(Κυνηγέτης), chasseur.

Dans l'article Venatio, il a été question de ceux qui poursuivaient le gibier à travers la campagne, soit par plaisir, soit pour vendre leurs captures. Le même nom s'appliquait aussi à l'homme armé qui luttait contre les bêtes sauvages dans les jeux publics de l'époque romaine. Il était assimilé en tout et pour tout au gladiateur ; la même flétrissure s'attachait à la condition de l'un et de l'autre ; comme le gladiateur, le venator était en général un forçat ou un esclave, ce qui n'empêchait pas du reste qu'il y eût parmi les gens qui faisaient ce métier, comme dans la gladiature même, des affranchis et des engagés volontaires (auctorati) [Gladiator] ; on cite des empereurs qui non seulement rivalisèrent d'adresse avec eux, mais encore s'associèrent publiquement à leurs exercices. Toutefois, malgré le rapport étroit qui les unit, le venator n'est pas un gladiateur et n'en porte pas le nom, parce que son arme la plus ordinaire n'est pas le glaive (gladius) et qu'il n'en connaît pas l'escrime ; à Rome les venatores de l'empereur n'habitent pas la même caserne (ludus) que ses gladiateurs, évidemment parce qu'ils reçoivent une instruction toute différente. Dans les troupes privées, par exemple dans celles des grands-prêtres provinciaux, les venatores et les gladiatores sont reçus, après leur mort, dans le même tombeau ; mais l'épitaphe les distingue soigneusement les uns des autres. Bref les deux professions voisinent sans cesse, mais ne se mêlent pas.

Il est beaucoup plus délicat de distinguer le venator du bestiarius. Nous voyons par le témoignage des auteurs que celui-ci était l'objet d'un mépris général ; l'opinion publique le plaçait au dernier degré de l'échelle sociale, au-dessous même du gladiateur. On en a conclu que le venator était d'un rang plus relevé ; le bestiarius aurait été un condamné, le venator un salarié ou un volontaire ; mais rien ne justitie cette hypothèse. On a pensé aussi que le bestiarius n'était pas armé, comme le venator, qu'il était jeté nu et sans défense dans l'arène ; c'est le confondre avec le condamné à mort ; en réalité le bestiarius peut avoir subi une condamnation infamante, mais c'est un combattant ; il ne vient pas directement de la prison pour être mis à mort ; il a passé par le ludus et on lui a appris à manier des armes pour défendre sa vie. Enfin, suivant une autre opinion, le bestiarius aurait été moins armé que le venator ; simple conjecture, qui aurait besoin d'être appuyée par des textes. Tout ce qu'on peut retenir jusqu'ici comme probable, c'est que venator, bien que présentant exactement le même sens que bestiarius, était plus général et moins dégradant.

D'ordinaire les chasseurs de l'amphithéâtre sont vêtus et armés légèrement : ceux qu'on voit sur la mosaïque Borghèse portent une courte tunique à manches, ornée de bandes et d'empiècements ; leurs jambes sont serrées dans des courroies ; ils n'ont aucune arme défensive, ni casque, ni bouclier, pas même le brassard (manica), dont se couvraient quelquefois leurs pareils ; seulement leur poitrine et leurs épaules paraissent protégées par des plaques de cuir ou de métal. Ils foncent sur la bête avec un épieu [venabulum], tenu fortement à deux mains ; cette arme, qui ne dépasse pas la hauteur d'un homme, est traversée, au-dessous du fer, par une barre horizontale, recourbée en dedans, qui l'empêche de sortir de la blessure du côté où elle est entrée.

C'est ainsi que combattent en général les bestiaires, si ce n'est que l'épieu, quand ils ont affaire à un taureau, est remplacé par la lance, mieux proportionnée à sa taille et à ses moyens de défense. On connaît cependant des bestiaires dont l'armure, beaucoup plus pesante, offre de grandes analogies avec celle des gladiateurs ; ainsi ceux du bas-relief Torlonia portent, avec l'épée, un casque et un bouclier richement décorés ; on les prendrait pour des Samnites ; l'un d'eux, tombé à terre, est revêtu d'une cotte de mailles, serrant étroitement les bras et les cuisses, comme celle dont se couvraient les Cataphracti chez les Perses et chez d'autres nations orientales.

Il est possible que ce bas-relief, où l'on aperçoit dans le fond le théâtre de Marcellus, rappelle les jeux donnés par Auguste quand il inaugura l'édifice (an 11 av. J.-C.) ; à cette occasion, des modifications exceptionnelles, pour des raisons qui nous échappent, auraient pu être apportées à l'appareil ordinaire du spectacle ; mais il y a d'autres exemples de l'armure pesante chez les bestiaires. On a supposé qu'elle était réservée soit à des gladiateurs détachés pour prendre part à la venatio, soit à une catégorie de bestiaires désignée par un nom particulier ; jusqu'ici les preuves de cette conjecture font défaut. Ce qui paraît probable, c'est que les Romains se sont sans cesse efforcés de rajeunir ces divertissements cruels, de sorte que certaines fantaisies, qui ont laissé leurs traces sur les monuments, ont pu ne pas avoir de suite. Quelquefois, surtout dans les premiers temps, on fit combattre les bêtes fauves par des hommes venus des pays mêmes où elles avaient été prises, parce qu'ils s'y entendaient mieux que d'autres : le roi Bocchus envoya à Sylla des Numides avec les lions qu'ils devaient tuer, la première fois qu'on osa présenter au public ces animaux sans chaînes. En 6l av. J.-C., des Éthiopiens furent opposés à des ours d'Afrique ; depuis on vit plusieurs fois, à Rome, des Thessaliens, des Maures ou des Parthes donner publiquement, dans les venationes, des exemples de leurs talents spéciaux. Aux combats de taureaux étaient affectés les taurocentae, les taurarii, et probablement aussi les successores ; leur rôle semble avoir consisté à détourner la bête, comme le font les toréadors, quand l'un d'entre eux est trop menacé. Enfin l'amphithéâtre avait ses picadors dans des cavaliers qui poursuivaient les gros animaux la lance à la main.

A côté de ces gens armés les monuments nous en montrent d'autres, dépourvus d'armes. Quel est le nom qui convient à ceux-là ? Quelle était leur condition ? On ne s'accorde pas sur cette question ; le plus sûr est de s'en tenir aux distinctions très solides que Mommsen a établies à propos des gladiateurs. On ne saurait douter que les hommes exposés sans armes à la dent des bêtes féroces soient en danger de mort, et de fait, dans la mosaïque Borghèse, nous en voyons au moins une demi-douzaine étendus à terre en monceau ; il est assez naturel de penser que ces misérables étaient des malfaiteurs condamnés par les tribunaux ; mais d'autre part on ne peut pas non plus les assimiler complètement à ceux qui étaient attachés à un poteau dans l'amphithéâtre, les mains derrière le dos. Ceux-ci ne doivent sous aucun prétexte échapper à la mort ; les premiers courent un risque énorme, mais ce n'est qu'un risque, et ils ont, malgré tout, des moyens de protéger leur vie : il faut bien songer en effet qu'ils ont auprès d'eux, dans l'arène, toute une troupe de combattants armés et expérimentés, dont leur salut dépend en grande partie. Leur rôle nous semble, en définitive, avoir été celui de comparses chargés d'animer le spectacle par leurs évolutions et qui pouvaient se dérober à force d'agilité, de souplesse ou de ruse, jusqu'au moment décisif où intervenait pour les secourir l'épieu du bestiaire. Ils portent tous, dans la mosaïque Borghèse, comme les combattants, une tunique à manches, ornée de bandes verticales [clavus], qui s'arrête au-dessus des genoux : c'est sans doute une livrée, commune à toute la troupe et fournie par l'organisateur du spectacle ; on sait avec quelle prodigalité les Romains multipliaient dans leurs munera les costumes brillants et coûteux. Quoique l'équipement des bestiaires prêtât moins à la décoration que celui des gladiateurs, il pouvait être encore fort riche ; les bestiaires de Jules César parurent au milieu de l'arène avec des armes d'argent, exemple qui fut bientôt suivi jusque dans les municipes.

Dans le personnel des venationes les magistri semblent avoir occupé un rang plus relevé, que ce mot s'applique à des dompteurs chargés d'apprivoiser certains animaux, ou à des instructeurs chargés de former leurs camarades et de dresser les chiens de chasse. Beaucoup de troupes eurent des virtuoses célèbres, favoris de la foule ; Martial a porté aux nues les exploits de son contemporain Carpophorus ; dans une seule représentation il avait expédié un ours, un lion et un léopard ; dans une autre un auroch, un bison et un lion ; dans une troisième vingt animaux féroces de divers genres. Un programme de Pompéi annonce, pour attirer les curieux, qu'ils verront prochainement combattre Félix.

Deux bestiaires sont désignés par leurs noms sur la mosaïque Borghèse, Militio et Sabatius, évidemment deux sujets de choix. Les gouverneurs avaient l'ordre de signaler à l'empereur ceux qui s'étaient distingués dans les provinces par leur force et leur adresse et qui leur paraissaient « dignes d'être présentés au peuple romain » ; l'empereur délivrait ensuite, s'ils appartenaient à la catégorie des condamnés, le laissez-passer sans lequel ils ne pouvaient être transférés hors de leur province. On pense bien que ceux qui avaient attiré sur leur personne l'attention publique par des succès exceptionnels en concevaient beaucoup d'orgueil ; « ils font parade, dit Tertullien, des morsures qu'il ont revues et de leurs cicatrices, comme s'ils en étaient plus beaux ». Sous Titus, des femmes mêmes, « qui n'étaient pas, il est vrai, d'un rang distingué », prirent part à un égorgement de neuf mille animaux. Les chasseurs et tout le personnel d'un même amphithéâtre formaient, en certains endroits, des associations ; c'est ainsi qu'une inscription mentionne à Die (Drôme) un collegium venatorum qui ministerio arenario fungunt.

Il faut en distinguer les commerçants et leurs agents qui, sous le même nom de venatores, recherchaient et centralisaient les animaux sauvages pour les vendre aux organisateurs de spectacles : ceux-là appartenaient évidemment à une autre catégorie sociale ; nous en voyons parmi eux qui arrivent aux honneurs municipaux ; il est possible qu'ils aient formé aussi des associations.

Tous ceux qui jouaient un rôle quelconque dans les venationes de l'amphithéâtre avaient un culte particulier pour Diane, patronne de leur art, et pour Silvain, dieu des forêts.

Georges Lafaye