Hercule et Thésée

Thésée
Hercule, tu me surprends. Je te croyais dans le haut Olympe à la table des dieux. Le bruit courait que sur le mont Oeta le feu avait consumé en toi toute la nature mortelle que tu tenais de ta mère, et qu'il ne te restait plus que ce qui venait de Jupiter. Le bruit courait aussi que tu avais épousé Hébé, qui est de grand loisir depuis que Ganymède verse le nectar en sa place.

Hercule
Ne sais-tu pas que ce n'est ici que mon ombre ?

Thésée
Ce que tu vois n'est aussi que la mienne. Mais quand elle est ici, je n'ai rien dans l'Olympe.

Hercule
C'est que tu n'es pas comme moi fils de Jupiter.

Thésée
Bon. Ethra ma mère et mon père Egeus n'ont-ils pas dit que j'étais fils de Neptune, comme Alcmène, pour cacher sa faute pendant qu'Amphitryon était au siège de Thèbes, lui fit accroire qu'elle avait reçu une visite de Jupiter ?

Hercule
Je te trouve bien hardi de te moquer du dompteur des monstres. Je n'ai jamais entendu raillerie.

Thésée
Mais ton ombre n'est guère à craindre. Je ne vais point dans l'Olympe rire aux dépens du fils de Jupiter immortalisé. Pour des monstres, j'en ai dompté en mon temps aussi bien que toi.

Hercule
Oserais-tu comparer tes faibles actions avec mes travaux ? On n'oubliera jamais le lion de Némée, pour lequel sont établis les jeux Néméaques, l'hydre de Lerne, dont les têtes se multipliaient, le sanglier d'Erymanthe, le cerf aux pieds d'airain, les oiseaux de Stymphale, l'Amazone dont j'enlevai la ceinture, l'étable d'Augée, le taureau que je traînai dans l'Hespérie, Cacus que je vainquis, les chevaux de Diomède, qui se nourrissaient de chair humaine, Géryon, roi des Espagnes, à trois têtes, les pommes d'or du jardin des Hespérides, enfin Cerbère, que je traînai hors des Enfers et que je contraignis de voir la lumière.

Thésée
Et moi, n'ai-je pas vaincu tous les brigands de la Grèce, chassé Médée de chez mon père, tué le Minotaure, et trouvé l'issue du Labyrinthe, ce qui fit établir les jeux Isthmiques ? Ils valent bien ceux de Némée. De plus, j'ai vaincu les Amazones qui vinrent assiéger Athènes. Ajoute à ces actions le combat des Lapithes, le voyage de Jason pour la toison d'or, et la chasse du sanglier de Calydon, où j'ai eu tant de part. J'ai osé aussi bien que toi descendre aux Enfers.

Hercule
Oui, mais tu fus puni de ta folle entreprise. Tu ne pris point Proserpine ; Cerbère que je traînai hors de son antre ténébreux dévora à tes yeux ton ami, et tu demeuras captif. As-tu oublié que Castor et Pollux reprirent dans tes mains Hélène leur soeur dans Aphidne ? Tu leur laissas aussi enlever ta pauvre mère Ethra. Tout cela est d'un faible héros. Enfin tu fus chassé d'Athènes, et te retirant dans l'île de Scyros, Lycomède, qui savait combien tu étais accoutumé à faire des entreprises injustes, pour te prévenir te précipita du haut d'un rocher. Voilà une belle fin.

Thésée
La tienne est-elle plus honorable ? Devenir amoureux d'Omphale, chez qui tu filais, puis la quitter pour la jeune Iole, au préjudice de la pauvre Déjanire à qui tu avais donné ta foi, se laisser donner la tunique trempée dans le sang du centaure Nessus, devenir furieux jusqu'à précipiter des rochers du mont Oeta dans la mer le pauvre Lichas qui ne t'avait rien fait, et prier Philoctète en mourant de cacher ton sépulcre afin qu'on te crût un dieu, cela est-il plus beau que ma mort ? Au moins, avant que d'être chassé par les Athéniens, je les avais tirés de leurs bourgs où ils vivaient avec barbarie, pour les civiliser et leur donner des lois dans l'enceinte d'une nouvelle ville. Pour toi tu n'avais garde d'être législateur. Tout ton mérite était dans tes bras nerveux et dans tes épaules larges.

Hercule
Mee épaules ont porté le monde pour soulager Atlas. De plus mon courage était admiré. Il est vrai que j'ai été trop attaché aux femmes. Mais c'est bien à toi à me le reprocher, toi qui abandonnas avec ingratitude Ariadne qui t'avait sauvé la vie en Crète. Penses-tu que je n'aie point entendu parler de l'Amazone Antiope à laquelle tu fus encore infidèle ? Eglé qui lui succéda ne fut pas plus heureuse. Tu avais enlevé Hélène ; mais ses frères te surent bien punir. Phèdre t'avait aveuglé jusqu'au point qu'elle t'engagea à faire périr Hippolyte que tu avais eu de l'Amazone. Plusieurs autres ont possédé ton coeur, et ne l'ont pas possédé longtemps.

Thésée
Mais enfin je ne filais pas comme celui qui a porté le monde.

Hercule
Je t'abandonne ma vie lâche et efféminée en Lydie. Mais tout le reste est au-dessus de l'homme.

Thésée
Tant pis pour toi, que tout le reste étant au-dessus de l'homme, cet endroit soit si fort au-dessous. D'ailleurs tes travaux, que tu vantes tant, tu ne les as accomplis que pour obéir à Eurysthée.

Hercule
Il est vrai que Junon m'avait assujetti à toutes ses volontés. Mais c'est la destinée de la vertu d'être livrée à la persécution des lâches et des méchants, mais sa persécution n'a servi qu'à exercer ma patience et mon courage. Au contraire tu as souvent fait des choses injustes. Heureux le monde, si tu ne fusses point sorti du Labyrinthe.

Thésée
Alors je délivrai Athènes du tribut de sept jeunes hommes et d'autant de filles que Minos lui avait imposé à cause de la mort de son fils Androgée. Hélas, mon père Egée, qui m'attendait, ayant cru voir la voile noire au lieu de la blanche, se jeta dans la mer et je le trouvai mort en arrivant. Dès lors je gouvernai sagement Athènes.

Hercule
Comment l'aurais-tu gouvernée, puisque tu étais tous les jours dans de nouvelles expéditions de guerre, et que tu mis par tes amours le feu dans toute la Grèce ?

Thésée
Ne parlons plus d'amours. Sur ce chapitre honteux nous ne nous en devons rien l'un à l'autre.

Hercule
Je l'avoue de bonne foi. Je te cède même pour l'éloquence. Mais ce qui décide, c'est que tu es dans les Enfers à la merci de Pluton que tu as irrité, et que je suis au rang des immortels dans le haut Olympe.