Sitôt que Psyché eut perdu de vue le vieillard et sa famille, son dessein se représenta à elle tel qu'il était, avec ses inconvénients, ses dangers, ses peines, dont elle n'avait apperçu jusque-là qu'une petite partie. Il ne lui restait de tant de trésors qu'un simple habit de bergère. Les palais où il lui fallait coucher étaient quelquefois le tronc d'un arbre, quelquefois un antre ou une masure. Là, pour compagnie, elle rencontrait des hiboux et force serpents. Son manger croissait sur le bord de quelque fontaine, ou pendait aux branches des chênes, ou se trouvait parmi celles des palmiers. Qui l'aurait vue pendant le midi, lorsque la campagne n'est qu'un désert, contrainte de s'appuyer contre la première pierre qu'elle rencontrait, et, n'en pouvant plus de chaleur, de faim et de lassitude, priant le Soleil de modérer quelque peu l'excessive ardeur de ses rayons, puis considérant la terre, et ressuscitant avec ses larmes les herbes que la canicule avait fait mourir ; qui l'aurait vue, dis-je, en cet état, et ne se serait pas fondu en pleurs aussi bien qu'elle, aurait été un véritable rocher.

Deux jours se passèrent à aller de côté et d'autre, puis revenir sur ses pas, aussi peu certaine du lieu par où elle voulait commencer sa quête, que de la route qu'il fallait prendre. Le troisième, elle se souvint que l'Amour lui avait recommandé sur toutes choses de le venger. Psyché était bonne : jamais elle n'aurait pu se résoudre de faire du mal à ses soeurs autrement que par un motif d'obéissance, quelque méchantes et quelque dignes de punition qu'elles fussent. Que si elle avait voulu tuer son mari, ce n'était pas comme son mari, mais comme dragon. Aussi ne se proposa-t-elle point d'autre vengeance que de faire accroire à chacune de ses soeurs séparément que l'Amour voulait l'épouser, ayant répudié leur cadette comme indigne de l'honneur qu'il lui avait fait : tromperie qui, dans l'apparence, n'aboutissait qu'à les faire courir l'une et l'autre, et leur faire consumer un peu plus de temps autour d'un miroir.

Dans cette résolution, elle se remet en chemin : et comme une personne de son sexe vint à passer (elle avait soin de se détourner des hommes), elle la pria de lui dire par où on allait à certains royaumes, situés en un canton qui était entre telle et telle contrée, enfin où régnaient les soeurs de Psyché. Le nom de Psyché était plus connu que celui de ces royaumes ; ainsi cette femme comprit par là ce qu'on lui demandait, et enseigna à notre bergère une partie de la route qu'il fallait suivre.

A la première croisée de chemins qu'elle rencontra ses frayeurs se renouvelèrent. Les gens qu'avait envoyés Vénus pour se saisir d'elle ayant rendu à leur reine un fort mauvais compte de leur recherche, cette Déesse ne trouva point d'autre expédient que de faire trompetter sa rivale. Le Crieur des Dieux est Mercure ; c'est un de ses cent métiers. Vénus le prit dans sa belle humeur ; et après s'être laissé dérober par ce Dieu deux ou trois baisers et une paire de pendants d'oreilles, elle fit marché avec lui, moyennant lequel il se chargea de crier Psyché par tous les carrefours de l'univers, et d'y faire planter des poteaux où ce placard serait affiché :

De par la reine de Cythère,
Soient dans l'un et l'autre hémisphère
Tous humains dûment avertis
Qu'elle a perdu certaine esclave blonde,
Se disant femme de son fils,
Et qui court à présent le monde.
Quiconque enseignera sa retraite à Vénus,
Comme c'est chose qui la touche,
Aura trois baisers de sa bouche ;
Qui la lui livrera, quelque chose de plus.

Notre bergère rencontra donc un de ces poteaux ; il y en avait à toutes les croisées de chemins un peu fréquentés. Après six jours de travail elle arriva au royaume de son aînée. Cette malheureuse femme savait déjà, par le moyen des placards, ce qui était arrivé à sa soeur. Ce jour-là elle était sortie afin d'en voir un. La satisfaction qu'elle en eut fut véritablement assez grande pour mériter qu'elle la goûtât à loisir. Ainsi elle renvoya à la ville la meilleure partie de son train ; et voulut coucher en une maison des champs où elle allait quelquefois, située au-dessus d'une prairie fort agréable et fort étendue. Là sa joie se dilatait, quand notre bergère passa. La maudite reine avait voulu qu'on la laissât seule. Deux ou trois de ses officiers et autant de femmes se promenaient à cinq cents pas d'elle, et s'entretenaient possible de leur amour, plus attachés à ce qu'ils disaient qu'à ce que pensait leur maîtresse.

Psyché la reconnut d'assez loin. L'autre était tellement occupée à se réjouir du placard, que sa soeur se jeta à ses genoux devant qu'elle l'aperçût. Quelle témérité à une bergère ! surprendre sa majesté ! la retirer de ses rêveries ! se jeter à ses genoux sans l'en avertir ; il fallait châtier cette audacieuse.

Et qui es-tu, insolente, qui oses ainsi m'approcher ?

- Hélas ! madame, je suis votre soeur, autrefois l'épouse de Cupidon, maintenant esclave, et ne sachant presque que devenir. La curiosité de voir mon mari l'a mis en telle colère qu'il m'a chassée. Psyché, m'a-t-il dit, vous ne méritez pas d'être aimée d'un Dieu : pourvoyez-vous d'époux ou d'amant, comme vous le jugerez à propos ; car de votre vie vous n'aurez aucune part à mon coeur. Si je l'avais donné à votre aînée, elle l'aurait conservé, et ne serait pas tombée dans la faute que vous avez faite ; je ne serais pas malade d'une brûlure qui me cause des douleurs extrêmes, et dont je ne guérirai de longtemps. Vous n'avez que de la beauté ; j'avoue que cela fait naître l'amour ; mais pour le faire durer il faut autre chose, il faut ce qu'a votre aînée, de l'esprit, de la beauté, et de la prudence. Je vous ai dit les raisons qui m'empêchaient de me laisser voir : votre soeur s'y serait rendue ; mais pour vous ce n'a été que légèreté d'esprit, contradiction, opiniâtreté. Je ne m'étonne plus que ma mère ait désapprouvé notre mariage ; elle voyait vos défauts : que je lui propose de trouver bon que j'épouse votre soeur, je suis certain qu'elle l'agréera. Si je faisais cas de vous, je prendrais le soin moi-même de vous punir : je laisse cela à ma mère ; elle saura s'en acquitter. Soyez son esclave, puisque vous ne méritez pas d'être mon épouse. Je vous répudie, et vous donne à elle. Votre emploi sera, si elle me croit, de garder certaine sorte d'oisons qu'elle fait nourrir dans sa ménagerie d'Amathonte. Allez la trouver tout incontinent, portez-lui ces lettres, et passez par le royaume de votre aînée. Vous lui direz que je l'aime, et que, si elle veut m'épouser, tous ces trésors sont à elle. Je vous ai traitée comme une étourdie et comme un enfant : je la traiterai d'une autre manière, et lui permettrai de me voir tant qu'il lui plaira. Qu'elle vienne seulement, et s'abandonne à l'haleine du Zéphyre, comme déjà elle a fait ; j'aurai soin qu'elle soit enlevée dans mon palais. Oubliez entièrement notre hymen : je ne veux pas qu'il vous en reste la moindre chose ; non pas même cet habit que vous portez maintenant : dépouillez-le tout à l'heure, en voilà un autre. Il a fallu obéir. Voilà, madame, quel est mon sort.

La soeur, se croyant déjà entre les bras de l'Amour, chatouillée de ce témoignage de son mérite, et de mille autres pensées agréables, ne marchanda point à se résoudre en son âme à quitter mari et enfants. Elle fit pourtant la petite bouche devant Psyché ; et regardant sa cadette avec un visage de matrone : Ne vous avais-je pas dit aussi, lui repartit-elle, qu'une honnête femme se doit contenter du mari que les Dieux lui avaient donné, de quelque façon qu'il fût fait, et ne pas pénétrer plus avant qu'il ne plaisait à ce mari qu'elle pénétrât ? Si vous m'eussiez crue, vous ne seriez pas vagabonde comme vous êtes. Voilà ce que c'est qu'une jeunesse inconsidérée, qui veut agir à sa tête, et qui ne croit pas conseil. Encore êtes-vous heureuse d'en être quitte à si bon marché. Vous méritiez que votre mari vous fît enfermer dans une tour. Or bien ne raisonnons plus sur une faute arrivée. Ce que vous avez à faire est de vous montrer le moins qu'il sera possible ; et puisqu'Amour veut que vous ne bougiez d'avec les oisons, ne les point quitter. Il y a même trop de somptuosité à votre habit. Cela ne sent pas sa criminelle assez repentante. Coupez ces cheveux, et prenez un sac ; je vous en ferai donner un : vous laisserez ici cet accoutrement. Psyché la remercia. Puisque vous voulez, ajouta la faiseuse de remontrances, suivre toujours votre fantaisie, je vous abandonne, et vous laisse aller où il vous plaira. Quant aux propositions de l'Amour, nous ferons ce qu'il sera à propos de faire.

Là-dessus elle se tourna vers ses gens, et laissa Psyché, qui ne s'en souciait pas trop, et qui voyait bien que son aînée avait mordu à l'hameçon ; car à peine tenait-elle à terre n'en pouvant plus qu'elle ne fût seule pour donner un libre cours à sa joie.

Psyché, de ce même pas, s'en alla faire à son autre soeur la même ambassade. Cette soeur-ci n'avait plus d'époux. Il était allé en l'autre monde à grandes journées, et par un chemin plus court que celui que tiennent les gens du commun : les médecins le lui avaient enseigné. Quoiqu'il n'y eût pas plus d'un mois qu'elle était veuve, il y paroissait déjà ; c'est-à-dire que sa personne était en meilleur état : peut-être l'entendiez-vous d'autre sorte. Si bien que cette puînée étant de deux ans plus jeune, plus nouvelle mariée, et moins de fois mère que l'autre, le rétablissement de ses charmes n'était pas une affaire de si longue haleine : elle pouvait bien plutôt et plus hardiment se présenter à l'Amour.

L'autre avait des réparations à faire de tous les côtés. Le bain y fut employé, les chymistes, les atourneuses. Cela étonna le roi son mari. La galanterie croissait à vue d'oeil, les galants ne paraissaient point. Il n'y avait ni ingrédient, ni eau, ni essence qu'on n'éprouvât : mais tout cela n'était que plâtrer la chose. Les charmes de la pauvre femme étaient trop avant dans les chroniques du temps passé pour les rappeler si facilement.

Tandis qu'elle fait ses préparatifs, sa seconde soeur la prévient, s'en va droit à cette montagne dont nous avons tant parlé, arrive au sommet sans rencontrer de dragons. Cela lui plut fort : elle crut qu'Amour lui épargnait ces frayeurs par un privilège particulier ; tourna vers l'endroit où elle et sa soeur avaient coutume de se présenter ; et, pour être enlevée plus aisément par le Zéphyre, elle se planta sur un roc qui commandait aux abymes de ces lieux-là.

Amour, dit-elle, me voilà venue : notre étourdie de cadette m'a assurée que tu me voulais épouser. Je n'attendais autre chose, et me doutais bien que tu la répudierais pour l'amour de moi ; car c'est une écervelée. Regarde comme je te suis déjà obéissante. Je ne ferai pas comme a fait ma soeur Psyché. Elle a voulu à toute force te voir : moi, je veux tout ce que l'on veut : montre-toi, ne te montre pas, je me tiendrai très heureuse. Si tu me caresses, tu verras comme je sais y répondre : si tu ne me caresses pas, mon défunt mari m'y a tout accoutumée. Je te ferai rire de son régime, et je t'en dirai mille choses divertissantes : tu ne t'ennuieras point avec moi. Ma soeur Psyché n'était qu'un enfant qui ne savait rien : moi je suis un esprit fait. 0 Dieux ! je sens déjà une douce haleine. C'est celle de ton serviteur Zéphyre. Que ne l'as-tu envoyé lui-même ? il m'aurait plutôt enlevée ; j'en serais plutôt entre tes bras, et tu en serais plutôt entre les miens : je prétends que tu trouves la chose égale ; et puisque tu as de l'amour, tu dois avoir aussi de l'impatience. Adieu, misérables mortelles que les hommes aiment : vous voudriez bien être aimées comme moi d'un Dieu qui n'eût point de poil au menton : ce n'est pas pour vous ; qu'il vous suffise de m'invoquer, et je pourvoirai à vos nécessités amoureuses.

Disant ces paroles, elle s'abandonna dans les airs à son ordinaire ; et, au lieu d'être enlevée dans le palais de l'Amour, elle tomba premièrement sur une pointe de rocher, et puis sur une autre, de roc en roc : chacun d'eux emporta sa pièce ; ils se la renvoyoient les uns aux autres comme un jouet, de manière qu'elle arriva le plus joliment du monde au royaume de Proserpine.

Quelques jours après, son aînée se vint planter sur le même roc. Celle-ci fit sa harangue au Zéphyre.

Amant de Flore, lui cria-t-elle, quitte tes amours, et me viens porter dans le palais de ton maître. Ne me blesse point en chemin ; je suis délicate. Que si tu ne veux envoyer que ton haleine, cela suffira ; aussi bien n'aimé-je pas qu'on me touche, principalement les hommes : pour l'Amour, tant qu'il lui plaira. Prends garde surtout à ne point gâter ma coiffure.

Ayant dit ces mots, elle tira un miroir de sa poche, et fut quelque temps à se regarder, raccommodant un cheveu en un endroit, puis un en un autre, quelquefois rien ; non sans se mouiller les lèvres, et tant de façons que si l'Amour avait été là il en aurait ri. Elle remit son miroir ; accusant le plus agréablement qu'elle put le Zéphyre d'être un paresseux, qui ne se souciait que de ses amours, négligeait celles de son maître : se moquait-il, de la laisser au soleil ? Justement comme elle achevait ces reproches, un petit Eurus qui s'était fortuitement égaré vint passer à quatre pas d'elle ; jugez la joie. Notre prétendue fiancée se donne le branle à soi-même : mais, au lieu d'aller trouver l'Amour comme elle pensait, elle va trouver sa soeur, droit par le chemin que l'autre lui avait tracé, sans se détourner d'un pas.

Ce sont les échos de ces rochers qui nous ont appris la mort des deux soeurs. Ils la contèrent quelque temps après au Zéphyre. Lui, incontinent, en alla porter la nouvelle au fils de Vénus, qui le régala d'un fort beau présent.

Psyché cependant continuait de chercher l'Amour, toujours en son habit de bergère. Il avait une telle grâce sur elle, que si son ennemie l'eût vue avec cet habit, elle lui en aurait donné un de déesse en la place. Les afflictions, le travail, la crainte, le peu de repos et de nourriture, avaient toutefois diminué ses appas ; si bien que, sans une force de beauté extraordinaire, ce n'aurait plus été que l'ombre de cet objet qui avait tant fait parler de lui dans le monde. Bien lui prit d'avoir des charmes à moissonner pour le temps et pour la douleur, et encore de reste pour elle. Le plus cruel de son aventure était les craintes qu'on lui donnait. Tantôt elle entendait dire que Vénus la faisait chercher par d'autres gens ; quelquefois même qu'elle était tombée entre les mains de son ennemie, qui, à force de tourments, l'avait rendue méconnaissable.

Un jour elle eut une telle alarme qu'elle se jeta dans une chapelle de Cérès, comme en un asyle qui de bonne fortune se présentait. Cette chapelle était près d'un champ dont on venait de couper les blés. Là, les laboureurs des environs offraient tous les ans les prémices de leur récolte. Il y avait un grand monceau de javelles à l'entrée du temple. Notre bergère se prosterna devant l'image de la Déesse ; puis lui mit au bras un chapeau de fleurs, lesquelles elle venait de cueillir en courant et sans aucun choix, c'était de ces fleurs qui croissent parmi les blés. Psyché avait oui dire aux sacrificateurs de son pays qu'elles plaisaient à Cérès, et qu'une personne qui voulait obtenir des Dieux quelque chose ne devait point entrer dans leurs maisons les mains vides. Après son offrande elle se remit à genoux, et fit ainsi sa prière :

Divinité la plus nécessaire qui soit au monde, nourrice des hommes, protège-moi contre celle que je n'ai jamais offensée : souffre seulement que je me cache pour quelques jours entre les javelles qui sont à la porte de ton temple, et que je vive du blé qui en tombera. Cythérée se plaint de ce que son fils m'a voulu du bien ; mais, puisqu'il ne m'en veut plus, n'est-ce pas assez de satisfaction pour elle et assez de peine pour moi ? Faut-il que la colère des Dieux soit si grande ! S'il est vrai que la Justice se soit retirée parmi eux, ils doivent considérer l'innocence d'une personne qui leur a obéi en se mariant. Ai-je corrompu l'oracle ? ai-je usé d'aucun artifice pour me faire aimer ? puis-je mais si un Dieu me voit ? quand je m'enfermerais dans une tour, ne me verrait-il pas ? Tant s'en faut qu'en l'épousant je crusse faire du déplaisir à sa mère, car je croyais épouser un monstre. Il s'est trouvé que c'était l'Amour, et que j'avais plu à ce Dieu. C'est donc un crime d'être agréable ! Hélas ! je ne le suis plus, et ne l'ai jamais été par ma faute. Il ne se trouvera point que j'aie employé ni afféterie ni paroles ensorcelantes. Vénus a encore sur le coeur l'indiscrétion des mortels qui ont quitté son culte pour m'honorer. Qu'elle se plaigne donc des mortels ; mais de moi, c'est une injustice. Je leur ai dit qu'ils me faisaient tort. Si les hommes sont imprudents, ce n'est pas à dire que je sois coupable.

C'est ainsi que notre bergère se justifiait à Cérès. Soit que les Déesses s'entendent, ou que celle-ci fût fâchée de ce qu'on l'avait appelée nourrice, ou que le Ciel veuille que nos prières soient véritablement des prières et non des apologies, celle de Psyché ne fut nullement écoutée. Cérès lui cria de la voûte de sa chapelle qu'elle se retirât au plus vite, et laissât le tas de javelles comme il était ; sinon Vénus en aurait l'avis. Pourquoi rompre en faveur d'une mortelle avec une Déesse de ses amies ? Vénus ne lui en avait donné aucun sujet. Qu'on dît tout ce qu'on voudrait de sa conduite, c'était une bonne femme, qui lui avait obligation, à la vérité, ainsi qu'à Bacchus ; mais elle le savait bien reconnaître, et le publiait partout.

Ce fut beaucoup de déplaisir à Psyché de se voir excluse d'un asyle où elle aurait cru être mieux venue qu'en pas un autre qui fût au monde. En effet, si Cérès, bienfaisante de son naturel, et qui ne se piquait pas de beauté, lui refusait sa protection, il n'y avait guère d'apparence que des Déesses tant soit peu galantes et d'humeur jalouse lui accordassent la leur. D'y intéresser des Dieux, c'était s'exposer à quelque chose de pis que la persécution de Vénus : il fallait savoir auparavant quelle sorte de reconnaissance ils exigeraient de la Belle. Encore le plus à propos était-il de ne s'adresser qu'aux Divinités de son sexe, tant pour empêcher la médisance, que pour ne donner aucun ombrage à son mari. Junon là-dessus lui vint en l'esprit.

Psyché crut qu'y ayant quelque sorte d'émulation entre Cythérée et cette Déesse, et pour le crédit et pour la beauté, la reine des Dieux serait bien aise de trouver une occasion de nuire à sa concurrente, suivant l'usage de la cour et le serment que font les femmes en venant au monde.

Il ne fut pas difficile à notre bergère de trouver Junon. La jalouse femme de Jupiter descend souvent sur la terre, et vient demander aux mortels des nouvelles de son mari.

Psyché, l'ayant rencontrée, lui chanta un hymne où il n'était fait mention que de la puissance de cette Déesse : en quoi elle commit une faute : il valait bien mieux s'étendre sur sa beauté ; la louange en est tout autrement agréable. Ce sont les rois que l'on n'entretient que de leur grandeur : pour les reines, il faut les féliciter d'autre chose, qui veut bien faire. Aussi l'épouse de Cupidon fut-elle éconduite encore une fois. La différence qu'il y eut, fut que celle-ci se passa quelque peu plus mal que la première. Car, outre les considérations de Cérès, Junon ajouta qu'il fallait punir ces mortelles à qui les Dieux font l'amour, et obliger leurs galants à rester au logis. Que venaient-ils faire parmi les hommes ? comme s'il n'y avait pas dans le ciel assez de Beautés pour eux ! Non qu'elle en parlât pour son intérêt, se souciant peu de ces choses, et ne craignant du côté des charmes qui que ce fût.

La reine des Dieux ne disait pas tout : il y avait encore une raison plus pressante que cela, comme on pourrait dire quelque étincelle de ce feu dont on n'avertit les voisins que le moins qu'on peut. Une femme judicieuse ne doit point désobliger le fils de Vénus ; sait-elle si quelque jour elle n'aura point affaire de lui ? Apparemment le courroux du Dieu durait encore contre Psyché : ainsi le plus sûr était de ne point entrer dans leurs différends.

Notre bergère, rebutée de tant de côtés, ne sut plus à qui s'adresser. Il restait véritablement Diane et Pallas ; mais l'une et l'autre ayant fait voeu de virginité n'auraient pas les prières d'une femme pour agréables, et croiraient souiller leurs oreilles en les écoutant.

Toutefois, comme Diane rendait des oracles, la bergère crut que pour le moins cette Déesse ne serait pas si farouche que de lui en refuser un, et elle ne lui demanderait autre chose. Aussi bien s'en rendait-il en un lieu tout proche : ce ne serait pas pour elle un fort grand détour. Le lieu était à l'entrée d'une forêt extrêmement solitaire et propre à la chasse. Diane y avait un temple dont elle faisait une de ses maisons de plaisir. On faisait environ deux mille pas dans le bois ; puis on rencontrait une clairière qui servait comme de parvis au temple. Il était petit, mais d'une fort belle architecture. Au milieu de la clairière on avait placé un obélisque de marbre blanc, à quatre faces, posé sur autant de boules, et élevé sur un piédestal ayant de hauteur moitié de celle de l'obélisque. Sur chaque côté du plinthe qui regardait directement, aussi bien que les faces de la pyramide, le midi, le septentrion, le couchant, et le levant, étaient entaillés ces mots :

Qui que tu sois, qui as sacrifié à l'Amour ou à l'Hyménée, garde-toi d'entrer dans mon sanctuaire.

Psyché, qui avait sacrifié à l'un et à l'autre, n'osa entrer dans le temple : elle demeura à la porte, où la Prêtresse lui apporta cet oracle :

Cesse d'être errante : ce que tu cherches a des ailes :
quand tu sauras comme lui marcher dans les airs, tu seras heureuse.

Ces paroles ne démentaient point l'ambiguïté et l'obscurité ordinaire des réponses que font les Dieux. Psyché se tourmenta fort pour en tirer quelque sens, et n'en put venir à bout. Que le Ciel, dit-elle, me prescrive ce qu'il voudra, il faut mourir, ou trouver l'Amour. Nous ne le saurions trouver, il faut donc mourir : allons nous livrer à notre ennemie ; c'en est le moyen. Mais l'oracle m'a assurée que je serais quelque jour heureuse : allons nous jeter aux pieds de Vénus ; nous la servirons, nous endurerons patiemment ses outrages ; cela l'émouvra à compassion, elle nous pardonnera, nous recevra pour sa fille, fera ma paix elle-même avec son fils.

C'étaient là les plus belles espérances du monde, et bien enchaînées, comme vous voyez ; un moment de réflexion les détruisait toutes.

Psyché se confirma toutefois dans son dessein. Elle s'informa du plus prochain temple de Cythérée, résolue, si la Déesse n'y était présente, de s'embarquer et d'aller en Cypre. On lui dit qu'à trois ou quatre journées de là il y en avait un fort fameux et fort fréquenté, portant pour inscription : A la Déesse des Grâces. Apparemment Vénus s'y plaisait, et y tenait souvent en personne son tribunal, vu les miracles qui s'y faisaient, et le grand concours de gens qui y accouraient de tous les côtés. Il y en avait même qui se vantaient de l'y avoir vue plusieurs fois.


Suite de l'histoire des Amours de Psyché et Cupidon