Livre X - Lettres 50 et 51


PLINE A L'EMPEREUR TRAJAN

Quand je songe à l'étendue de votre empire, et plus encore à la grandeur de votre âme, je conçois qu'il est très convenable de vous proposer des ouvrages dignes de votre gloire, dignes de durer autant qu'elle, et qui ne soient pas moins recommandables par leur utilité qu'admirables par leur magnificence. Sur les confins du territoire de Nicomédie, est un lac très grand. Par ce lac, on transporte dans des bateaux, à peu de frais et sans beaucoup de peine, le marbre, les fruits, le bois, et toute autre chose, jusqu'au grand chemin. De là, on est obligé de se servir de charrois pour les voiturer, jusqu'à la mer, et cela est d'une grande fatigue et d'une grande dépense. L'ouvrage qui pourrait y remédier demande beaucoup d'ouvriers ; mais on n'en manque pas ; car la campagne et la ville sont fort peuplées, et on peut compter que tout le monde s'empressera de travailler à un ouvrage utile à tout le monde. Il faudrait seulement, au cas que vous le trouviez à propos, envoyer ici un niveleur ou un architecte, qui examinât de près si le lac est plus haut que la mer. Les experts de ce pays soutiennent qu'il est plus élevé de quarante coudées. J'ai trouvé près de là un très vaste bassin, creusé autrefois par un roi ; mais on ne sait pas trop si c'était pour recevoir les eaux des champs d'alentour, ou pour joindre le lac à un fleuve voisin ; car ce bassin est demeuré imparfait. On ne sait pas mieux si cet ouvrage a été abandonné, ou parce que ce roi fut prévenu de la mort, ou parce qu'il désespéra du succès. Mais j'en ai une passion d'autant plus vive (pardonnez à mon ambition) de vous voir achever ce que des rois ont pu seulement commencer.

TRAJAN A PLINE

La jonction de ce lac à la mer peut me tenter ; mais il faut bien prendre garde qu'en l'y joignant, il ne s'y écoule tout entier. Assurez-vous de la quantité d'eau qu'il reçoit, et d'où elle lui vient. Vous pourrez demander à Calpurnius Mater un niveleur ; et moi je vous enverrai d'ici quelqu'un versé dans la connaissance de ces sortes d'ouvrages.

© Agnès Vinas

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