Pompée et César

Pompée
Je m'épuise en dépense pour plaire aux Romains et j'ai bien de la peine à y parvenir. A l'âge de vingt-cinq ans j'avais déjà triomphé. J'ai vaincu Sertorius, Mithridate, les pirates de Cilicie. Ces trois triomphes m'ont attiré mille envieux. Je fais sans cesse des largesses. Je donne des spectacles. J'attire par mes bienfaits des clients innombrables. Tout cela n'apaise point l'envie. Ce chagrin Caton refuse même mon alliance. Mille autres me traversent dans mes desseins. Mon beau-père, que pensez-vous là-dessus ? Vous ne dites rien.

César
Je pense que vous prenez de fort mauvais moyens pour gouverner la république.

Pompée
Comment donc ? Que voulez-vous dire ? En savez-vous de meilleurs que de donner à pleines mains aux particuliers pour enlever tous les suffrages, et que de tenir tout le peuple par des gladiateurs, par des combats de bêtes farouches, par des mesures de blé et de vin, enfin d'avoir beaucoup de clients zélés par les sportules que je donne ? Marius, Cinna, Fimbria, Sylla, tous les autres les plus habiles, n'ont-ils pas pris ce chemin ?

César
Tout cela ne va point au but, et vous n'y entendez rien. Catilina était de meilleur sens que tous ces gens-là.

Pompée
En quoi ? Vous me surprenez. Je crois que vous voulez rire.

César
Non je ne ris point. Je ne fus jamais si sérieux.

Pompée
Quel est donc votre secret pour apaiser l'envie, pour guérir les soupçons, pour charmer les Patriciens et les Plébéiens ?

César
Le voulez-vous savoir ? Faites comme moi. Je ne vous conseille que ce que je pratique moi-même.

Pompée
Quoi ! flatter le peuple sous une apparence de justice et de liberté ? faire le tribun ardent et zélé, le Gracchus ?

César
C'est quelque chose, mais ce n'est pas tout. Il y a quelque chose de bien plus sûr.

Pompée
Quoi donc ? Est-ce quelque enchantement magique, quelque invocation de génie, quelque science des astres ?

César
Bon, tout cela n'est rien. Ce ne sont que contes de vieilles.

Pompée
Ho, ho ! vous êtes bien méprisant. Vous avez donc quelque commerce secret avec les dieux, comme Numa, Scipion, et plusieurs autres ?

César
Non, tous ces artifices-là sont usés.

Pompée
Quoi donc enfin ? Ne me tenez plus en suspens.

César
Voici les deux points fondamentaux de ma doctrine : 1° corrompre toutes les femmes pour entrer dans le secret le plus intime de toutes les familles ; 2° emprunter et dépenser toujours sans mesure, ne payer jamais rien. Chaque créancier est intéressé à avancer votre fortune pour ne perdre point l'argent que vous lui devez. Ils vous donnent leurs suffrages ; ils remuent ciel et terre pour vous procurer celles de leurs amis. Plus vous avez de créanciers, plus votre brigue est forte. Pour me rendre maître de Rome, je travaille à être le débiteur universel de toute la ville. Plus je suis ruiné, plus je suis puissant. Il n'y a qu'à dépenser, les richesses vous viennent comme un torrent.