Trajan

5. Trajan avait eu, avant d'arriver à l'empire, le songe que voici : il lui semblait qu'un homme âgé, revêtu de la prétexte et orné d'une couronne comme on représente le sénat, lui imprimait avec un anneau son cachet au côté gauche du cou, puis sur le côté droit. Lorsqu'il fut devenu empereur, il écrivit au sénat de sa propre main, entre autres choses, qu'il ne ferait périr ou ne noterait d'infamie aucun homme de bien ; et ces promesses, il les confirma par serments, tant sur le moment que dans la suite. [Il jura de ne point verser de sang, et il resta fidèle à ce serment dans ses actes, bien qu'on ait attenté à ses jours. Il n'y avait dans son caractère aucune duplicité, aucune ruse, aucune rudesse ; loin de là, il aimait et accueillait les gens de bien, et il leur accordait des honneurs ; quant aux autres, il ne s'en mettait pas en peine : l'âge lui avait donné de la maturité.] Ayant envoyé quérir Aelianus et les gardes prétoriennes, qui s'étaient soulevés contre Nerva, comme s'il eût eu dessein de s'en servir, il se débarrassa d'eux. Il ne fut pas plutôt arrivé à Rome, qu'il fit plusieurs règlements pour la réformation de l'Etat et en faveur des gens de bien, dont il s'occupait avec un soin si particulier qu'il accorda des fonds aux villes d'Italie pour l'éducation des enfants, dont il se faisait ainsi le bienfaiteur. Plotine, sa femme, la première fois qu'elle entra dans le palais, arrivée au haut des degrés, s'étant tournée vers le peuple, «Telle j'entre ici, dit-elle, telle je veux en sortir». Durant tout son règne, elle se conduisit de façon à ce qu'on n'eût rien à lui reprocher.

6. Après un séjour de quelque temps à Rome, il entreprit une expédition contre les Daces, songeant à leur conduite, affligé du tribut qu'ils recevaient tous les ans, et voyant avec leurs troupes s'augmenter leur orgueil. Décébale fut saisi de crainte à la nouvelle de sa marche ; il savait bien, en effet, qu'auparavant ce n'était pas les Romains, mais Domitien qu'il avait vaincu, et qu'à présent il allait avoir à combattre contre les Romains et contre l'empereur Trajan. Car Trajan brillait au plus haut degré par sa justice, par son courage et par la simplicité de ses moeurs. Il avait le corps robuste (il était âgé de quarante-deux ans lorsqu'il parvint à l'empire), [en sorte qu'il supportait autant que personne toutes les fatigues ;] une âme vigoureuse, en sorte qu'il était exempt et de la fougue de la jeunessse et de la lenteur de la vieillesse. Bien loin de porter envie à quelqu'un ou de l'amoindrir, il honorait tous les gens de bien et il les élevait en dignité ; aussi ne redoutait-il et ne haïssait-il aucun d'eux. Il n'ajoutait aucune foi aux calomnies, et n'était nullement esclave de la colère. Il s'abstenait du bien d'autrui à l'égal des meurtres injustes.

7. Il dépensait beaucoup pour la guerre, beaucoup aussi pour des travaux pendant la paix ; mais les dépenses les plus nombreuses et les plus nécessaires avaient pour objet la réparation des routes, des ports et des édifices publics, sans que, pour aucun de ces ouvrages, il versât jamais le sang. Il avait naturellement tant de grandeur dans ses conceptions et dans ses pensées, qu'ayant relevé le Cirque de ses ruines, plus beau et plus magnifique, il y mit une inscription portant qu'il l'avait rebâti de la sorte pour qu'il pût contenir le peuple romain. Il souhaitait plutôt se faire aimer par cette conduite que de se faire rendre des honneurs. Il mettait de la douceur dans ses rapports avec le peuple, et de la dignité dans ses entretiens avec le sénat ; chéri de tous, et redoutable seulement aux ennemis. Il prenait part aux chasses des citoyens, à leurs festins, à leurs travaux et à leurs projets, comme aussi à leurs distractions ; souvent même il occupait la quatrième place dans leur litière, et il ne craignait pas d'entrer sans garde dans leur maison. Sans avoir la science parfaite de l'éloquence, il en connaissait les procédés et les mettait en pratique. Il n'y avait rien où il n'excellât. Je sais bien qu'il avait la passion des jeunes garçons et du vin : si ces penchants lui eussent fait faire ou souffrir quelque chose de honteux ou de mauvais, il en eût été blâmé ; mais il pouvait boire jusqu'à satiété, sans cependant perdre rien de sa raison, et, dans ses amusements, jamais il ne blessa personne. S'il aimait la guerre, il se contentait de remporter des succès, d'abattre un ennemi implacable et d'accroître ses propres Etats. Car, jamais sous lui, ainsi qu'il arrive ordinairement, en pareilles circonstances, les soldats ne se laissèrent aller à l'orgueil et à l'insolence, tant il avait de fermeté dans le commandernent. Aussi n'était-ce pas sans raison que Décébale le redoutait.

8. Dans l'expédition de Trajan contre les Daces, lorsqqu'il fut près de Tapes, où campaient les barbares, on lui apporta un gros champignon, où était écrit en caractères latins que les autres allés et les Burres engageaient Trajan à retourner en arrière et à conclure la paix. Il ne laissa pas pour cela de donner un combat, où il vit un grand nombre des siens blessés et fit un grand carnage parmi les ennemis ; les bandages étant venus à manquer, il n'épargna pas, dit-on, ses propres vêtements, et les coupa en morceaux ; de plus, il ordonna d'élever un autel en l'honneur de ses soldats morts dans la bataille, et de leur offrir tous les ans des sacrifices funèbres. Comme il s'efforçait d'arriver sur les hauteurs, enlevant les collines l'une après l'autre et au prix de mille dangers, il arriva près de la résidence des rois daces, en même temps que Lusius, qui avait attaqué d'un autre côté, fit un grand carnage et un grand nombre de prisonniers. Décébale, envoyant alors en ambassade à l'empereur les principaux des Daces portant bonnet, et le faisant implorer par eux, se montra disposé à traiter à n'importe quelle condition.

9. [Décébale avait, même avant sa défaite, envoyé en ambassade, non plus, comme auparavant, des hommes pris dans la classe des chevelus, mais les principaux des porte-bonnets. Ceux-ci, ayant jeté leurs armes et s'étant précipités à terre, supplièrent Trajan de vouloir bien, avant tout, consentir à ce que Décébale vînt en sa présence et entrât en pourparler avec lui, ajoutant qu'il était prêt à faire tout ce qui lui serait commandé ; sinon, que l'empereur envoyât, du moins, quelqu'un pour s'entendre avec lui. On lui envoya Sura et Claudius Livianus, préfet du prétoire. Mais on n'obtint aucun résultat ; car Décébale n'osa pas avoir d'entrevue, même avec eux ; il envoya encore alors [...] Trajan s'empara de montagnes fortifiées, et il y trouva les armes, les machines, les captifs et l'enseigne prise sur Fuscus. Aussi Décébale, surtout lorsque, dans le même temps, Maximus eut pris sa soeur et une place forte, se montra-t-il disposé à traiter à n'importe quelle condition, non qu'il eut l'intention d'y rester fidèle, mais il voulait respirer un moment.] On exigeait de lui, en effet, qu'il livrât les machines, les machinistes, qu'il rendît les transfuges, qu'il démolît ses fortifications, évacuât les territoires conquis, et, de plus, qu'il tînt pour ennemis et pour amis ceux qui le seraient des Romains ; [qu'il n'en reçût aucun, et qu'il ne prît à son service aucun soldat levé dans l'empire romain (il en attirait à lui un grand nombre et des plus vaillants) ; ] il consentit, bien malgré lui, à ces conditions, après être allé trouver Trajan, s'être précipité à terre, l'avoir adoré [et avoir jeté ses armes. Trajan envoya, pour ce sujet, des ambassadeurs au sénat, afin de faire confirmer la paix par lui. Ayant, à la suite de ce traité, laissé son armée à Zermigéthusa et mis des garnisons dans le reste du pays, il revint en Italie.]

10. Les ambassadeurs de Décébale furent introduits dans le sénat, où, après avoir déposé leurs armes, ils joignirent les mains à la façon des captifs, prononcèrent certaines paroles et certaines prières, consentirent ainsi à la paix, et reprirent leurs armes. Trajan célébra son triomphe et fut surnommé Dacique ; il donna au théâtre des combats de gladiateurs (car il se plaisait, à ces combats), et fit reparaître les histrions sur le théâtre (car il aimait Pylade, l'un d'entre eux), sans pour cela, en sa qualité de guerrier, veiller moins au reste des affaires ou moins rendre la justice ; tantôt sur le Forum d'Auguste, tantôt sous le portique de Livie, souvent aussi en d'autres endroits, il prononçait ses jugements assis sur son tribunal. Mais, lorsqu'on lui eut annoncé que Décébale contrevenait à plusieurs articles du traité, qu'il faisait provision d'armes, qu'il recevait des transfuges, qu'il élevait des forteresses, qu'il envoyait des ambassades chez ses voisins, qu'il ravageait le pays de ceux qui avaient précédemment pris parti contre lui, qu'il s'était emparé de terres appartenant aux Iazyges, terres que Trajan refusa depuis de leur rendre lorsqu'il les lui redemandèrent ; alors le sénat déclara une seconde fois Décébale ennemi de Rome, et Trajan, une seconde fois aussi, se chargea de lui faire la guerre en personne, et non par d'autres généraux.

11. [Beaucoup de Daces étant passés du côté de Trajan, Décébale, pour ce motif et pour d'autres, demanda de nouveau la paix. Mais, loin de consentir à. livrer ses armes et sa personne, il rassemblait ouvertement des troupes et soulevait les peuples voisins, leur représentant que, s'ils l'abandonnaient, ils seraient eux-mêmes exposés au danger ; qu'il y avait plus de sûreté et plus de facilité à conserver leur liberté en combattant avec lui avant d'avoir éprouvé le malheur ; que, s'ils laissaient écraser les Daces, ils seraient plus tard eux-mêmes subjugués par le manque d'alliés.] Décébale échoua par la force, mais il faillit faire périr Trajan par la ruse et la trahison : il lui envoya en Moesie des transfuges chargés de l'assassiner, attendu que, d'un abord facile en tout temps, il recevait alors sans distinction, à cause des besoins de la guerre, quiconque voulait lui parler. Mais ils n'y purent réussir, l'un deux ayant été arrêté sur un soupçon et ayant avoué tout le complot à la torture.

12. Longinus, qui commandait un détachement de l'armée romaine, et dont il avait éprouvé la valeur dans la guerre, s'étant, d'après son invitation, laissé attirer à une entrevue avec lui sous prétexte qu'il ferait sa soumission, Décébale s'en saisit et l'interrogea publiquement sur les projets de Trajan ; et, comme celui-ci refusa de rien révéler, il le retint en garde libre. Décébale alors [envoya un ambassadeur à Trajan pour demander qu'on lui abandonnât le pays jusqu'à l'Ister, et qu'on lui remboursât tous les frais de la guerre,] à la condition qu'il rendrait Longinus. Trajan ayant donné une réponse indécise, et dont les termes devaient montrer qu'il n'avait pour Longinus ni beaucoup ni peu d'estime, afin de ne pas le perdre et de ne pas non plus acheter cher sa rançon, Décébale, examinant ce qu'il devait faire, hésita ; et Longinus, à qui [son affranchi] avait, dans l'intervalle, procuré du poison, [promit au roi de le réconcilier avec Trajan, de peur que, soupçonnant son intention, il ne le fit garder plus étroitement ; puis, il écrivit une supplique à Trajan, supplique qu'il chargea l'affranchi de porter, afin d'assurer sa sûreté. L'affranchi ainsi éloigné, Longinus] prit [le poison pendant la nuit], et mourut. [Cela fait, Décébale réclama l'affranchi à Trajan, promettant de lui donner en échange le corps de Longinus et dix captifs, et aussitôt il lui envoya le centurion pris avec Longinus, dans l'espérance qu'il ferait réussir son dessein ; par ce centurion, Trajan connut tout ce qui se rapportait à Longinus. Néanmoins il ne le renvoya pas et ne rendit pas non plus l'affranchi, estimant la vie de cet homme préférable, pour la dignité de l'empire, à la sépulture de Longinus.]

13. Trajan construisit un pont de pierre sur l'Ister, pont à propos duquel je ne sais comment exprimer mon admiration pour ce prince. On a bien de lui d'autres ouvrages magnifiques, mais celui-là les surpasse tous. Il se compose de vingt piles, faites de pierres carrées, hautes de cent cinquante pieds, non compris les fondements, et larges de soixante. Ces piles, qui sont éloignées de cent soixante-dix pieds l'une de l'autre, sont jointes ensemble par des arches. Comment ne pas admirer la dépense faite pour les établir ? Comment ne pas être étonné de la manière dont chacune d'elles a été construite au milieu d'un grand fleuve, dans une eau pleine de gouffres, sur un sol limoneux, vu qu'il n'y eut pas moyen de détourner le courant ? Si j'ai dit la largeur du fleuve, ce n'est pas que son courant n'occupe que cet espace (quelquefois il en couvre deux et même trois fois autant), c'est que l'endroit le plus étroit et le plus commode de ces pays pour bâtir un pont a cette largeur. Mais, plus est étroit le lit où il est renfermé en cet endroit, descendant d'un grand lac pour aller ensuite dans un lac plus grand, plus le fleuve devient rapide et profond, ce qui contribue encore à rendre difficile la construction d'un pont. Ces travaux sont donc une nouvelle preuve de la grandeur d'âme de Trajan ; le pont, néanmoins, ne nous est d'aucune utilité : ce ne sont que des piles dans l'eau, puisqu'on ne peut plus passer dessus, que l'on dirait construites uniquement pour faire voir qu'il n'y a rien dont l'industrie humaine ne sache venir à bout. Trajan, craignant que, lorsque l'Ister est gelé, les Romains qui seraient au delà ne fussent attaqués, le construisit, afin d'y faire passer aisément des troupes ; Adrien, au contraire, appréhendant que les barbares, après avoir forcé ceux qui le gardaient, n'y trouvassent un passage aisé pour pénétrer en Mcesie, en démolit le haut.

14. Franchissant donc l'Ister sur ce pont, et menant la guerre avec plus de prudence et de sûreté que d'ardeur, Trajan, avec le temps et non sans peine, vainquit les Daces, après maint prodige de sa part et comme général et comme homme, après maint danger affronté ou fait d'armes accompli par ses soldats. Un d'eux, un cavalier, grièvement blessé, fut emporté du combat comme s'il eût été possible de le guérir ; mais, ayant reconnu que sa blessure était sans remède, il s'élança de sa tente (le mal n'était pas encore arrivé à son terme), et, se remettant lui-même à son rang, il mourut après des prodiges de valeur. Quant à Décébale, comme sa résidence royale et son royaume tout entier étaient au pouvoir des vainqueurs, et qu'il courait lui-même le risque d'être pris, il se donna la mort, et sa tête fut portée à Rome. C'est ainsi que la Dacie fut réduite sous l'obéissance des Romains, et Trajan y colonisa plusieurs villes. Les trésors de Décébale furent trouvés, bien que cachés sous le fleuve Sargétia, qui baigne la résidence royale. Décébale, en effet, avait, avec l'aide de captifs, détourné le fleuve ; il en avait creusé le fond, et, après y avoir enfoui quantité d'argent et d'or et tout ce qu'il avait de précieux pouvant jusqu'à un certain point souffrir l'humidité, mis des pierres et entassé de 1a terre par dessus, il avait ensuite ramené le fleuve dans son lit ; il avait aussi fait mettre en dépôt, par ces mêmes captifs, dans des cavernes des vêtements et autres objets de la sorte. Puis, cela fait, il avait égorgé les captifs, afin de les empêcher de rien révéler. Mais Bicilis, un de ses intimes amis, qui avait connaissance de ce qui s'était passé, fut pris et révéla le secret. Vers ce même temps aussi , Palma, gouverneur de Syrie, s'empara de la partie de l'Arabie qui environne Pétra, et la réduisit sous l'obéissance des Romains.

15. Dès que Trajan fut de retour à Rome, il arriva une foule d'ambassadeurs de nations barbares, et, entre autres, des Indiens. Il donna, pendant cent vingt-trois jours, des spectacles où furent tuées mille et jusqu'à dix mille bêtes tant sauvages que domestiques, où combattirent dix mille gladiateurs. [Trajan, dans les spectacles, accordait aux ambassadeurs venus de la part des rois une place dans les rangs des sénateurs.] Vers le même temps encore, il rendit les marais Pontins praticables au moyen de chaussées, et construisit le long des édifices et des ponts magnifiques. Il fit fondre toute la monnaie de mauvais aloi. Licinius Sura étant mort, il lui fit des funérailles aux frais de l'Etat, et lui érigea une statue ; ce Sura était si riche et si avide de gloire qu'il fit bâtir un gymnase en faveur des Romains. Telle était l'amitié et la confiance, [et de Sura envers Trajan, et de Trajan envers Sura, que, malgré les calomnies auxquelles celui-ci fut en butte, comme c'est l'ordinaire pour ceux qui ont quelque pouvoir auprès des empereurs, Trajan n'eut jamais contre lui ni soupçon ni haine ; que, loin de là, voyant l'acharnement des envieux,] il se rendit [dans la maison de Sura sans y être invité,] pour souper, et, qu'après avoir congédié tous ses gardes, il commença par appeler le médecin de son ami et se faire oindre les yeux par lui ; puis son barbier, et se fit raser par lui (c'était l'antique usage des citoyens romains, et les empereurs eux-mêmes y restaient fidèles ; Adrien, le premier, introduisit la mode de laisser croître sa barbe) ; qu'après avoir agi ainsi, après avoir pris le bain et avoir soupé, il dit, le lendemain, à ceux qui étaient dans l'habitude de mal parler de Sura : «Si Sura eût eu l'intention de me tuer, il m'eût tué hier».

16. C'est, à coup sûr, une grande action de la part de Trajan que d'éprouver ainsi un homme accusé de trahison ; mais c'en est une beaucoup plus grande que de n'avoir jamais appréhendé d'être sa victime. Bien plus, lorsqu'en le créant chef de 1a garde prétorienne, il lui présenta l'épée qu'il devait ceindre, il la tira du fourreau et lui dit, en la lui présentant : «Prends cette épée, afin de t'en servir pour moi, si je gouverne bien ; contre moi, si je gouverne mal». Il érigea aussi des statues à Sossius, à Palma et à Celsus, tellement il les jugea dignes d'honneurs plus grands que les autres citoyens. Quant à ceux qui avaient conspiré contre lui, et parmi lesquels était Crassus, il les traduisit devant le sénat pour les faire punir par cette compagnie. Il établit aussi des bibliothèques. Il fit élever sur le Forum une haute colonne, destinée à la fois et à lui servir de tombeau et à être une preuve du travail fait pour cette place ; cet endroit, en effet, étant montagneux, il le défonça de toute la hauteur de la colonne, et en fit ainsi une plaine.

17. Ensuite, il entreprit une expédition contre les Arméniens et les Parthes, sous prétexte que le roi d'Arménie, au lieu de recevoir de lui le diadème, l'avait reçu du roi des Parthes; mais, en réalité, pour satisfaire son désir de gloire. [Trajan, dans le cours de son expédition contre les Parthes, étant arrivé à Athènes, y trouva une ambassade envoyée par Osroès pour lui demander la paix et lui offrir des présents. Osroès, en effet, ne fut pas plutôt instruit que Trajan était en marche et qu'il confirmait ses menaces par des faits, qu'il fut saisi de crainte, et que, abaissant son orgueil, il l'envoya supplier de ne point lui faire la guerre ; il lui demandait l'Arémnie pour Parthamasiris, fils, lui aussi, de Pacorus, et le priait de lui envoyer le diadème, car, disait-il, Exédarès, ayant tenu une conduite peu convenable tant à l'égard des Romains qu'à l'égard des Parthes, avait été destitué par lui. Trajan n'accepta pas ses présents et ne lui donna, soit de vive voix, soit par lettre, aucune réponse ; sinon que l'amitié se juge par des actes et non par des paroles, et que, en conséquence, lorsqu'il serait en Syrie, il ferait tout ce qui serait équitable. Persistant dans cette pensée, il se rendit à Séleucie par l'Asie, la Lycie et les contrées limitrophes.

18. A Antioche, Augaros l'Osroène ne parut pas à sa rencontre, il se contenta d'envoyer des présents et des paroles amies ; car, redoutant pareillement Trajan et les Parthes, il balançait entre les deux, ce qui fit qu'il ne voulut pas avoir d'entrevue avec lui.] Lorsque Trajan eut envahi le territoire ennemi, les satrapes et les rois de cette contrée vinrent au-devant de lui avec des présents, parmi lesquels était un cheval qu'on avait instruit à se prosterner : il courbait les jambes de devant et baissait la tête jusqu'aux pieds de la personne qui se trouvait près de lui. Trajan, soumettant tout sans combattre, s'avança jusqu'à Satale et jusqu'à Elégia, villes d'Arménie ; il accorda des honneurs au roi des Hénioques, et punit Parthamasiris, roi des Arméniens, s'empara de l'Arménie tout entière, mit au nombre de ses amis plusieurs rois qui firent leur soumission , et vint à bout sans combat de quelques autres qui lui refusaient obéissance.

19. [Parthamasiris se laissa emporter à un acte de violence. Ayant écrit d'abord comme roi à Trajan et n'ayant pas reçu de réponse, il lui envoya une nouvelle lettre où il supprimait ce titre, et demanda qu'on lui envoyât M. Junius, gouverneur de la Cappadoce, comme s'il eût eu une grâce à demander par son entremise. Trajan lui envoya le fils de Junius, et, poussant luimême jusqu'à Samosate, qu'il prit sans résistance, il vint à Satale et récompensa par des présents Anchialos, roi des Hénioques et des Machéloniens. A Elégia, il reçut Parthamasiris. Trajan était assis sur son tribunal, au bord du retranchement; Parthamasiris, l'ayant salué, enleva son diadème de dessus sa tête, le déposa aux pieds de l'empereur, se tint debout en silence devant lui, et s'attendait à le reprendre. Les soldats alors ayant poussé un cri, comme à la suite d'une victoire (ils nommaient cela une victoire sans douleurs, et l'ayant acclamé imperator, attendu qu'elle n'avait pas coûté de sang), car ils voyaient un roi Arsacide, un fils de Pacorus, un neveu d'Osroès debout, sans diadème, devant leur chef, dans l'attitude d'un captif, Parthamasiris fut frappé d'effroi et se figura qu'il était outragé et perdu. Il se retourna comme pour fuir ; mais, se voyant entouré, il demanda la grâce de ne point parler au milieu de la foule. Introduit, à la suite de cette demande, dans la tente du prince, il n'obtint rien de ce qu'il désirait.

20. Etant donc sorti précipitamment avec colère, il fut ramené du milieu du camp par l'ordre de Trajan, qui, monté de nouveau sur son tribunal, lui commanda de dire en présence de tous ce qu'il voulait, afin d'éviter que quelques-uns, dans l'ignorance de ce qui aurait été dit en particulier, n'en publiassent quelque récit différent de la vérité. A ces mots, Parthamnsiris ne se contint plus ; entre autres paroles d'une grande liberté, il dit que ce n'était ni après avoir essuyé une défaite, ni après avoir été fait prisonnier qu'il était venu, que c'était de sa propre volonté, dans la croyance qu'il n'aurait à subir aucune injure, et qu'il recouvrerait son royaume comme Tiridate l'avait recouvré de Néron, Trajan, sur les autres points, lui fit la réponse qui convenait ; quant à l'Arménie, il déclara qu'il ne l'abandonnerait à personne (elle appartenait aux Romains et aurait un gouverneur romain) ; il lui accordait néanmoins la permission de se retirer où il lui plairait. Il congédia Parthamasiris avec les Parthes qui l'accompagnaient, en leur donnant pour escorte des cavaliers destinés à les empêcher de communiquer avec personne et de tenter aucun mouvement ; il ordonna de plus à tous les Arméniens qui étaient venus avec lui, de demeurer dans leur patrie, attendu qu'ils étaient, dès à présent, ses sujets.]

21. [Trajan, après avoir laissé garnison dans les lieux propices, vint à Edesse et y vit Augaros pour la première fois. Jusque-là, en effet, Augaros avait souvent envoyé des ambassadeurs et des présents ; mais, tantôt sous un prétexte, tantôt sous un autre, il ne s'était pas présenté en personne, non plus que Mannos, chef de l'Arabie limitrophe, et Sporacès, chef de l'Anthémusie. Alors, cédant aux instances de son fils Arbandès, jeune et beau garçon, qui avait, par ces avantages, gagné l'amitié de Trajan, et aussi redoutant la présence de ce prince, il se rendit au-devant de lui à son arrivée, se justifia et obtint son pardon ; car son fils était une éloquente supplique. A partir de ce moment, Augaros devint l'ami de Trajan et il lui donna un banquet ; pendant le repas, il amena son fils pour danser une danse à la manière des barbares.]

22. [Lorsqu'il fut arrivé en Mésopotamie, Trajan, à qui Mannos avait fait des ouvertures, et à qui Manisaros, en guerre avec Osroès, avait envoyé des ambassadeurs pour obtenir la paix, se disant prêt à évacuer l'Arménie et la Mésopotamie dont il s'était emparé, Trajan, dis-je, répondit à Manisaros qu'il n'aurait foi en lui que lorsqu'il serait venu, selon sa promesse, confirmer ses engagements par des actes ; quant à Mannos, il se défiait de lui, entre autres raisons, parce que, après avoir envoyé des troupes au secours de Mébarsapès, roi de l'Adiabène, il les avait toutes perdues sous les coups des Romains. C'est pourquoi il n'attendit pas leur arrivée et il s'avança contre eux en Adiabène. Ce fut dans de telles circonstances que Singara, entre autres places, tomba, sans opposer de résistance, au pouvoir de Lusius.]
[Adenystres était un château fort, où un centurion, nommé Sentius, qui y fut député vers Mébarsapès, jeté dans les fers par ce prince et détenu dans la place, s'entendit, à l'apppoche des Romains, avec quelques-uns de ses compagnons de captivité, et s'échappant avec eux de ses fers, ouvrit, après avoir tué le chef de la garnison, les portes à ses concitoyens.]

23. Parmi beaucoup d'autres honneurs décernés à Trajan par le sénat, fut le surnom d'Optimus, c'est-à-dire de TrèsBon. Il allait toujours à pied à la tête de son armée, rangeait et disposait en ordre ses soldats toutes les fois qu'on se mettait en marche, les conduisant tantôt d'une manière, tantôt d'une autre ; il passait aussi à gué les fleuves comme eux. Quelquefois aussi il faisait répandre de faux bruits par ses éclaireurs, afin d'exercer ses troupes à la tactique, de les habituer à être prêtes à tout et à ne s'effrayer de rien. Il reçut encore, après la prise de Nisibe et de Batnes, le surnom de Parthique, mais il était bien plus fier de l'appellation d'Optimus que de toutes les autres ensemble, car ce nom avait rapport à son caractère plus qu'à ses armes.

24. Pendant son séjour à Antioche, il y eut un horrible tremblement de terre ; plusieurs villes en souffrirent, mais Antioche fut la plus maltraitée. Comme Trajan y avait ses quartiers d'hiver, que nombre de soldats et nombre de particuliers s'y étaient rendus de tous côtés pour affaires, pour ambassades, pour négoce ou par curiosité, il n'y eut aucune province, aucun peuple, qui fût à l'abri du fléau : dans Antioche, tout l'univers soumis aux Romains éprouva un dommage. Il y eut bien des foudres et des vents inaccoutumés ; mais personne ne se serait attendu qu'il en naîtrait de tels malheurs. D'abord, on entendit tout à coup un grand gémissement ; suivit ensuite une violente secousse ; la terre tout entière bondissait ; les édifices s'élançaient en haut ; les uns, enlevés en l'air, retombaient et se disloquaient ; les autres, ébranlés de çà et de là, tournoyaient comme au milieu des flots agités, et, de plus, occupaient une grande partie de l'espace. Le fracas des bois qui se rompaient et se brisaient, joint à celui des pierres, des tuiles, était tellement effrayant, il se levait une telle poussière, qu'on ne pouvait ni se voir, ni se parler, ni s'entendre. Plusieurs personnes, qui étaient hors de leurs maisons, furent atteintes ; enlevées en l'air et violemment emportées, puis, précipitées comme du haut d'un escarpement, elles retombaient meurtries ; les unes étaient mutilées, les autres mortes. Des arbres même furent arrachés avec leurs racines. Quant à ceux qui périrent surpris dans leurs maisons, leur nombre est incalculable ; beaucoup, en effet, furent écrasés par le choc des objets qui tombaient ; beaucoup aussi furent étouffés sous des monceaux de terre. Tous ceux qui avaient quelque partie du corps engagée sous les pierres ou les bois, étaient dans un état déplorable, sans pouvoir ni survivre, ni mourir sur-le-champ.

25. Néanmoins quelques-uns d'entre eux, sur cette population innombrable, parvinrent à se sauver ; mais tous ne s'en tirèrent pas sans souffrance. Quelques-uns y eurent ou les jambes, ou les épaules, ou la tête mutilée. D'autres vomirent le sang ; parmi eux fut le consul Pédon, qui même faillit en mourir. En un mot, il n'y eut absolument aucun fléau dont la violence ne se fît alors sentir. La divinité ayant prolongé le tremblement pendant plusieurs jours et plusieurs nuits, les habitants étaient en proie à l'incertitude et à l'embarras, les uns engloutis et tués par la ruine des édifices, les autres, à qui, soit un espace vide formé par l'inclinaison des bois, soit la voûte d'un entrecolonnement, permit de conserver la vie, mourant par la faim. Lorsque le fléau eut enfin cessé, un homme, ayant eu la hardiesse de s'avancer sur les ruines, s'aperçut qu'il y avait une femme vivante. Cette femme n'était pas seule, elle avait un enfant, et s'était soutenue en se nourrissant, elle et son enfant, de son propre lait. Après avoir écarté les décombres, on la rappela à la vie, ainsi que son enfant; puis on se mit à fouiller les autres endroits, et on n'y put trouver être vivant, excepté un enfant attaché à la mamelle de sa mère déjà morte, qu'il tétait encore. En retirant les morts, on n'avait plus de joie d'avoir conservé la vie. Tels furent les malheurs qui accablèrent alors Antioche ; quant à Trajan, il s'échappa par une fenêtre de la maison où il était, guidé par un homme d'une taille au-dessus de la taille ordinaire des hommes, qui s'était approché de lui, en sorte qu'il en fut quitte pour quelques blessures légères ; mais, comme le tremblement dura plusieurs jours, il se tint dans le cirque en plein air. Le Casius lui-même fut tellement ébranlé, que sa cime sembla se pencher et se briser jusqu'à tomber sur la ville. D'autres montagnes aussi s'affaissèrent ; de l'eau sortit en abondance là où il n'y en avait pas auparavant, comme aussi elle tarit dans des lieux où elle coulait en abondance.

26. Trajan, au printemps, entra sur le territoire ennemi. Mais la contrée qui avoisine le Tigre ne portant pas de bois propre à la fabrication des vaisseaux, il fit transporter jusqu'au fleuve, sur des chariots, des barques fabriquées dans les forêts voisines de Nisibe ; car ces barques avaient été construites de façon à se démonter et à se remonter. Il établit avec beaucoup de peine un pont de bateaux sur le fleuve, au pied du mont Cardyne ; car les barbares, postés sur la rive opposée, cherchaient à l'arrêter. Mais (Trajan avait des barques et des hommes en quantité) : de ces barques, les unes se joignaient avec une grande promptitude, les autres marchaient devant eux, portant des soldats pesamment armés et des archers ; d'autres enfin tentaient, sur divers points, de forcer le passage. Ces manoeuvres, et la surprise que leur causa la réunion d'un si grand nombre de vaisseaux dans un pays manquant de bois, décidèrent les barbares à céder. Les Romains traversèrent donc le fleuve; ils soumirent l'Adiabène entière (cette contrée fait partie de l'Assyrie, où domina Ninus ; Arbèles, ainsi que Gaugamèles, où Alexandre vainquit Darius, en dépendent, et certains endroits furent même appelés Atyrie, par suite du changement, chez les barbares, de SS en T) ; puis ils s'avancèrent jusqu'à Babylone elle-même, ne trouvant que bien peu d'ennemis en état de leur résister, attendu que l'armée des Parthes était diminuée par les divisions intestines, et que la sédition y régnait encore.

27. Là, Trajan vit le lac de bitume qui avait servi à la construction des murailles de Babylone (telle est, en effet, la solidité qu'offre son mélange avec des briques cuites ou de petites pierres, qu'il rend ces remparts plus durs que le roc ou n'importe quel fer) ; il contempla aussi l'embouchure du lac, d'où s'exhale une vapeur si dangereuse, que les animaux terrestres et les oiseaux périssent pour peu qu'ils l'aient sentie. Si cette vapeur montait bien haut, ou si elle se répandait alentour, le pays serait inhabitable ; mais elle reste en place, concentrée en elle-même. J'ai vu chose semblable à Hiéropolis, en Asie, et j'en ai fait l'épreuve sur des oiseaux, penché moi-même et moi-même voyant la vapeur ; car cette vapeur est renfermée dans une sorte de réservoir, et un théâtre a été élevé au-dessus. Cette vapeur est mortelle à tout être animé, excepté pour les hommes à qui on a coupé les parties. C'est un fait dont je ne puis pénétrer la cause ; mais enfin je dis ce que j'ai vu comme je l'ai vu, ce que j'ai entendu comme je l'ai entendu.

28. Trajan avait résolu de faire descendre l'Euphrate dans le Tigre par un canal, afin d'y amener les vaisseaux dont il voulait faire un pont ; mais, ayant reconnu que l'Euphrate était beaucoup plus haut que le Tigre, il abandonna cette résolutions craignant d'empêcher la navigation sur l'Euphrate, si la masse entière de ce fleuve suivait la pente : ayant donc fait transporter, avec des leviers, ses vaisseaux à travers l'espace étroit qui sépare les deux fleuves (l'Euphrate se jette dans un marais et en sort pour mêler ses eaux à celles du Tigre), il passa le Tigre et vint à Ctésiphon, dont la prise lui valut le titre d'imperator et la confirmation du surnom de Parthique. Divers honneurs lui furent décernés par le sénat, et, entre autres, celui de célébrer autant de triomphes qu'il lui plairait. Maître de Ctésiphon, il conçut le désir de passer dans la mer Erythrée. Cette mer fait partie de l'Océan, et tire son nom d'un prince qui y exerça autrefois l'autorité. Il réduisit sans peine à son obéissance la Mésène, île du Tigre où régnait Athambilus ; cependant une tempête et la rapidité du Tigre, jointes au reflux de l'Océan, lui firent courir des dangers. Mais les peuples qui habitent la forteresse dite de Spasinus (ils étaient sous la domination d'Athambilus) lui firent un accueil amical.

29. S'étant avancé delà jusqu'à l'Océan, et instruit de la nature de cette mer, il dit, à la vue d'un vaisseau cinglant pour l'Inde : «Je ne manquerais pas d'aller chez les Indiens, si j'étais encore jeune». Il songeait aux Indiens, s'informait des affaires de ces peuples, et vantait le bonheur d'Alexandre. Néanmoins il prétendait avoir poussé plus loin que lui ses armes, et il en écrivit même au sénat, bien qu'il n'ait pu conserver ses propres conquêtes. A cette occasion, il reçut, entre autres honneurs, celui de triompher d'un aussi grand nombre de peuples qu'il lui plairait, car le nombre de ceux dont on écrivait à chaque instant la soumission à Rome était tel qu'on ne pouvait ni les connaître, ni les énumérer exactement. On lui érigea, sans compter plusieurs autres, un arc de triomphe sur son Forum ; on se disposait à aller aussi loin que possible au-devant de lui à son retour ; mais il ne devait ni rentrer à Rome, ni rien faire désormais qui fût digne de ses précédents exploits ; il devait, de plus, en perdre le fruit. En effet, dans le moment même où il était embarqué surl'Océan et qu'il revenait de son voyage, des troubles éclatèrent chez tous les peuples conquis, et la défection s'y déclara : les uns chassaient les garnisons mises chez eux ; les autres les massacraient.

30. Instruit de ces événements tandis qu'il était à Babylone (il y était allé, attiré et par la renommée de cette ville, où il ne vit rien qui répondît à cette renommée, mais seulement des digues, des pierres et des ruines, et par le souvenir d'Alexandre, à qui il offrit un sacrifice funèbre dans la maison même où il était mort), instruit, dis-je, de ces événements, Trajan envoya Lusius et Maximus contre les rebelles. Maximus fut tué dans une défaite ; Lusius, entre autres succès, eut celui de reprendre Nisibe, d'emporter d'assaut Edesse, de la piller et de la livrer aux flammes. Les légats Erycius Clarus et Julius Alexander s'emparèrent de Séleucie et la brûlèrent. Quant à Trajan, craignant que les Parthes ne se soulevassent aussi, il voulut leur donner un roi particulier ; arrivé à Ctésiphon, il convoqua dans une grande plaine tous les Romains et les Parthes qui s'y trouvaient ; puis, après être monté sur une haute tribune et avoir parlé en termes magnifiques de ses conquêtes, il proclama roi des Parthes Parthamaspatès, à qui il attacha le diadème.

31. Ensuite il partit pour l'Arabie et attaqua les Atréniens, qui, eux aussi, avaient fait défection. Leur ville n'est ni grande ni riche, et le pays d'alentour est un vaste désert ; il a fort peu d'eau (et encore ce peu est-il détestable), il n'a pas de bois ni de pâturages. Ces obstacles, qui, par leur nombre, rendent un siège impossible, et le Soleil, à qui elle est comme consacrée, suffisent pour défendre la ville ; car ni Trajan alors, ni Sévère dans la suite, ne purent la prendre, bien qu'ils aient démoli des portions de ses murailles. Trajan, qui avait détaché sa cavalerie, éprouva un échec si notable, qu'elle fut repoussée jusque dans le camp, et que lui-même, qui s'était avancé à cheval avec elle, manqua de peu d'être blessé, bien qu'ayant quitté le vêtement impérial de peur d'être reconnu. Mais, en voyant, la majesté de sa chevelure blanche et la dignité de son visage, les barbares soupçonnèrent qui il était ; ils lancèrent des flèches contre lui et tuèrent un cavalier à ses côtés. De plus, des tonnerres grondaient, des arcs-en-ciel se montraient ; des éclairs, des tourbillons, de la grêle et des foudres tombaient sur les Romains quand ils livraient un assaut. Lorsqu'ils prenaient leurs repas, des mouches, tombant dans ce qu'ils mangeaient et dans ce qu'ils buvaient, infectaient tout. Aussi Trajan, en cet état de choses, se retira, et, peu après, sa maladie commença.

32. Cependant les Juifs de la Cyrénaïque, mettant à leur tête un certain Andréas, égorgèrent les Romains et les Grecs, mangèrent leur chair, se ceignirent de leurs entrailles, se frottèrent de leur sang et se couvrirent de leur peau ; ils en scièrent plusieurs de haut en bas par le milieu du corps, en exposèrent d'autres aux bêtes, et en contraignirent quelques-uns de se battre comme des gladiateurs, tellement qu'ils en firent périr jusqu'à deux cent vingt mille. Ils se portèrent à de pareils excès en Egypte et en Cypre, sous la conduite d'Artémion, et il périt, là encore, deux cent quarante mille hommes. Voilà pourquoi il est défendu aux Juifs de mettre le pied en Cypre, et, si l'un d'eux est jeté dans l'île par la violence du vent, il est mis à mort. Les Juifs alors furent subjugués par plusieurs généraux, entre autres par Lusius, que Trajan envoya contre eux. [Lusius Quiétus était Maure et chef de soldats maures ; il commanda même un corps de cavalerie. Condamné pour sa perversité, il fut renvoyé du service et dégradé ; mais, dans la suite, lorsque la guerre contre les Daces fut imminente, Trajan ayant eu besoin du secours des Maures, Lusius vint le trouver de lui-même et fit de grandes actions. Ayant reçu des honneurs à raison de cette conduite, il accomplit dans la seconde guerre des exploits beaucoup plus nombreux et beaucoup plus grands ; enfin, il s'éleva à un tel degré de bravoure et de fortune dans cette guerre, qu'il fut mis au rang de ceux qui avaient exercé la préture, obtint le consulat et devint gouverneur de la Palestine ; ce furent surtout ces dignités qui lui attirèrent l'envie et la haine et qui causèrent sa perte.]

33. Trajan se disposait à tourner une seconde fois ses armes contre la Mésopotamie; mais, comme sa maladie s'aggravait, il partit pour se rendre par mer en Italie, et laissa P. Aelius Adrien en Syrie à la tête de l'armée. C'est ainsi que les Romains, après avoir conquis l'Arménie, la plus grande partie de la Mésopotamie et du pays des Parthes, perdirent le fruit et de leurs fatigues et de leurs dangers ; les Parthes, en effet, ayant déposé Parthamaspatès, revinrent à leur indépendance nationale. La maladie de Trajan, à ce qu'il crut, vint d'un poison qu'il aurait pris ; selon d'autres, de l'arrêt du sang que, chaque année, il rendait par en-bas, car il fut frappé d'apoplexie, de telle sorte que plusieurs parties de son corps furent paralysées et que toutes furent atteintes d'hydropisie. Arrivé à Sélinonte de Cilicie, que nous appelons Trajanopolis, il expira tout à coup après un règne de dix-neuf ans six mois quinze jours.


Les Empereurs du IIe siècle chez Dion Cassius

Nerva

Trajan

Hadrien

Antonin le Pieux

Marc-Aurèle

Commode