Troisième partie, chapitre 31 - Conspiration de Pison

Rome délirait toujours, et cette ville qui avait conquis l'univers commençait maintenant de s'anéantir elle-même et de périr du manque de chefs. Avant que l'heure eût sonné pour les Apôtres, la conspiration de Pison éclata, suivie d'une implacable fauchaison des têtes les plus altières. Et pour ceux-là mêmes qui voyaient un dieu en Néron, il apparut un dieu de mort. Le deuil trôna sur la Ville, l'épouvante étreignit les maisons et les cœurs. Mais les péristyles se festonnaient de lierre et s'ornaient de fleurs, car il était interdit de s'affliger. Le matin, en s'éveillant, on se demandait de qui ce serait le tour. Le cortège de fantômes que traînait derrière lui César s'enrichissait tous les jours.

Pison paya de sa tête la conspiration. Le suivirent Sénèque et Lucain, Fenius Rufus, Plautius Lateranus, Flavius Scævinus, Afranius Ouinetianius, et le compagnon dépravé des folies de César, Tullius Sénécion, et Proculus, et Araricus, et Tugurinus, et Gratus, et Silanus, et Proximus, et Subrius Flavius, jadis dévoué corps et âme à Néron, et Sulpicius Asper. Les uns périrent par leur propre ignominie, d'autres périrent pour leurs richesses, d'autres pour leur lâcheté, d'autres enfin pour leur bravoure. Épouvanté du nombre des conjurés, César couvrit les murs de ses légions et mit la Ville en état de siège, envoyant tous les jours, par des centurions, la mort aux suspects. Servilement, les condamnés, en des lettres adulatrices, remerciaient César de la sentence, lui laissant une partie de leurs biens, afin de sauver le reste pour leurs enfants. Il semblait enfin que Néron dépassât à dessein toute mesure, afin de sonder l'avilissement des hommes, et leur patience à supporter ses lois sanglantes. A la suite des conspirateurs, furent exterminés leurs parents, et leurs amis, même les plus vagues. Les habitants des splendides maisons édifiées après l'incendie savaient qu'en sortant de chez eux ils verraient une suite ininterrompue de funérailles.

Jan Styka - Allégorie - Édition Flammaraion 1901-1904

Pompée, Cornélius Martialis, Flavius Nepos et Statius Domitius périrent, accusés de manque de dévouement pour César. Novius Priscus trouva la mort comme ami de Sénèque. Rufius Crispus se vit enlever le droit d'eau et de feu, pour avoir, jadis, été l'époux de Poppée. Le grand Thraséas fut perdu par sa vertu, beaucoup payèrent de leur vie leur origine nobiliaire, et Poppée elle-même fut victime d'un accès de fureur de César.

Le Sénat rampait devant l'effroyable monarque, lui érigeait des temples, faisait des voeux pour sa voix, couronnait ses statues et lui désignait des desservants, comme à un dieu. L'épouvante dans l'âme, les sénateurs se rendaient au Palatin afin d'exalter le chant du « Périodonicès » et de délirer avec lui dans des orgies de chairs nues, de vin et de fleurs...

Mais lentement, en bas, dans les sillons qu'abreuvèrent le sang et les larmes, germaient, toujours plus formidables, les semailles de Pierre.