1 - Le costume roussillonnais au temps des crinolines (1852-1870)

La rapide diffusion de la photographie à Perpignan n’a rien d’étonnant, lorsque l’on sait que c’est le député catalan François Arago (1780-1853) qui divulgua devant l’Académie des sciences l’invention du daguerréotype en 1839 (1), et qu’il fit don au musée de la ville des premiers essais de cette récente trouvaille.

Avec son tout nouveau quai de la préfecture, sa gare en construction, ses rues anciennes, la ville de Perpignan est le théâtre des nouvelles modes sous le Second Empire entre 1852 et 1870. Naturellement, les belles Catalanes se pressent auprès des ateliers de photographes tel celui de Cabibel à la rue des Augustins, ou de Scanagatti, rue Rempart-Villeneuve, afin d’immortaliser leur image. C’est le temps des crinolines, ces jupons en structure métallique qui donnent aux robes une ampleur jamais égalée dans l’histoire de la mode. C’est aussi le temps des longs châles à franges (les grenadines et les manilles), et des coiffes parées arborées par les femmes de la bourgeoisie. Les grandes familles n’ont de cesse de se conformer à la mode parisienne et les épouses ont des coiffes structurées avec renfort de fleurs en soie et de rubans. Quelquefois ces femmes se libèrent de leurs artifices, le temps de la pause. Ni coiffe, ni châle ne peuvent perturber le regard du futur possesseur d’une image voulue cette fois-ci comme le reflet de l’âme et des sentiments.

A travers quelques clichés empruntés aux albums de photographies familiaux, penchons-nous sur les costumes de cette époque, tels que le photographe dans son studio nous donne à les découvrir. Hommes, femmes et enfants forment un univers intimiste où l’on retrouve les classes aisées de la société roussillonnaise, commerçants, nobles, veuves, militaire et juristes. Tous ont un rapport avec le costume et la mode, et expriment à la fois leur identité propre mais aussi une partie de l’identité du Roussillon, tiraillé entre l’expression de la tradition catalane et la volonté d’évolution et de modernité.

 

Irma et Clara Salamo, à six et quatre ans (1863)

Deux petites filles de la bourgeoisie commerçante de Perpignan avec deux robes à manches courtes identiques. Les robes de petites filles se portaient avec bas et pantalons apparents.

Photographie Germain, Perpignan.

 

Portait de jeune fille

Cette jeune personne en chemisier blanc porte un ensemble constitué d’un corset à bretelles et d’une jupe du même tissu, probablement soie ou cotonnade à motif chamarré. Proche du costume des Catalanes des campagnes, cet ensemble est bien un costume d’été pour jeune fille bien née.

Photographie Bissière, Perpignan.

 

Portrait colorisé de jeune fille

Ce portrait mis en couleur permet d’apprécier le costume de jeune fille. Elle porte elle aussi une petite crinoline sous sa jupe courte, verte à motif de deux lignes noires en ruban de velours. Elle porte en dessous un pantalon de lingerie qui s’arrête aux bottines. Le caraco noir est lâche, non resserré à la taille.

Portrait de femme

Très belle pose pour cette épouse au petit châle en pointe, en dentelle noire. Elle ne porte pas de coiffe. La taille est amincie par un corset. Il ne semble pas que le volume soit dû à des cerceaux d’acier, mais plutôt à un assortiment de nombreux jupons amidonnés.

Photographie Cabibel, Perpignan.

 

Portrait de femme (à gauche)
La simplicité de la mise de cette jeune femme nous permet de bien apprécier l’ampleur que la crinoline pouvait donner. A Perpignan on a surtout porté le modèle rond, avec jupon plat devant, plus pratique que la crinoline à volume projeté en arrière. Nous pouvons voir les plis sur le devant qui permettent l’ampleur, ainsi que la ceinture en losange qui resserre la taille.

Photographie Germain, Perpignan

Lucie Salamo (au centre)
A la faveur de la pose de biais, le photographe nous fait apprécier l’allongement progressif de la robe sur l’arrière. La cage que constituent la crinoline et ses cerceaux d’acier va progressivement s’aplatir sur le devant et faire renaître la traîne à l’arrière. Les manchettes bouffantes et un minuscule fichu blanc rehaussent cette robe simple et gracieuse.

Photographie Germain, Perpignan

Portait de femme (à droite)
Certaines catalanes ont complètement souscrit à la mode impériale, et rien n’est laissé au hasard, que ce soit la capote à rubans et fleurs artificielles, l’étole de soie à volants, châle en dentelle de Chantilly, tout cela porté avec une robe à crinoline de grande ampleur.

Photographie Provost, Perpignan.

 

Femme et ses enfants

Cette jeune mère est assise avec son dernier né sur les genoux et ses deux filles de part et d’autre. Elle ne porte ni coiffe ni châle. Les deux filles portent sensiblement la même robe d’enfant, à jupe courte et pantalons avec caraco à manches terminées par des manchettes bouffantes. Le petit garçon arbore sur la tête un chapeau de paille tressée qui le protègera des chutes.

Femme et enfant

Il est intéressant de remarquer la vêture toute traditionnelle de cette mère avec coiffe, châle et tablier, ainsi que le joli motif moiré de la robe.

Photographie Bissière, Perpignan

 

Espérance Polge (1836-1907) (à gauche)
La jeune Espérance est photographiée à Prades, vers 1860. Sa robe à crinoline prouve que cette mode touchait autant la capitale du Roussillon que toutes ses petites villes éloignées. La coiffe catalane est parée, c'est-à-dire qu’elle est agrémenté de rubans, fausses fleurs et dentelles. Le petit fichu est porté avec les pointes repliées le long de la taille et il est peut-être noué dans le dos.

Photographie Grando, Prades

Portrait de Catalane (au centre)
Jeune femme en coiffe catalane portant la crinoline, ce qui donne un joli volume à sa robe. Son châle possède quatre bandes d’or. Il est en soie grenadine, matière légère dont la transparence s’adapte parfaitement à la chaleur de l’été.

Photographie Canavy, Perpignan.

Anne Bonet épouse Monné (à droite)
Photographiée à Marseille lors d’un voyage, cette femme d’âge respectable porte un très grand châle à franges ainsi que la coiffe catalane. La robe de grande ampleur et le caraco à manches pagodes et manchettes de mousseline laissent percevoir l’usage de mitaines. Enfin, nulle Catalane ne saurait voyager sans un éventail.

 

Portait de femme âgée

Les femmes âgées, qualifiées de « padrinas » ont toujours été tenues en grand respect dans les familles roussillonnaises. Porteuse de souvenirs, de la langue catalane et de l’histoire familiale, cette authentique grand-mère porte fièrement la coiffe catalane comme dans sa jeunesse, la passe descendant très bas et masquant les oreilles. Le châle et la jupe semblent constitués de lainages, textiles chauds produits notamment à Prats-de-Mollo.

Photographie Cabibel, Perpignan.

Portrait de veuve

Étrange pour nos yeux contemporains, le costume de grand deuil des femmes aisées et très âgées est très bien représenté sur ce portrait. Les coiffes de deuil des modistes étaient mises en volume avec des fils de laiton recouverts de soie, fleurs noires et chantilly noire en grande quantité. Leur volume et leur poids obligeait à les serrer par de gros rubans sous le menton.

Photographie Canavy, Perpignan.

 

Joséphine Escanyé

Sur ce portrait très altéré, cette épouse d’un maître de forges née en 1801 est, à la fin de sa vie, une personne distinguée qui porte une coiffe capote en rubans et dentelles dans le plus pur goût Napoléon III.

 

Couple

Il s’agit d’un gendarme en costume d’apparat et de son épouse. La vie militaire de Perpignan est caractéristique d'une ville frontalière de garnison. Ici l’épouse porte un magnifique châle carré en laine cachemire, probablement de la ville de Nîmes où ce genre d’article était fabriqué. La coiffe est parée, le châle est arrêté par une broche. La crinoline est ronde. Il faut noter pour ce costume l’absence de tablier d’apparat.

Photographie Scanagatti, Perpignan.

 

Emile Lequin

Artisan, Emile Lequin était horloger-bijoutier à Perpignan. Le complet-veston s’est imposé chez les hommes à partir du Second Empire, mais la plupart des Roussillonnais portent encore la redingote. On notera le très beau nœud de cravate ainsi que la chaîne giletière pour la montre.

Photographie Cabibel, Perpignan.

Portrait de jeune homme

Ce jeune homme à l’allure de dandy, probablement juriste ou commerçant, montre bien l’usage toujours en vogue en Roussillon de porter la redingote. Le complet-veston imposera bientôt l’uniformité de la couleur des trois pièces, ce qui n’est pas le cas ici. De très bonne famille, ce jeune homme lit avec un monocle. On remarque aussi une montre en or ainsi qu’une bague en grenat de Perpignan.

Portrait anonyme colorisé


© Laurent Fonquernie
Laurent Fonquernie tient à remercier toutes les personnes qui ont bien voulu lui prêter gracieusement ces photographies.


(1) Voir sur le site Culture visuelle l'article Spectres de la photographie. Arago et la divulgation du daguerréotype