© Agnès Vinas

L'ensemble du Palatin recomposé par Auguste est tout à fait représentatif de sa manière de remodeler peu à peu la mythologie et de rallier certains dieux à sa cause.

Au début de l'histoire, il y a une simple maison particulière, étonnamment simple, mais remarquablement située du côté de la colline qui surplombe le Circus Maximus. Un coup de foudre frappe un jour à côté de la maison : l'endroit est déclaré propriété publique.

En 36 avant JC, après la bataille de Nauloque contre Sextus Pompée, Octave voue à Apollon un temple qu'il construira sur le Palatin, à l'endroit consacré par la foudre des dieux. Or la bataille d'Actium a été livrée au large d'un promontoire dominé par un temple d'Apollon : c'est donc à Apollo Actius, présenté comme son protecteur particulier dans les guerres qu'il vient de remporter, qu'il dédiera le temple somptueux qu'il projette d'édifier à proximité de sa maison.

© Agnès Vinas

Le temple est dédié le 9 octobre 28. Il est construit en marbre blanc de Luna ; le chariot du Soleil domine son toit, les portes sont décorées de plaques d'ivoire.

Voici comment Properce décrit le portique qui l'entoure, et le temple lui-même : «Tu me demandes pourquoi je me suis fait attendre ? C'est que le divin Auguste vient d'ouvrir le magnifique portique d'Apollon. Il est soutenu de tous côtés par des colonnes de marbre d'une beauté admirable, et l'on compte au milieu d'elles autant de statues que le vieux Danaüs avait de filles. Là, j'ai vu un dieu en marbre, plus beau qu'Apollon lui-même, accompagner ses chants sur la lyre, et autour de l'autel quatre génisses, ouvrage merveilleux de Myron, auxquelles on donnerait la vie. Au milieu du portique s'élevait, en marbre, le temple, qu'Apollon préfère à Délos, où il reçut le jour. On admirait sur le faîte un char du Soleil en or ; et la double porte, noble dépouille de l'éléphant d'Afrique, qui représentait d'un côté les Gaulois précipités des sommets du Parnasse, de l'autre la mort cruelle de l'infortunée Niobé. Enfin Apollon, revêtu d'une robe traînante, fait retentir ses chants entre sa soeur et sa mère». (Properce, Elégies, II, 31)

Maison privée d'Octave et temple constituent alors un ensemble complexe de couloirs, rampes et escaliers. Par ailleurs, au temple sont adjoints le portique des Danaïdes et deux bibliothèques, une latine et une grecque, complétant un ensemble qui devient rapidement l'un des endroits les plus fréquentés de Rome. Mais Ovide, mauvaise langue, interpellera ainsi dans ses Fastes l'Apollon du Palatin : «Phoebe domestice». Selon les termes d'Alessandro Barchiesi (The Poet and the prince, 1997, p.213) : «Les divins protecteurs du prince perdent leur indépendance et leur statut traditionnel, révélant qu'ils ne sont que de simples projections de sa voix souveraine».

Pourtant, en 27, un tour de passe-passe fait croire qu'Octave vient de rendre la République au peuple romain. La porte de sa maison est encadrée de lauriers, et ornée d'une couronne de chêne. La maison devient celle du Princeps, et bientôt de l'Augustus. Modeste, certes mais dans un environnement où cohabitent un dieu, et un homme qui n'est plus tout à fait un mortel comme les autres...

En 17 avant JC, c'est devant le temple d'Apollon Palatin qu'est chanté le Carmen saeculare d'Horace, lors des festivités des Jeux séculaires. Apollon est pris à témoin du retour de l'Age d'Or.

Dernière étape : devenu Pontifex Maximus le 6 mars 12 avant JC, Auguste a enfin la main-mise officielle sur toute la religion romaine : deux de ses décisions intéressent son complexe du Palatin :

  1. Suétone nous apprend qu'à cette occasion, il fait le ménage dans les anciens livres de prophéties, y compris dans les livres Sibyllins. De très nombreux textes sont détruits, ceux qui obtiennent son agrément sont déménagés depuis le Capitole jusque sur le Palatin, dans le socle de la statue d'Apollon ; voilà le dieu des dieux, Jupiter Optimus Maximus, dépossédé au profit d'un dieu plus favorable aux prétentions d'Auguste à se poser en homme providentiel.

  2. Le Pontifex Maximus étant tenu de résider dans la Regia, un espace public, à proximité du temple de Vesta dans le Forum romain, Auguste déclare publique sa propre maison du Palatin : ainsi peut-il y transférer le 28 avril 12, par sénatus-consulte, un autel et une statue de Vesta. Il est probable que le palladium, la relique la plus vénérable de Rome, qui était religieusement gardée dans le temple de Vesta du Forum, prend le même chemin. Ainsi, les Pénates de Troie sont-ils transférés chez un particulier. Mais si ce particulier est le descendant d'Enée, n'est-ce pas un retour ?

    Ovide pourra ironiser à demi-mot dans les Fastes sur cette confusion totale entre culte public et culte privé, et sur l'incongruité que représente la résidence d'une déesse Vierge dans la maison d'un mâle... Le professeur Alessandro Barchiesi parle à ce propos de «kidnapping», et remarque que désormais réside sur le Palatin une nouvelle triade, Apollon, Vesta... et Auguste. Les vieilles divinités ont été parfaitement détournées de leur vocation première, et bel et bien «récupérées».