Introduction
L'homme est né sociable et il est né
      industrieux. Son industrie le porte à se procurer un
      abri. Son instinct de la société le porte
      à rapprocher son séjour de celui de son
      semblable.
      
      Sitôt que les hommes se réunissent en
      société, les voilà bâtisseurs.
      L'art de la pierre est un des premiers arts qu'ils
      connaissent. Ils remuent la terre et font des remparts ; ils
      taillent le bois et font des maisons ; ils soulèvent
      des monolithes et font des temples.
      
      Ainsi naquirent certainement les premières
      villes.
      
      Mais ces maisons, ces poutres mal équarries, mal
      jointes, ces levées de terre, ces rangées de
      pierre sacrées les protègent peu contre les
      attaques du dehors. La crainte pèse sur la tribu qui
      dort. Les bêtes fauves, le lion, l'ours, le loup,
      rôdent et veillent tout autour, profitent d'un moment
      de lassitude, pénètrent et font leur terrible
      razzia.
      
      Il faut fuir : quel est l'abri le plus sûr, le rempart
      infranchissable ? L'eau. C'est donc dans les marais, au
      milieu des lacs que s'élèveront les
      premières cités. On bâtira sur pilotis
      des Venises lacustres où l'on pourra s'abriter et se
      défendre, dormir en paix loin du danger, et commencer
      le lent et paisible progrès de l'industrie
      humaine.
|  | 
| Les cités lacustres. - Mais pour
            construire la ville elle-même, que de peines ! il
            faut couper des arbres énormes, il faut les
            tailler en pointe ; il faut les porter au bord du lac,
            il faut les piquer dans la vase et les enfoncer
            jusqu'au roc. Ce n'est pas tout : entre ces troncs
            debout, d'autres s'enlaceront pour faire treillis ; des
            pierres sont jetées dans les interstices et
            consolident tout l'ouvrage. En effet quelle force ne
            lui faut-il pas afin qu'il résiste à la
            terrible massue des vagues dans les jours de
            tempête ! |  | 
Pour accomplir un pareil travail, ces hommes anciens
      n'avaient que des outils de pierre, des silex aiguisés
      en forme de hache. L'usage du fer et même du cuivre
      leur était encore inconnu. Pour abattre un arbre on le
      brûlait au pied, lentement, avec précaution ;
      pour le dégrossir, on se servait alternativement du
      feu et du couteau de silex. Quant au procédé
      qu'ils employaient pour dresser ces poutres et les fixer dans
      le fond du lac, on n'a pu encore s'en rendre un compte exact.
      On voit bien que quelques tribus se contentaient de maintenir
      les arbres debout en entassant à leurs pieds des amas
      de pierres ; mais d'autres troncs pénètrent
      dans le sol. L'effort qu'il fallait pour obtenir ce
      résultat semble aujourd'hui même prodigieux.
      Cependant l'on connaît des cités lacustres dans
      lesquelles on a compté jusqu'à 40000
      pilotis.
      
      Quels étaient le degré de civilisation, les
      moeurs, les usages de ces anciens architectes ? La patiente
      et lente étude des débris innombrables
      trouvés dans les stations lacustres soulève peu
      à peu le voile qui semblait devoir couvrir
      éternellement ces problèmes.
      
      On a découvert de nombreux instruments en silex, les
      uns avant la forme de haches, d'autres celle de couteaux, de
      scies, de têtes de flèche. On a trouvé de
      nombreux débris de poterie ; ces poteries affectent
      quelquefois la forme de molettes de tisserand. Nos aïeux
      ne se contentaient pas pour se vêtir de la peau des
      animaux tués par eux à la chasse. On a
      retrouvé en assez grande quantité des morceaux
      d'étoffe tissés avec du chanvre et de la toile
      ; et ces précieux débris remontent à
      l'âge de pierre.
      
      Que dis-je ? ils n'ignoraient pas la culture du blé ni
      l'usage du pain : la tourbe des lacs nous a conservé
      des espèces de gâteaux plats et ronds, faits de
      grains grossièrement écrasés ; des
      pommes et des poires séchées. Nos
      ancêtres avaient auprès d'eux des animaux
      domestiques : les boeufs, les chevaux, les moutons. Tout ce
      monde vivait pêle-mêle dans des habitations
      suspendues au-dessus des eaux.
      
      Cette civilisation antique qui apparaît peu à
      peu et lentement à la lumière (la
      première découverte de cités lacustres
      est de 1853) cette civilisation, dis-je, est d'une
      époque bien antérieure à celle où
      César conquit les Gaules. Ce n'est point ici le lieu
      d'en discuter la véritable date : contentons-nous de
      dire, pour en établir une évaluation
      approximative, que les cités datent de l'âge de
      pierre ; qu'à cet âge a succédé
      une civilisation pendant laquelle les instruments de pierre
      furent remplacés par des outils de bronze ; et que ce
      ne fut qu'après un nouveau et lent progrès de
      l'industrie que l'homme apprit à se servir des
      instruments de fer, instruments avec lesquels les Gaulois
      combattirent contre les légions romaines.
      
      A cette heure, on connaît plus de 200 de ces villes ou
      villages anciens dont le souvenir même n'avait
      laissé aucune trace dans l'histoire des hommes ; et
      les investigations, remarquons-le, n'ont porté que sur
      un des points les plus restreints du champ immense ouvert aux
      recherches des historiens et des antiquaires.
      
      Pour trouver maintenant d'autres restes des villes anciennes,
      il faut se transporter en Orient : c'est là que la
      tradition met le berceau de l'humanité.
      
      Si ces pays ont eu aussi leurs âges de pierre et de
      bronze, ç'a été dans des temps tellement
      reculés que peu de traces en sont parvenues
      jusqu'à nous. Les plus vieilles tombes de ces
      contrées renferment des objets en or, en bronze et en
      fer, couteaux, hachettes, faux, bracelets, boucles d'oreilles
      ciselées. A côté on trouve encore, et ils
      étaient concurremment employés, des instruments
      et des armes en silex taillé et poli, têtes de
      flèches, haches et marteaux. Le métal le plus
      répandu est le bronze ; c'est en bronze que sont tous
      les instruments usuels. Quant au fer il est plus rare et ne
      sert encore que comme métal précieux.
      
      Voilà tout ce que la science nous apprend de plus
      positif sur ces origines.
      
      Les villes bibliques. - En somme, si loin que l'on
      remonte, dans l'histoire de ces régions, on trouve
      déjà debout les énormes empires de
      l'Asie centrale et la vieille Egypte. La civilisation est
      arrivée à un tel progrès que le concert
      des sciences humaines préside à la construction
      des gigantesques monuments qui nous apportent le souvenir de
      ces âges reculés : l'astronomie, la
      mécanique, le calcul, l'écriture, les arts du
      dessin, la poésie, toutes les branches de l'industrie
      humaine ont groupé leur effort autour d'un seul de ces
      édifices, d'une seule des pierres qui y sont
      employées.
      
      La Bible d'ailleurs place la construction de la
      première ville dans des temps bien reculés :
      c'est Caïn lui-même qui l'éleva :
      
      «Caïn s'étant donc éloigné de
      la face du Seigneur habitait errant sur la terre sur la rive
      à l'orient d'Eden. Mais il eut de sa femme un fils,
      Hénoch, et il bâtit une cité, et lui
      donna le nom d'Hénoch du nom de son fils».
      
      Ce serait probablement une recherche superflue que
      d'entreprendre de déterminer le lieu où fut
      bâtie cette aînée de toutes les villes
      élevées par la main des hommes. Mais il n'est
      pas sans intérêt de noter les ruines d'autres
      cités nommées bientôt après par la
      Genèse et qui ont été découvertes
      et étudiées par la science moderne. C'est
      celles que Nemrod, le fort chasseur devant l'Eternel,
      bâtit dans la plaine de Sennaar.
      
      C'est Babylone, c'est Ninive, c'est Chalè, c'est
      Resen. Cette dernière ville était située
      entre Ninive et Chalè, «et c'était la
      grande ville», dit le récit ancien. Comme nous
      le verrons plus tard, Ninive et Babylone cachées sous
      le sable ont survécu en quelque sorte à leur
      destruction ; Chalè aussi a été
      découverte et ses ruines, relevées près
      du village de Kalah Skerkat, comptent parmi les plus belles
      de la Mésopotamie.
      
      Resen enfin a été identifiée avec
      l'antique Larissa des Grecs, et complète ainsi le
      quadrilatère de ces anciennes cités dont le
      vénérable récit de la Bible nous a
      transmis les noms.
      
      Mais à côté de ces découvertes
      dont l'ensemble suffit pour attester la haute valeur
      historique du témoignage de la Bible, combien d'autres
      recherches semblent devoir rester toujours sans
      résultats. Il est des villes - et combien ! - dont les
      noms même ne sont point parvenus jusqu'à nous ;
      on peut leur appliquer le vers d'Horace :
      
Vixere fortes ante Agamemnona...
«Il y eut des héros avant Aganmenmon ; mais
      aucun poète ne les a chantés, ils sont
      tombés dans l'oubli». Ainsi des villes. Il en
      est beaucoup dont le nom est le seul souvenir qui nous reste
      de leur antique existence. Qu'étaient autrefois et
      où sont maintenant Badaca d'Elem, Naditou, Khamanou de
      la Chaldée, qui toutes portaient le nom de villes
      royales : Si l'on a identifié ou à peu
      près Our la Bituminée (aujourd'hui Mougheir),
      qui lançait ses vaisseaux à travers le golfe
      Persique jusque dans la mer des Indes, ce n'est qu'avec
      hésitation et à tâtons, pour ainsi dire,
      qu'on place sur la carte de ces anciennes régions
      l'Orech de la Bible, et Sépharvaïm, et Sirgilla,
      et Karnak et Ségos ; et pourtant «c'est dans
      l'enceinte de ces vieilles cités aujourd'hui perdues
      que se fit l'énorme croisement de races et
      d'idées d'où sortirent la nation et la
      civilisation chaldéenne» (Maspéro)
      
      Il en est d'autres encore qui ne nous ont transmis quelque
      lambeau de leur histoire que mêlé au sinistre
      souvenir de la catastrophe qui les a fait disparaître.
      Tandis que leurs soeurs, plus heureuses, tombaient peu
      à peu dans la cendre et dans l'oubli, elles, avec plus
      de gloire et plus de malheur, semblent brûler encore
      dans la nuit des temps et attirent l'oeil inquiet de
      l'historien, comme ces volcans dont la clarté fumeuse
      flambe sur un lointain horizon.
      
      Ainsi sont Gomorrhe et Sodome : «Et le Seigneur dit :
      La clameur contre Sodome et contre Gomorrhe s'est
      multipliée, et leurs péchés se sont
      accrus ; je descendrai et je verrai si leurs oeuvres ont ou
      non mérité cette clameur... C'est pourquoi le
      Seigneur a fait tomber sur les deux cités une pluie de
      soufre et de feu, et il a détruit leur cité et
      toute la région d'alentour, et tous les habitants des
      villes, et tous les verts produits de la terre».
      
| Contre le feu vivant, contre le feu divin, | 
Nous avons cité quelques-unes des villes connues
      par les récits de la Bible ; mais l'étude des
      débris des civilisations antiques apprend de jour en
      jour l'existence de peuples anciens puissants et riches qui
      jusqu'ici dormaient dans l'oubli et le silence. Quand un
      monarque assyrien avait promené sa redoutable
      férocité sur les frontières de son
      empire, quand il avait refréné les
      révoltes de ses satrapes, contenu ses vassaux dans le
      devoir, conquis des terres nouvelles et jeté bien loin
      l'effroi de son nom, il s'arrêtait enfin au pied de
      quelque roc énorme et là taillait dans la
      pierre le nom des peuples qu'il avait soumis et des
      cités qu'il avait renversées.
      
      Voici l'inscription du redoutable Touklat-habal-Yasar :
      «Le dieu Assour mon Seigneur me dit de marcher, je
      disposai mes chars et mes armées et je m'emparai des
      forteresses du pays d'Itui et du pays d'Ayu, sur les pics
      élevés des montagnes
      impénétrables, aiguës comme la pointe d'un
      poignard et qui n'offraient pas de passage à mes
      chars. Je laissai mes chars dans la plaine et je
      pénétrai dans la montagne tortueuse. Je couvris
      de ruines le pays de Saranit et d'Ammanit ; depuis un temps
      immémorial ils n'avaient pas fait leur soumission. Je
      me suis mesuré avec leurs armées dans le pays
      d'Arouma, je les ai châtiés, j'ai poursuivi
      leurs guerriers comme des bêtes fauves, j'ai
      occupé leurs villes, j'ai emporté leurs dieux.
      J'ai fait des prisonniers, je me suis emparé de leurs
      biens et de leurs trésors, j'ai livré les
      villes aux flammes, je les ai démolies ; je les ai
      détruites ; j'en ai fait des ruines et des
      décombres ; je leur ai imposé le joug pesant de
      ma domination, et en leur présence, j'ai rendu des
      actions de grâces au dieu Assour, mon Seigneur.
      
      Car je suis Touklat-habal-asar, le roi puissant, le
      destructeur des méchants, celui qui anéantit
      les bataillons ennemis».
      
      Les villes syriennes. - Quand, dans le cours de ces
      excursions, quelqu'un de ces promeneurs de massacres allait
      du côté de la mer occidentale, il rencontrait
      des peuples déjà arrivés aussi à
      une civilisation bien avancée.
      
      Ces peuples étaient tous d'une même famille et
      tous, si l'on en croit les anciens récits, venaient du
      pays même des Assyriens. Dans des âges
      très reculés, leurs ancêtres avaient
      quitté les bords du Golfe Persique et les environs de
      la ville d'Our pour venir, à la suite de longues
      pérégrinations, s'installer sur les bords de la
      Méditerranée.
      
      C'est le pays que les modernes appellent Syrie, pays
      étroit, resserré entre les sables de l'Arabie
      et la mer, sillonné par des chaînes de montagnes
      hautes et épaisses. Plutôt une côte qu'une
      province, plutôt le grand chemin entre l'Asie et
      l'Afrique qu'un lieu de séjour pour des peuples
      stables et puissants. - Pays toujours traversé et
      jamais conquis, par sa forme naturelle, il a dû subir
      toutes les dominations, et aussi éviter d'être
      le siège d'aucune ; en somme, région riche,
      bien située. C'est par là que se fait
      naturellement le transit des produits de l'Orient et de ceux
      de l'Occident.
      
      Le pays étant fait pour le commerce, les peuples qui
      l'habitaient étaient des commerçants. Combien
      citerons-nous ici de villes que leur situation rend en
      quelque sorte immortelle ; qui apparaissent dès la
      plus haute antiquité et qui ont survécu
      jusqu'à nos jours, en vertu de cette loi historique
      qui fait que des groupes d'hommes subsistent là
      où aboutissent les grands chemins de l'humanité
      ? C'était, en remontant le cours de l'Euphrate, au
      gué le plus méridional, Thapsaque ; au
      gué central, Karkémish ; au gué du nord,
      dans les montagnes, Samosate.
      
      Des trois villes, toutes grandes et riches, la plus
      importante était Karkémish. Les fêtes
      religieuses connues de toute l'antiquité
      étaient l'occasion de foires célèbres
      où se rencontraient toutes les jaunes figures des
      commerçants orientaux. Plus au sud ou trouvait Batna,
      Halep aux champs altérés, puis Damas ; Damas,
      ville fertile, à l'entrée du désert,
      ville ombreuse, ville pleine de verdure, de gaieté et
      de vie, aux confins des sables arides et étouffants de
      la pierreuse Arabie.
      
      Aujourd'hui encore sa vue arrache au voyageur qui
      débouche de l'Anti-Liban un cri de joie et
      d'admiration : «L'impression de ces campagnes richement
      cultivées, de ces vergers délicieux,
      séparés les uns des autres par des rigoles et
      chargés des phis beaux fruits, est celle du calme et
      du bonheur. Vous vous croyez à peine en Orient dans
      ces environs de Damas, et surtout au sortir des âpres
      et brûlantes régions de la Gaulonitide et de
      l'Iturée. Ce qui remplit l'âme, c'est la joie de
      retrouver les travaux de l'homme et les
      bénédictions du ciel. Depuis l'antiquité
      la plus reculée jusqu'à nos jours, toute cette
      zone qui entoure Damas de fraicheur et de bien-être n'a
      eu qu'un nom, n'a inspiré qu'un rêve : celui de
      «paradis de Dieu» (Renan).
      
      Aux avantages d'un climat si favorable, Damas en joignait un
      autre : protégée par l'Anti-Liban,
      séparée par lui du grand chemin de la
      côte, elle reposait tranquillement dans ses vergers,
      laissant passer devant elle les fureurs belliqueuses des
      puissants despotes, ses voisins de l'Orient.
      
      Sur les bords de la mer s'étageaient les villes des
      Phéniciens, plus puissantes, plus
      célèbres, mais aussi plus exposées, et
      que leur retraite au sein des eaux ne suffisait pas toujours
      à protéger. Il passait quelquefois des
      Alexandres qui jetaient des digues pour arriver
      jusqu'à elles.
      
      C'était Gebel ou Byblos qui se vantait d'être la
      ville la plus vieille du monde et d'avoir été
      construite par les dieux. C'était Hérouth,
      c'était Sidon «la fleurie» avec son beau
      port, elle aussi s'appelait orgueilleusement «le
      premier-né de Canaan». Au milieu des eaux on
      avait bâti Arad ; et Tyr, la reine de la mer. Faut-il
      citer plus au sud les noms d'Acca, de Mageddo, de
      Joppé, d'Ascalon, de Gaza, dont la gloire pâlit
      à côté de celle de leur brillante soeur.
      Si nous rentrons dans l'intérieur des terres, nous
      trouvons bien d'autres cités encore. Elles
      étaient déjà puissantes en ces temps
      anciens et opposaient aux rois de l'Assyrie une rude
      résistance ; la plupart d'entre elles existent encore
      aujourd'hui et attestent la prodigieuse vitalité qui
      émane de ces fertiles provinces.
      
      Nous avons déjà cité Kadesh ; il faut
      ajouter Tibeskah qui devint plus tard la
      célèbre et opulente Baalbek ou
      Héliopolis, la ville du soleil. Ses ruines
      entassées sont encore aujourd'hui un des grands
      spectacles de l'Orient. Les Romains y ont, dans des temps
      postérieurs, épuisé tous leurs efforts,
      comme s'ils avaient voulu tenter d'effacer par
      l'étalage de leur luxe et de leur puissance celle des
      anciens rois qui avaient embelli les contrées
      voisines.
      
      Il faut enfin citer la ville des villes, celle que son
      influence morale sur le monde a mise en un plus haut
      degré de gloire entre toutes ses soeurs, celle vers
      laquelle se tournent encore avec respect et avec amour les
      yeux de la moitié du monde occidental,
      Jérusalem.
      
      Chacune des villes de la Syrie et de la Palestine
      était à la tête de petits Etats
      tantôt confédérés, tantôt
      ennemis. Cette région présentait à peu
      près l'aspect politique de l'Italie au moyen
      âge. Divisés entre eux ces fils d'un même
      sol résistaient mal aux invasions
      étrangères que leurs dissensions attiraient
      même quelquefois. Par contre, chacun de ces petits
      Etats avait une activité personnelle, une force
      d'absorption et d'expansion qui en devait en faire au plus
      haut degré les intermédiaires, les instructeurs
      et les colonisateurs de l'Ancien Monde.
      
      Il n'est pas inutile de constater qu'en dehors de Baalbek,
      qui est toute moderne relativement, nous ne trouvons pas ici
      de ces ruines magnifiques dont le vaste spectacle appelle la
      curiosité du voyageur et l'étude de
      l'historien. Il a fallu toute la reconnaissante attention que
      mérite de l'Occident la patrie de Cadmus, la
      mère du commerce, de la religion, la colonisatrice des
      bords méditerranéens pour que des savants
      éminents s'appliquassent à relever les traces
      relativement minimes de cette ancienne civilisation. Les
      Phéniciens construisaient peu ou plutôt
      construisaient mal. Des huttes faites de bois et d'argile les
      abritaient tous.
      
      La mission en Phénicie, dirigée par M. Renan,
      n'a trouvé que des traces bien incomplètes de
      leur ancienne architecture. On a voulu leur en faire un
      reproche : «Si l'architecture, a-t-on dit, est le
      critérium le plus sûr de
      l'honnêteté, du sérieux, du jugement
      d'une nation ; si l'historien peut juger les peuples et les
      époques par la solidité et la beauté des
      édifices qu'ils ont laissés, c'est seulement
      par le défaut de ces qualités chez les
      Phéniciens qu'on peut s'expliquer le néant de
      leur oeuvre d'architecture». (J. Soury, Etudes
      historiques, p.106)
      
      Ce jugement est sévère et j'ajouterai qu'il me
      semble reposer sur une erreur d'argumentation. Non, les
      monuments durables ne sont pas toujours le critérium
      le plus sûr de l'honnêteté, du
      sérieux et du bon sens chez un peuple. Ils ne sont
      souvent au contraire que les témoins immortels de la
      folie d'un despote et du malheur de ses sujets.
      
      Je n'en veux citer qu'un exemple ; c'est le plus
      éclatant de tous : Qui a construit les Pyramides de
      Giseh ? Est-ce une Egypte sage, réglée,
      développant librement la nature de son génie
      propre et de sa civilisation ? Non ; c'est la fantaisie
      barbare de quelques Pharaons maudits par leurs sujets, et qui
      n'ont pas même trouvé dans les flancs de ces
      édifices l'orgueilleux tombeau qu'ils
      prétendaient s'y réserver.
      
      Certes, toutes ces ruines anciennes sont étonnantes.
      Méritent-elles l'admiration du sage ? J'en doute. Que
      de misères ne représentent-elles pas ! L'amas
      de douleurs qu'a coûtées leur construction ne
      dépasserait-il pas la plus haute d'entre elles de plus
      de cent coudées ? On s'étonne, et nous aurons
      l'occasion de nous étonner plus d'une fois, devant ces
      prodiges de la force. On s'écrie : Quelle civilisation
      avancée ! Pourrions-nous soulever de tels blocs ? Ne
      sommes-nous pas dégénérés ? - Non
      pas ; disons-le ici, une fois pour toutes. Tant de monuments
      merveilleux mettent souvent au coeur une grande tristesse. Si
      c'est une bien glorieuse histoire que celle des rois qui les
      projetèrent, c'est une bien mélancolique
      histoire que celle des malheureux - sujets ou prisonniers -
      qui les élevèrent. Cet idéal de
      l'architecture ancienne, qui consistait à faire
      colossal et éternel, est une préoccupation de
      peuples jeunes et presque de barbares ; le résultat
      atteint n'est nullement à comparer avec l'effort
      dépensé.
      
      Il y a dans les carrières voisines de Baalbek
      d'immenses blocs de marbre monolithes taillés de la
      main des anciens peuples. Ils sont tout prêts, bons
      à être transportés et mis en place ;
      cependant ils sont restés là ; la force a
      manqué à ceux qui les avaient choisis. Cette
      fois, le rêve despotique a été plus loin
      que le possible. Le tyran a été battu par la
      nature. On a cru que ces blocs avaient été
      façonnés ainsi par les Romains. De leur
      énormité même, M. Oppert conclut avec
      raison que ce n'est point à eux qu'il faut les
      attribuer. Ils avaient le sens de l'utile et du pratique trop
      développé pour tenter une pareille folie ; ils
      eussent coupé ces blocs en plusieurs morceaux faciles
      à transporter, quitte à les ajuster et à
      les rejoindre par du ciment quand ils eussent
      été en place. Et cependant les Romains
      étaient - même en architecture, - un peuple
      plein de sérieux et de jugement.
      
      Il en fut ainsi des Phéniciens ; race de
      commerçants et d'industriels avant tout, ils devaient
      avoir le sens très éveillé pour les
      choses utiles, possibles.
      
      Certes, ils n'ignoraient ni l'art ni la science ; ce sont
      leurs architectes que Salomon fit venir pour bâtir le
      temple de Jérusalem. Ils ont instruit les premiers
      ouvriers de la Grèce, ils savaient bâtir,
      décorer, orner avec goût, ils
      mélangeaient adroitement la pierre, le bois et le
      métal dans leurs constructions ; mais l'effort qu'ils
      dépensaient était toujours en proportion de ce
      qu'ils voulaient et de ce qu'ils pouvaient.
      
      Leurs villes devaient être belles ; les ruines de ces
      villes sont peu intéressantes, faut-il le regretter ?
      Oui peut-être pour les archéologues ; mais non
      certainement pour l'ancien peuple phénicien
      lui-même, et non encore au point de vue réel de
      la civilisation. Car en somme si les Phéniciens
      n'avaient pas été ces hardis
      commerçants, ces navigateurs audacieux, tenant peu au
      sol, rapides à l'ouvrage, prornpts dans le dessein,
      plus prompts encore dans l'exécution, tirant
      habilement parti des circonstances actuelles et sachant y
      conformer leurs besoins et leurs ambitions, ils n'eussent
      point eu d'occasion de porter loin de chez eux ces arts et
      ces sciences qu'ils avaient inventés ou qu'ils avaient
      empruntés à leurs voisins plus immobiles. Ce
      n'est pas l'Egypte qui a instruit le monde, quoi qu'en ait
      dit la Grèce menteuse. En réalité c'est
      la Phénicie ; et les descendants des Pélasges,
      des Hellènes et des Gaulois doivent se
      féliciter encore du génie hardi, industriel,
      mercantile, si l'on veut, qui lança sur les mers la
      communicative civilisation des Phéniciens.
      
      La colonisation phénicienne. - Sur toute la
      ceinture du bassin méditerranéen, les hardis
      marins de la Syrie portèrent l'influence
      féconde du vieil Orient. Ce furent eux qui avec Cadmus
      «l'inventeur des lettres», fondèrent
      Thèbes, et instruisirent la Grèce. Toutes les
      îles de l'Archipel leur appartinrent.
      
      Sur la côte de l'Asie Mineure ils trouvèrent,
      déjà établi, un empire puissant, qui
      sous le nom de royaume de Midas est resté
      célèbre dans les légendes de la
      Grèce ; il ne fallut pas moins que
      l'épée d'Alexandre pour trancher le noeud
      gordien, seul souvenir de cette antique domination.
      «Près des sources du Sangarios, en Phrygie, un
      voyageur anglais, Leake, découvrit au commencement du
      siècle une vallée pleine de tombeaux antiques.
      Ces tombeaux sont d'une époque inconnue, mais de
      beaucoup antérieure à la domination grecque et
      romaine ; leur caractère tout indigène nous
      révèle le style architectural des vieux
      phrygiens. La langue même des inscriptions est purement
      phrygienne, et cette langue, avec l'alphabet encore
      incomplètement déchiffré, qui nous en a
      conservé les rares débris, reste
      enfermée dans les limites de l'ancien royaume
      où régna la dynastie de Midas. Dans toute
      l'étendue du pays où se trouvent ces restes
      vénérables du peuple indigène, on ne
      voit que de rares débris des monuments appartenant
      à l'époque Romaine ; il semble que les
      conquérants successifs de la contrée aient
      ignoré ces vallées solitaires où plus
      tard des familles chrétiennes vinrent chercher un
      refuge contre la persécution du paganisme,
      peut-être aussi contre l'invasion musulmane.
      
      Quelques tombeaux, des ruines de forteresses et des
      bas-reliefs inexpliqués, c'est tout ce qui nous reste
      de ces rois de Phrygie, si célèbres au
      début de l'histoire grecque par leur richesse, leur
      amour pour les chevaux et l'adoration fanatique qu'ils
      rendaient à la mère des dieux (Cybèle)
      et à Dyonisos» (Maspero et Texier,
      Description de l'Asie mineure).
      
      C'est dans cette contrée encore que M. G. Perrot a
      découvert les ruines de l'antique Ptérium dont
      quelques lignes d'Hérodote formaient toute l'histoire.
      Le trône de ses vieux rois est renversé, enfoui
      sous terre auprès des fondations de leur palais et des
      restes de murailles que Crésus démolit ; il est
      reconnaissable aux deux lions de pierre qui le gardaient
      autrefois et qui gisent encore aujourd'hui près de lui
      dans la poussière comme des serviteurs fidèles
      morts aux pieds de leurs maîtres et reposant dans le
      même tombeau.
      
      Sur cette côte les Phéniciens établirent
      leur domination partout où la résistance du
      pays ne fut point assez forte pour les rejeter à la
      mer. Un peu plus au nord ils rencontrèrent encore un
      empire redoutable que tous les efforts de la Grèce
      conjurée ne purent abattre qu'après dix ans de
      combats : c'est Pergame, l'Ilion chantée par
      Homère ; la ville dont M. Schliemann a tout
      récemment découvert les restes
      vénérables.
      
      Suivrons-nous plus loin les marins de Tyr et de Sidon dans le
      cours de leurs nombreuses pérégrinations ?
      Pénétrerons-nous avec eux dans la Propontide,
      sur les noires eaux du Pont-Euxin, où, d'après
      la légende, les Symplégades
      écrasaient les galères à la sortie du
      Bosphore ? Ils étaient attirés dans ces
      régions lointaines par la réputation des ruines
      d'or, d'argent et d'étain du Caucase ; les premiers
      ils ouvrirent ces veines abondantes que des fouilles
      séculaires n'ont pas épuisées.
      
      Rentrons plutôt à la suite de l'Hercule Tyrien
      dans des régions plus connues et où ses efforts
      devaient avoir plus de gloire et ses établissements
      plus de durée.
      
      C'est en Grèce d'abord ; dans la Grèce, amante
      des fables, qui leur paye le tribut de sa reconnaissance en
      célébrant dans ses légendes
      l'enlèvement d'Europe par Zeus, et les voyages de
      Cadmos à la recherche de sa soeur.
      
      Plus loin encore c'est l'Italie, la Sicile, la Sardaigne qui
      les reçoivent et qui leur fournissent encore l'ambre,
      la pourpre, les métaux précieux et usuels. Mais
      là, comme ailleurs, leur domination s'étend peu
      dans l'intérieur des terres ; ils se heurtent à
      la solide confédération des Etrusques. S'ils
      échangent avec elle quelques-uns de leurs produits et
      s'ils influent sur le développement de la civilisation
      italienne, ce n'est qu'à la faveur de négoce ;
      ils ne fondent pas de domination politique. C'est qu'ici
      encore les Phéniciens avaient rencontré une
      nation qui s'était développée par
      elle-même et que la force de l'originalité
      nationale avait repoussé l'influence de l'importation
      étrangère.
      
      La civilisation des Etrusques est encore un des
      problèmes les plus ardus que présente
      l'étude de l'antiquité. Il nous manque ici la
      clef naturelle de toute histoire : la connaissance de la
      langue.
      
       Les Etrusques nous ont
      laissé bien des objets précieux, bien des vases
      que nous collectionnons avec soin et que nous imitons
      même, bien des tombeaux, bien des inscriptions, bien
      des documents de toutes sortes ; l'antiquité classique
      a laissé sur cette race nombre de renseignements
      épars. Mais il manque le trait de lumière qui
      coordonne cet ensemble confus et donne à chacun de ces
      restes sa véritable valeur. L'Etrurie, on l'a dit, est
      pour nous ce qu'était l'Egypte avant
      Champollion.
Les Etrusques nous ont
      laissé bien des objets précieux, bien des vases
      que nous collectionnons avec soin et que nous imitons
      même, bien des tombeaux, bien des inscriptions, bien
      des documents de toutes sortes ; l'antiquité classique
      a laissé sur cette race nombre de renseignements
      épars. Mais il manque le trait de lumière qui
      coordonne cet ensemble confus et donne à chacun de ces
      restes sa véritable valeur. L'Etrurie, on l'a dit, est
      pour nous ce qu'était l'Egypte avant
      Champollion.
      
      Pour ne parler ici que de ce qui nous intéresse
      directement, qui ne connaît cette célèbre
      fédération des douze cités
      étrusques. Des murs énormes les entouraient
      faits à l'image de ceux qu'avaient autrefois
      construits les Pélasges. Leurs assises immenses
      formées de pierres jointes sans ciment, et non
      taillées, faisaient croire aux anciens qu'elles
      avaient été entassées les unes sur les
      autres par des géants. Chacune de ces villes, dont les
      plus célèbres étaient Véies,
      Céret, Clusium, Chiusi, Volterra était à
      la tête d'un peuple qui prenait part aux
      délibérations et aux entreprises de la
      confédération, mais qui conservait à
      l'égard de ses associés une sorte
      d'indépendance jalouse.
      
      Ces peuples, d'abord unis, partant de Toscane leur centre
      commun, conquirent ou colonisèrent une bonne partie de
      l'Italie. Au nord ils occupèrent l'Ombrie et
      fondèrent Mantoue, Pérouse, Melpum, Adria, qui
      donna son nom à la mer Adriatique ; dans la Toscane,
      le val d'Arno et celui de la Chianti furent
      desséchés, la Maremne assainie et six des douze
      capitales bâties sur cette côte maintenant
      inhabitable.
      
      Car les Etrusques furent avant tout un peuple industriel,
      appliqué aux travaux des champs et de la maison,
      habiles ouvriers, fins ciseleurs, les meilleurs potiers du
      monde antique ; l'agriculture chez eux était en grand
      honneur ; la charrue est souvent représentée
      sur leurs vases. Persuadés qu'eux-mêmes et leurs
      dieux devaient mourir au bout de mille ans, ils
      s'appliquaient surtout à tout ce qui pouvait donner
      à l'homme des jouissances immédiates,
      perçaient des routes, ouvraient des canaux,
      desséchaient les marais et construisaient à
      leurs morts de solides tombeaux. «Ainsi, dit M. Duruy,
      se réalisa ce problème que l'antiquité
      n'a presque jamais su résoudre, de grandes villes au
      milieu de campagnes fertiles, l'industrie et l'agriculture,
      la richesse et la force : Sic fortis Etruria
      crevit».
      
|   Tombeau étrusque | 
Leurs conquêtes et leurs établissements au
      sud du Tibre ne furent pas moins importants que ceux que nous
      avons signalés dans le nord ; jusqu'au jour où
      il rencontrèrent sur les bords mêmes de ce
      fleuve la puissance romaine contre laquelle leur
      confédération, déjà disjointe, se
      brisa. La campagne de Rome leur doit Fidènes et
      Tusculum. Rome leur doit une bonne partie de son
      éducation ; l'art d'élever des voûtes que
      la Grèce elle-même semble avoir ignorée ;
      la science des augures, si importante dans sa
      politique.
      
|   Murs de Nola | 
En Campanie s'élevèrent Volturnum qui fut
      plus tard Capoue, Nola, Acerrae ; Herculanum et
      Pompéi, dont la fin désastreuse a fait des
      villes à jamais célèbres. «Du haut
      des rochers de Sorrente que couronnait le temple de la
      Minerve Etrusque, ils guettaient les navires assez hardis
      pour s'aventurer dans les golfes de Naples et de Salerne, et
      leurs longues galères couraient jusqu'aux côtes
      de la Corse et de la Sardaigne où ils eurent des
      établissements». Mais quelque importantes que
      fussent leurs expéditions maritimes, jamais leur
      puissance ne prit en ce sens l'extension de celle des
      Phéniciens ; ils se bornèrent le plus souvent
      aux deux mers qui baignent les côtes de l'Italie.
      Là ils régnèrent longtemps ; de
      là ils éloignèrent les Phéniciens
      et essayèrent de chasser les Grecs. Ceux-ci finirent
      par vaincre à leur tour. Mais les Phéniciens
      n'eurent jamais sur cette côte fameuse les
      établissements importants dont ils ont semé
      toute la côte méditerranéenne.
      
      Les Phéniciens d'ailleurs ne s'étaient
      laissés effrayer ni par cette résistance, ni
      par les difficultés redoutables des pas de Charybde et
      de Scylla. Ils avaient franchi la mer Thyrrhénienne et
      avaient abordé aux rivages méridionaux de la
      Gaule. Là ils avaient apporté les arts,
      introduit la culture de la vigne, fondé Narbonne,
      Nîmes, Arles, les plus anciennes villes de notre
      France.
      
      Un peu plus au sud, les îles Baléares les
      recevaient et l'Espagne leur offrait ses richesses. C'est le
      Pérou des anciens. Ils ne tarissent pas
      d'éloges et d'enthousiasme sur les plaines
      fortunées de la Bétique. L'or, disait-on, y
      coulait dans le gravier des fleuves, les ruisseaux
      étaient de lait, les arbres suaient le miel, les
      cavales y étaient fécondées par le vent.
      Assis sur les bords extrêmes du rivage occidental, on
      voyait, disait-on, le soleil baisser sur l'horizon et plonger
      tout à coup dans la mer comme un feu qui
      s'éteint. Là les Phéniciens
      fondèrent Abdère, Malaca, Gadès (Cadix),
      Hispalis (Séville), en un mot, les villes les plus
      importantes de l'Espagne méridionale.
      
      Ils ne s'arrêtèrent pas encore, ils franchirent
      le grand pas du Gibraltar, rompirent le détroit,
      séparèrent les colonnes d'Hercule,.... et
      là, debout sur la poupe, le marin Phénicien put
      voir au loin s'étendre la haute mer, l'Océan
      immense, et rêver dans le mirage de la brume les
      fortunés rivages des Hespérides et de
      l'Atlantide.
      
      Autour de l'Europe, autour de l'Afrique ils
      naviguèrent, allant, allant toujours poussés
      par la soif du gain, bravant tous les courants, les vents
      contraires, les mers froides, inconnues et hostiles. Ils
      allèrent ainsi, - qui sait ? - jusqu'en Angleterre, en
      Danemark, en Norvège, d'une part ; de l'autre, ils
      s'enfoncèrent jusqu'aux îles de Pourpre
      (Madère), aux îles Fortunées (Canaries) ;
      plus bas encore ils virent les Leucoethiopiens, les hommes
      à queue de singe, et bien d'autres merveilles.
      
      On dit même qu'ils firent le tour du continent Africain
      ; et les prêtres égyptiens racontèrent
      à Hérodote que, partant de la mer Rouge, des
      marins phéniciens, après trois ans de
      navigation étaient revenus par les colonnes d'Hercule
      : récit que nous ne pourrions croire, pas plus
      qu'Hérodote qui le rapporte, si dans le cours de sa
      narration il ne témoignait lui-même de ce fait
      véridique et concluant que les marins
      phéniciens avaient vu le soleil du côté
      de l'Ourse.
      
      D'ailleurs si cet antique périple peut être mis
      en doute, il faut bien accepter comme un fait, la
      colonisation de l'Afrique septentrionale par les
      commerçants de la Syrie : c'est là que leur
      Hercule avait fondé la ville fabuleuse
      d'Hécatompyles ; c'est là que des récits
      plus authentiques placent la fondation de Leptis la grande,
      d'Oea, de Sabrata, de Thapsos, d'Utique, et enfin de
      Kambé que remplaça plus tard «la ville
      neuve», Carthage.
      
      C'est elle qui, s'engraissant plus tard de la ruine de sa
      mère Tyr, absorba à son profit tout le commerce
      de l'Occident, devint la reine de la
      Méditerranée et balança la fortune de
      Rome. Nous la retrouverons plus tard.
      
      Si nous nous replions, cependant, sur les parages plus
      voisins de la Phénicie, si nous poursuivons la
      côte nord de l'Afrique jusqu'au moment où elle
      rejoint l'Asie, il est un point où les vaisseaux des
      Syriens n'osèrent jamais aborder en conquérants
      ; un pays que tous les puissants Etats de l'Asie,
      envièrent et respectèrent quoiqu'il fût
      leur plus proche voisin ; un Etat dont les origines
      remontaient aux plus hauts souvenirs de l'humanité, et
      qui se prétendait à bon droit
      l'aîné de tous les peuples ; un royaume dont la
      force inspirait la terreur et dont les richesses excitaient
      l'envie. C'est l'Egypte. Que les Arabes et les Syriens (sous
      le nom de Pasteurs et de Khetas), que les Assyriens (au temps
      de Cambyse), eussent essayé de l'envahir, son peuple
      calme et fort avait résisté lentement et
      finalement culbuté et mis en fuite les armées
      des envahisseurs. Sa durée paraissait immortelle, et
      comme les sources de son fleuve, le Nil, son histoire
      semblait se perdre au loin dans l'inconnu et dans la
      nuit.
      
      Les cités égyptiennes. - C'est par les
      villes énormes qu'il construisit que nous terminerons
      ce rapide examen des villes anciennes. L'imposant spectacle
      qu'elles présentent aujourd'hui encore après
      des centaines de siècles, donne une bien haute
      idée de l'état avancé et de la haute
      civilisation de ces peuples.
      
      L'Egypte c'est le Nil. Dans la brûlante et morne
      Afrique, le Nil donne la fraîcheur, la joie, la
      gaieté, la vie. Est-il digne de remarque que ce fleuve
      immense, ce bras de mer déroulant des montagnes,
      inspire non seulement le respect par sa masse, mais aussi la
      bonne humeur par sa douce action bienfaisante. Osburn dit :
      «Il n'y a peut-être pas dans tout le domaine de
      la nature un spectacle plus gai que celui
      présenté par la crue du Nil. Toute la nature en
      crie de joie. Hommes, enfants, troupes de boeufs sauvages
      gambadent dans les eaux rafraîchissantes, les larges
      vagues entraînent les bancs de poissons dont
      l'écaille lance des éclairs d'argent, tandis
      que des oiseaux de toute plume s'assemblent en nuées
      au-dessus». C'est la fête de la nature.
      
      Agenouillées, serrées autour de cette immense
      mamelle, les villes de l'Egypte puisent dans son sein la vie.
      Le Nil est le père, c'est le Dieu ; c'est lui que
      célèbre, depuis l'embouchure jusqu'aux
      cataractes, le grand poème hiéroglyphique
      déroulé par la main des Pharaons :
      «Salut, ô Nil, - ô toi qui t'es
      manifesté sur cette terre - et qui viens en paix -
      pour donner la vie à l'Egypte ! - Dieu caché -
      qui amènes les ténèbres au jour qu'il te
      plaît les amener, - irrigateurs des vergers qu'a
      créés le Soleil - pour donner la vie à
      tous les bestiaux b; - tu abreuves la terre en tous lieux, -
      voie du ciel qui descends, - Dieu Seb, ami des pains ! - Dieu
      Nepra, oblateur des grains ! - Dieu Pthah qui illumine toute
      demeure ! SEIGNEUR des poissons, quand tu remontes sur les
      terres inondées - aucun oiseau n'envahit plus les
      biens utiles ; - créateur du blé, producteur de
      l'orge, il perpétue la durée des Temples ;
      repos des doigts est son travail - pour des millions de
      malheureux !.... Tu as réjoui les
      générations de tes enfants : - on te rend
      hommage au Sud. - Stables sont tes décrets quand ils
      se manifestent - par devant les serviteurs du Nord. - Tu bois
      les pleurs de tous les yeux et prodigues l'abondance des
      biens !» (Papyrus Seller, II, traduction
      Maspero).
      
      Enumérons les villes que ce puissant nourricier avait
      semé sur ses deux bords.
      
      D'abord les villes du Delta, Sais, Tanis, Xoïs, toutes
      villes anciennes et puissantes. Mais leur position
      excentrique empêcha qu'elles tinssent jamais d'une
      façon durable le premier rang en Egypte. Plus tard la
      fondation d'Alexandrie les ruina. Dès la plus haute
      antiquité elles profitaient de leur situation au bord
      de la mer pour se livrer à un commerce actif. Les
      Phéniciens y avaient des comptoirs.
      
      Au sortir du Delta la vallée se resserre ; nous sommes
      en pleine Egypte ; c'est là que s'entassent l'une sur
      l'autre : On du nord, l'Héliopolis des Grecs, la ville
      sainte ; il se tenait dans ses temples une école de
      théologie où Solon, Pythagore, Platon
      étaient venus prendre les leçons des
      prêtres de l'Egypte ; Babylone d'Egypte si
      célèbre dans les récits du moyen
      âge, où les Grecs avaient cru reconnaître
      une ville bâtie par la main des Troyens
      prisonniers.
      
      En face, sur la rive gauche, plus puissante à elle
      seule, et plus célèbre s'étalait
      l'orgueilleuse Memphis (Mannover). Au treizième
      siècle, l'arabe Abd-al-latif décrivait en ces
      termes l'aspect imposant que présentaient encore ses
      ruines. «Malgré l'immense étendue de
      cette ville, disait-il, et la haute antiquité à
      laquelle elle remonte, ses débris offrent encore aux
      yeux des spectateurs une réunion de merveilles qui
      confond l'intelligence et que l'homme le plus éloquent
      entreprendrait inutilement de décrire.... Les pierres
      provenues de la démolition des édifices
      remplissent toute la surface de ces ruines ; on trouve en
      quelques endroits des pans de murailles encore debout,
      construits de ces grosses pierres dont je viens de parler ;
      ailleurs il ne reste que les fondements, ou bien des monceaux
      de décombres. J'ai vu l'arc d'une porte très
      haute dont les deux murs latéraux sont formés
      chacun d'une seule pierre ; et la voûte
      supérieure qui était aussi d'une seule pierre
      était tombée au devant de la porte... Les
      ruines de Memphis occupent actuellement une
      demi-journée de chemin en tous sens».
      
      De cette ville qui dans sa splendeur avait été
      tellement importante qu'elle avait donné son nom
      à l'Egypte, (Hakaptah, c'est-à-dire ville de
      Phtah), si l'on s'achemine vers l'autre centre de la
      puissance Egyptienne vers la capitale du sud, Thèbes,
      on rencontre encore sur les bords du Nil bien d'autres
      centres importants. Il y avait la ville de Khéops.
      Menat-Khouwou, aujourd'hui Minieh. Il y avait l'antique
      Hermopolis, qui s'appelait encore Sesounnou, et qui passait
      pour une des plus vieilles villes de la vieille Egypte. Puis,
      plus haut encore, l'un des grands centres religieux de
      l'Egypte, une des villes dont le nom se trouve le plus
      fréquemment répété dans les
      inscriptions antiques, Abydos (Aboud), plus tard
      Ptolémaïs. Elle dut à certains moments
      balancer la puissance de Thèbes et de Memphis. Enfin
      après avoir traversé On du midi (Hermonthis),
      dont l'existence remontait aux âges
      antéhistoriques, l'on arrivait à la ville qui
      résumait en elle seule toutes les splendeurs et toutes
      les gloires de l'empire, à celle dont le nom
      était répandu au loin, et dont les ruines
      donnent encore une idée si magnifique et si
      complète des splendeurs antiques, à la ville
      sainte, Ape, T-ape, la Thèbes aux cent portes des
      Grecs, la demeure d'Amman-Ra, roi des dieux et
      créateur du monde.