[Itinéraires autour de Sparte]

Tardieu, 1821

[6] Quand on va de Sparte à Amycle on trouve la Tiase, rivière qu'ils croient avoir pris son nom d'une fille d'Eurotas. Le premier temple que vous rencontrez sur votre chemin est celui des deux Grâces Phaënna et Cléta, que le poète Alcman a célébrées dans ses vers. On dit que c'est Lacédémon qui a bâti ce temple à ces Grâces, et qui leur a même imposé leurs noms.

[7] Parmi les monuments que l'on voit à Amycle, un des plus beaux est la statue d'un certain Enétus de Sparte, qui se distingua en son temps par le talent de réussir également dans les cinq sortes de combats, et qui ayant été déclaré vainqueur à Olympie fut couronné et mourut le moment d'après ; il est représenté sur le haut d'une colonne, et l'on voit à l'entour plusieurs trépieds de bronze ; il y en a surtout dix qui passent pour être plus anciens que la guerre de Sparte contre les Messéniens.

[8] Vénus est gravée en relief sur le premier, Diane sur le second ; ces deux trépieds et les bas-reliefs sont de Gitiadas. Le troisième représente Proserpine, c'est un ouvrage de Callon qui était de l'île d'Egine. Aristandre de Paros et Polyclète d'Argos en ont fait aussi chacun un ; sur celui d'Aristandre vous voyez une femme qui tient une lyre, c'est Sparté elle-même ; sur celui de Polyclète c'est Vénus qu'Amyclée invite à venir chez lui ; ces deux derniers surpassent de beaucoup les autres en grandeur, ils furent consacrés après la victoire que les Lacédémoniens remportèrent à Aegospotamos.

[9] Mais une antiquité très curieuse, c'est le trône d'Amyclée, fait par un ouvrier de Magnésie qui se nommait Bathyclès, et non seulement le trône est de lui, mais tout l'ouvrage, et les accompagnements, les Grâces, la statue de Diane Leucophryné, tout est de la façon de cet ouvrier : sous quel maître il avait appris son art, et en quel temps il florissait, je n'en dirai rien. Quant à l'ouvrage, je l'ai vu, ainsi j'en puis rendre compte.

[10] Les Grâces et les Heures, au nombre de deux les unes et les autres, soutiennent ce trône par devant et par derrière. Sur la gauche Bathyclès a représenté Echidne avec Typhon, et sur la droite, des Tritons. Je ne prétends pas faire un détail exact de tout ce que l'on voit gravé sur ce siège, le récit en deviendrait ennuyeux ; pour abréger donc, voici ce qui m'a paru de plus remarquable. Dans un endroit Jupiter et Neptune enlèvent Taïgète fille d'Atlas, et Alcyone sa soeur ; Atlas y tient aussi sa place. Dans un autre vous voyez le combat d'Hercule avec Cycnus, et le combat des Centaures chez Pholus.

[11] Ici c'est Thésée qui combat le Minotaure : mais pourquoi il traîne le Minotaure enchaîné et encore vivant, c'est ce que je ne sais pas ; là c'est une danse de Phéaciens et de Démodocus qui chante. Ces bas-reliefs vous présentent une infinité d'objets tout à la fois ; Persée coupe la tête à Méduse, Hercule terrasse le géant Thurius, Tyndare combat contre Eurytus, Castor et Pollux enlèvent les filles de Leucippe, Bacchus tout jeune est porté au ciel par Mercure, Minerve introduit Hercule dans l'assemblée des dieux, il y est reçu, et prend possession du séjour des bienheureux.

[12] Pélée met son fils Achille entre les mains de Chiron, qui en effet l'éleva et fut, dit-on, son précepteur ; Céphale est enlevé par l'Aurore à cause de sa beauté ; les dieux honorent de leur présence et de leurs bienfaits les noces d'Harmonie. Achille combat contre Memnon, Hercule châtie Diomède roi de Thrace, et tue de sa main Nessus auprès du fleuve Enénus ; Mercure amène les trois déesses pour être jugées par le fils de Priam ; Adraste et Tydée terminent la querelle d'Amphiaraüs avec Lycurgue fils de Pronax.

[13] Junon arrête ses regards sur Io, fille d'Inachus déjà métamorphosée en vache ; Minerve échappe à Vulcain qui la poursuit ; Hercule combat l'hydre de la manière dont on le raconte, et dans un autre endroit il traîne après lui le chien du dieu des enfers. Anaxias et Mnasinoüs paraissent montés sur de superbes coursiers ; Mégapenthe et Nicostrate tous deux fils de Ménélas sont sur le même cheval, Bellérophon abat à ses pieds le monstre de Lycie ; Hercule chasse devant lui les boeufs de Géryon.

[14] Sur le rebord d'en haut on voit les fils de Tyndare à cheval, l'un d'un côté, l'autre de l'autre ; au-dessous ce sont des sphynx, et au-dessus des bêtes féroces ; un léopard vient attaquer Castor, et une lionne veut se jeter sur Pollux. Tout au haut Bathyclés a représenté une troupe de Magnésiens qui dansent et se réjouissent ; ce sont ceux qui lui avaient aidé à faire ce superbe trône.

[15] Le dedans n'est pas moins travaillé, ni diversifié ; du côté droit où sont les tritons, le sanglier de Calydon est poursuivi par des chasseurs, Hercule tue les fils d'Actor, Calais et Zétès défendent Phinée contre les harpies, Apollon et Diane percent Tityus de leurs flèches, Thésée et Pirithoüs enlèvent Hélène ; Hercule étrangle un lion ; le même Hercule mesure ses forces contre le centaure Oréüs, Thésée combat le Minotaure.

[16] Au côté gauche c'est encore Hercule qui lutte avec l'Achéloüs : là vous voyez aussi ce que la fable nous apprend de Junon, qu'elle fut enchaînée par Vulcain ; plus loin c'est Acaste qui célèbre des jeux funèbres en l'honneur de son père ; ensuite vous trouvez tout ce qu'Homère dans l'Odyssée raconte de Ménélas et de Prothée l'Egyptien. Dans un autre endroit Admette attelle à son char un sanglier et un lion, dans un autre enfin ce sont les Troyens qui font des funérailles à Hector.

XIX. [1] Le milieu du trône est la place du dieu ; à droite et à gauche il y a plusieurs sièges un peu distants les uns des autres, mais celui du milieu est le plus spacieux de tous ; c'est-là qu'est posée la statue du dieu.

[2] Je ne connais personne qui en ait encore marqué la hauteur ; autant que j'en ai pu juger, elle est au moins de trente coudées ; ce n'est point Bathyclès qui l'a faite, car c'est une statue d'un goût fort ancien et sans art, qui, à la réserve du visage, des mains et du bout des pieds est toute semblable à une colonne d'airain : elle a la tête dans un casque, et tient dans ses mains une lance et un arc.

[3] La base de cette statue est faite en forme d'autel, et la tradition du pays porte qu'Hyacinthe y est inhumé ; de là vient que durant les solemnités de la fête Hyacinthia, avant que de sacrifier à Apollon, l'on ouvre une petite porte d'airain qui est au côté gauche de l'autel, et que l'on fait l'anniversaire d'Hyacinthe avec les cérémonies accoutumées. Sur cette base est représenté en relief d'un côté Neptune avec Amphitrite ; de l'autre la Néréide Béris. Dans un autre endroit Jupiter et Mercure s'entretiennent ensemble : près d'eux est Bacchus avec Sémélé qu'Ino accompagne.

[4] Dans un autre vous voyez Cérès, Proserpine et Pluton, et à leur suite les Parques et les Heures. Vénus, Minerve et Diane viennent ensuite, ces déesses portent au ciel Hyacinthe et sa soeur Polyboée qui mourut vierge, à ce que l'on dit ; au reste la statue d'Hyacinthe le représente comme ayant déjà de la barbe au menton, qu'il en eût ou non : Nicias de Nicomédie dans un endroit, où il fait entendre qu'Apollon était amoureux d'Hyacinthe, parle de celui-ci comme d'un jeune homme d'une grande beauté.

[5] Sur le devant de l'autel vous voyez Hercule qui est conduit au ciel par Minerve et par les autres dieux ; l'ouvrier a ménagé aussi une place pour les filles de Thestius, et n'a pas oublié les Muses, ni les Heures. Quant au Zéphyr, et à la manière dont Apollon tua si malheureusement Hyacinthe, et à la fleur en laquelle il le changea, peut-être ce que l'on en dit est-il fort différent de la vérité ; mais on en peut croire ce que l'on voudra.

[6] Amycle a été détruite par les Doriens, et ce n'est plus aujourd'hui qu'un village. Un des plus beaux monuments qui y soient restés est le temple d'Alexandra et sa statue ; les Amycléens disent que cet Alexandra était la même personne que Cassandre fille de Priam ; on voit aussi dans ce temple le portrait de Clytemnestre et la statue d'Agamemnon, et l'on croit que ce prince avait là sa sépulture. Les habitants du lieu honorent particulièrement Apollon surnommé Amycléüs, et Bacchus à qui ils donnent le surnom de Psilas, par une raison assez ingénieuse ; car psila en langage dorien signifie la pointe de l'aile d'un oiseau ; or il semble que l'homme soit emporté et soutenu par une pointe de vin, comme un oiseau dans l'air par les ailes. Voilà à peu près ce qu'il y a de plus curieux à Amycle.

[7] En sortant de la ville on trouve un chemin qui mène à Thérapné ; sur ce chemin vous verrez une statue de Minerve Aléa, et avant que de passer l'Eurotas, vous découvrirez le temple de Jupiter surnommé le Riche, qui est à quelque distance du rivage. Quand vous aurez passé la rivière, le premier temple que vous verrez est celui d'Esculape Cotyléüs ; c'est Hercule qui a bâti ce temple et qui l'a ainsi nommé, à cause d'une blessure à la cuisse dont il fut guéri, et qu'il avait reçue dans son premier combat contre Hippocoon et ses enfants ; car cotylé en grec signifie la cuisse. Mais le plus ancien monument que l'on trouve sur cette route, c'est un temple de Mars : on dit que la statue du dieu qui est sur la gauche a été apportée de Colchos par Castor et Pollux.

[8] On la nomme Théritas du nom de Théro qui, si on les en croit, fut la nourrice de Mars ; peut-être que Théritas est un mot du pays d'où l'on a apporté la statue du dieu ; car les Grecs ne connaissent point de Théro qui ait été nourrice de Mars. Pour moi je croirais que le surnom de Théritas a été donné à Mars, pour faire entendre qu'un guerrier doit avoir l'air terrible dans les combats ; c'est pourquoi Homère a dit en parlant d'Achille :

Un lion en colère a les yeux moins terribles.

[9] Thérapné a pris son nom d'une fille de Lélex. Ménélas y a un temple, et les habitants disent que lui et Hélène y sont inhumés ; mais les Rhodiens ont une tradition bien différente ; car ils prétendent qu'Hélène après la mort de Ménélas et durant l'absence d'Oreste qui était encore errant, chassée par Mégapenthe et par Nicostrate alla chercher une retraite à Rhodes auprès de son amie Polyxo ;

[10] que cette Polyxo était d'une famille d'Argos, et qu'après avoir vécu plusieurs années avec son mari Tlépoleme, elle l'avait suivi à Rhodes dans son exil ; qu'alors elle régnait sur les Rhodiens sous le nom de son jeune fils dont elle était tutrice ; ils ajoutent que Polyxo voyant Hélène en sa puissance avait résolu de se venger sur elle de la mort de Tlépoleme, et que dans ce dessein un jour que la princesse était allée laver à la rivière, elle y envoya ses femmes déguisées en furies qui prirent Hélène, l'attachèrent à un arbre et l'étranglèrent ; et ce fait, dit-on, est si vrai, que pour expier le crime de Polyxo les Rhodiens bâtirent dans la suite un temple à cette princesse sous le nom d'Hélène Dendritis.

[11] Mais il faut aussi que je rapporte un conte que font les Crotoniates sur Hélène, et le témoignage des Himéréens à ce sujet ; car j'ai une connaissance particulière de l'un et de l'autre. Il y a sur le Pont-Euxin vers l'embouchure de l'Isther une île consacrée à Achille, et qui a nom Leucé ; cette île a quelques vingt stades de circuit ; elle est toute couverte de forêts qui abondent en bêtes fauves et de toute espèce. Achille y a un temple et une statue.

[12] On dit que Léonyme de Crotone est le premier qui ait abordé en ce lieu. En effet la guerre s'étant allumée entre les Crotoniates et les Locriens d'Italie, ceux-ci à cause de leur ancienne affinité avec les Opontiens invoquèrent Ajax fils d'Oïlée. Léonyme qui commandait les Crotoniates attaqua les ennemis et donna d'abord sur un gros que l'on supposait être commandé par Ajax ; mais il reçut une grande blessure dans l'estomac, qui l'obligea à se retirer du combat. Dans la suite comme sa plaie lui faisait beaucoup de douleur, il alla consulter l'oracle de Delphes ; la Pythie lui ordonna d'aller dans l'île Leucé, que là il trouverait Ajax qui le guérirait.

[13] Il y alla en effet et fut guéri. Les Crotoniates disent qu'à son retour il assura qu'il avoir vu dans cette île Achille, et non seulement Ajax fils d'Oïlée, mais aussi Ajax fils de Télamon, et avec eux Patrocle et Antiloque ; qu'Hélène était mariée à Achille, et que cette princesse lui avait recommandé, qu'aussitôt qu'il serait arrivé à Himéra, il avertît Stésichore qu'il n'avait perdu la vue que par un effet de sa colère et de sa vengeance ; avis dont le poète profita si bien, que peu de temps après il chanta la palinodie.

XX. [1] Je vis à Thérapné la célèbre fontaine Diasséïs ; cependant quelques Lacédémoniens prétendent que ce n'est pas elle, et que la fontaine qu'ils appellent aujourd'hui Polydeucée est la même que celle qu'ils appelaient autrefois Masséis. Quoi qu'il en soit, la fontaine Polydocée est à droite sur le chemin qui conduit à Thérapné, et il y a tout auprès un temple de Pollux.

[2] Un peu plus loin vous trouvez une espèce de collège pour la jeunesse et un temple des Dioscures, où les jeunes gens font des sacrifices au dieu Mars. Neptune a aussi un temple aux environs sous un nom qui donne à entendre que ce dieu est le maître de la terre. Si vous avancez ensuite du côté de Taïgète, vous rencontrerez un village nommé Alesies, parce que c'est là, dit-on, que Mylès fils de Lélex trouva le premier une meule, et qu'il enseigna aux hommes la manière de s'en servir pour moudre les fruits de la terre, propres à leur nourriture. Là vous verrez un monument héroïque érigé en l'honneur de Lacédémon fils de Taïgète.

[3] Quand on a passé la rivière de Phellia, on voit sur le chemin d'Amycle les ruines de Pharis qui était autrefois une ville de la Laconie. Ensuite vous trouvez à droite un chemin qui vous mène à la montagne de Taïgète. Dans la plaine qui est au bas, il y a un temple de Jupiter Messapée, ainsi dit, à ce que l'on prétend, du nom d'un de ses prêtres. En descendant de la montagne on voit un endroit où était anciennement la ville de Brysée ; un temple dédié à Bacchus est tout ce qui en reste avec quelques statues qui sont exposées à l'air ; il n'y a que les femmes qui puissent voir l'intérieur du temple, elles seules ont le droit d'y sacrifier, et elles gardent un grand secret sur les cérémonies qu'elles y pratiquent.

[4] Au-dessus de Brysée s'élève sur le sommet de montagne un édifice nommé le Talet, et qui est consacré au Soleil ; ces peuples sacrifient à cette divinité plus d'une sorte de victimes, mais particulièrement des chevaux, ce qui est aussi en usage chez les Perses. Près de là est le bois d'Enoras, où l'on trouve toute sorte de bêtes fauves, surtout beaucoup de chèvres sauvages ; et en général le mont Taïgète fournit aux chasseurs une quantité prodigieuse de chèvres, d'ours, de sangliers, de cerfs et de biches.

[5] Aussi tout cet espace qui est entre le Talet et le bois d'Enoras est-il nommé par excellence Thérai, comme qui dirait, les chasses. Cette côte n'est pas éloignée du temple de Cérès Eleusinienne ; c'est le surnom qu'ils lui donnent ; ils disent qu'Hercule demeura caché en ce lieu, pendant qu'Esculape le guérissait de sa blessure. On y voit une statue d'Orphée, et ils croient que c'est un ouvrage des Pélasgiens ; du reste je sais que les mystères de Cérès ne se célèbrent pas là de la même manière qu'ailleurs.

[6] Du côté de la mer il y avait autrefois une petite ville nommée Hélos, dont Homère fait mention dans le dénombrement des vaisseaux, lorsqu'il dit,

Les uns venus d'Amycle, et les autres d'Hélos.

Cette ville prit son nom d'Hélius le plus jeune des enfants de Persée qui était venu s'y établir. Quelque temps après, les Doriens l'assiégèrent, s'en rendirent maîtres et firent esclaves tous les habitants ; c'est l'origine des premiers esclaves appartenant à l'état, qu'il y ait eu à Lacédémone, et la raison pourquoi ils se sont appellés Hilotes, comme ils l'étaient en effet. Dans la suite tous les esclaves que firent les Doriens et que chacun s'appropria, portèrent aussi le nom d'Hilotes, quoiqu'ils fussent pour la plupart Messéniens, de la même manière que l'on appela Hellenes tous les Grecs, du nom d'Hellas qui était alors une contrée de la Thessalie.

[7] Il y a dans le bourg d'Hélos une statue de Proserpine que l'on porte tous les ans à de certains jours dans le temple de Cérès Eleusinienne ; ce temple n'est qu'à quinze stades de Lapithéon, lieu ainsi appelé du nom d'un certain Lapithas, qui était originaire du pays ; ce lieu fait partie du mont Taigète et n'est pas loin de Derrhion, où l'on voit une statue de Diane Derrhiatis, qui est exposée à l'air. La fontaine Anonus est fort proche. Après Derrhion vous trouvez un endroit que l'on appelle Harplé, et qui s'étend jusqu'à la plaine.

[8] Mais si en sortant de Sparte vous prenez le chemin de l'Arcadie, vous rencontrerez d'abord en pleine campagne une statue de Minerve Paréa, ensuite un temple d'Achille qu'il n'est pas permis de tenir ouvert ; cependant tous les jeunes gens qui vont s'exercer au combat dans ce bois de platanes dont j'ai parlé, ne manquent pas de faire auparavant leur sacrifice à Achille ; les Lacédémoniens disent que ce temple a été bâti par Prax, arrière-petit-fils de Pergamus qui était fils de Néoptoleme.

[9] Plus loin vous verrez ce qu'ils appellent la sépulture du cheval ; c'est un endroit où l'on dit que Tyndare ayant assemblé tous ceux qui recherchaient sa fille Hélène en mariage, il immola un cheval en leur présence, et leur fit prêter serment sur la victime même déjà mise en pièces. Le serment portait que tous vengeraient Hélène et quiconque aurait l'avantage de l'épouser, s'il arrivait jamais que l'un ou l'autre fût outragé ; après leur avoir imposé cette obligation il enterra les membres de la victime dans le lieu même. A deux pas de ce monument il y a sept colonnes qui ont été érigées, autant que j'en puis juger suivant la religion de l'ancien temps, et qui, à ce que l'on dit, représentent les sept planètes. Le long du chemin on voit un bois consacré à Cranius Stemmatius ; au-delà c'est le temple de Diane Mysienne.

[10] Et à trente stades de la ville vous trouvez une statue de la Pudeur, qui a été posée là par Icarius pour la raison que je vais dire. Icarius ayant marié sa fille à Ulysse voulut engager son gendre à fixer son domicile à Sparte, mais inutilement ; frustré donc de cette espérance il tourna ses efforts du côté de sa fille, la conjura de ne le point abandonner, et au moment qu'il la vit partir pour Ithaque il redoubla ses instances et se mit à suivre son char.

[11] Ulysse lassé enfin de ces importunités dit à sa femme qu'elle pouvait opter entre son père et son mari, et qu'il la laissait maîtresse ou de venir avec lui en Ithaque, ou de retourner à Sparte avec son père. On dit qu'alors Pénélope rougit et qu'elle ne répondit qu'en mettant un voile sur son visage. Icarius entendit ce que cela voulait dire, et la laissa aller avec son mari ; mais touché de l'embarras où il avait vu sa fille, il consacra une statue à la Pudeur dans l'endroit même où Pénélope avait mis un voile sur sa tête.

XXI. [1] A quelques vingt stades de là vous trouverez l'Eurotas qui passe presque au bord du chemin ; en y arrivant vous verrez le tombeau de Ladas qui fut l'homme le plus agile de son temps ; il mérita d'être couronné aux jeux olympiques pour avoir doublé le stade ; je crois qu'il tomba malade incontinent après sa victoire, et qu'il se fit porter en ce lieu, où étant mort il fut inhumé sur le grand chemin. L'histoire des Eléens dans le catalogue de ceux qui ont été couronnés à Olympie fait mention d'un autre Ladas, natif d'Egion en Achaïe, qui remporta aussi le prix aux jeux olympiques, non de la longue course, mais simplement du stade.

[2] En avançant du côté de Pellane vous rencontrerez une petite place nommée Characome, d'où il n'y a plus qu'un pas à Pellane ; c'était autrefois une ville où l'on dit que Tyndare se retira, lorsqu'il sortit de Sparte, chassé par Hippocoon et par ses enfants. Ce que j'y ai vu de plus remarquable c'est un temple d'Esculape, et une fontaine qui n'a point d'autre nom que la fontaine de Pellane ; on dit qu'une jeune fille s'y laissa tomber en puisant de l'eau, et que son voile fut trouvé dans une autre fontaine qu'on nomme Lancée.

[3] Cent stades plus loin est un canton appellé Belemine ; c'est un petit pays fort aquatique, il est arrosé par l'Eurotas et par quantité de sources.

[4] En descendant à Gythion sur le bord de la mer on trouve un village appellé Crocée, et dans ce village des carrières où se forment non des pierres de taille, mais des cailloux tout semblables à ceux que l'on voit sur la grève auprès des rivières ; ces cailloux sont fort difficiles à tailler, mais s'ils étaient mis en oeuvre, on pourrait s'en servir à orner les niches des temples, et ils feraient aussi un fort bel effet dans des réservoirs et dans des aqueducs. A l'entrée du village il y a une statue de pierre qui représente Jupiter Crocéate, et auprès des carrières les Dioscures sont en bronze.

[5] Au sortir de Crocée, en quittant le chemin de Gythion et en prenant à main droite on arrive à une bourgade qui a nom Egies : on croit que c'est la même qui dans Homère est appellée Augée. Là il y a un étang dit l'étang de Neptune, et sur sa rive un temple du dieu et une statue ; on n'ose pêcher cet étang, parce que, dit-on, si on le pêchait, on serait métamorphosé en un certain poisson.

[6] Gythée est à quelque trente stades d'Egies ; c'est une ville sur le bord de la mer et qui est habitée par ces Eleuthérolacons que l'empereur Auguste affranchit de la domination de Sparte. Tout le Péloponnèse est baigné de la mer, à l'exception du seul côté où se trouve l'isthme de Corinthe ; mais les côtes maritimes de la Laconie ont le privilège de porter des coquillages qui sont excellents pour teindre les étoffes en pourpre, et qui ne le cèdent qu'aux coquillages de la mer Rouge.

[7] Les villes que les Eleuthérolacons occupent aujourd'hui sont au nombre de dix-huit ; la première est Gythée que vous rencontrez en descendant d'Egies vers la mer ; vous avez ensuite Teuthrone, Las et Pyrrique ; d'un autre côté vous trouvez près du Ténare Cénépolis, Oetilos, Leuctres, Thalames, Alagonie, et Gérénie ; sur le bord de la mer au-delà de Gythée vous avez Asope, Acries, Boée, Zarax, Epidaure, autrement nommée Liméra, Brasies, Géronthre et Marios ; c'est tout ce qui reste aux Eleuthérolacons, car autrefois ils avaient vingt-quatre villes. Quant à celles dont je vais parler, j'avertis que bien loin d'être sujettes à la domination de Sparte, et de faire partie de l'état, comme d'autres dont j'ai parlé plus haut, elles sont indépendantes, et se gouvernent par leurs propres lois.

[8] Les Gythéates ne reconnaissent aucun mortel pour auteur de leur origine ; ils disent qu'Hercule et Apollon se disputèrent longtemps un trépied, et qu'ayant enfin terminé leur querelle ils bâtirent Gythée de concert et à frais communs ; c'est pourquoi ces dieux ont leurs statues au milieu du marché ; Bacchus a aussi la sienne auprès d'eux, et dans un autre endroit on voit un Apollon Carnéüs. Les principaux temples de la ville sont celui d'Ammon et celui d'Esculape ; ce dernier n'a point de plafond ; le dieu y est représenté en bronze. Auprès est une fontaine dite la fontaine d'Esculape ; un peu plus loin vous trouverez un temple de Cérès, qui est chez eux en grande vénération ; là Neptune a sa statue, et l'inscription porte que c'est Neptune le maître de la terre.

[9] Les Gythéates révèrent encore une ancienne divinité, dont ils parlent comme d'un vieillard, et qui a, disent-ils, son palais dans la mer ; je m'imagine que c'est Nérée qu'ils veulent dire, et je le conjecture de ces paroles de Thétis aux Nymphes dans Homère :

Pour vous, Nymphes, rentrez dans vos grottes profondes ;
Un vieillard fortuné vous attend sous les ondes :
Allez revoir Nérée et briller à sa cour.

Le temple de Cérès n'est pas éloigné des portes de la ville, ils appellent ces portes Castorides du nom des Dioscures. La citadelle n'a rien de considérable qu'un temple de Minerve et une statue de la déesse.


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Traduction par l'abbé Gédoyn (1731, édition de 1794)
NB : Orthographe modernisée et chapitrage complété.