Livre X - Lettres 85 et 86


PLINE A L'EMPEREUR TRAJAN

Pendant que j'étais à Pruse, qui est située près du mont Olympe, seigneur, et que j'y expédiais quelques affaires dans ma maison, résolu de partir ce jour-là, Asclépiade, magistrat, m'a rapporté que Claude Eumolpe avait appelé devant moi, sur la demande faite par Coccéianus Dion dans le sénat de cette ville, à ce que l'ouvrage qu'il avait entrepris pour elle, fût reçu. Alors Eumolpe, plaidant pour Flavius Archippus, dit qu'il fallait faire rendre compte à Dion de l'ouvrage avant que de le recevoir, parce qu'il l'avait fait autrement qu'il ne le devait. Il ajouta que dans le même lieu on avait élevé votre statue, et enterré les corps de la femme et des fils de Dion, et demanda que je voulusse bien décider la cause dans l'audience publique. Je déclarai que j'étais tout prêt, et que je différerais mon départ. Alors il me pria de remettre à en juger dans un autre temps et dans une autre ville. Je marquai Nicée. Comme j'y eus pris ma séance, disposé à les écouter, Eumolpe, sous prétexte de n'être pas encore instruit, me supplia d'accorder un nouveau délai. Dion, au contraire, insista pour être jugé. On dit de part et d'autre beaucoup de choses qui regardaient même le fond. Mais comme je pensai qu'il ne fallait rien précipiter, et qu'il était à propos de vous consulter dans une affaire qui tire à conséquence, je dis aux parties de me remettre entre les mains leurs requêtes. Je voulais que vous fussiez instruit, par eux-mêmes, de leurs prétentions et de leurs raisons. Dion déclara qu'il me donnerait la sienne, et Eumolpe dit qu'il expliquerait ce qu'il demandait pour la république ; et il ajouta, quant à ce qui concernait les sépultures, qu'il n'était point l'accusateur de Dion, mais l'avocat de Flavius Archippus, auquel il avait, sur ce qui regardait l'ouvrage seulement, prêté son ministère. Archippus, pour qui Eumolpe plaidait aussi bien que pour la ville de Pruse, dit qu'il me remettrait ses mémoires. Cependant, quoiqu'un temps considérable se soit écoulé depuis, je n'ai encore rien vu de la part d'Eumolpe, ni d'Archippus. Dion seul m'a remis son mémoire, joint à cette lettre. Je me suis transporté sur le lieu : on m'y a montré votre statue dans une bibliothèque. Quant à l'endroit où la femme et les fils de Dion sont enterrés, c'est une grande cour, enfermée de galeries. Je vous supplie, seigneur, de vouloir bien m'éclairer dans le jugement de cette espèce d'affaire. Sa décision tient ici tout le monde en suspens ; elle est d'ailleurs nécessaire, soit parce que le fait est certain et publiquement reconnu, soit parce qu'il est soutenu de plus d'un exemple.

TRAJAN A PLINE

Vous ne deviez pas hésiter, mon très cher Pline, sur la question que vous me proposez. Vous savez fort bien que ce n'est pas mon intention de m'attirer le respect par la crainte et par la terreur, ou par des accusations du crime de lèse-majesté. Laissez donc là cette accusation, que je ne permettrais pas de recevoir, quand il y en aurait des exemples. Mais prenez connaissance de ce qui regarde l'ouvrage entrepris par Coccéianus Dion, et réglez les contestations formées sur cela, puisque l'utilité de la ville le demande, et que Dion s'y soumet, ou s'y doit soumettre.

© Agnès Vinas

Lettre précédenteLettre suivante