XII, 6 - La Lycaonie, l'Isaurie et la Pisidie

Carte Spruner (1865)

1. Tel est l'aspect du lac Tatta. Quant aux cantons d'Orcaorci et de Pitnisos et aux plateaux de la Lycaonie, ce sont autant de pays froids et nus, dans lesquels paissent de nombreux onagres, mais qui manquent presque absolument d'eau [à boire], sans compter que dans les seules localités où l'on trouve de l'eau, il faut la tirer de puits extrêmement profonds : c'est ce qui arrive par exemple à Soatra, où l'on en est même réduit à l'acheter. Soatra est un gros bourg voisin de Garsaoura. Le manque d'eau n'empêche point que dans toute cette contrée l'élève du bétail ne réussisse à merveille. La laine des troupeaux y est bien un peu rude, mais [malgré cet inconvénient] on a vu certains propriétaires se faire avec le produit de ces troupeaux de très grandes fortunes. Amyntas à lui seul et dans ces mêmes cantons en possédait plus de trois cents. Ici aussi, du reste, existent des lacs [salés], deux entre autres appelés le Caralis et le Trogitis : le premier est le plus grand des deux, le second est de dimensions bien moindres. Du même côté, mais dans un canton plus riant et plus fertile que cette âpre région à laquelle on a donné le nom d'Onagrobote, s'élève Iconium, petite ville assez populeuse, sur laquelle régnait naguère Polémon. A Iconium, on voit la chaîne du Taurus se rapprocher sensiblement, pour former la limite entre la Cappadoce et la Lycaonie au N. et la Cilicie Trachée au midi. Quant à la limite qui sépare la Lycaonie de la Cappadoce, elle passe entre le bourg lycaonien de Coropassus et la petite ville cappadocienne de Garsaoura, et l'intervalle entre ces deux places, qui sont fortifiées l'une et l'autre, n'est guère que de 120 stades.

2. De la Lycaonie dépend encore l'Isaurique, canton situé au pied même du Taurus et qui contient deux bourgs principaux portant l'un et l'autre le nom d'Isaura, à savoir le bourg de Palaeo-Isaura et [le bourg de Néo-Isaura], dont on a fait une position très forte. Autour de ces deux bourgs principaux, dont elles forment autant de dépendances, sont répandues maintes bourgades, qui toutes sont habitées par des brigands et qui [à cause de cela] gênèrent beaucoup les Romains, jusqu'à ce que Publius Servilius, surnommé l'Isaurique, général célèbre que nous-même avons encore connu, fût parvenu non sans peine à soumettre le pays tout entier à la République en détruisant la plupart des forteresses que les pirates s'étaient bâties sur le rivage même de la mer.

3. L'Isaurique est flanquée pour ainsi dire par la citadelle de Derbé qui s'élève dans la partie [de la Lycaonie] la plus rapprochée de la Cappadoce et qui servit naguère de résidence au tyran Antipater Derbétès, lequel possédait également Laranda. De nos jours, l'Isaurique et Derbé faisaient partie du royaume d'Amyntas : Amyntas avait pris Derbé en attaquant et en mettant à mort Derbétès ; mais l'Isaurique lui avait été cédée par les Romains. Ajoutons qu'il s'était fait bâtir un palais sur l'emplacement de Palaeo-Isaura, démolie à cet effet, et qu'il avait même commencé la construction d'un nouveau mur d'enceinte ; seulement, il n'eut pas le temps de l'achever ayant trouvé la mort dans une embuscade cilicienne durant son expédition contre les Homonadées.

4. Profitant de ce qu'il possédait, outre la Lycaonie, la ville d'Antioche de Pisidie avec le territoire qui s'étend jusqu'à Apollonias aux environs d'Apamée Kibôtos et avec une partie de la [Phrygie] Parorée, Amyntas avait essayé de mettre un terme aux incursions continuelles que les Ciliciens et les Pisidiens dirigeaient du haut du Taurus sur les terres des [Lycaoniens] et des Phrygiens ; il avait même réussi déjà à leur enlever bon nombre de positions réputées jusque-là imprenables, voire celle de Cremna, ce qui l'avait dispensé de diriger une attaque de vive force sur Sandalium, forteresse située entre Cremna et Sagalassus.

5. Aujourd'hui Cremna a reçu dans ses murs une colonie romaine et Sagalassus est placée sous la surveillance du préfet romain qui administre tout l'ancien royaume d'Amyntas. Cette dernière ville distante d'Apamée d'une journée de marche est à 30 stades environ au-dessous de la forteresse [de Sandalium]. Elle porte aussi le nom de Selgessus et avait déjà été prise de vive force par Alexandre [le Grand]. Pour en revenir à Amyntas, une fois maître de Cremna, il avait pénétré chez les Homonadées, lesquels passaient pour occuper dans la montagne la position la plus inexpugnable et déjà il s'était rendu maître de la plupart de leurs forteresses et avait tué de sa main leur tyran, lorsqu'il se laissa prendre lui-même à une ruse de la veuve de celui-ci et fut fait prisonnier par les Homonadées qui le mirent à mort. [Il eut pour vengeur Quintus] Quirinius qui plus tard, après que la faim avait déjà décimé les Homonadées, emmena prisonniers les 4000 guerriers survivants et les distribua dans les villes voisines, sans laisser dans tout le pays un homme en âge de porter les armes. Ce territoire des Homonadées, situé dans la partie la plus haute du Taurus, se composait d'une plaine fertile encaissée entre des rochers à pic et sans accès et coupée elle-même en plusieurs vallons. Ils la cultivaient et vivaient de ses produits, mais habitaient sur les crêtes qui la dominent ou dans le creux des rochers, et, toujours en armes, faisaient de continuelles incursions sur les terres de leurs voisins, tandis que leurs propres champs étaient protégés par les montagnes comme par un boulevard infranchissable.


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