Salammbô dans l'art
Illustration de Suzanne-Raphaëlle Lagneau pour l'édition de Salammbô de 1928
Salammbô est un roman de Gustave Flaubert publié en 1862. Ecrivain profondément ancré dans le réalisme, auteur de Madame Bovary et de L'Education sentimentale, Flaubert est un pilier de la littérature du XIXe siècle. Pourtant, avec Salammbô, c'est à sa tendance romantique profonde que s'abandonne l'auteur : oscillant entre roman historique et archéologique, dans un registre tout à fait épique, il se plaît à laisser libre cours à son imagination tout au long de l’œuvre, aussi bien dans ses représentations d'une Salammbô dévorée par sa foi ardente que d'un Mathô chef de guerre charismatique.
Flaubert s'était vivement opposé à toute illustration de son roman, soucieux de ne pas laisser des représentations plastiques définitives amoindrir et figer un espace imaginaire qu'il avait voulu somptueux, érotique, raffiné et barbare à la fois. Pourtant, de très nombreuses illustrations ou adaptations de Salammbô, en peinture, sculpture, musique et cinéma, se sont multipliées depuis la fin du XIXe siècle. Quelle vision des sociétés du XIXe siècle à nos jours nous suggèrent ces créations inspirées par ce roman de Flaubert ?
1. Salammbô dans la sculpture et la peinture
Gaston Bussière - Salammbô, 1907, peintureDes cheveux blonds et des yeux bleus ne donnent pas à cette Salammbô une allure très orientale ; seule la présence dominante de l'or, et l'érotisme suggéré par les cheveux détachés et le cou découvert justifient une attribution qui sent le prétexte plus que l'intention d'illustrer réellement le roman de Flaubert.
2. Salammbô dans l'opéra
Moussorgsky - Salammbo - 1863-1865Commencé l'année suivant la publication du roman, le livret de cet opéra est de Moussorgsky lui-même. L'opéra est resté inachevé, et a dû attendre 2003 pour être redécouvert. Quelques superbes arias alternent avec des morceaux symphoniques d'un romantisme plus mielleux.
Ernest Reyer - Salammbô, sur un livret de Camille du Locle - Opéra représenté pour la première fois le 10 février 1890 au Théâtre de la Monnaie de Bruxelles Il n'existe à ce jour aucun enregistrement intégral de cette œuvre dans les conditions de la représentation. Des transcriptions pour piano permettent cependant de s'en faire une idée. L'aria de Salammbô en particulier au premier acte a une totalité orientaliste et tragique.
Florent Schmitt, qui avait orchestré le film Salammbô de Pierre Marodon en 1925, en a tiré Trois suites pour orchestre, opus 76, créées en 1927, 1928 et 1931. Cette musique est très pompeuse. Beaucoup de trompettes évoquent les batailles carthaginoises. La gravité des chœurs constitue une métaphore des barbares.
Salammbô a également inspiré un compositeur contemporain, Philippe Fénelon, qui signe un opéra éponyme en trois actes et huit tableaux (sur un livret de Jean-Yves Masson) créé en mai 1998 à l’Opéra Bastille de Paris. Cette musique étant résolument contemporaine, la dimension orientale du sujet est peu marquée.
3. Salammbô au cinéma
Orson Welles - Citizen Kane - 1941 Au cinéma, l’aria d’un opéra fictif créé par Bernard Herrmann, également intitulé Salammbô, est chanté par l’épouse de Kane. La cantatrice porte une coiffe surmontée d'un panache de plumes d'un orientalisme de pacotille. La présence d'un tel opéra dans ce film constitue une étrangeté.
Sergio Grieco - Salammbô (1960), coproduction italo-française Il s'agit ici du péplum par excellence, que résume très bien l'affiche : représentations de batailles spectaculaires, amour impossible, érotisme... La figure de Salammbô telle qu'elle apparaît sur l'affiche évoque irrésistiblement celle de Cléopâtre.
4. Salammbô dans la chanson
La chanteuse Julie Pietri s’est inspirée du personnage de Gustave Flaubert pour l’écriture d’une chanson intitulée «Salammbô», sortie en 1989 (album La légende des madones). Le clip vidéo de cette chanson accumule les clichés : stéréotypes des paysages orientaux, cheval blanc symbole de liberté, cheveux roux et habits orientaux.
Wapassou, groupe strasbourgeois de rock progressif, a composé en 1977 un album intitulé Salammbô. Les paroles du début sont en latin. Les bruits de cheval évoquent la princesse.
Salombô (sic) est aussi une chanson du groupe français Indochine. Elle figure sur l'album 3, sorti en 1985. On peut observer un changement de l'orthographe du nom de l'héroïne. Dans les paroles, les stéréotypes orientaux s'accumulent, avec l'évocation de la panthère et pour la princesse le champ lexical du sacré et du secret → amour → romantisme). Un mélange géographique avec le Pakistan décentre l'histoire originellement carthaginoise, évoquant un monde éloigné et utopique.
A travers ces différentes œuvres, nous avons pu observer que cette représentation orientale de la femme est omniprésente à la fin du XIXe siècle de même qu'au XXe, et tend à persister de nos jours parmi des supports artistiques de plus en plus variés. Ce portrait était avant tout au XIXe un symbole de liberté féminine qui était loin d'être inspiré par le féminisme, mais plutôt par une fascination pour la figure féminine orientale, dont la seule évocation suscitait un voyage sensuel à l'érotisme fortement lié à la mort, comme pouvaient l'être à la même époque les figures décadentes de Salomé et de Cléopâtre. |
Samuel F. 1S3