[La région de Patras]

Tardieu, 1821

XVII. [5] Ces peuples sont séparés des Eléens par le fleuve Larisse, sur le bord duquel on voit un temple de Minerve dite Larissée. A quatre cent stades plus loin est Dyme, de toutes les villes qui obéissaient aux Achéens la seule qui suivit le parti de Philippe fils de Démétrius dans la guerre qu'il eut avec ces peuples. Ce fut pour cela que Sulpicius l'ayant prise, il l'abandonna au pillage. Auguste la réunit depuis au domaine de Patra.

[6] Dyme s'appellait anciennement Palée ; elle changea de nom dès le temps qu'elle était sous la domination des Ioniens : je ne sais pas bien si celui qu'elle prit vient, comme on dit, d'une femme du pays nommée Dyme, ou de Dymas fils d'Aegimius. Quoi qu'il en soit, il ne faut pas se laisser tromper par les vers qui sont au bas de la statue d'Oebotas à Olympie. Cet Oebotas remporta le prix du stade en la septième olympiade, et n'eut une statue qu'en la quatre-vingtième après un certain oracle rendu à Delphes : voici ce que porte l'inscription :

[7]

A la course Ebotas remporta la victoire,
Et l'antique Palée en vit croître sa gloire.

Sur la foi de ces vers on pourrait croire que Dyme s'appellait alors Palée ; mais on se tromperait : car il faut savoir que les anciens noms sont ordinairement plus propres en poésie, et que par cette raison les poètes Grecs s'en servent plus volontiers. C'est ainsi qu'ils appellent Amphiaraüs et Adraste les Phoronides, et qu'au lieu de dire Thésée, ils disent l'Erecthide.

[8] Avant que d'arriver à la ville, on trouve sur sa droite le tombeau de Sostrate. C'était un jeune homme du pays, que l'on dit avoir été aimé d'Hercule. Après sa mort Hercule qui vivait encore, lui fit élever un tombeau, et se coupa les cheveux sur sa sépulture. De mon temps on voyait sur une petite hauteur un cippe avec une statue d'Hercule adossée contre, et j'appris que les gens du lieu rendaient tous les ans des honneurs à Sostrate comme à un héros.

[9] On voit à Dyme un temple et une statue de Minerve, qui sont l'un et l'autre d'une grande antiquité : on y voit aussi un temple consacré à Dindymène et à Attis ; ce que c'était qu'Attis, c'est un mystère que l'on tient si secret, que je n'en ai pu rien apprendre ; mais voici ce qu'Hermésianax poète élégiaque en a écrit. Selon lui, Attis était fils d'un Phrygien nommé Calaüs, et naquit impuissant. Quand il fut grand, il alla en Lydie, et il y enseigna le culte et les cérémonies de la mère des dieux ; ce qui le rendit si cher à cette déesse, que Jupiter en fut indigné, et qu'il suscita un sanglier qui ravagea les terres des Lydiens, tua une infinité de personnes et Attis même.

[10] Les Galates qui habitent Pessinunte, semblent confirmer cette tradition, en ce que dans leurs sacrifices ils n'immolent jamais ni porc, ni sanglier. Mais du reste la fable qu'ils débitent sur Attis est bien différente de ce qu'en dit le poète Hermésianax. Si on les en croit, Jupiter eut un songe impur ; la terre mouillée du sang de ce dieu devint féconde et produisit un génie de figure humaine, qui avait les deux sexes. On le nomma Agdistis. Les dieux épouvantés de ce monstre ne lui laissèrent que le sexe féminin, et du retranchement de l'autre naquit l'amandier.

[11] Cet arbre ayant porté du fruit dans la saison, une nymphe fille du fleuve Sangar voulut en manger ; elle cueillit des amandes et les mit dans son sein ; aussitôt les amandes disparurent et la nymphe se sentit grosse ; elle accoucha d'un fils que l'on exposa dans les bois et qui fut nourri par une chèvre. Il eut nom Attis ; cet enfant prit croissance et parut d'une beauté plus qu'humaine ; Agdistis l'ayant vu, conçut une violente passion pour lui. Dans la suite les pareils d'Attis renvoyèrent à Pessinunte pour lui faire épouser la fille du Roi.

[12] Déjà l'on chantait l'hyménée lorsqu'arrive Agdistis, qui par ses enchantements troubla tellement l'esprit d'Attis et du Roi son beau-père, que tournant l'un et l'autre leurs mains contre eux-mêmes ils se rendirent eunuques. Agdistis au désespoir d'un événement si malheureux obtint de Jupiter que nulle autre partie du corps d'Attis ne pût jamais se corrompre ni se flétrir. Telle est la fable que l'on débite à Pessinunte.

[13] Aux environs de Dyme on voit une statue d'Oebotas. Ce fut le premier Achéen qui se distingua à Olympie. On dit que ses compatriotes n'ayant honoré sa victoire d'aucun monument public, il en fut si indigné qu'il fit des imprécations contre tous ceux qui disputeraient le prix après lui, et l'on prétend qu'un dieu l'exauça. Les Achéens s'en aperçurent enfin, lorsque surpris de ce qu'aucun d'eux n'était jamais couronné aux jeux olympiques, ils envoyèrent consulter l'oracle de Delphes pour en apprendre la raison.

[14] Alors ils firent ériger une statue à Oebotas dans Olympie, et lui décernèrent plusieurs autres marques d'honneur. Incontinent après Sostrate de Pellène fut proclamé vainqueur dans la classe de la jeunesse. Les Achéens qui veulent se signaler aux jeux olympiques observent encore aujourd'hui cette coutume, de commencer par honorer Oebotas sur son tombeau, et de couronner ensuite sa statue lorsqu'ils sont victorieux.

XVIII. [1] A quarante stades au-delà de Dyme est l'embouchure du Pirus. Olene ville d'Achaïe fut autrefois bâtie sur les bords de ce fleuve. Les poètes grecs qui ont écrit la vie d'Hercule en vers n'ont pas été peu embarrassés à rechercher qui était ce Dexamène roi d'Olene qui reçut Hercule chez lui, et quels étaient les présents dont il accompagna cet acte d'hospitalité. Ce qui est de certain, c'est qu'Hermésianax dans une élégie sur le centaure Eurytion témoigne qu'Olene n'était au commencement qu'une bicoque, et l'on assure que dans la suite ses habitants à cause de sa petitesse furent obligés de l'abandonner pour se retirer à Pires et à Eurytées.

[2] Du Pirus à Patra on compte environ quatre-vingt stades. Le Glaucus a son embouchure auprès. Suivant les historiens qui ont traité des antiquités de la ville de Patra, Eumélus originaire du pays fut le premier qui s'y fit un établissement considérable, il régna même sur le peu d'habitants qui s'y trouvèrent. Triptolème venu d'Attique lui apprit à semer du blé et à bâtir des villes. La première qu'il bâtit fut appellée Aroé du nom même que les Grecs donnent à la culture des terres.

[3] Anthéas fils d'Eumélus pendant que Triptolème dormait s'avisa d'atteler des dragons à son char, et de courir le pays semant du blé. Mais le jeune homme tomba malheureusement et se tua. Eumélus et Triptolème pour honorer sa mémoire bâtirent à frais communs une ville qu'ils nommèrent Anthée.

[4] Bientôt après ils en fondèrent une troisième entre Aroé et Anthée, et cette dernière à cause de sa situation fut nommée Messatis. Quant à ce que ceux de Patra racontent de Bacchus, qui fut élevé, disent-ils, dans la ville de Messatis, et qui par les embûches des dieux Pans courut un danger manifeste, je ne m'amuse point à les contredire, et je les laisse exalter la gloire de leur ville comme il leur plaît.

[5] Dans la suite des temps les Achéens ayant conquis le pays sur les Ioniens, Patréüs fils de Preugène et petit-fils d'Agénor, fit défense aux Achéens d'habiter Anthée ni Messatis ; il agrandit Aroé, l'entoura d'un nouveau mur, et voulut que de son nom elle fût appellée Patra. Agénor père de Preugène était fils d'Aréüs et petit-fils d'Ampyx, qui eut Pélias pour père. Pélias naquit d'Eginète, Eginète de Daritus, Daritus d'Argalus, Argalus d'Amyclas, et Amyclas de Lacédémon : tels furent les ancêtres de Patréüs.

[6] Après un long espace de temps ceux de Patra, seuls entre les Achéens et de leur propre mouvement, s'embarquèrent pour aller secourir leurs anciens amis les Etoliens, qui étaient en guerre avec les Gaulois. Ils remportèrent d'abord quelque avantage ; mais ensuite ils furent entièrement défaits et réduits à la dernière misère. C'est pourquoi ceux qui regagnèrent leur pays, au lieu de rentrer dans Patra, se dispersèrent pour la plupart dans la campagne afin de gagner leur vie, ou allèrent habiter les petites villes des environs, comme Anthée, Messatis, Boline, Argyre et Arbas.

[7] Dans la suite Auguste, soit parce que Patra lui parut être un fort bon mouillage, soit pour quelqu'autre raison, voulut que toute cette multitude retournât en son ancienne demeure ; il détruisit même une petite ville d'Achaïe nommée Rhypes, et en transplanta les habitants à Patra. Enfin il prit cette ville tellement en affection, que ce fut la seule de toute l'Achaïe qu'il laissa jouir de sa liberté, et il la distingua toujours comme une colonie du peuple Romain.

[8] Dans la citadelle de Patra, il y a un temple de Diane Laphria ; ce surnom est étranger et la statue de la Déesse est aussi étrangère. Car Auguste ayant dépeuplé Calydon et toute l'Etolie pour en transférer les habitants à Nicopolis qu'il avait bâtie sous le promontoire d'Actium,

[9] il orna cette ville d'une infinité de statues qu'il avait enlevées aux Etoliens et aux Acarnaniens ; en même temps il donna à ceux de Patra une partie des dépouilles de Calydon, et nommément la statue de Diane Laphria, que ces peuples gardent encore précieusement dans leur citadelle. Quant au surnom de la Déesse, quelques-uns le tirent du nom d'un Phocéen ; car ils prétendent que ce fut Laphrius fils de Delphus et petit-fils de Castalius, qui consacra à Diane cet ancien monument.

[10] Mais d'autres veulent que Diane ait été surnommée Laphria, du mot grec elaphros, qui signifie doux, léger, parce que la colère qu'elle avait fait sentir à Oeneüs s'apaisa avec le temps, et que les Calydoniens lui devinrent moins odieux. Quoi qu'il en soit, cette statue est d'or et d'ivoire et représente la Déesse en habit de chasse ; c'est un ouvrage de deux fameux statuaires de Naupacte, Ménechmus et Soïdas, que l'on ne croit guère moins anciens que Canachus de Sicyone et que Callon de l'île d'Egine.

[11] Les habitants de Patra célèbrent tous les ans une fête en l'honneur de Diane, et ils observent religieusement les cérémonies qu'ils ont reçues de leurs pères. Ils arrangent en rond tout autour de l'autel des pièces de bois vend de la longueur de seize coudées, et au milieu de ce circuit ils mettent une pareille quantité de bois sec. La veille de la fête ils apportent de la terre molle, dont ils font des gradins afin de pouvoir monter à l'autel.

[12] Ensuite la cérémonie commence par une procession où l'on porte la statue de la Déesse avec toute la pompe imaginable ; une vierge qui exerce le sacerdoce paraît la dernière, portée sur un char attelé de deux cerfs. Le lendemain on prépare le sacrifice, et tous y assistent avec autant de dévotion que d'allégresse. Entre la balustrade et l'autel il y a un grand espace où l'on jette toute sorte d'animaux tout en vie, premièrement des oiseaux bons à manger ; en second lieu des victimes plus considérables, comme des sangliers, des cerfs, des chevreuils, des louveteaux, des ourseaux, même des loups et des ours ; troisièmement des fruits de toute espèce.

[13] Ensuite on met le feu au bûcher. Alors ces animaux qui sentent la chaleur de la flamme deviennent furieux, ainsi que j'en ai été témoin ; quelques-uns même s'élancent par dessus la balustrade et cherchent à s'échapper ; mais on les reprend et on les ramène à l'autel ; ce qu'il y a de particuler, c'est qu'au rapport de ces peuples il n'en arrive point d'accident, et que jamais personne n'a été blessé en cette occasion.

XIX. [1] Entre le temple de Diane Laphria et l'autel dont je viens de parler on voit le tombeau d'Eurypyle. Je dirai qui était Eurypyle et par quelle aventure il vint à Patra ; mais auparavant il est bon d'exposer en quel état se trouvaient les habitants du pays lorsqu'il y arriva. Les Ioniens étaient encore maîtres d'Aroé, d'Anthée et de Messatis ; ces trois villes possédaient en commun un certain canton avec un temple consacré à Diane, et par cette raison la Déesse était surnommée Triclaria. Là ces peuples célébraient tous les ans une fête en l'honneur de Diane, et la nuit qui précédait cette fête passait en dévotion. La prêtresse de Diane était toujours une vierge, qui était obligée de garder la chasteté jusqu'à ce qu'elle se mariât, et pour lors le sacerdoce passait à une autre.

[2] Or il arriva qu'une jeune fille d'une grande beauté nommée Cometho étant revêtue du sacerdoce, Mélanippus le jeune homme de son temps le mieux fait et le plus accompli devint amoureux d'elle. Voyant qu'il en était aimé réciproquement, il la demanda en mariage à son père. Le naturel des vieillards est de s'opposer toujours à ce que souhaitent les jeunes gens, et d'être surtout fort peu touchés de leurs amours. Par cette raison Mélanippus ne put obtenir de réponse favorable ni des parents de la fille, ni des siens propres.

[3] On vit en cette occasion comme en bien d'autres, que quand une fois l'amour nous possède, toutes les lois divines et humaines ne nous sont plus de rien. Mélanippus et Cometho satisfirent leur passion dans le temple même de Diane, et ce saint lieu allait être pour eux comme un lit nuptial, si la Déesse n'avait bientôt donné des marques terribles de sa colère ; car la profanation de son temple fut suivie d'une stérilité générale, en sorte que la terre ne produisait aucun fruit, et ensuite de maladies populaires qui emportaient une infinité de monde.

[4] Ces peuples ayant eu recours à l'oracle de Delphes, la Pythie leur apprit que l'impiété de Mélanippus et de Cometho était la cause de tous leurs maux, et que le seul moyen d'apaiser la Déesse était de lui sacrifier à l'avenir tous les ans un jeune garçon et une jeune fille qui excellassent en beauté sur tous les autres. De ce barbare sacrifice le fleuve qui passe auprès du temple de Diane Triclaria fut nommé Amilichus, car jusques-là il était demeuré sans nom.

[5] Ainsi pour le crime de ces deux amants on voyait périr de jeunes filles et de jeunes hommes qui en étaient très innocents ; leur sort et celui de leurs proches était bien cruel, tandis que Mélanippus et Cometho, les seuls coupables, paraissaient moins malheureux ; car du moins avaient-ils contenté leurs desirs, et les amants se trouvent heureux de pouvoir se satisfaire même aux dépens de leur vie.

[6] Voici maintenant comme on raconte que cessa cette barbare coutume de sacrifier des hommes à Diane Triclaria. Les habitants d'Aroé en consultant l'oracle d'Apollon, avaient appris qu'un prince étranger leur apporterait un jour une divinité étrangère, et qu'aussitôt on cesserait de répandre le sang humain à l'autel de Diane. Après la prise de Troie, dans le partage qui fut fait du butin, il échut à Eurypyle fils d'Evémon un coffre où l'on avait renfermé une statue de Bacchus, faite à ce que l'on croyait par Vulcain, et dont Jupiter avait fait présent à Dardanus.

[7] Les uns disent qu'Enée prit la fuite si précipitamment qu'il laissa ce coffre, et d'autres assurent que Cassandre le cacha exprès, sachant bien que quelque Grec l'emporterait et qu'il s'en trouverait mal. En effet Eurypyle ne l'eut pas plutôt ouvert qu'à la vue du simulacre de Bacchus, son esprit s'aliéna de sorte que la raison ne lui revenait que par intervalles. Dans cet état, au lieu de faire voile en Thessalie, il prit la route de Cirrha par le golfe de ce nom, et alla droit à Delphes pour savoir de l'oracle par quel moyen il pourrait guérir d'une maladie si fâcheuse.

[8] La réponse fut qu'à l'endroit où il trouverait des hommes occupés d'un sacrifice qui lui paraîtrait étrange, il eût à déposer le coffre fatal qu'il avait enlevé, et à y fixer sa demeure. Les vents ayant porté sa flotte jusques dans la rade d'Aroé, il y débarqua, et en mettant pied à terre il vit un jeune homme et une jeune fille que l'on conduisait à l'autel de Diane. Le seul appareil lui fit juger que c'étaient deux victimes que l'on allait immoler. Les habitants de leur côté voyant un prince qu'ils n'avaient jamais vu se souvinrent de la prédiction qui leur avait été faite, et lorsqu'ils aperçurent un grand coffre, ils jugèrent qu'il pouvait bien renfermer cette divinité étrangère qui devait mettre fini leurs maux ; c'était en effet l'accomplissement de l'oracle.

[9] Eurypyle recouvra son bon sens, on cessa d'égorger des hommes à l'autel de la Déesse, et le fleuve changeant de nom suivant l'événement s'appella Milichus, et non plus Amilichus. Quelques auteurs attribuent cette aventure non à Eurypyle le Thessalien, mais à un autre Eurypyle fils de Dexamène, qui fut roi d'Olene, et qui ayant accompagné Hercule dans son expédition de Troie reçut de lui ce coffre pour présent ; du reste ils adoptent l'histoire avec toutes ces circonstances.

[10] Pour moi, j'ai peine à croire qu'Hercule pût ignorer ce qu'il y avait dans ce coffre, et qu'en ayant connaissance il eût fait un si funeste présent à un prince à qui il avait obligation. Quoi qu'il en soit, ceux de Patra ne connaissent point d'autre Eurypyle que le fils d'Evémon, et ils l'honorent encore tous les ans sur son tombeau immédiatement après la fête de Bacchus.

XX. [1] Le Dieu que l'on garde dans ce coffre est surnommé Esymnète. Le peuple choisit parmi les plus honnêtes gens de la ville neuf hommes et autant de femmes pour être les ministres de son culte. Sa fête se célèbre tous les ans, et la nuit qui la précède le prêtre du Dieu apporte ce coffre et en tire la statue. Voici la cerémonie qui se pratique ensuite : tous les enfants du pays se rendent sur le bord du fleuve Milichus couronnés d'épis de blé, et dans l'appareil de ces victimes que l'on immolait à Diane.

[2] Mais aujourd'hui ils déposent seulement leurs couronnes aux pieds de la Déesse, ensuite ils se lavent dans l'eau du fleuve, reprennent des couronnes de lierre, et s'en vont au temple de Bacchus Esymnète. Dans l'enceinte du temple de Diane Laphria il y a une chapelle de Minerve surnommée Panachéïs, dont la statue est d'or et d'ivoire.

[3] En descendant à la ville basse on trouvé le temple de Dindymène où Attis est honoré, quoiqu'il n'ait point de statue ; du moins il n'en paraît aucune. Pour la déesse Dindymène, sa statue est de marbre. Dans la place publique on voit un temple de Jupiter Olympien ; le Dieu est sur un trône, ayant Minerve à côté de lui. Près de ce temple est celui de Junon. Apollon a aussi le sien ; le Dieu est représenté nu, à l'exception des pieds qui sont chaussés, et dont il tient l'un sur le crâne d'une génisse,

[4] pour marquer que cet animal lui était agréable comme vous le témoigne Alcée dans un hymne qu'il a fait sur Mercure, et où il raconte comment Mercure déroba des vaches à Apollcn. Mais avant Alcée Homère nous avait appris qu'Apollon sur l'espoir d'une certaine récompense voulut bien garder les troupeaux du roi Laomédon ; car voici les paroles que le poète met dans la bouche de Neptune :

[5]

De la superbe Troie, architecte nouveau,
Prenant moi-même en main l'équerre et le cordeau,
Je bâtissais les murs, j'élevais les défenses.
Apollon cependant de plaisirs et de danses
Follement occupé, conduisait des troupeaux.

Il y a bien de l'apparence que l'ouvrier avait vue ces témoignages des poètes, lorsqu'il a présenté ainsi Apollon, tenant un pied sur le crâne d'une génisse. Vous verrez encore dans place publique une statue de Minerve, qui est sans abri. Tout devant est le tombeau de Patréüs.

[6] Le lieu destiné à la musique tient à la place ; on y voit une statue d'Apollon d'une grande beauté, et qui fut faite des dépouilles remportées sur l'ennemi, après que ceux de Patra, seuls entre les Achéens, eurent marché au secours des Etoliens, qui étaient attaqués par les Gaulois. Cette espèce de salon destiné à la musique est le plus riche et le plus beau qu'il y ait dans toute la Grèce, après celui d'Athènes qu'Hérodès Atticus a fait construire en l'honneur de sa femme et qui surpasse de beaucoup tous les autres en grandeur et en magnificence. Je n'en ai rien dit dans ma description de l'Attique, parce que ce superbe ouvrage n'était pas encore achevé.

[7] En sortant de la place par le côté où est le temple d'Apollon vous trouvez une porte de la ville, et sur cette porte des statues dorées qui représentent Patréüs, Preugène et Athérion. Vis-à-vis de la place et du même côté, vous avez le temple de Diane Limnatis, avec un grand espace consacré à cette Déesse.

[8] On dit que les Doriens s'étant rendus maîtres d'Argos et de Lacédémone, Preugène fut averti en songe d'enlever de Sparte la statue de Diane Limnatis, et qu'il en vint à bout par le moyen d'un esclave dont il avait éprouvé la fidélité. On garde cette statue à Mésoa, parce que ce fut-là que Preugène jugea à propos de la déposer. Mais tous les ans le jour de la fête de Diane un des ministres de la Déesse a soin d'apporter sa statue à Patra, et de la remporter ensuite.

[9] Sur le terrain qui est consacré à Diane il y a plusieurs chapelles où l'on va par dessous une galerie ; dans l'une on voit une statue d'Esculape qui est de marbre, à l'exception de l'habit ; dans une autre on voit une Minerve d'or et d'ivoire. Devant cette chapelle de Minerve est la sépulture de Preugène, où l'on rend tous les ans des honneurs à ce héros dans le temps de la fête de Diane Limnatis. Près du théâtre sont deux autres chapelles dédiées l'une à Némésis, l'autre à Vénus avec des statues de marbre blanc plus grandes que nature.

XXI. [1] Dans le même quartier vous verrez encore le temple de Bacchus surnommé Calydonien, parce que la statue du Dieu a été apportée de Calydon. Du temps que cette ville subsistait, entre les prêtres de Bacchus il y en avait un appellé Corésus, que l'amour rendit le plus malheureux de tous les hommes. Il aimait une jeune fille nommée Callirhoé : mais plus sa passion augmentait pour elle, plus il en était rebuté.

[2] Après avoir mis en oeuvre tout ce que l'amour suggère aux amants, soins, prières, supplications, voyant que tout était inutile, enfin il eut recours à Bacchus, et embrassant sa statue, il le pria de lui être favorable. Le Dieu exauça son ministre : aussitôt les Calydoniens furent frappés d'une espèce d'ivresse qui les mettait hors d'eux-mêmes, et qui en faisait mourir plusieurs. Ils envoyèrent consulter l'oracle de Dodone ; car en ce temps-là tous les peuples de cette contrée, je veux dire les Etoliens, leurs voisins les Acarnaniens, et les Epirotes avaient grande foi aux réponses qui sortaient du creux d'un certain chêne, ou que rendaient quelques colombes de la forêt de Dodone.

[3] L'oracle consulté répondit que le malheur des Calydoniens venait de la colère de Bacchus, et que pour la faire cesser il fallait que Corésus immolât à son autel Callirhoé, ou quelqu'un qui voudrait mourir pour elle. Cette jeune personne n'ayant trouvé ni parent, ni ami qui l'aimât assez pour vouloir lui conserver la vie aux dépens de la sienne propre, se voyait condamnée à mourir.

[4] Déjà on la conduisait à l'autel, et tout était prêt pour la sacrifier ; Corésus attendait de pied ferme sa victime. Mais il ne la vit pas plutôt, qu'oubliant son ressentiment et n'écoutant plus que son amour, il s'immola lui-même et mourut pour elle, laissant aux hommes un exemple mémorable de l'amour le plus constant et le plus infortuné que l'on eût encore vu parmi eux.

[5] Callirhoé au désespoir de la mort de Corésus, et honteuse d'avoir si mal pavé tant d'amour, alla se tuer sur le bord d'une fontaine qui n'est pas loin du port de Calydon, et que l'on appelle encore aujourd'hui la fontaine Callirhoé.

[6] Je ne dois pas oublier qu'à Patra près du théâtre il y a un lieu sacré qui appartenait autrefois à une femme de la ville, et où l'on garde à présent plusieurs statues de Bacchus, qui tirent leurs noms des différentes villes d'Achaïe. Ainsi vous y voyez un Bacchus Messatéüs, un Bacchus Anthéüs, un Bacchus Aroëus ; et le jour de la fête du Dieu on porte toutes ces statues dans le temple de Bacchus Esymnète, qui est à l'extrémité de la ville ha se sur le bord de la mer, et à la droite du chemin par où l'on vient de la place.

[7] Au sortir de ce temple vous en trouvez un autre dédié à la déesse Salus qui a une statue de marbre. On croit que ce fut Eurypyle qui bâtit ce dernier, lorsqu'il eut recouvré son bon sens. Le temple de Neptune est tout contre le port ; la statue du Dieu est de marbre et toute droite. Outre les divers surnoms que les poètes donnent à Neptune sans autre vue que de rendre leurs vers plus harmonieux et plus beaux, il en a encore plusieurs autres tirés de la dénomination même de chaque pays où il est honoré. Mais on le surnomme plus généralement Pélagéüs, Asphaliéüs, et Hippius.

[8] Quant à cette dernière appellation, quoique l'on en puisse rendre plus d'une raison, je la crois particulièrement fondée sur ce que Neptune est le premier qui a trouvé l'art de dompter un cheval. C'est pourquoi Homère, dans la description d'une course de chevaux, nous représente Ménélas exigeant de son adversaire que, la main sur ses chevaux, il jure par Neptune qu'il n'a usé d'aucune supercherie pour embarrasser son char.

[9] Et Pamphus qui a fait pour les Athéniens des hymnes très anciens appelle Neptune, le Dieu qui a donné aux hommes des chevaux et des navires. Je suis donc persuadé que c'est pour cette raison que Neptune est surnommé Hippius, comme qui dirait le Cavalier.

[10] Près du temple de ce Dieu, Vénus a le sien où l'on voit entre autres une statue de la Déesse, qui vingt-cinq ou trente ans avant mon voyage fut trouvée dans la mer par des pécheurs. Mars et Apollon sont en bronze immédiatement devant le port, et sur le port même on voit un temple de Vénus avec une statue dont le visage, les pieds et les mains sont de marbre, et le reste est de bois.

[11] Il y a sur le bord de la mer un bois où l'on s'exerce à la course, et qui durant l'été fournit des promenades délicieuses ; ce bois est orné de deux temples consacrés à Apollon et à Vénus, où ces deux divinités sont en marbre. Le temple de Cérès n'en est pas loin. Cérès et Proserpine y sont debout, mais la Terre est assise.

[12] Devant ce temple il y a une fontaine qui du côté du temple même est fermée par un mur de pierres sèches ; en dehors on a pratiqué un chemin qui y descend. On prétend que cette fontaine rend des oracles qui ne trompent jamais ; elle est consultée non sur toutes sortes d'affaires, mais seulement sur l'état des malades. On attache un miroir au bout d'une ficelle, et on le tient suspendu au-dessus de la fontaine, en sorte qu'il n'y ait que l'extrémité qui touche à l'eau. Ensuite on fait des prières à la Déesse, on brûle des parfums en son honneur, et aussitôt en regardant dans le miroir on voit si le malade reviendra en santé ou s'il mourra ; cette espèce de divination ne s'étend pas plus loin.

[13] Mais à Cyanée en Lycie il y a un oracle d'Apollon Thyrxéüs qui est plus universel ; car en regardant dans une fontaine consacrée à ce Dieu on y voit représenté tout ce que l'on a envie de savoir. Vous verrez encore à Patra près du même bois deux temples de Sérapis ; dans l'un est le tombeau d'Egyptus fils de Bénis. Car ces peuples prétendent qu'Egyptus se réfugia à Arroé, inconsolable de la mort de ses fils et ne pouvant plus souffrir le séjour, ni même le nom d'Argos, ou il avait tout à craindre de Danaüs.

[14] Enfin Esculape a aussi son temple dans la ville un peu au-dessus de la citadelle et près de la porte par où l'on sort pour aller à Messatis. Il y a deux fois plus de femmes que d'hommes à Patra, et les femmes y sont plus enclines à l'amour qu'en aucun lieu du monde. La plupart gagnent leur vie à faire du raiseau, et d'autres étoffes avec cette espèce de soie que j'ai dit qui croît en Elide.

XXII. [1] Phares est une autre ville d'Achaïe qu'Auguste a réunie au domaine de Patra. On compte de l'une à l'autre cent cinquante stades, et de la mer au continent on en compte environ soixante et dix. Le fleuve Piérus passe fort près des murs de Phares ; c'est le même, à ce que je crois, qui baigne les ruines d'Olene, et qui est appellé Pirus du côté de la mer. On voit sur ses rives comme une forêt de platanes ; ces arbres sont si vieux, que vous les trouvez creux pour la plupart, et ils sont en même temps d'une si prodigieuse grosseur que plusieurs personnes y peuvent manger et dormir comme dans un antre.

[2] La place publique de Phares est bâtie à l'antique et son circuit est fort grand. Au milieu vous voyez un Mercure de marbre, qui a une grande barbe ; c'est une statue de médiocre grandeur, de figure carrée, qui est debout à terre sans piédestal. L'inscription porte que cette statue a été posée là par Simylus Messénien, et que c'est Mercure Agoréüs ou le Dieu du marché. On dit que ce Dieu rend là des oracles. Immédiatement devant sa statue il y a une Vesta qui est aussi de marbre. La Déesse est environnée de lampes de bronze attachées les unes aux autres et soudées avec du plomb.

[3] Celui qui veut consulter l'oracle fait premièrement sa prière à Vesta, il l'encense, il verse de l'huile dans toutes les lampes et les allume ; puis s'avançant vers l'autel il met dans la main droite de la statue une petite pièce de cuivre, c'est la monnaie du pays ; ensuite il s'approche du Dieu, et lui fait à l'oreille telle question qu'il lui plaît. Après toutes ces cérémonies il sort de la place en se bouchant les oreilles avec les mains dès qu'il est dehors il écoute les passants, et la première parole qu'il entend lui tient lieu d'oracle.

[4] La même chose se pratique chez les Egyptiens dans le temple d'Apis. Une autre curiosité de la ville de Phares, c'est un vivier que l'on nomme hama et qui est consacré à Mercure avec tous les poissons qui sont dedans ; c'est pourquoi on ne le pêche jamais. Près de la statue du Dieu il y a une trentaine de grosses pierres carrées, dont chacune est honorée par les habitants sous le nom de quelque divinité ; ce qui n'est pas fort surprenant ; car anciennement les Grecs rendaient à des pierres toutes brutes les mêmes honneurs qu'ils ont rendus depuis aux statues des dieux.

[5] A quinze stades de la ville les Dioscures ont un bois sacré tout planté de lauriers ; on n'y voit ni temple, ni statue ; mais si l'on en croit les habitants, il y a eu autrefois dans ce lieu nombre de statues qui ont été transportées à Rome ; présentement il n'y reste qu'un autel qui est bâti de très belles pierres. Au reste je n'ai pu savoir si c'est Phares fils de Philodamie et petit-fils de Danaüs qui a bâti la ville de Phares, ou si c'en est un autre.

[6] Tritia autre ville d'Achaïe en terre ferme est encore de la dépendance de Patra ; Auguste l'a voulu ainsi. De Phares à Tritia il n'y a guère que six-vingt stades. Avant que d'entrer dans la ville on voit un magnifique tombeau de marbre blanc, plus précieux encore par les peintures de Nicias, que par les ouvrages de sculpture dont il est orné. Une jeune personne d'une grande beauté est représentée assise dans une chaise d'ivoire ; à côté d'elle est une de ses femmes qui lui tient une espèce de parasol sur la tête.

[7] De l'autre côté c'est un jeune garçon qui n'a point encore de barbe ; il est vêtu d'une tunique et d'un manteau de pourpre par-dessus ; près de lui est un esclave qui d'une main tient des javelots, et de l'autre des chiens de chasse qu'il mène en laisse. On ne put pas me dire les noms de ces figures, mais je compris sans peine que c'était le tombeau d'un mari et d'une femme.

[8] Quant à la ville de Tritia, les uns lui donnent pour fondateur Celbidas originaire de Cumes en Opique. D'autres disent que Tritia fille du fleuve Triton après avoir été prêtresse de Minerve fut aimée du dieu Mars, et que de ce commerce naquit Mélanippus qui bâtit une ville, et du nom de sa mère l'appella Tritia.

[9] Quoi qu'il en soit, vous verrez dans cette ville un temple que les gens du pays nomment le temple des plus grands dieux ; leurs statues ne sont que de terre ; on célèbre leur fête tous les ans avec toutes les mêmes cérémonies que les Grecs ont coutume de pratiquer à la fête de Bacchus. Minerve y a aussi un temple avec une statue de marbre ; mais cette statue est d'un goût moderne ; les habitants prétendent qu'anciennement il y en avait une autre qui a été portée à Rome. Ces peuples observent religieusement de sacrifier tous les ans au dieu Mars et à Tritia. Voilà toutes les villes d'Achaïe que l'on trouve en terre ferme.

[10] Si vous allez de Patra à Egium par mer, à la hauteur de cinquante stades vous trouverez le cap Rhion. Quinze stades au-delà c'est le port Panorme, et quinze autres stades plus loin c'est ce que l'on appelle les murs de Minerve. De ces murs à Eriée qui est un port de mer on compte quatre-vingt-dix stades, et de ce port à Egium on en compte soixante ; par terre le chemin est plus court d'environ quarante stades.

[11] A quelque distance de Patra vous avez le fleuve Milichus et le temple de Diane Triclaria, où il n'est resté aucune statue ; ce temple est sur le chemin à droite. Un peu plus loin c'est un ruisseau que l'on nomme Charadrus. On a remarqué que les animaux qui au printemps boivent de l'eau de ce ruisseau engendrent pour l'ordinaire des mâles. C'est pourquoi ceux qui gardent les troupeaux ont soin de les faire boire ailleurs, excepté les vaches ; parce que le mâle de cette espèce est plus propre pour la culture des terres et pour les sacrifices. Mais en toute autre espèce de bétail la femelle est plus estimée.

XXIII. [1] Quand on a passé le Charadrus on aperçoit quelques ruines de l'ancienne ville d'Argyre, et à main droite du grand chemin on trouve une fontaine qui porte encore ce nom. Le fleuve Sélimnus a son embouchure auprès ; ce qui a donné lieu à un conte que font les gens du pays et que je vais rapporter. Selon eux Sélimnus fut autrefois un beau jeune berger qui plut tant à la nymphe Argyre, que tous les jours elle sortait de la mer pour le venir trouver.

[2] Cette passion ne dura pas longtemps ; il semblait à la nymphe que le berger devenait moins beau, elle se dégoûta de lui, et Sélimnus en fut si touché qu'il mourut de déplaisir. Vénus le métamorphosa en fleuve ; mais tout fleuve qu'il était il aimait encore Argyre, comme on dit qu'Alphée, pour être devenu fleuve, ne cessa pas d'aimer Aréthuse ; la Déesse ayant donc pitié de lui encore une fois lui fit perdre entièrement le souvenir de la nymphe.

[3] Aussi croit-on dans le pays que les hommes et les femmes pour oublier leurs amours n'ont qu'à se baigner dans le Sélimnus, ce qui en rendrait l'eau d'un prix inestimable, si l'on pouvait s'y fier.

[4] Le fleuve Bolinée est à une médiocre distance des ruines d'Argyre, et sur sa rive était autrefois la ville de Boline. On dit qu'une jeune fille de ce nom voyant Apollon amoureux d'elle se jeta dans la mer pour éviter ses poursuites, et que le Dieu touché de son malheur la rappella à la vie et la rendit immortelle. Vous trouverez ensuite un promontoire qui avance dans cette mer. C'est là, dit-on, que Saturne jeta la faux avec laquelle il avait mutilé le Ciel son père ; c'est pourquoi on a donné le nom de Drepanum à ce promontoire. Un peu au-dessus du grand chemin vous verrez les ruines de Rhybes, et vous n'aurez pas fait trente stades que vous serez à Egium ; ce pays est arrosé de deux fleuves, le Phoenix et le Méganite qui tous deux vont tomber dans la mer au-dessous d'Egium.


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Traduction par l'abbé Gédoyn (1731, édition de 1794)
NB : Orthographe modernisée et chapitrage complété.