même fertilité de sol, un aussi grand luxe de constructions. Puis viennent de grandes plaines qui se prolongent d'un côté jusqu'à Rome et à ses faubourgs et de l'autre jusqu'à la mer. La partie de ces plaines qui avoisine la côte n'est pas, à vrai dire, aussi saine à habiter que le reste ; le séjour en est cependant encore assez agréable et l'on ne voit pas que les terres y soient moins bien cultivées. Passé le mont Albain, nous rencontrons la ville d'Aride sur la voie Appienne, à 160 stades de Rome : bien que bâtie dans un fond, Aricie possède une citadelle dont l'assiette est très forte. Au-dessus d'elle, maintenant, à droite de la voie Appienne, les Romains ont bâti la ville de Lanuvium, d'où l'on découvre la mer et Antium (50). - A gauche de ladite voie, en montant depuis Aricie, on trouve le fameux Artemisium, le Nemus comme on l'appelle dans le pays. Ce temple de Diane Aricine fut bâti, à ce qu'on prétend, sur le modèle de ceux de Diane Tauropole. Et il y a en effet quelque chose de barbare, de scythique pour mieux dire, dans la coutume suivante, qu'on prétend y être restée en vigueur : l'esclave fugitif qui a réussi à tuer de sa main le grand prêtre devient de droit son successeur ; mais, dans la crainte où il est de se voir attaquer à son tour, il a toujours l'épée à la main et l'oeil au guet pour être prêt à repousser la force par la force. Le temple est situé au milieu d'un bois, derrière un lac ayant l'étendue d'une mer, et, comme il y a tout autour une chaîne ou enceinte continue de montagnes très hautes aux pics sourcilleux, le temple et le lac se trouvent en quelque sorte au fond d'une cuve. Les eaux de plusieurs sources, celles, entre autres, de la fontaine Egérie, laquelle est ainsi nommée d'une divinité du pays, alimentent le lac ; mais, si on les y voit entrer, on ne les en voit pas ressortir : ce n'est que hors de [l'enceinte sacrée] et bien loin dans la plaine qu'elles reparaissent à la surface du sol. Tout près de là est le mont Albain, dont le sommet dépasse de beaucoup l'Artemisium et les montagnes déjà si hautes, déjà si escarpées, qui l'entourent. - Toutes les villes du Latium mentionnées par nous jusqu'ici sont situées en avant de ces montagnes. Une seule se trouve reculée plus loin dans l'intérieur, c'est la ville d'Albe, laquelle s'élève, sur la frontière même du pays des Marses, au haut d'un rocher qui domine le lac Fucin. Ce lac, aussi grand qu'une mer, est la principale richesse des Marses et des autres populations qui l'avoisinent. Ce qu'on dit [de la hauteur variable de ses eaux], que parfois elles grossissent au point d'atteindre la montagne en débordant, tandis qu'en d'autres temps elles baissent jusqu'à laisser à sec certains fonds qu'ordinairement elles recouvrent, de manière à en permettre la culture, peut s'expliquer soit par un déplacement des sources dans les profondeurs de la terre (les eaux de ces sources tantôt se perdant et se dérobant par de mystérieuses issues, tantôt affluant avec une abondance nouvelle), soit par une disposition naturelle qu'ont toutes les sources à tarir de temps à autre, mais pour se remplir de nouveau et pour recommencer alors à couler, comme c'est le cas, dit-on, de la rivière Amenanus à Catane, laquelle demeure à sec quelquefois plusieurs années de suite, mais reprend ensuite son cours. Une autre tradition fait venir du lac Fucin l'eau Marcienne réputée la meilleure de toutes celles qui alimentent Rome. Ajoutons, au sujet d'Albe, que sa position au coeur même de la contrée et sa forte assiette l'ont souvent fait choisir par les Romains comme place de sûreté pour y enfermer tels prisonniers qu'il importait de bien garder.


V-2 Sommaire V-4