10. Mercure et le Soleil

Mercure
Soleil, ne monte sur ton char, c'est Jupiter qui l'ordonne, ni aujourd'hui, ni demain, ni après-demain, mais reste chez toi ; pendant tout ce temps, il n'y aura qu'une seule nuit, bien longue. Fais donc dételer tes chevaux par les Heures, éteins ton feu, et jouis de ce long repos.

Le Soleil
Voilà qui est nouveau, Mercure, et tu me donnes des ordres un peu étranges ! Est-ce que dans ma course, je me suis écarté de la route voulue ? Est-ce que j'ai poussé mes chevaux hors de la voie, et Jupiter irrité veut-il, à cause de cela, faire la nuit trois fois plus longue que le jour ?

Mercure
Nullement, et il n'en sera pas toujours ainsi : mais Jupiter a besoin aujourd'hui d'une nuit plus longue qu'à l'ordinaire.

Le Soleil
Où est-il donc et de quel endroit t'envoie-t-il m'apporter de pareils ordres ?

Mercure
De la Béotie, mon cher Soleil, de chez Amphitryon, dont il aime la femme, avec laquelle il est couché.

Le Soleil
Eh quoi ? n'a-t-il pas assez d'une nuit ?

Mercure
Non pas ; car de ce commerce doit naître un dieu grand, illustre par de nombreux travaux ; et l'achever en une seule nuit, c'est chose impossible.

Le Soleil
Qu'il l'achève donc ! A la bonne heure ! Mais tout cela, Mercure, n'arrivait pas du temps de Saturne, entre nous soit dit. Ce dieu passait toutes ses nuits près de Rhéa, et il n'abandonnait pas le ciel pour aller coucher à Thèbes. Le jour était le jour, et la nuit durait en proportion des saisons : il ne se faisait rien d'étrange, rien d'extraordinaire : personne n'avait d'intrigues avec les mortelles. Aujourd'hui, pour une misérable femelle, il faut tout mettre sens dessus dessous : l'oisiveté va rendre mes chevaux plus rétifs ; le chemin sera plus difficile, en restant trois jours sans être pratiqué, et les hommes auront le malheur de rester dans les ténèbres. Voilà le fruit qu'ils retireront des amours de Jupiter : ils attendront assis dans une longue obscurité que Jupiter ait achevé l'athlète dont tu parles.

Mercure
Tais-toi, Soleil, de peur que ta langue ne te cause malheur. Moi, je m'en vais auprès de la Lune et du Sommeil leur annoncer les ordres de Jupiter, et dire à l'une de ne marcher qu'à petits pas, et au Sommeil de ne pas lâcher les hommes, de peur qu'ils ne s'aperçoivent de l'excessive durée de la nuit.

Traduction d'Eugène Talbot (1857)