La province

Si l'on en revient au cas de la France, il est extrêmement difficile d'estimer la part que représente la province par rapport à Paris au sein de la clientèle. Il convient en effet de ne retenir que ceux des modèles ayant fait l'essentiel de leur carrière dans une ville ou que le rédacteur des livres de comptes dit y résider au moment du portrait et en être originaires ; obtenir un siège épiscopal dans un diocèse ou être nommé l'espace de quelques années gouverneur ou intendant d'une province ne signifie pas obligatoirement qu'on l'ait élu comme demeure principale : beaucoup continuait en effet à partager leur temps entre Paris et la cour, ne faisant que de brèves apparitions parmi leurs « administrés ».

Sur 1 324 modèles, seuls 126 soit 9,5 % peuvent être qualifiés de provinciaux ; ils sont réputés venir de Quimper, Saint-Malo, Rennes, Le Mans, Rouen, Alençon, Dunkerque, Laon, Soissons, Metz, Besançon, Dijon, Mâcon, Lyon, Grenoble, Valence, Marseille, Aix-en-Provence, Nîmes, Montpellier, Narbonne, Perpignan, Montauban, Toulouse, Pau, Bayonne, Bazas, Bordeaux, Limoges, Angoulême, Saintes, Poitiers, Tours, Châteaudun, Montluçon, Blois, Amboise, Chartres, Orléans, Provins et Pontoise.

Les principales villes du royaume, sièges des cours souveraines - Parlements, Conseils souverains, Chambres des comptes, Cours des Aides et Cours des Monnaies - sont largement représentées : leur personnel, du premier président au conseiller, comptent parmi les clients assidus de Rigaud.

 

Hyacinthe Rigaud
Gaspard de Gueidan en joueur de musette (1738)
Aix-en-Provence, musée Granet

Quatre provinces françaises semblent s'être disputées l'essentiel des commandes. On ne s'étonnera pas d'y trouver le Roussillon et Perpignan, terre natale de l'artiste où il conserva toute sa vie de fortes attaches familiales et dont les autorités locales sollicitèrent régulièrement ses talents : trois intendants, Raymond de Trobat ÿ Vinÿes (1686), Etienne de Ponte, comte d'Albaret (1697), Jean-Baptiste Louis Picon, seigneur d'Andrezel (1716) ; deux gouverneurs et leurs secrétaires, le duc de Noailles (1691) et Ozon (1720), le duc de Vendôme (1698) et Magnianis (1709) ; un évêque, Jean Hervé Basan de Flamenville (1698) et plus modestement, un conseiller au Conseil souverain de Roussillon, Antoine Védel (1687). Pas plus d'ailleurs que Lyon et la Bourgogne, de Mâcon à Dijon, région où il fit ses premières armes et se tailla dès 1677 une solide réputation. Moins connue est l'importance de Rouen et du quart nord-ouest du royaume, entre Normandie et Picardie, berceau de la belle-famille de Rigaud, les de Gouy et où il bénéficia sans doute de la recommandation de confrères amis, Jouvenet et Restout. Les riches plaines du Languedoc et de la Provence occidentale, de Carcassonne à Aix-en-Provence en passant par Narbonne et Montpellier, constituent son ultime vivier en terme de clientèle ; là encore, formation et liens affectifs jouèrent un rôle déterminant. De toutes ces capitales de province, Aix-en-Provence fut la plus gâtée ou la mieux servie par l'artiste et ce, de façon continue, de 1690 (Jean-Baptiste Boyer d'Eguilles) à 1738 (Gaspard de Gueidan), soit sur l'ensemble de sa carrière. Il est vrai que Rigaud disposait sur place d'un zélateur prompt à lui susciter de nombreuses commandes de la part de la noblesse locale, en la personne d'Etienne de Lieutaud, son ami et à l'occasion son « bras droit » : une sorte d'agent ou d'impresario avant la lettre... A contrario, on notera la très faible proportion de clients originaires de Bordeaux (2 parlementaires), pourtant l'une des villes les plus importantes du royaume, dont l'activité marchande reposait sur une forte assise bourgeoise.


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