VI, 2 - La Sicile et les îles Lipari

Carte Spruner (1865)

1. La Sicile est de forme triangulaire : de là ce premier nom de Trinacria qui lui a été donné et qui s'est changé plus tard en celui de Trinakia, plus doux à prononcer. Les trois pointes ou promontoires qui donnent à la Sicile cette configuration particulière sont : 1° le Pelorias, lequel forme, avec le cap Caenys et Colonne-Rhégine, le Détroit proprement dit ; 2° le Pachynus, qui, tourné comme il est vers l'orient, se trouve battu par les flots de la mer de Sicile et regarde le Péloponnèse et la mer de Crète ; 3° enfin, du côté de la Libye, juste en face de cette contrée et droit au couchant d'hiver, le Lilybaeum. Sur les trois côtés que déterminent les promontoires en question, il y en a deux qui sont sensiblement concaves ; le troisième au contraire est convexe, c'est celui qui est compris entre le Lilybaeum et le Pelorias. Celui-là est aussi le plus grand des trois, car il mesure 1700 stades, 1720 même, au calcul de Posidonius. Des deux côtés restants, l'un est encore plus grand que l'autre, c'est celui qui va du Lilybaeum au Pachynus, [il est de 1550 stades] ; quant au plus petit, lequel se trouve compris entre le Pelorias et le Pachynus, il n'est guère que de 1130 stades. Le périple de la Sicile, d'après ces mesures de Posidonius, est donc de 4400 stades ; mais à la façon dont le Chorographe romain décompose les trois côtés de l'île et évalue en milles ces distances partielles, ledit périple semble avoir plus d'étendue. Ainsi du Pelorias à Mylae, le Chorographe compte 25 milles ; il en compte autant de Mylae à Tyndaris, plus 30 milles jusqu'à Agathyrnus ; 30 autres milles jusqu'à Alaesa et 30 encore jusqu'à Cephalaedium, qui n'est du reste, ainsi que les localités précédentes, qu'une très petite place ; 18 milles ensuite jusqu'au fleure Himère, dont le cours divise la Sicile à peu près par le milieu, 35 milles jusqu'à Panorme, 32 milles jusqu'à l'emporium ou comptoir des Aegestéens, et enfin 38 milles jusqu'au Lilybaeum. Après quoi doublant le cap Lilybaeum, le Chorographe compte sur le côté adjacent 75 milles jusqu'à Heraclaeum, 20 milles jusqu'à l'emporium d'Agrigente, [20 milles jusqu'au port Phintias, 20 milles encore jusqu'à la plage Calvisiane], 20 autres milles jusqu'à Camarina, et 50 milles jusqu'au Pachynus ; puis, il continue le long du troisième côté, et compte 36 milles jusqu'à Syracuse, 60 jusqu'à Catane, 33 jusqu'à Tauromenium et 30 jusqu'à Messéné. Quant à la route de terre, elle mesure, suivant lui, entre le Pachynus et le Pelorias, 168 milles, et 2353 milles entre Messéné et le cap Lilybaeum, sur la voie Valérie. D'autres auteurs, Ephore par exemple, se bornent à dire que le périple de la Sicile est de cinq jours et de cinq nuits. - Pour nous donner maintenant la position de la Sicile en climat, Posidonius place le Pelorias au N., le Lilybaeum au midi et le Pachynus à l'E. Il est vrai que, les climats étant figurés par des parallélogrammes, tout triangle inscrit dans un de ces parallélogrammes, surtout s'il est scalène et qu'aucun de ses côtés ne soit parallèle à l'un des côtés du parallélogramme, doit être nécessairement, vu son obliquité, en désaccord avec le climat. Toutefois, comme le Pelorias est situé juste au midi de l'Italie, et qu'en somme c'est bien ce cap qui nous représente le plus septentrional des trois angles du triangle, on peut concevoir à la rigueur le côté du Détroit, autrement dit la ligne tirée entre le cap Pelorias et le cap Pachynus (ce dernier cap, on l'a vu, regarde l'orient), comme étant tourné au plein nord. Il faut avoir soin seulement qu'en fait ladite ligne conserve une légère inclinaison au levant d'hiver ; car on voit la côte dévier en ce sens depuis Catane, à mesure qu'on avance dans la direction de Syracuse et du cap Pachynus. A propos du Pachynus, nous ferons remarquer que la traversée entre ce cap et l'embouchure de l'Alphée est connue pour être de 4000 stades et qu'Artémidore, en comptant, d'une part, 4600 stades pour le trajet du Pachynus au Ténare, d'autre part, 1130 stades, pour le trajet de l'Alphée au Pamisus, semble avoir fait un double calcul inconciliable avec cette mesure formelle de 4000 stades assignée à la traversée entre le Pachynus et les bouches de l'Alphée. Par le fait aussi la ligne à tirer entre le cap Pachynus et le cap Lilybaeum (ce dernier cap est plus occidental que le Pelorias), au lieu de suivre exactement la direction d'un parallèle, devra dévier sensiblement au midi et regarder en même temps l'est et le sud, ce côté de l'île se trouvant baigné à la fois par la mer de Sicile et par la portion de la mer de Libye qui est comprise entre Carthage et les Syrtes. Ajoutons que c'est entre le cap Lilybaeum et un certain point très rapproché de Carthage que le trajet pour aller en Libye est le plus court. Il mesure 1500 stades : à cette distance, un homme, dont l'histoire nous a conservé le nom et qui était doué d'une vue perçante, put cependant, étant en vigie, compter les vaisseaux qui sortaient du port de Carthage et en dire le nombre aux Carthaginois [assiégés] dans Lilybée. Reste le côté compris entre le cap Lilybaeum et le Pelorias, celui-là devra nécessairement [dans un tracé] obliquer vers l'est et regarder dans une direction intermédiaire entre le couchant et le nord, puisqu'il se trouve avoir l'Italie au N. et la mer Tyrrhénienne, ainsi que les îles d'Eole, à l'O.

2. Les principales villes de la Sicile, en commençant par le côté qui forme le détroit, sont Messéné d'abord, puis Tauromenium, Catane et Syracuse. Entre ces deux dernières villes s'élevaient naguère Naxos et Mégare ; elles ont aujourd'hui disparu l'une et l'autre. C'est aussi entre Catane et Syracuse qu'on voit déboucher à la mer, au fond d'aestuaires qui sont autant d'excellents ports naturels, le [Symaethus] et le Panta[cias], deux cours d'eau descendus de Aetna. De cette même partie du littoral se détache la pointe de Xiphonie. Naxos et Mégare, suivant Ephore, ont été les premières villes grecques bâties en Sicile et leur fondation ne date que de la dixième génération après la guerre de Troie. Jusque-là, par crainte des pirateries des Tyrrhéniens et de la férocité des Barbares, habitants de la Sicile, les Grecs n'avaient pas même osé y venir faire de trafic. Enfin, l'Athénien Théoclès, qu'une tempête avait jeté sur cette côte, reconnut la faiblesse des populations indigènes en même temps que la richesse du sol ; il se hâta de regagner son pays, et, comme il ne put vaincre l'incrédulité des Athéniens, ce fut avec une bande composée principalement de Chalcidiens de l'Eubée, mais aussi d'un certain nombre d'Ioniens et de Doriens (de Doriens de Mégare pour la plupart), qu'il reparut en Sicile. Les Chalcidiens, ajoute Ephore, bâtirent Naxos, et les Doriens Mégare, ou, pour mieux dire, Hybla, car ce fut là le nom primitif de l'établissement. Aujourd'hui, je le répète, ces villes n'existent plus ; et, si le nom d'Hybla a survécu, c'est grâce à la supériorité du miel dit hybléen.

3. Revenons aux villes actuellement subsistantes qui se succèdent le long de ce côté de la Sicile. Messéné, qui s'offre à nous la première, est située au fond d'un golfe, sorte d'angle très aigu et en façon d'aisselle, que forme le Pelorias en se repliant brusquement à l'est. Le trajet de Messéné à Rhegium mesure 60 stades, celui de Messéné à Colonne-Rhégine est beaucoup moindre. C'est une colonie de Messéniens du Péloponnèse, qui, en s'établissant dans cette ville, lui a donné le nom qu'elle porte actuellement ; antérieurement, elle avait porté celui de Zanclé, qui rappelait la disposition oblique, anguleuse du lieu qu'elle occupait (et en effet zagklos est un vieux mot qui a le même sens que skolios), et c'étaient les Naxiens des environs de Catane qui l'avaient bâtie. Plus tard les Mamertins, Campaniens d'origine, vinrent augmenter le nombre de ses habitants ; puis les Romains en firent leur place d'armes dans cette première guerre contre les Carthaginois, dont la Sicile fut le théâtre ; enfin Sextus Pompée y eut le gros de sa flotte tout le temps qu'il lutta contre César-Auguste, et c'est de là qu'il s'enfuit, lorsqu'il vit qu'il ne pouvait plus tenir en Sicile. Un peu au-dessus de la ville, au sein même du Détroit, se trouve le gouffre de Charybde, gouffre sans fond, dans les tourbillons duquel sont entraînées et viennent se perdre inévitablement les embarcations qui se sont laissé surprendre par les courants contraires du détroit. Les débris de tous ces naufrages sont ensuite portés vers la plage de Tauromenium, et celle-ci en a reçu le surnom de Copria. Les Mamertins, avec le temps, ont su prendre un tel ascendant sur les Messéniens qu'ils sont devenus, on peut dire, les maîtres de la ville : aussi n'est-ce plus le nom de Messéniens qu'on emploie aujourd'hui pour désigner les habitants de Messéné, mais toujours le nom de Mamertins. Le vin même de cet excellent cru, capable, on le sait, de rivaliser avec les meilleurs vins d'Italie, n'est plus connu sous le nom de Messénien, mais bien sous celui de Mamertin. La ville d'ailleurs est passablement peuplée, moins pourtant que Catane, depuis que celle-ci a reçu des colons romains. Tauromenium est la moins peuplée des trois ; et, tandis que Catane a eu, comme Zanclé, les Naxiens mêmes pour fondateurs, ce sont les Zancléens d'Hybla qui l'ont bâtie. Catane, du reste, perdit momentanément sa population naxienne, elle reçut à la place une colonie qu'avait envoyée Hiéron, tyran de Syracuse, et vit du même coup substituer le nom d'Aetna à son nom primitif. C'est à cette fondation de Hiéron que Pindare fait allusion dans le passage suivant :

«Prête l'oreille à ce que je vais dire, grand roi, dont le nom rappelle nos pieux sacrifices, grand roi, fondateur d'Aetna».

Mais, après la mort de Hiéron, les Catanéens rentrèrent dans la ville, en chassèrent les nouveau-venus et renversèrent le tombeau du tyran. Ainsi expulsés, les Aetnéens allèrent s'établir dans un canton de l'Aetna, appelé Innesa, à 80 stades de distance de Catane, et y bâtirent une autre ville qu'ils appelèrent de ce même nom d'Aetna et qu'ils placèrent, tout comme s'il l'eût fondée, sous les auspices de Hiéron. Catane se trouvant située juste au pied de l'Aetna, c'est son territoire qui a le plus à souffrir des éruptions du volcan : la proximité est telle en effet que tout y est de prime abord envahi par la lave. On connaît le pieux dévouement d'Amphinomos et d'Anapias, chargeant leur père et leur mère sur leurs épaules et les sauvant ainsi des dangers d'une éruption : c'est ici, à Catane même, que la tradition place cette scène touchante. Suivant Posidonius, à chaque éruption de l'Aetna, la plaine de Catane disparaît tout entière sous une épaisse couche de cendre ; mais cette cendre volcanique, qui dans le premier moment gâte et détruit tout, fait avec le temps à la terre un bien infini : il est constant, par exemple, que les vignes et les campagnes de Catane lui doivent leur incomparable richesse, car nulle part ailleurs dans le pays la vigne n'est aussi productive. Il en est de même de l'herbe qui pousse ici dans les terrains que les cendres volcaniques ont recouverts, elle engraisse tellement le bétail qu'il suffoquerait, dit-on, si, tous les quarante ou cinquante jours, on ne le saignait aux oreilles, précaution que nous avons déjà observée à Erythie. La lave, en se figeant, forme à la surface du sol une croûte pierreuse tellement épaisse qu'il faut la couper comme on fait la pierre dans les carrières, si l'on veut mettre à découvert le sol primitif. C'est en effet la roche même, liquéfiée au fond du cratère, qui, par suite de l'ébullition, déborde et se répand sous la forme d'une boue noirâtre le long des flancs de la montagne ; après quoi, elle se refroidit, durcit de nouveau et prend l'aspect et la consistance de la pierre meulière, sans perdre la couleur qu'elle avait à l'état liquide. Mais la combustion des roches, tout comme celle du bois, produit de la cendre ; et si la cendre de bois est un excellent engrais pour certaines plantes (pour la rue, par exemple), on conçoit que les cendres de l'Aetna puissent exercer sur la vigne une action analogue.

4. Naxos et Mégare venaient d'être fondées, quand Archias arriva de Corinthe en Sicile et fonda lui-même Syracuse. Suivant certaine tradition, Archias s'était rendu à Delphes en même temps que Myscellus et ils avaient consulté l'oracle ensemble : le dieu, avant de répondre, avait voulu savoir ce que chacun d'eux préférait de la richesse ou de la santé ; et, comme Archias avait choisi la richesse et Myscellus la santé, il avait désigné au premier l'emplacement de Syracuse, et l'emplacement de Crotone au second. Or, les Crotoniates se trouvèrent effectivement avoir bâti leur ville dans des conditions de salubrité merveilleuse, ainsi que nous l'avons dit plus haut ; et les Syracusains de leur côté s'élevèrent en peu de temps à l'apogée de la richesse et de l'opulence, témoin cet ancien proverbe : Ils n'auraient pas assez de la dîme de Syracuse, lequel se dit des gens prodigues et magnifiques. La tradition ajoute qu'en passant à Corcyre, qui se nommait alors Scheria, Archias y laissa l'Héraclide Chersicrate, avec une partie de ses gens, pour y fonder un établissement, ce que Chersicrate parvint à faire après avoir chassé les Liburnes, maîtres de l'île ; qu'ayant ensuite relâché au promontoire Zephyrium il y trouva un certain nombre de Doriens qui revenaient de Sicile, où ils s'étaient séparés de leurs compagnons, les fondateurs de Mégare, qu'il les prit alors avec lui, comme ils se disposaient à regagner la Grèce, et put enfin, aidé par eux, fonder Syracuse. Grâce, surtout, à la fertilité de son territoire et à l'heureuse disposition de ses ports, Syracuse prit un rapide accroissement, et ses habitants en vinrent bientôt à exercer sur toute la Sicile une véritable hégémonie, hégémonie oppressive tant que régnèrent leurs tyrans, hégémonie bienfaisante quand, redevenus libres eux-mêmes, ils voulurent affranchir aussi toutes les villes qui gémissaient sous le joug des Barbares. De ces populations barbares de la Sicile, les unes étaient autochthones, les autres avaient franchi le détroit et envahi le pays. Les Grecs avaient bien empêché qu'elles ne prissent pied sur aucun point du littoral, mais ils n'avaient pu les empêcher de pénétrer dans l'intérieur et de s'y fixer, si bien que, de nos jours encore, l'intérieur de l'île demeure occupé par les descendants des Sicèles, des Sicanes, des Morgètes, etc., voire même des Ibères, le premier peuple barbare, au dire d'Ephore, qui se soit établi en Sicile. Morgantium, ville ancienne aujourd'hui détruite, avait eu, suivant toute apparence, les Morgètes pour fondateurs. Barbares et Grecs eurent beaucoup à souffrir ensuite de l'invasion des Carthaginois et de leurs continuelles attaques, auxquelles Syracuse opposa pourtant encore une énergique résistance. Puis les Romains passèrent dans l'île à leur tour, et, en ayant expulsé les Carthaginois, ils mirent le siège devant Syracuse et s'en emparèrent. De nos jours, pour réparer le mal que Sextus Pompée avait fait à Syracuse, ainsi qu'à mainte autre ville de la Sicile, César-Auguste y envoya une colonie et fit rebâtir une bonne partie de l'ancienne ville. Seulement, celle-ci formait une pentapole ayant un mur d'enceinte de 180 stades, et comme il n'y avait aucune utilité à ce que toute cette enceinte fût remplie, Auguste crut devoir borner ses réparations au quartier voisin de l'île d'Ortygie, quartier moins abandonné, moins désert que les autres, et qui se trouvait avoir d'ailleurs à lui seul le périmètre d'une ville considérable. L'île d'Ortygie fait, on peut dire, partie de Syracuse, d'autant qu'un pont l'y réunit. Elle renferme la fontaine Aréthuse. Les mythographes prétendent que le fleuve par lequel cette fontaine s'écoule dans la mer n'est autre que l'Alphée venu jusqu'ici des côtes du Péloponnèse, après avoir fait sous terre tout le trajet de la mer de Sicile, pour s'unir à l'Aréthuse, se séparer d'elle aussitôt et se perdre de nouveau dans la mer. On cite à l'appui de cette tradition certains faits, celui d'une coupe, par exemple, jetée dans l'Alphée à Olympie, et qui aurait reparu à Ortygie dans l'Aréthuse ; celui-ci aussi, qu'à la suite des grandes hécatombes d'Olympie les eaux de la fontaine prennent toujours une teinte bourbeuse. Ajoutons que Pindare admet la tradition et s'y conforme, quand il dit en parlant d'Ortygie :

«Tombe auguste de l'Alphée, noble berceau de Syracuse»,

et que Timée lui-même fait comme Pindare, l'historien en ceci confirmant le poète. Mais au moins faudrait-il qu'avant d'atteindre les côtes du Péloponnèse l'Alphée se perdît dans quelque gouffre béant à la surface de la terre, on concevrait alors à la rigueur que du fond de ce gouffre il pût parvenir jusqu'en Sicile par un canal ou conduit souterrain et sans que ses eaux se fussent altérées par leur mélange avec celles de la mer ; au contraire, on le voit tomber et déboucher directement dans la mer. Je ne sache pas maintenant qu'en mer, à portée de la côte, on ait signalé de tourbillon capable d'engloutir le courant du fleuve, auquel cas d'ailleurs ses eaux ne seraient pas encore complètement préservées d'amertume. La chose est donc tout à fait impossible. La nature des eaux de l'Aréthuse, lesquelles sont parfaitement douces et potables, suffirait déjà à démontrer la fausseté de la tradition ; mais cette autre circonstance, que le courant du fleuve persiste aussi avant dans la mer sans se confondre avec elle de manière à atteindre ce prétendu canal souterrain où l'on veut qu'il s'engage, cette circonstance, dis-je, prête à la tradition toute l'invraisemblance de la fable. C'est à peine en effet si nous admettons ce phénomène pour le Rhône, dont le courant demeure distinct et laisse sa trace parfaitement visible sur toute la longueur du lac qu'il traverse, et pourtant il ne s'agit là que d'un trajet relativement court, à travers un lac toujours paisible. Comment donc l'admettre quand il s'agit d'une mer agitée de si fréquentes et de si horribles tempêtes ? Quant au fait de la coupe, il n'a d'autre portée que de grossir encore le mensonge : un corps semblable ne suivrait pas le cours ordinaire d'un fleuve, à plus forte raison un cours si long et si irrégulier. Sans doute il n'est point rare que des fleuves se perdent et coulent sous terre ; plus d'un pays nous en offre des exemples, mais ce n'est jamais sur un si long espace, et, d'ailleurs, le fait en soi fût-il possible, les circonstances qui l'accompagnent n'en demeureraient pas moins impossibles, aussi impossibles que l'est le cours fabuleux que Sophocle prête à l'Inachus lorsqu'après avoir dit :

«Il descend des sommets du Pinde et du Lacmus ; puis, laissant les Perrhaebes,
il visite l'Amphiloque, et passe chez l'Acarnane, qui le voit s'unir à l'Achéloüs»,

il ajoute un peu plus bas :

«De là, fendant les flots de la mer, il atteint dans Argos au dème de Lyrceus».

Plus exact que Sophocle, Hécatée ne confond pas ainsi l'Inachus d'Argolide et l'Inachus Amphilochien, et c'est après les avoir distingués expressément qu'il nous montre ce dernier descendant, comme l'Aeas, des flancs du Lacmus, et, comme Argos Amphilochicum, empruntant son surnom du héros Amphilochus, pour aller se jeter dans l'Achéloüs, tandis que l'Aeas coule à l'O dans la direction d'Apollonie. Pour en revenir à Ortygie, il existe de chaque côté de l'île un port spacieux : le plus grand des deux a 80 stades de circuit. Indépendamment de Syracuse, César rebâtit Catane et Centoripa, ville qui n'avait pas peu contribué à la ruine de Pompée. Centoripa est située au-dessus de Catane, au pied même de 1'Aetna et non loin du fleuve Symaethus, lequel arrose ensuite le territoire de Catane. [Une autre colonie de Naxos, Leontium, a eu également beaucoup à souffrir pendant la guerre contre Sextus Pompée. Il est remarquable seulement qu'ayant partagé en tout temps les infortunes de Syracuse, cette ville n'ait pas eu part de même à toutes ses bonnes fortunes.]

5. Des deux autres côtés de la Sicile, celui qui va du cap Pachynus au cap Lilybéen est aujourd'hui entièrement dépeuplé et offre à peine quelques vestiges des nombreux établissements que les anciens y avaient fondés, et entre lesquels on distinguait Camarina, colonie de Syracuse. Les seules villes qui y soient restées debout sont Agrigente, colonie de Géla, le port d'Agrigente et Lilybée. Etant plus rapproché que les deux autres de Carthage, ce côté de la Sicile s'est trouvé être naturellement l'objet d'attaques continuelles de la part des Carthaginois et le théâtre de longues guerres qui ont en grande partie ruiné le pays. Quant au dernier côté (qui est aussi le plus grand des trois), et compte, sans être encore très peuplé, un assez grand nombre de lieux habités, Alaesa, par exemple, et Tyndaris, et l'emporium ou comptoir des Aegestéens, et Cephalaedès, qui sont même à proprement parler autant de petites villes, puis Panorme, ville élevée aujourd'hui au rang de colonie romaine, et l'antique Aegeste, fondée, dit-on, par ces compagnons de Philoctète dont nous avons déjà parlé dans notre description de l'Italie, et qui, par ordre du héros, quittèrent la Crotoniatide et passèrent en Sicile sous la conduite du Troyen Aegeste. Citons encore sur cette côte, parmi les lieux habités, la haute montagne d'Eryx, avec son temple de Vénus, objet en tout temps d'une vénération extraordinaire, et rempli autrefois de femmes esclaves que, dans leur piété, les Siciliens et mainte autre nation étrangère vouaient au culte de la déesse. Aujourd'hui pourtant la ville d'Eryx ne compte plus qu'un petit nombre d'habitants ; le temple, de son côté, a perdu toute cette population vouée au culte de Vénus. Sur le modèle de ce temple on a bâti à Rome, en avant de la porte Colline, le temple dit de Vénus Erycine, remarquable par le beau portique qui en entoure la cella.

6. Dans l'intérieur de l'île, la ville d'Enna, où est ce fameux temple de Cérès, ne compte plus aussi qu'un petit nombre d'habitants : elle est située sur une montagne entourée de vastes plateaux, tous d'une extrême fertilité. Rien n'a plus contribué à ruiner cette ville que le siège soutenu autrefois dans ses murs par les bandes d'esclaves fugitifs qui formaient l'armée d'Eunus et que les Romains eurent tant de peine à réduire. La même guerre fit beaucoup de mal à Catane, à Tauromenium et à plusieurs autres villes encore. Partout ailleurs, dans l'intérieur [et sur le littoral] on ne trouverait guère que des habitations de bergers, car il n'y a plus, que je sache, de vrai centre de population, ni à Himera, ni à Gela, ni à Callipolis, ni à Sélinonte, ni à Euboea, etc., toutes villes dont l'origine est grecque, puisqu'elles ont été fondées, Himera par les Zancléens de Mylae, [Géla par les Rhodiens], Callipolis par les Naxiens, Sélinonte par les Mégariens de Sicile, et Euboea par les Léontins. Quant aux villes fondées par les Barbares, comme était Camici, résidence de ce roi Cocalus chez qui la tradition fait périr Minos assassiné, elles ont aussi pour la plupart complètement disparu. Frappés de cet abandon du pays, de riches Romains se rendirent acquéreurs des montagnes et de la meilleure partie des plaines et livrèrent ces terres à des éleveurs de chevaux, de boeufs et de brebis, leurs esclaves. Mais la présence de cette nouvelle population fit courir plus d'une fois aux Siciliens de grands dangers ; car ces pâtres, qui ne s'étaient d'abord livrés qu'à des actes de brigandage isolés, individuels, finirent par former des bandes qui portèrent la dévastation jusque dans les villes, comme l'atteste l'occupation d'Enna par la bande d'Eunus. De nos jours, tout dernièrement même, on a amené à Rome un certain Selurus, dit le fils de l'Aetna, parce qu'à la tête d'une véritable armée il avait longtemps couru et dévasté les environs de cette montagne, et nous l'avons vu dans le cirque, à la suite d'un combat de gladiateurs, déchirer par les bêtes. On l'avait placé sur un échafaudage très élevé qui figurait l'Aetna ; tout à coup l'échafaudage se disloqua, s'écroula, et lui-même fut précipité au milieu de cages remplies de bêtes féroces qu'on avait placées au-dessous, mais qu'on avait faites exprès assez fragiles pour que ces bêtes n'eussent aucune peine à les rompre.

7. Qu'est-il besoin, à présent, de parler de la fertilité de la Sicile, après ce que tant d'auteurs en ont dit ? Généralement, on l'égale à celle de l'Italie ; il semble pourtant qu'on doive la mettre encore au-dessus, quand on compare la production des deux pays en blé, en miel, en safran, etc. Ajoutons que son extrême proximité de l'Italie (la Sicile fait en quelque sorte partie de la péninsule) lui permet de pourvoir aux approvisionnements de Rome aussi commodément et sans plus de peine que les campagnes mêmes de l'Italie. On l'appelle à cause de cela le grenier de Rome ; et il est de fait qu'elle exporte à Rome tous ses produits, sauf une petite quantité réservée pour sa propre consommation ; et par produits je n'entends pas seulement les fruits de la terre, mais aussi le bétail, le cuir, la laine, etc. Suivant l'expression de Posidonius, la Sicile se trouve avoir, dans Syracuse et dans l'Eryx, deux citadelles qui commandent la mer, et, dans Enna, une troisième citadelle intermédiaire qui commande et domine toutes les plaines de l'intérieur.

8. Non loin de Centoripa est la petite ville d'Aetna, dont nous parlions tout à l'heure. Aetna est le repos et le point de départ des voyageurs qui font l'ascension du volcan ; car c'est là que commence, à proprement parler, la région du sommet. Dans toute cette région supérieure, la montagne est nue et stérile, le sol est comme de la cendre, et disparaît l'hiver sous la neige amoncelée, ce qui forme un contraste avec les beaux bois et l'abondante végétation de la région inférieure. Le sommet, qui plus est, paraît sujet à de fréquents changements par suite de la nature capricieuse des éruptions volcaniques, et cela se conçoit : comme le feu intérieur tantôt se porte tout vers un seul cratère et tantôt se divise entre plusieurs, et que de ces cratères sortent tantôt des flots de lave, tantôt rien que des flammes et de la fumée, tantôt aussi de grosses masses ignées ; cette irrégularité des éruptions affecte aussi nécessairement les conduits souterrains et en change la direction, et il n'est pas rare de voir s'ouvrir sur tout le pourtour du sommet de nouveaux cratères ou orifices. Des voyageurs qui ont fait récemment l'ascension de l'Aetna nous ont dit avoir trouvé, une fois au haut de la montagne, un plateau tout uni, de 20 stades de circuit environ, et bordé circulairement d'une sorte de bourrelet de cendre, de la hauteur d'un mur ordinaire, qui lui sert de clôture et par-dessus lequel il faut sauter, pour peu qu'on veuille s'avancer sur le plateau. Au milieu de cette enceinte, on apercevait une butte ayant cette même couleur cendrée que le sol conserve sur toute la surface du plateau, et juste au-dessus de la butte un nuage ou pour mieux dire une colonne de fumée pouvant avoir deux cents pieds de hauteur perpendiculaire et paraissant complètement immobile (il est vrai que c'était par un temps de calme). Deux de ces voyageurs avaient osé s'avancer sur le plateau, mais, comme ils avaient senti que le sol sous leurs pieds était par trop brûlant et qu'ils y enfonçaient trop, ils avaient vite rétrogradé, sans avoir rien pu reconnaître de plus que ce que l'on observait en se tenant à distance. Le peu qu'ils avaient vu avait suffi toutefois à les convaincre que la fable tient une grande place dans tout ce qu'on a débité au sujet du volcan, et notamment dans ce qu'on raconte d'Empédocle, qu'il se serait précipité au fond du cratère, sans laisser après lui d'autre indice de sa mort qu'une des sandales d'airain qu'il portait avant l'événement et qu'on aurait retrouvée à une faible distance du bord du cratère, rejetée là apparemment par la violence du feu. Suivant eux, en effet, on ne saurait approcher du cratère ni le voir ; ils ne concevaient même pas qu'on y pût rien jeter, vu la résistance des vents qui soufflent incessamment des profondeurs de l'abîme et l'excès de la chaleur qui ne manquerait pas de vous arrêter longtemps avant que vous eussiez atteint le bord du cratère. Supposé d'ailleurs qu'un corps quelconque eût pu y être lancé, ce corps n'eût pas manqué d'être complètement altéré et défiguré ; à coup sûr, il n'eût pas été rejeté tel qu'il était d'abord. Sans doute il pourrait se faire (et rien n'empêche de l'admettre) que, pour un temps et faute d'aliments, ces exhalaisons d'air et de feu éprouvassent quelque interruption, jamais pourtant l'interruption ne serait assez complète ni assez longue pour permettre à l'homme d'affronter l'approche d'obstacles si énergiques. L'Aetna, qui commande plus particulièrement le côté du détroit et le territoire de Catane, domine également les rivages de la mer Tyrrhénienne et les îles des Liparaeens : son sommet, pendant la nuit, s'illumine de clartés étincelantes ; en revanche, il demeure tout le jour enveloppé de fumée et d'épaisses ténèbres.

9. Les monts Nébrodes, situés juste à l'opposite de l'Aetna, lui sont inférieurs en élévation, mais de beaucoup supérieurs en étendue. Ce que nous avons dit de la partie de la mer Tyrrhénienne comprise entre la Sicile et la côte de Cume est vrai aussi de la Sicile : partout elle est minée par des cours d'eau et des feux souterrains, ce qui explique la quantité d'eaux chaudes, tantôt salées, comme celles de Sélinonte et d'Himère, tantôt douces et potables, comme celles d'Aegeste, qu'on y voit jaillir à la surface du sol. Dans certains lacs ou étangs voisins d'Agrigente, les eaux ont le même goût que celles de la mer, tout en étant de nature bien différente, puisque, sans savoir nager, on s'y soutient à la surface et que le corps de l'homme y flotte ni plus ni moins que le bois. A Palici, l'eau jaillit de bassins profonds semblables à des cratères et y retombe en formant une sorte de voûte. Enfin la grotte qu'on visite auprès d'Imachare contient une immense galerie dans laquelle un fleuve circule à couvert et parcourt ainsi un très long trajet, pour surgir ensuite à la surface du sol, comme fait le fleuve Oronte en Syrie, qui, après s'être perdu entre Apamée et Antioche, dans un gouffre appelé Charybde, reparaît 40 stades plus loin. La même chose, on le sait, arrive au Tigre, en Mésopotamie, et au Nil, en Libye, un peu au-dessous de ses sources. On cite encore les eaux de Stymphale, qui, après avoir coulé sous terre l'espace de 200 stades, reparaissent en Argolide et forment le fleuve Erasinus. Quant aux eaux qu'on voit se perdre auprès d'Asée en Arcadie, elles mettent encore plus de temps à reparaître et forment alors deux fleuves distincts, l'Alphée et l'Eurotas, ce qui avait naguère accrédité cette fable, que deux couronnes offertes, l'une à l'Alphée et l'autre à l'Eurotas, et jetées ensemble dans le courant commun, obéissaient au voeu du donateur, chacune d'elles reparaissant dans le fleuve auquel elle avait été spécialement adressée. Enfin nous avons rapporté plus haut ce que l'on dit d'analogue touchant le Timave.

10. Des faits de même nature que ceux-ci, de même nature aussi que les phénomènes volcaniques de la Sicile, s'observent dans les îles dites des Liparaeens, notamment dans l'île de Lipara. Le groupe comprend sept îles. Lipara, colonie cnidienne, est la plus grande ; elle est aussi la plus rapprochée de la Sicile, du moins après Thermesse. Son nom primitif était Meligunis. Il fut un temps où, maîtresse des îles qui l'avoisinent et qu'on désigne aujourd'hui sous le nom d'îles des Liparaeens, voire quelquefois sous le nom d'îles d'Aeole, cette île pouvait mettre sur pied de véritables flottes, qui, courant les mers, repoussèrent longtemps les descentes ou incursions des Tyrrhènes. Plus d'une fois même elle envoya à Delphes la dépouille des vaisseaux ennemis pour orner le temple d'Apollon. Indépendamment d'un sol fertile, cette île possède une mine d'alun qui est d'un grand rapport et des sources thermales. Ajoutons qu'il s'y trouve un volcan en activité. [Thermesse], ou, comme on l'appelle actuellement, Hiera, l'île sacrée de Vulcain, est située à peu près à mi-chemin entre Lipara et la Sicile ; le sol en est partout rocheux, nu et volcanique. On y voit le feu jaillir par trois orifices, autrement dit par trois cratères. Le plus grand ne vomit pas seulement des flammes, mais aussi des masses ou blocs ignés qui ont déjà comblé une bonne partie du détroit. D'après l'ensemble des faits observés, on croit généralement que ce sont les vents qui provoquent et suscitent les éruptions du volcan de Thermesse, de même qu'ils suscitent celles de l'Aetna, et que, quand les vents cessent, ses éruptions cessent aussi. Cette opinion, suivant nous, n'est nullement déraisonnable. Quel est en effet le principe, l'élément qui donne naissance aux vents et qui les alimente ? L'évaporation de la mer. Il n'y a donc rien d'étonnant, pour qui a assisté une fois à ce genre de spectacle, que ce soit un principe, un élément congénère qui allume le feu des volcans. Polybe trouva l'un de ces trois cratères affaissé déjà en partie sur lui-même, mais les deux autres encore intacts. Le plus grand avait cinq stades de tour à sa marge extérieure, puis allait se rétrécissant peu à peu jusqu'à ne plus avoir qu'un diamètre de cinquante pieds à un stade au-dessus du niveau de la mer, laquelle s'apercevait du reste très bien d'en haut pour peu que le temps fût calme. Voici maintenant ce qu'ajoute Polybe relativement aux vents : si c'est le Notus qui doit souffler, une noire vapeur, assez épaisse pour dérober même la vue de la Sicile, se répand autour de la petite île ; le Borée au contraire s'annonce par des flammes très claires, qu'on voit jaillir du sein dudit cratère et par des détonations plus fortes qu'à l'ordinaire ; quant aux signes qui annoncent le Zéphyr, ils tiennent le milieu en quelque sorte entre les signes avant-coureurs du Notus et les signes qui précèdent Borée. Les deux autres cratères ont la même forme, le même aspect que celui-là, mais une force éruptive beaucoup moindre, et l'on peut, d'après la différence d'intensité des détonations et d'après le point de départ des éruptions de flammes ou de fumée, pronostiquer à coup sûr le temps qu'il fera trois jours après. C'est ainsi que des gens de Lipara annoncèrent à Polybe, alors retenu à terre par un gros temps qui empêchait de mettre à la voile, que tel autre vent se lèverait bientôt, et la chose arriva effectivement comme ils l'avaient annoncée. De tout ce qui précède Polybe conclut qu'Homère, en faisant d'Aeole le dispensateur des vents (ce qui peut paraître au premier abord une fable dans toute l'acception du mot), ne nous a pas donné une pure fiction, mais bien la vérité même sous un ingénieux déguisement. On a vu au début de cet ouvrage ce que nous pensions à cet égard ; reprenons donc la suite de notre description du point où cette digression l'a interrompue.

11. Et, comme nous avons déjà décrit Lipara et Thermesse, passons à Strongyle. Cette île tire son nom de sa forme arrondie ; elle est aussi de nature volcanique, mais ses éruptions, très inférieures à celles des deux autres îles en intensité, l'emportent beaucoup par l'éclat et la splendeur des feux. Aussi les mythographes en avaient-ils fait la demeure même d'Aeole. Didyme, la quatrième île du groupe, tire, comme Strongyle, le nom qu'elle porte de sa configuration. Quant à Ericussa et à Phoenicussa, qui viennent ensuite, c'est de la nature de leurs plantations qu'elles ont tiré les leurs ; elles sont d'ailleurs l'une et l'autre affectées uniquement à l'élève et au pâturage des bestiaux. Enfin, si la septième, qui est située plus au large que les autres et qui se trouve être complètement déserte, a été appelée Evonymos, c'est parce qu'on l'a juste à sa gauche quand on se rend de Lipara en Sicile. Il n'est pas rare non plus dans ces parages de voir des flammes courir à la surface de la mer, par suite apparemment de l'ouverture de quelque cratère sous-marin due aux efforts que fait incessamment le feu intérieur pour se frayer de nouvelles issues au dehors. Posidonius décrit un autre phénomène observé de son temps. «Un jour, dit-il, à l'époque du solstice d'été, on vit, dès le lever de l'aurore, la mer entre Hiera et Evonymos se gonfler d'une façon prodigieuse, continuer encore un certain temps à grossir, puis cesser tout à coup ; des embarcations se dirigèrent aussitôt de ce côté, mais la vue d'une quantité de poissons morts apportés par le flot, jointe à l'excès de la chaleur et à l'odeur infecte qui s'exhalait de la mer, effraya ceux qui les montaient et les força à s'enfuir ; une seule embarcation, pour s'être approchée davantage, perdit une partie de son monde et ramena le reste à grand'peine à Lipara et encore dans un état pitoyable, en proie à des accès de délire (d'un délire analogue à celui des épileptiques), suivis il est vrai de brusques réveils de la raison. Quelques jours après, il se forma à la surface de la mer comme qui dirait des efflorescences boueuses, accompagnées sur certains points d'un dégagement de flammes, de vapeurs et de fumée, puis cette boue durcit et forma un îlot ayant la consistance et l'aspect de la pierre meulière. Le préteur de la Sicile, Titus Flamininus, se hâta de porter le fait à la connaissance du sénat, qui à son tour envoya une députation pour célébrer sur le nouvel îlot, ainsi qu'à Lipara, un double sacrifice en l'honneur des dieux infernaux et des divinités de la mer». - D'Ericôdès à Phoynicôdès, la table chorographique marque 10 milles, puis 30 milles jusqu'à Didyme, 29 milles ensuite de Didyme à Lipara, en allant droit au N., enfin 19 milles de Lipara à la côte de Sicile ou 16 seulement en partant de Strongyle. - En face de Pachynus sont situées deux îles, l'île de Mélité, d'où l'on tire cette petite race de chiens connus sous le nom de mélitaeens, et l'île de Gaudos, l'une et l'autre à 88 milles dudit promontoire. Une autre île, nommée Cossura, se trouve placée entre le promontoire Lilybaeum et le port d'Aspis, autrement dit de Clypea, sur la côte carthaginoise, à une distance aussi de 88 milles de l'un et de l'autre points. De même Agimurus et le groupe de petites îles qui l'entourent se trouvent à portée à la fois des côtes de la Sicile et de celles de la Libye. - Ici se termine ce que nous avions à dire des îles.


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